Contre Eutychès
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Contre EutychèsBoèceUn traité d’Anicius Manlius Severinus Boethius, trèshonorable,Du très illustre ordre des ex-consuls, patrice,au saint maître et vénérable pèreJean le diacre, boèce son filsSommaire1 Introduction2 I. Plusieurs définitions du concept de nature3 II. Si une personne habite toute nature4 III. La définition de la personne et quelques questions terminologiques5 IV. Réfutation des erreurs de Nestorius et d'Eutychès6 V. Réfutation de l’hérésie de Eutychès : le corps du Christ7 VI. Réfutation de l’hérésie d'Eutychès (suite) : le passage d’une nature àune autre8 VII. La solution médiane catholique9 VIII. Une dernière difficulté : Comment, bien que le corps du Christ soit issudu corps d’Adam pécheur, il n’y eut en lui ni péché ni volonté de pécher.IntroductionDans l’agitation des pensées, j'ai longtemps retardé le moment de te parler de laquestion qui a été discutée au Concile. Et, puisque tes occupations t’ont empêchéde venir, et que du mien, mes affaires me retiendront un certain temps, je mets parécrit ce que je voulais te dire de vive voix. Tu te souviens en effet que, lors de lalecture publique d’une lettre au Concile, il fut déclaré que les Eutychiensreconnaissaient ouvertement que le Christ est constitué de deux natures, maisniaient qu’il consistât en deux : les Catholiques alors, de proclamer leur foi en faveurdes deux assertions, car l’on croit chez les sectateurs de la vraie Foi que le Christ,de façon égale, est constitué ...

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Extrait

Contre Eutychès Boèce Un traité d’Anicius Manlius Severinus Boethius, très honorable,
Du très illustre ordre des ex-consuls, patrice,
Sommaire
au saint maître et vénérable père
Jean le diacre, boèce son fils
1 Introduction 2 I. Plusieurs définitions du concept de nature 3 II. Si une personne habite toute nature 4 III. La définition de la personne et quelques questions terminologiques 5 IV. Réfutation des erreurs de Nestorius et d'Eutychès 6 V. Réfutation de l’hérésie de Eutychès : le corps du Christ 7 VI. Réfutation de l’hérésie d'Eutychès (suite) : le passage d’une nature à une autre 8 VII. La solution médiane catholique 9 VIII. Une dernière difficulté : Comment, bien que le corps du Christ soit issu du corps d’Adam pécheur, il n’y eut en lui ni péché ni volonté de pécher.
Introduction
Dans l’agitation des pensées, j'ai longtemps retardé le moment de te parler de la question qui a été discutée au Concile. Et, puisque tes occupations t’ont empêché de venir, et que du mien, mes affaires me retiendront un certain temps, je mets par écrit ce que je voulais te dire de vive voix. Tu te souviens en effet que, lors de la lecture publique d’une lettre au Concile, il fut déclaré que les Eutychiens reconnaissaient ouvertement que le Christ est constitué de deux natures, mais niaient qu’il consistât en deux : les Catholiques alors, de proclamer leur foi en faveur des deux assertions, car l’on croit chez les sectateurs de la vraie Foi que le Christ, de façon égale, est constitué de deux natures et consiste dans les deux. Or, frappé par la nouveauté d’une telle assertion, je me mis à rechercher les différences susceptibles d’exister entre ces deux modes de conjonction : celle constituée de deux natures et celle consistant en deux natures en effet, je pensais que cette question, que, dans le sentiment de son impérieuse nécessité, l’évêque, auteur de la lettre, n’avait pas laissée de côté, était évidemment de la plus grande importance elle ne devait pas être délaissée ou négligée par paresse.
Mais tous, à ce moment, de s’écrier que la différence était manifeste, et qu’en cette matière il n’y avait plus rien qui, de ténèbres, conservât la confusion ou le désordre : personne cependant, au milieu d’un si grand tumulte, ne se trouva pour aborder la question avec aisance, ou simplement la débrouiller. J’étais quant à moi assis trop loin de celui que je souhaitais observer avec le plus d’attention d’ailleurs, si tu te rappelles la disposition de ceux qui siégeaient, étant placé derrière de trop nombreux participants, je n’aurais pu, même en les recherchant avec la plus grande peine, percevoir sa physionomie ou l’expression de son visage cela m’eût donné des signes de son jugement. Eh bien, quant à moi, assurément, je n’apportais rien de plus que les autres, et au contraire, même quelque chose en moins. Car, sur le sujet en question, je n’avais absolument pas le même avis que les autres. Ce qu’en revanche j’apportais en moins qu’eux, c’était évidemment la présomption d’une fausse science. Je supportai très péniblement, je l’avoue, la situation, et pressé par le troupeau des ignorants, je me tus, craignant d’apparaître fou à juste titre, si au
milieu de furieux, j’avais tenté de me conduire en homme sensé. Alors, de ce moment, en mon esprit, je me mis à méditer toutes ces questions, et je n’avalais pas ce que j’apprenais, mais le ruminais dans la pratique réitérée d’une fréquente consultation. Enfin, les portes s’ouvrirent à un esprit qui les poussait avec force, et la Vérité, une fois trouvée, révéla, à celui qui les cherchait, toutes les nuées de l’erreur eutychienne. Quel grand étonnement me saisit alors! Étonnement devant l’audace de ces gens incultes qui s’efforcent d’offusquer d’un nuage de présomption et d’impudence ce vice l’ignorance, quand non seulement presque toujours ils ne savent pas ce qui est en suspens, mais encore, dans des débats de ce genre, ne comprennent même pas ce qu’ils disent eux-mêmes ; comme si ce qui cause l’ignorance ne devient pas plus désastreux encore en restant dissimulé!
Mais de ces gens je passe à toi, auquel je transmets cet écrit qui, si modeste qu’il soit, doit d’abord être examiné et pesé attentivement. Si tu déclares que le sujet a été correctement traité, je te demande d’insérer ces pages parmi les écrits que j’ai déjà signés. Mais si quelque chose doit être enlevé ou ajouté, ou doit encore subir quelque modification, je souhaite que cette correction me soit aussi remise pour être transcrite sur mes exemplaires, quand tu me l’auras retournée. Et quand ces corrections, conduites à leur terme, auront été établies, alors seulement je transmettrai cet écrit, qui doit recevoir son jugement, à celui que j’ai coutume de solliciter. Mais puisque, une bonne fois pour toutes, le sujet passe de l’entretien au crayon, il importe en premier lieu de repousser les erreurs extrêmes et mutuellement contraires, de Nestorius et d’Eutychès. Ensuite, Dieu aidant, je montrerai que c’est précisément dans son juste milieu que consiste l’équilibre de la foi chrétienne. Mais puisque dans toute la question de ces hérésies mutuellement contraires il y a doute au sujet des personnes et des natures, il faut primitivement les définir, et les isoler dans leurs différences propres.
Liminaire : Traité de la nature et de la personne
I. Plusieurs définitions du concept de nature
Le concept de "nature", donc, peut être dit : ou des seuls corps ; ou des seules substances, c’est-à-dire des corporelles et des incorporelles ; ou de toutes choses, qu’on dit "être", selon un mode quelconque. Comme "nature" donc peut se dire selon trois modes, son concept doit être défini, indubitablement, selon trois modes.
(Le premier mode de définition) En effet, s’il convient de dire "nature" de toutes choses, la définition devra pouvoir inclure toutes les choses qui sont. Elle sera alors de ce type : "il y a nature des choses, qui, du moment qu’elles sont, peuvent être saisies, selon un mode quelconque, par l’intellect." Dans une telle définition, sont donc définis autant les accidents que les substances : ils peuvent tous en effet être saisis par l’intellect. Mais l’on a ajouté "selon un mode quelconque", puisque Dieu et la matière ne peuvent être intégralement et parfaitement saisis par l’intellect, mais cependant peuvent l’être "selon un mode quelconque" : par privation de toutes les autres réalités. C’est pourquoi j’ai ajouté : "qui, du moment qu’elles sont", puisqu’il y a signification jusque du néant (nihil) lui-même, mais non nature de ce néant. En effet, il ne signifie pas que quelque "est", mais bien plutôt le non-être ; or chaque nature "est" Si donc, il convient que la nature soit assurément dite de toutes choses, la définition de la nature pourra être celle que nous venons de proposer.
(La deuxième définition) Mais si la nature est dite des seules substances, puisque toutes les substances sont ou corporelles ou incorporelles, nous donnerons à "nature" quand elle désigne les substances une défifinition de ce type : "La nature est ou ce qui peut faire qui peut pâtir" "Pâtir" assurément et "faire", quand il s’agit de tous les corporels et de l'âme des corporels : cette dernière, en effet, fait et dans le corps et par le corps. Mais "faire seulement pour Dieu et les autres réalités divines. On a donc également la définition du sens de nature quand elle est appliquée aux seules substances. Or, dans ce cas est aussi donnée en retour la définition de la substance. Car si le nom de "nature" indique la substance, quand nous avons déterminé la nature, nous avons également donné la détermination de la substance.
(La troisième définition) Mais si le nom de nature est réduit aux substances corporelles — on aura laissé de côté les substances incorporelles —, de sorte que seules les substances corporelles paraissent avoir une nature, — comme le pensent Aristote et tous les autres sectateurs d’écoles philosophiques similaires ou variées, nous la définirons comme ceux qui ont aussi posé que la nature n’est que
dans les corps. Telle sera alors la définition : "La nature est le principe de mouvement par soi, non par accident." J’ai dit : "principe de mouvement", puisque tout corps a son mouvement propre, comme le feu vers le haut, la terre vers le bas. De même j’ai posé que la nature était "par soi principe de mouvement" et "non par accident" : il est nécessaire en effet, qu’un lit en bois soit de ce fait porté vers le bas, mais non porté vers le bas par accident. C’est en effet parce qu’il est bois, qui est terre, qu’il est conduit-vers le bas (de-ducit) par le poids et la gravité. Ce n’est pas en effet parce qu’il est lit, qu’il tombe vers le bas, mais parce qu’il est terre, c’est-à-dire parce que la terre, par accident, est devenue lit. D’où nous disons que le bois relève de la nature, mais le lit de l’art.
(La quatrième définition) Il y a encore une autre signification de "nature" : celle par laquelle nous disons que la nature de l’or est opposée à celle de l’argent : nous désirons alors indiquer le caractère propre des choses. Ce sens de nature aura pour définition : "la nature est la différence spécifique informant chaque chose"
Puis donc que "nature" se dit ou définit en fonction de tous ces modes, aussi bien les Catholiques que Nestorius établiront selon la dernière définition que dans le Christ il y a deux natures. En effet, on ne rencontre pas en Dieu et en l’homme des différences identiques.
II. Si une personne habite toute nature
En revanche, sur la définition qui conviendra le mieux à "personne", on peut avoir le plus grand doute. Si en effet, une personne habite toute nature, pouvoir distinguer "nature" de "personne" est un nœud indissoluble. Ou si "personne" n’est pas égale à "nature", mais que "personne" possède un champ d’application plus étroit que celui de "nature", il est difficile de dire jusqu’à quelles natures pourrait s’étendre la "personne" c’est-à-dire quelles natures il conviendrait que la personne habite, à quelles natures il conviendrait de refuser ce vocable de personne. Car manifestement) la nature est jetée-sous la personne et en dehors de la nature la personne ne peut être prédiquée On doit donc, en enquêtant de cette façon, suivre à la trace les repères suivants.
Puisque, en dehors de la nature, on ne peut avoir de personne, et puisque les natures sont : les unes des substances) les autres des accidents, nous voyons aussi que l’on ne peut établir la personne dans les accidents. Qui, en effet, dirait qu’il y a une personne de la blancheur, de la noirceur ou de la grandeur? Il reste donc, et il convient, que la personne soit dite dans les substances. Mais parmi les substances, les unes sont corporelles, les autres incorporelles. Et parmi les corporelles, les unes sont vivantes, les autres non ; parmi les vivantes, les unes sont sensibles, les autres non ; parmi les sensibles, les unes sont rationnelles, les autres non-rationnelles. De même parmi les incorporelles, les unes sont rationnelles, les autres non, comme les esprits vitaux des bêtes. Et parmi les rationnelles, une est immuable et impassible par nature : Dieu ; l’autre par création muable et passible, à moins d’être totalement transmuée par la grâce de la substance impassible, en la fermeté de l’impassibilité, comme les anges et l’âme humaine.
Or, parmi toutes ces substances, il est manifeste qu’on ne peut dire qu’il existe une personne dans les corps non vivants — nul, en effet, ne dit qu’il y a une personne de la pierre — ; ni derechef des vivants qui sont privés de sens — il n’y a en effet aucune personne de l’arbre — ; ni encore d’une substance désertée par l’intellect et la raison — il n’y a en effet aucune personne du cheval ou du bœuf, ou des autres animaux qui, privés de parole et de raison, passent leur vie en s’appuyant sur les seuls sens. Mais nous disons qu’il existe une personne de l’homme, nous le disons de Dieu, nous le disons de l’ange. Derechef : parmi les substances, les unes sont universelles, les autres particulières. Les universelles sont celles qui sont prédiquées des singulières : l’homme, l’animal, la pierre, le bois et tout le reste de cette sorte, qui sont genres ou espèces. En effet, l’homme se dit des hommes singuliers, et l’animal des animaux singuliers, de même que la pierre ou le bois de pierres ou de bois singuliers. Les particulières, elles, sont celles qui ne sont nullement prédiquées d’autres, comme Cicéron, Platon, cette pierre dont on a fait cette statue d’Achille, ce bois dont on a fabriqué cette table. Mais parmi toutes ces substances, nulle part la personne ne peut se dire dans les universelles, mais seulement dans les singulières et dans les individuelles. En effet, il n’y a aucune personne de l’animal ou de l’homme en général, mais c’est bien à Cicéron, à Platon : à des individus singuliers que l’on donne le nom de personne singulière.
III. La définition de la personne et quelques questions terminologiques
C’est pourquoi, si la personne est dans les seules substances, et dans celles qui sont rationnelles, et si toute substance est une nature établie non pas dans les universelles, mais dans les individuelles, on a trouvé la définition de la personne : "substance individuelle de nature rationnelle".
Mais nous, nous avons par cette définition déterminé ce que les Grecs appellent "hypostase". En effet, le nom de personne provient manifestement d’une autre origine, de ces masques (personae) à l’évidence qui représentaient, dans les comédies et les tragédies, les personnages que l’on jouait. Quant à "persona", il a été constitué à partir de "personare" retentir!, avec un accent circonflexe sur la pénultième. Si l’on rend l’antépénultième aigue, on s’apercevra de façon tout à fait claire que "persona" vient de "sonus" son. Et s’il provient de "sonus", c’est que le son, roulé dans la concavité même du masque! en devient plus fort Les Grecs également les appellent masques, du fait qu’ils se mettent sur la face, et, posés devant les yeux, dissimulent la physionomie. Mais, puisque les histrions, grâce à l’appli cation de masques, représentaient, comme on l’a dit, les personnages individuels que l’on jouait dans la tragédie et dans la comédie (Hécube, Médée, Simon ou Chrémès), c’est pour cette raison que les Latins nommèrent "personam" et les Grecs "prosopon", également les autres hommes, dont on avait une connaissance précise en raison de leur aspect. Mais les Grecs préfèrent appeler de façon plus significative par le nom d’hypostase la subsistance individuelle de nature rationnelle tandis que nous, par pénurie de mots ayant une telle signification, nous avons retenu une appellation du langage courant, nommant "persona" ce qu’ils appellent. Mais ces derniers, ayant une plus grande pratique du vocabulaire, appellent hypostase la subsistance individuelle. Et afin d’employer la langue grecque dans des sujets qui, pensés par les Grecs, ont été traduits en latin : les essences peuvent assurément être dans les universels, mais c’est dans les seuls individuels et particuliers qu’elles sont-substances.
L’intellection des universels en effet est tirée des particuliers. C’est pourquoi, puisque les subsistances elles-mêmes, assurément, sont dans les universels, mais reçoivent la substance dans les particuliers, les Grecs ont appelé à juste titre "hypostasis" les subsistances qui sont selon le mode du particulier. En effet, pour qui aura un regard sérieux et pénétrant, la subsistance ne sera manifestement pas identique à la substance. De fait, ce que les Grecs appellent "ousiosin", c’est ce que nous, nous appelons "subsistance" ou "subsister". Mais ce qu’eux appellent "hypostasis", c’est ce que nous, nous traduisons pas "substance" ou le fait d’"être-substance". Subsiste en effet, ce qui soi-même, afin de pouvoir être, n’a pas besoin d’accidents. Mais est-substance ce qui procure en tant que fondement un sujet à d’autres choses, à savoir les accidents, pour leur donner l’être effectif. Elle se tient-sous eux, en effet, en tant qu’elle est sujet pour des accidents. C’est pourquoi les genres et les espèces subsistent seulement. Les accidents en effet n’échoient pas aux genres ou aux espèces. Mais les individus non seulement subsistent, mais encore sont-substances. Car d’une part eux-mêmes n’ont pas besoin d’accidents pour être, — ils sont en effet informés par leurs différences propres et spécifiques —, d’autre part ils procurent aux accidents la possibilité d’être, en étant évidemment des sujets. C’est pourquoi "einai" est compris par "être" et "subsister", mais il y a un autre mot pour "être-substance". C’est en effet qu’en Grèce l’on ne manque pas de vocabulaire, comme y faisait allusion Cicéron mais l’on y rend par autant de noms "essence", "subsistance", "substance" et "personne" : on y appelle en effet l’essence par un mot, et la subsistance par un autre ; la substance et la personne sont aussi désignées par deux mots distincts. Et si les Grecs ont appelé par un mot spécial les subsistances individuelles, c’est qu’elles sont-sous les autres choses et sont posées-sous d’autres choses : les accidents.
C’est pourquoi, nous aussi nous nommons substances ces choses comme posées-sous, que les Grecs nomment "hypo-stase" ; et de plus, comme ils nomment "prosopa" les mêmes substances, nous pouvons également les nommer personnes "Ousian" — esse — est donc la même chose qu’essence ; "ousiosis" la même que subsistance ; "hypostase" la même que substance ; "prosopon" la même que personne. Mais la raison pour laquelle le Grec ne dit pas "hypostase" des animaux non rationnels, de même que nous nous prédiquons en effet le nom de substance de ces derniers, est la suivante le grec applique ce nom aux êtres supérieurs. Ainsi, de quelque façon il distingue ce qui est le plus excellent, sinon, en effet, par une détermination de nature selon ce qu’est "*" et "être-substance", du moins par les vocables d’"hypostase" ou de substance. Il y a donc assurément à la fois une essence de l’homme, c’est-à-dire une "ousia",
et une subsistance, c’est-à-dire une "ousiosis" ; une "hypostase", c’est-à-dire une substance, et un "prosopon", c’est-à-dire une personne. "ousia" et essence puisque il "est", et "ousiosis" ou subsistance puisque il n’est dans aucun sujet ; "hypostase" et substance puisqu’il est-sous d’autres choses qui ne sont pas des subsistances, c’est-à-dire des "ousiosis" ; il est "prosopon" et personne puisque il est un individu rationnel . Dieu aussi est "ousian" et essence : en effet Il est, et Lui-même est souverainement, Celui de qui provient l’être de toutes choses. Il est "ousiosis", c’est-à-dire subsistance en effet il subsiste sans avoir besoin de rien. Et Il "» : en effet Il est-substance. Aussi disons-nous encore qu’il y a une "ousian" ou "ousiosis", c’est-à-dire une essence ou subsistance, de la déité, mais trois "hypostases", c’est-à-dire trois substances. Et assurément, selon cette façon de s’exprimer on a dit une essence une de la Trinité, mais trois substances et trois personnes.
Si en effet l’usage linguistique de l’Église n’excluait pas trois substances en Dieu, la substance serait évidemment dite de Dieu non en ce sens que Lui-même fût posé-sous tout le reste comme sujet, mais que, de même qu’Il est-l’Avant de toutes choses, de même aussi, comme principe, Il est-sous toutes choses, fondement procurant à toutes 1’"ousiostai", c’est-à-dire le subsister
IV. Réfutation d'Eutychès
des
Réfutation de l’hérésie nestorienne
erreurs
de
Nestorius
et
Mais que tout ce qui précède n’ait été dit que dans le seul but de montrer la différence existant entre "nature" et "personne", c’est-à-dire entre "ousias" et "hypostase".
Mais les questions terminologiques sont du ressort de l’Eglise et de son arbitrage il lui appartient de donner à chaque chose le nom qui convient Cependant, que se maintienne fermement la différence que nous venons d’établir entre nature et personne, puisque la nature est la propriété spécifique d’une substance, quelle qu’elle soit, et la personne, la substance individuelle de nature rationnelle.
Nestorius a établi que, dans le Christ, la personne était double, évidemment conduit par l’erreur qui consistait à penser que la personne pouvait se dire dans toutes les natures. Supposant en effet ce dernier point acquis, puisqu’il estimait dans le Christ une double nature, il a confessé également l’existence d’une double personne. Or qu’une telle supposition soit fausse, la définition donnée plus haut en convaincrait déjà ; mais l’argumentation qui suit rendra claire et évidente son erreur.
Si, en effet, nous n’avons pas une seule personne du Christ, tout en ayant, c’est manifeste, deux natures, à savoir de l’homme et de Dieu, — et personne ne sera déraisonnable au point d’écarter la raison de l’une et l’autre de ces natures —, il s’ensuit qu’il y aura évidemment deux personnes. La personne est en effet comme on l’a dit, la substance individuelle de nature rationnelle. Mais quelle est donc cette conjonction de l’homme et de Dieu, alors réalisée? Est-ce comme lorsque deux corps sont posés l’un auprès de l’autre? dans ce cas il y a seulement jonction locale et rien de la qualité de l’un ne se transmet à l’autre. Or, ce mode de conjonction, les Grecs l’appellent "par juxtaposition". Mais si c’est ainsi que l’humanité se trouve con jointe à la divinité, à partir de l’un et l’autre de ces deux éléments rien ne se trouve avoir été effectivement réalisé, et de ce fait, le Christ n’est rien. Or le nom lui-même, c’est un fait, le vocable étant au singulier, désigne quelque chose d’un. Mais si cette conjonction des natures, dont nous avons parlé ci- dessus, se produit tout en laissant demeurer deux personnes, rien n’a pu des deux effectivement devenir un. Absolument rien, en effet, de deux personnes, ne peut jamais être produit. Le Christ donc, selon Nestorius n’est rien d’un, et de ce fait Il n’est absolument rien. En effet ce qui n’est pas un ne peut être non plus du tout. L’être et l’un, effectivement, sont convertibles et tout ce qui est un est. Même ce qui résulte de la conjonction de plu sieurs éléments, comme un amas, un chœur, ne laisse pas cependant d’être un. Mais nous proclamons, de façon manifeste et véridique, que le Christ est. Nous disons donc que le Christ est un. S’il en est ainsi, il est nécessaire, sans doute aucun, que la personne du Christ soit une aussi. Car s’il y avait deux personnes, Il ne pourrait être un. Mais dire qu’il y a deux Christs n’est rien d’autre que folie d’un esprit emporté. Pourquoi en effet Nestorius oserait-il à la vérité appeler Christ les deux l’un,
l’homme, l’autre, Dieu, ou pourquoi appelle-t-il Christ Celui qui est Dieu, si celui qui est homme doit aussi être appelé Christ, si d’être assemblés n’entraîne aucun point de similitude, aucune conjonction? Pourquoi abuse-t-il d’un nom semblable pour les natures les plus opposées, alors que s’il est poussé à définir le Christ, il ne peut, comme il le dit lui-même, appliquer aux deux Christs, la substance une que l’on a dans la définition de la personne ? Si, en effet, la substance de Dieu et celle de l’homme sont opposées, mais qu’il y ait un seul nom de "Christ" pour les deux, et si l’on ne croit pas que la conjonction de ces substances opposées ait constitué une seule personne, le nom de "Christ" est équivoque et l’on ne peut conclure à aucune définition. Or quelles sont ces Ecritures où l’on redouble jamais le nom du Christ? Et quoi de radicalement nouveau s’est-il effectivement produit par l’advenue de notre Sauveur? Car, pour les catholiques, la vérité de la foi et le caractère exceptionnel du miracle sont des faits établis. Il est si grand, en effet, et si nouveau, et à un tel point, ce miracle qui ne pouvait arriver qu’une seule fois et à aucun autre siècle! Miracle par lequel Celui qui seul est Dieu est venu à la rencontre de la nature humaine, nature qui lui était la plus opposée : ainsi fut faite, de natures différentes assemblées entre elles une seule personne. Mais selon l’opinion de Nestorius, qu’arrive-t-il de radicalement nouveau? "L’humanité et la divinité, dit-il, conservent leurs personnes propres." Eh bien, quand donc ne fut pas la personne propre de la divinité et de l’humanité? Et quand ne sera-t-elle pas? Ou qu’arrive-t-il de plus dans la naissance de Jésus que de n’importe qui d’autre, si des natures distinctes ont encore deux personnes distinctes?
Ainsi en effet, par la permanence des personnes, aucune conjonction des natures n’a pu là avoir lieu : dans le cas de n’importe quel homme aussi, alors que subsiste sa personne propre, la divinité ne peut aucunement se joindre à lui, lui dont la substance est pour tant la plus excellente. Mais peut-être appelle-t-il Christ, Jésus, c’est-à-dire la personne de l’homme, pour cette raison qu’à travers elle la Divinité a opéré des miracles? Soit : mais pourquoi n’oserait-il appeler Dieu lui-même du nom de Christ? Et pourquoi n’oserait-il pas appeler par un semblable vocable également les éléments eux-mêmes par les quels Dieu, en des mouvements quotidiens, opère des miracles? Ou serait-ce qu’une personne ne peut habiter des substances non rationnelles, personne par où elles puissent recevoir le vocable de Christ? Mais ne reconnaît-on pas aussi chez les saints et tous ceux qui sont remarquables pour leur piété, l’action ouverte de la divinité? Pour quelle raison alors — en fait aucune — ne pas juger dignes aussi de ce même nom les saints, si dans l’assomption de l’humanité n’est pas une la personne issue de la conjonction des natures? Mais il dira peut-être : Je reconnais qu’eux aussi sont appelés des Christs, mais c’est à l’image du vrai Christ." Mais si n’est pas issue de la conjonction de l’homme et de Dieu une seule personne, nous jugerons que tous sont de vrais Christs, comme Celui qui, nous le croyons, est né de la Vierge. Oui certes, dans le cas du Christ, aucune personne unique ne fut le fruit assemblé de Dieu et de l’homme, de même non plus qu’en ceux qui prophétisaient par l’Esprit de Dieu la venue du Christ, prophétie pour laquelle ils sont, eux aussi, appelés des "Christs". Il s’ensuit alors que la permanence des personnes interdit de croire à l’assomption de l’humanité, selon un mode quel conque, par la Divinité.
En effet, absolument disjoints sont les êtres qui sont séparés à la fois en personne et en nature ; il y a disjonction absolue, dis-je, et entre eux hommes et bœufs ne sont pas plus éloignés que ne sont distinguées dans le Christ, si les personnes demeurent, la divinité et l’humanité. Car assurément, hommes et bœufs ont un point commun par où ils se rejoignent : l’animalité. Ils ont en effet, selon le genre, une substance commune et une nature identique, dans ce rassemblement qu’est l’universalité. Mais dans le cas de Dieu et de l’homme, la raison même de leur opposition ne fera-t-elle pas persister une totale disjonction si sous l’opposition de nature, l’on croyait également qu’était demeurée une distinction des personnes? Le genre humain n’est donc pas sauvé, en nous n’a procédé aucun salut par la génération du Christ ; autant de textes de prophètes se sont joués du peuple des croyants : est balayée enfin toute l’autorité de l’Ancien Testament qui promet le salut au monde par la génération du Christ. Manifestement le salut ne nous a pas été apporté si demeure dans la personne la même opposition que dans la nature. Car c’est le même Homme , bien sûr, que le Christ a, nous le croyons assumé, et qu’Il a sauvé. Mais aucune assomption n’est intelligible si demeure de façon égale la distinction de nature et de personne. Celui donc qui, la personne demeurant, n’a pu être assumé, ne pourra manifestement et à juste titre avoir été sauvé par la génération du Christ. Ce n’est donc pas par la génération du Christ que la nature humaine a été sauvée : ce qu’il est sacrilège de croire.
Mais quoique des arguments en foule pour raient encore efficacement combattre cette opinion et la mettre en pièces, cependant l’abondance de ceux qui viennent d’être versés doit suffire pour le moment.
V. Réfutation de l’hérésie de Eutychès : le corps du Christ
Il faut passer maintenant à Eutychès qui, égaré hors des sillons tracés par les anciens Pères a couru dans l’erreur contraire il affirme en effet, que loin qu’il faille croire double la personne dans le Christ, il ne convenait même pas de confesser en Lui une double nature ; l’homme aurait été si bien assumé que dans l’union réalisée avec Dieu, la nature humaine ne serait pas demeurée. Son erreur découle de la même source que celle de Nestorius. Car de même que Nestorius pense qu’il ne peut y avoir de double nature sans que cela redouble la personne — et pour cette raison, confessant dans le Christ une double nature, il a cru double la personne ; de même aussi Eutychès ne pense pas que la nature pouvait être double sans duplication de la personne. Or, comme il ne confessait pas que la personne fût double, en conséquence il pensa que la nature était manifestement une. C’est pourquoi Nestorius, soutenant avec justesse que la nature est double dans le Christ, confesse de façon sacrilège l’existence de deux personnes ; tandis qu’Eutychès croyant avec justesse que la personne est une, croit avec impiété que la nature, elle aussi, est une. Aussi ce dernier, il le dit, convaincu par l’évidence de la réalité, puisque manifeste est l’altérité de la nature de l’homme et de celle de Dieu, confesse-t-il deux natures dans le Christ avant l’union, mais une après l’union. Or une telle formulation n’exprime pas clairement ce qu’il veut dire. Cependant, examinons au fond son extravagance : car cette union a été faite au moment ou de la génération, ou de la Résurrection.
Si elle a été faite au moment de la génération, il pense, de toute évidence, qu’avait aussi existé, avant la génération, une chair humaine, non pas assumée par Marie, mais préparée selon un autre mode, peu importe lequel ; la Vierge Marie aurait été placée à côté afin que d’elle naquît cette chair qui n’avait pu être assumée par elle ; quant à cette chair qui avait été auparavant, elle était également séparée et divisée de la substance de la divinité ; quand le Christ est né de la Vierge, l’union se fit avec Dieu de sorte qu’en toute évidence, fut produite une seule nature. Ou, si telle n’est pas son opinion, elle pourrait être la sui vante, Eutychès prétendant deux natures avant l’union, une après l’union, mais dans ce cas l’union a été totalement réalisée à la génération de sorte que le Christ a alors assumé un corps certes tiré de Marie, mais avant de l’assumer, la nature de la déité était opposée à celle de l’humanité : assumée, faite une, elle se serait changée en substance divine. Mais s’il ne pense pas que cette union a été réalisée à la génération, mais à la Résurrection, il y aura derechef deux façons de l’envisager. En effet que le Christ soit né sans assumer un corps tiré de Marie, ou qu’il ait assumé une chair tirée d’elle, il possède assurément deux natures jusqu’à sa Résurrection ; devenues une seule après la Résurrection. De ces deux cas naît une contradiction, que nous interrogerons de la façon suivante : le Christ, né de Marie, a-t-Il tiré d’elle sa chair humaine, ou non? S’il ne confesse pas qu’Il l’ait tirée d’elle, qu’il dise de quel homme Il s’est revêtu pour venir, de celui déchu dans la prévarication du péché, ou d’un autre. Si c’est du sang de celui dont descend l’homme, quel homme la divinité revêtit-elle? Car si cette chair dont Il est né ne fut pas du sang d’Abraham, de David et en dernier lieu de Marie, qu’Eutychès montre de quelle chair humaine Il descendrait puisque après le premier homme toute chair humaine a été tirée de la chair humaine.
Mais s’il le dit : de quel être humain en dehors de la Vierge Marie, fut assumée la génération du Sauveur, à la fois lui-même sera convaincu d’erreur, et tout en étant joué lui-même, il marquera la divinité suprême de l’empreinte manifeste de l’imposture en effet, ce qui a été promis à Abraham et à David, dans les Saintes Prophéties, que de leur sang le monde entier tirerait l’origine de son salut, la divinité l’aurait attribué à d’autres ; d’autant plus que, si la chair humaine a été assumée, elle n’a pu être assumée par un autre être que celui qui également la procréait. Si donc le corps humain n’a pas été assumé par Marie, mais par un autre, quel qu’il soit, cependant c’est Marie qui a procréé ce corps qui a subi la corruption due à la prévarication — et l’argument présenté immédiatement réfute la thèse d’Eutychès. Mais si le Christ n’a pas revêtu cet homme qui a enduré la mort comme châtiment du péché, il s’ensuivra qu’Il n’a pu du sang d’aucun homme naître tel qu’il fut : exempt du châtiment dû au péché originel. Une telle chair ne fut donc tirée de personne. Ce qui a pour conséquence manifeste qu’elle a été formée d’une façon radicalement nouvelle. Mais alors, ou cette chair est apparue aux yeux des hommes en sorte que fut supputé humain un corps qui en réalité ne l’était pas — n’étant en effet dans ce cas soumis à aucune peine originelle ; ou une nature humaine véritablement nouvelle a été formée, au moment voulu, sans être soumise à la eine du éché. Si ce ne fut as le cor s véritable de l’homme la divinité est
ouvertement convaincue de mensonge, pour avoir montré aux hommes, et les trompant alors, un corps qu’ils pensaient être vrai, quand il ne l’était pas. Mais si la chair qui a été formée, nouvelle et véritable, n’a pas été assumée par l’homme, à quoi bon toute cette tragédie de la Nativité? où est l’enjeu de la Passion? Personnellement, je pense que c’est déjà chez l’homme déraison que de faire quelque chose d’inutile.
Alors en vue de quelle utilité la divinité aura-t-elle fait l’épreuve d’une si grande humilité si, dans le cas où l’assomption est niée, l’homme qui a péri n’a pas été sauvé par la génération et la Passion du Christ? A nouveau donc, de même que l’erreur d’Eutychès tire son principe de la même source que celle de Nestorius, de même il retombe dans la même conséquence : selon Eutychès également le genre humain n’a pu être sauvé, puisque l’homme, qui était malade et exigeait salut et soin, n’a pas été assumé. Or Eutychès a manifestement tiré une telle conclusion, si du moins il a partagé cette erreur de croire que le corps du Christ ne provenait pas véritablement de l’homme mais d’ailleurs, et au surplus avait été formé dans le ciel : n’est-ce pas un objet de foi en effet que Son corps est monté avec Lui dans le ciel? affirmation que contient ce passage de l’Ecriture : "Ne monte au ciel que Celui qui est descendu du ciel."
VI. Réfutation de l’hérésie d'Eutychès (suite) : le passage d’une nature à une autre
Mais la thèse selon laquelle on ne saurait croire que le corps que le Christ reçut et assuma fût tiré de Marie a été, semble-t-il, suffisamment traitée. Main tenant, qu’il ait été assumé par Marie, sans que demeurent dans leur perfection les natures humaine et divine, cela n’a pu se produire que selon trois modes. Il y eut ou transfert de la divinité dans l’humanité ; ou de l’humanité dans la divinité ; ou enfin, un mélange entre elles et une combinaison des deux tels qu’aucune des deux substances n’ait gardé sa forme propre.
S’il y a eu transfert de la divinité dans l’humanité, il s’est produit ce qu’il est sacrilège de croire : la conversion de la divinité en une humanité possédant la permanence d’une substance immuable "si bien que ce qui se manifestait par nature passible et muable se mit à demeurer immuable, tandis que ce que l’on croit immuable et impassible par nature, a été converti en une chose muable.
Ce qui ne peut absolument pas arriver. Mais peut-être, semble-t-il, est-ce la nature humaine qui a été convertie en déité. Mais comment cela peut-il se produire si la divinité dans la génération du Christ a assumé à la fois un corps humain et une âme? Non, il ne peut y avoir conversion et transmutation de tout en tout. En effet parmi les substances, les unes sont corporelles, les autres incorporelles : or on ne peut avoir transmutation ni de la substance corporelle en incorporelle, ni de la substance incorporelle en corporelle. Quant aux incorporelles, elles n’échangent pas davantage entre elles leurs formes propres. En effet, seule est possible la transmutation et transformation mutuelle de ce qui possède pour sujet commun la seule matière, et non toutes ces réalités mais celles qui ont la possibilité entre elles de faire et de pâtir. On le prouve ainsi : l’airain ne peut être transmué en pierre, ou encore en herbe ; et un autre corps, quelconque, ne peut être transformé en n’importe lequel, à moins que, à la fois, ne soit identique la matière des éléments passant entre eux et que ne soit possible pour eux, réciproquement l’action et la passion : ainsi en cas de mélange de vin et d’eau, les deux liquides ont la propriété de se communiquer action et passion. En effet, la qualité de l’eau peut subir quelque changement par la qualité du vin. De même la qualité du vin peut en subir un par la qualité de l’eau. C’est pourquoi, s’il y a beau coup d’eau, mais très peu de vin, on ne dit pas qu’il y a eu mélange, mais totale corruption de l’un par la qualité de l’autre. En effet, si l’on verse du vin dans la mer, le vin ne se mélange pas à la mer, mais y est corrompu, pour cette raison que la qualité, du fait de l’abondance de sa masse, n’a rien subi de la part de la qualité du vin, mais par sa propre abondance a opéré une mutation complète en elle de la qualité même du vin. En revanche, si les natures dont est possible réciproquement l’action et la passion sont de quantité moyenne : égales entre elles ou peu inégales, elles se mélangent et combinent entre elles sous l’effet de ces qualités moyennes.
Mais cette propriété, qui concerne les corps, n’appartient pas à tous mais seulement à ceux pour lesquels, comme on l’a dit, est possible réciproquement l’action et la passion, ayant pour sujet une matière commune et identique. Certes tout corps qui subsiste sous la loi (in) de la génération et de la corruption a manifestement une matière commune, mais toute action ou assion en chacun ou
par chacun n’est pas possible pour chacun. Quant aux corps ils ne peuvent absolument pas être transmués en incorporels, puisque ces derniers ne participent à aucune matière, comme sujet commun : aucune transmutation ne peut dès lors avoir lieu d’une matière dans une autre, selon les qualités reçues. En effet la nature, en son ensemble, de la substance incorporelle, ne repose sur aucun fondement matériel. Or, ce qui n’a pas de matière-sujet ne possède aucun corps. Et puisqu’il en est ainsi, — et dès lors que même les choses qui ont par nature une matière commune ne passent pas l’une en l’autre, à moins de la présence en elles d’une puissance de faire et de pâtir en soi et par soi —, bien plus n’y aura-t-il pas permutation réciproque non seulement de celles qui n’ont pas de matière commune, mais surtout de celles dont l’une repose sur un fondement matériel comme le corps, tandis que l’autre n’a nul besoin d’une matière-sujet, comme un incorporel. Il ne peut donc se produire qu’il y ait permutation d’un corps en espèce incorporelle, et non plus permutation d’incorporels selon un mélange quelconque et réciproque. L’absence de matière commune ne permet ni la conversion réciproque ni la permutation. 261 Or les incorporels, n’ont aucune matière. Ils ne seront donc pas susceptibles entre eux d’aucune permutation. Mais l’on croit à juste titre que Dieu et l’âme sont des substances incorporelles. Eh bien, il n’y a pas permutation de l’âme humaine en divinité, divinité qui l’assuma. Et s’il ne peut y avoir conversion en divinité du corps ou de l’âme, il ne peut se produire non plus, d’aucune façon, que l’humanité soit convertie en Dieu.
Bien moins encore que l’on puisse croire que divinité et humanité se soient confondues, puisque ni l’in corporalité ne peut passer en corps ni derechef, inversement, le corps en incorporalité : assurément, il n’y a pas de matière-sujet qui leur soit commune, aucune qui puisse donner lieu à une permutation des qualités appartenant à l’une ou l’autre substance. Mais les sectateurs d’Eutychès disent que le Christ assurément est constitué de deux natures, mais ne consiste nullement en deux, entendant par cela évidemment que puisqu’Il est constitué de deux natures, II peut devenir un à partir du moment où il n’y a pas permanence des éléments qui, dit-on, Le constituent. Ainsi quand du miel est dissous dans de l’eau, aucun des deux éléments ne demeurent, mais assemblés et corrompus réciproquement, ils produisent un troisième élément : or assurément l’on dit que ce troisième élément, constitué de miel et d’eau, l’est de l’un et l’autre, mais l’on nie qu’il consiste en l’un et l’autre. Il ne pourra en effet consister en l’un et l’autre, puisqu’il n’y a pas permanence en l’état de la nature de l’un et de l’autre. Il peut être constitué de l’un et de l’autre, quoique les éléments dont il y a eu conjonction aient été corrompus par leur qualité réciproque. Mais il ne pourra consister de cette manière en l’un et l’autre, puisqu’il n’y a pas permanence en l’état des éléments mutuellement confondus. Ils ne sont plus, ni l’un ni l’autre, les éléments en lesquels manifestement le troisième consiste : ce dernier est constitué des deux autres, confondus mutuellement dans la mutation réciproque de leurs qualités.
Mais les Catholiques quant à eux, proclament de façon rationnelle les deux thèses : que le Christ est constitué des deux natures, et qu’Il consiste dans les deux. Mais j’expliquerai un peu plus loin comment une telle affirmation est possible. Pour le moment Eutychès est, pour la raison suivante, convaincu d’erreur manifeste : puisque selon trois modes seulement, de deux natures peut en subsister une seule, à savoir :
— par le transfert de la divinité dans l’humanité ;
— par celui de l’humanité dans la divinité ;
— par le complet mélange des deux ;
il est clair, vu les arguments ci-dessus, qu’aucun de ces modes n’a pu se trouver réalisé.
VII. La solution médiane catholique
Il reste à montrer, comme l’affirme la foi catholique, qu’à la fois le Christ consiste dans les deux natures et est constitué des deux. Etre constitué de deux natures a, pour une réa lité, une double signification : la première, quand nous disons qu’une chose résulte de la conjonction de deux natures, comme le miel et l’eau. Elles sont alors, peu importe comment, confondues, l’une convertie en l’autre ou les deux mélangées réciproquement entre elles : de toute façon il n’y a pas permanence de leur état antérieur. C’est selon ce mode qu’Eutychès prétend que le Christ est constitué de deux natures. Mais il
existe, à partir de deux éléments, un autre mode de constitution : quand la conjonction des deux constituants — ceux que l’on a, dit-on, joints ensemble — leur permet cependant de demeurer en l’état : ainsi, nous disons qu’une couronne est constituée d’or et de gemmes. Dans ce cas l’on n’a pas transformation de l’or en gemmes, ni conversion des gemmes en or, mais permanence des deux constituants, sans abandon de leur forme propre. De telles réalités, constituées de tel ou tel élément, nous disons qu’elles consistent également en ces éléments dont, on vient de le dire, elles sont constituées. En effet, nous pouvons dire alors que la couronne est constituée de gemmes et d’or. Les gemmes et l’or sont ce en quoi consiste la couronne. Car selon le mode précédent, le miel et l’eau n’étaient pas les éléments en lesquels consistait le résultat de leur conjonction.
Comme la foi catholique, donc, confesse dans le Christ la permanence des deux natures, et leur persistance parfaite, ainsi que l’absence de transmutation de l’une en l’autre, il est juste pour elle de dire à la fois que le Christ est constitué des deux natures et qu’Il consiste dans les deux. Dans les deux, assurément, puisque les deux demeurent ; et Il est constitué des deux, puisque par l’union des deux natures qui demeurent, la personne du Christ est faite une.
Mais la conception, conforme à la foi catholique, du Christ comme point de jonction des deux natures, n’est pas celle que partage Eutychès. Car ce dernier a, de la conjonction à partir des deux natures, une conception telle, qu’il ne confesse pas que le Christ consiste dans les deux. En effet, elles ne demeurent pas toutes deux. Le Catholique, lui, a de la constitution à partir des deux natures une conception très proche de celle d’Eutychès, mais conserve aussi celle qui confesse que le Christ consiste dans les deux. "Etre constitué de deux natures "est donc une expression équivoque, ou plutôt amphibologique les deux conceptions qu’elle renferme sont contradictoires. Selon une première conception, les substances, qui, jointes ensemble dit-on, ont permis l’assemblement de tel élément, ne demeurent pas ; l’autre mode au contraire donne à cette conjonction à partir de deux éléments un sens qui garantit leur double permanence.
Ce nœud donc d’équivocité et d’ambiguïté maintenant débrouillé, il n’y a rien d’autre qui puisse être opposé en dehors du contenu d’une foi catholique ferme et vraie. Le même Christ est homme parfait, le même Dieu et le même qui est homme parfait et Dieu est un comme Dieu et Fils de Dieu. La Trinité ne se transforme pas en "quaternité" par l’addition supplémentaire de l’homme au Dieu parfait, mais c’est une personne une et identique qui complète le nombre trinitaire de sorte que, bien que ce fût l’humanité qui souffrit, on dit cependant que Dieu a souffert, non en cela que la déité elle-même fût devenue humanité, mais parce que cette dernière a été assumée par la déité.
De même, celui qui est homme est appelé Fils de Dieu par la substance non de la divinité, mais de l’humanité, qui cependant a été jointe ensemble à la divinité dans l’unité des natures Et bien que ces vérités soient ainsi distinguées et mêlées par l’intelligence, cependant un et le même est à la fois l’homme parfait et Dieu parfait. Dieu assurément puisqu’Il est Lui-même engendré de la substance du Père ; mais homme, puisqu’Il a été procréé par la Vierge Marie. Et, pareillement, Celui qui est Homme est Dieu en ce qu’Il a été assumé par Dieu, et Celui qui est Dieu, Homme, puisqu’Il s’est revêtu de l’Homme. Aussi, quoique dans la même personne, il y ait altérité de la divinité qui assume, et de l’humanité qu’Elle assume, cependant le même est Dieu et Homme. Car si l’on comprenait : "Homme" : l’Homme est le même que Dieu, puisque Homme par nature, Dieu par assomption. Et si l’on comprenait "Dieu" : Dieu est le même que l’Homme, puisqu’Il est Dieu par nature, et Homme par assomption. Ainsi dans le Christ une double nature, une double substance est réalisée, puisque Homme-Dieu, Il est aussi une seule personne, puisque le même est à la fois Homme et Dieu. Médiane est donc cette voie entre les deux hérésies, — comme les vertus, qui tiennent également le milieu. En effet, chaque vertu consiste dans le caractère médian de la place qu’elle occupe : Qu’un rien se produise au-delà ou en deçà de ce qu’il faut, on s’écarte de la vertu. La vertu tient donc (dans-) la médiété.
C’est pourquoi, s’il ne peut y avoir que quatre thèses, ni plus ni moins ; à savoir que dans le Christ il y a
— deux natures et deux personnes, comme le dit Nestorius ;
— ou une personne et une nature comme le dit Eutychès ;
— ou deux natures mais une personne, comme le croit la foi catholique ; ou enfin une nature et deux personnes, thèse qu’aucun hérétique n’a avancée jusque-là ;
et puisque, assurément, dans notre réponse, nous avons convaincu d’erreur Nestorius et sa thèse selon laquelle il y aurait deux natures et deux personnes ; comme à coup sûr nous avons montré qu’il ne peut y avoir, comme le proposait Eutychès, une seule personne avec une seule nature ; et que par ailleurs, personne d’assez fou ne s’est manifesté jusque-là pour croire dans le Christ à l’existence d’une seule nature mais d’une double personne, il reste que ce que pro clame la foi catholique est vrai : à savoir que la substance est double, mais une la personne. De plus, auparavant, nous avons dit qu’Eutychès confessait deux natures dans le Christ avant l’union, mais une après l’union, et nous avons montré comment cette erreur dissimulait une double thèse : en effet, ou cette union s’était produite à la génération, sans que le corps de l’homme ait été assumé par Marie, ou assurément, il avait été assumé par Marie, mais l’union s’était produite à la Résurrection ; sur les deux thèses, la dispute a été, je crois, menée de façon appropriée. Maintenant, il faut chercher comment il a pu se produire que deux natures aient été mêlées en une seule substance.
VIII. Une le corps pécheur, pécher.
dernière difficulté : Comment, bien que du Christ soit issu du corps d’Adam il n’y eut en lui ni péché ni volonté de
Cependant, il y a encore une autre difficulté, que peuvent mettre en avant ceux qui ne Croient pas que le corps humain du Christ ait été assumé par Marie celui-ci qui, dans l’union, a de toute évidence été engendré et mis au monde du ventre de Marie, aurait été réservé et préparé ailleurs. Ils disent en effet pour le cas où le corps a été assumé de l’homme "chaque homme, depuis la première prévarication, était non seulement prisonnier du péché et de la mort, mais encore se trouvait captif d’un désir de pécher et, pour l’homme, la punition du péché fut telle que, quoique pris et enchaîné à la mort, il est encore coupable d’une volonté de pécher. Pourquoi n’y eut-il dans le Christ ni péché ni volonté de pécher?" Une telle question contient une difficulté importante sur laquelle on doit absolument se pencher. Si en effet, le corps du Christ a été assumé par la chair humaine, on peut douter de la nature de cette chair qui a été semble-t-il assumée. De fait, le Christ a sauvé celui qu’Il avait également assumé" Mais s’Il assuma un homme tel que fut Adam avant le péché, il a manifestement assumé une nature humaine intacte, mais qui, cependant, n’avait aucun besoin de médecine. Mais comment peut-il se produire qu’Il ait assumé un homme tel que fut Adam, puisque dans Adam a pu se trouver la volonté de pécher et même un désir de le faire? D’où il arriva que, ayant transgressé les commandements divins, il fut retenu et enchaîné à la faute que constitua sa désobéissance. Or, on ne peut le croire, dans le Christ il n’y a pas même eu une volonté quelconque de pécher ; d’autant plus que s’il a assumé un corps humain tel que fut celui d’Adam avant le péché, Il n’aurait pas dû être mortel, puisque Adam, s’il n’avait pas pécher, n’aurait absolument pas été susceptible de connaître la mort.
Puisque le Christ n’a pas péché, il faut chercher à savoir pourquoi Il a pu connaître la mort, s’Il a assumé le corps d’Adam d’avant le péché. Mais s’Il s’est chargé de la condition humaine qui fut celle d’Adam après le péché, alors manifestement le Christ aurait dû également connaître la nécessité de l’assujettissement à la faute, être mêlé à la confusion des passions et, les règles du jugement étant offusquées, ne pas distinguer le Bien du mal dans leur pure intégrité Adam en effet, par la faute de la prévarication, se chargea de toutes ces peines. Or contre ceux-là! qui exposent une telle difficulté, il faut répondre que l’on peut concevoir trois conditions de l’homme Celle, première assurément, d’Adam avant le péché, en ce que, quoiqu’il ne connût pas la mort et ne se fût encore souillé d’aucune faute, il y avait en lui cependant une possible volonté de pécher. Une deuxième condition en laquelle il aurait pu être changé, s’il avait voulu demeurer fermement dans les préceptes de Dieu. Alors en effet, il aurait dû lui être donné en plus que non seulement il ne péchât point ou ne voulût point pécher, mais qu’il ne pût pas même pécher ou vouloir commettre une faute. La troisième condition se situe après la faute, et là la mort est une conséquence nécessaire de la faute, ainsi que le péché lui-même et la volonté de pécher. Parmi ces trois conditions, nous trouvons celles qui sont les plus opposées, celle qui aurait été une récompense, si Adam avait voulu demeurer dans les préceptes de Dieu, et celle qui constitue sa punition, puisqu’il ne voulut pas y demeurer. Dans la première, il n’y avait ni mort ni péché, ni aucune volonté de pécher ; mais dans la dernière, il y eut la mort, et tout désir au péché et à la faute, toutes les inclinations à la perdition, et l’absence en l’homme de toute ressource our se relever a rès la chute. Mais cette condition médiane, en
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