Réflexions sur l'origine du langage à la lumière de l'énergétisme humboldtien - article ; n°24 ; vol.74, pg 519-548

Josef Voss

Description

Revue Philosophique de Louvain - Année 1976 - Volume 74 - Numéro 24 - Pages 519-548
The problem of the origin of language, a subject which long remained taboo — at least in modern linguistics — , has for some time now been regaining in interest. In this connection Humboldt's theory deserves full attention. And for more than one reason : firstly because numerous contemporary solutions are directly or indirectly inspired by Humboldt; secondly because Humboldt' s theory is perhaps historically the first to put forward an authentically philosophical reply to a question which no doubt no longer appertains to linguistics alone. This reply, when reduced to its essential coordinates, consists in three key words : nativism, creativity and energetism.
Sujet resté longtemps tabou, du moins au niveau de la linguistique moderne, le problème de l'origine du langage connaît depuis quelque temps un regain d'intérêt. Dans cette conjoncture, la théorie humboldtienne mérite toute l'attention. Et ce à plus d'un titre : d'abord parce que nombre de solutions contemporaines sont directement ou indirectement inspirées de Humboldt; ensuite parce que la théorie humboldtienne est peut-être historiquement la première à proposer une réponse authentiquement philosophique à une question qui ne relève sans doute plus de la seule linguistique. Cette réponse tient, réduite à ses coordonnées essentielles, en trois maîtres mots : nativisme, créativité et énergétisme.
30 pages

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_PHILOSOPHIQUE_DE_LOUVAIN
• Publié le: 01 janvier 1976
• Nombre de lectures: 80
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Josef Voss
Réflexions sur l'origine du langage à la lumière de l'énergétisme
humboldtien
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 74, N°24, 1976. pp. 519-548.
Abstract
The problem of the origin of language, a subject which long remained taboo — at least in modern linguistics — , has for some
time now been regaining in interest. In this connection Humboldt's theory deserves full attention. And for more than one reason :
firstly because numerous contemporary solutions are directly or indirectly inspired by Humboldt; secondly because Humboldt' s
theory is perhaps historically the first to put forward an authentically philosophical reply to a question which no doubt no longer
appertains to linguistics alone. This reply, when reduced to its essential coordinates, consists in three key words : nativism,
creativity and energetism.
Résumé
Sujet resté longtemps tabou, du moins au niveau de la linguistique moderne, le problème de l'origine du langage connaît depuis
quelque temps un regain d'intérêt. Dans cette conjoncture, la théorie humboldtienne mérite toute l'attention. Et ce à plus d'un titre
: d'abord parce que nombre de solutions contemporaines sont directement ou indirectement inspirées de Humboldt; ensuite
parce que la théorie humboldtienne est peut-être historiquement la première à proposer une réponse authentiquement
philosophique à une question qui ne relève sans doute plus de la seule linguistique. Cette tient, réduite à ses
coordonnées essentielles, en trois maîtres mots : nativisme, créativité et énergétisme.
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Voss Josef. Réflexions sur l'origine du langage à la lumière de l'énergétisme humboldtien. In: Revue Philosophique de Louvain.
Quatrième série, Tome 74, N°24, 1976. pp. 519-548.
doi : 10.3406/phlou.1976.5905
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1976_num_74_24_5905Réflexions sur l'origine du langage
à la lumière del'énergétismehumboldtien
elles Trois 1° commanderont Une remarques philosophie notre préliminaires du réflexion langage, s'imposent digne tout au de long ce au nom, de seuil celui-ci se doit de cet au : premier article,
chef, — telle est notre conviction intime, — de poser le problème de
Yàpxq linguistique entendue au double sens d'origine chronologique
et d'essence ou fondement logique du langage. Ceci est d'autant plus
important que nous avons le sentiment que d'entrée de jeu Hum-
boldt étudie ces deux aspects de la question non pas séparément ou
successivement mais simultanément.
2° Historiquement, l'« archéologie » linguistique de Humboldt
s'inscrit dans le contexte de la problématique romantique de YUr-
sprache (langage primitif).
3° II est capital, dans un esprit humboldtien, de se pénétrer du
postulat que l'invention du langage par l'homme est une démarche
essentiellement créatrice qui contraste avec l'activité stéréotypée de
l'animal par laquelle celui-ci réussit quelquefois à imiter le langage
humain.
Ceci étant admis, voyons comment se présente, dans ses lignes
de faîte, la théorie humboldtienne de l'origine. Ce faisant, nous serons
amenés tout naturellement à en préciser la portée pour ne pas dire les
limites. Mais auparavant, nous pensons qu'il ne serait pas inutile de
faire succinctement le point sur la question de l'origine à l'heure où
nous écrivons, et ce, bien sûr, à la lumière de notre information, toujours
partielle.
Dans un premier temps, il importe de dire que la linguistique
moderne, considérée dans son ensemble, donne l'impression d'avoir,
semble-t-il, renoncé définitivement à toute espèce de tentative visant
à remonter aux sources mêmes du langage. Si, dans l'état actuel des
choses, elle semble avoir abandonné une fois pour toutes la moindre
prétention en cette matière, c'est qu'elle juge tantôt, comme l'écrit
E. Cassirer, que la création du langage est et restera à jamais un mystère 520 Josef Voss
insondable (1), tantôt, comme l'affirme G. Mounin à la suite de
J. Vendryès, que l'origine du langage est bel et bien un problème non
linguistique (2). Faut-il rappeler à ce propos que la Société de linguis
tique de Paris, dans ses statuts de 1866, proclame solennellement son
refus de prendre en considération toute communication relative à
l'origine du langage, visant ainsi, aux dires de Vendryès, à se mettre
à l'abri de controverses aussi enfiévrées qu'incompatibles avec l'esprit
scientifique dont le signe distinctif doit être l'implacabilité froide et
objective? Le même Vendryès montre également qu'il n'y a aucun
secours à attendre de l'étude des langues anciennes, des langues de
primitifs ou du langage des enfants (3). Il s'agit là, si l'on en juge d'après
les tendances nouvelles de la linguistique (4), d'une attitude négative
très répandue, notamment dans les cercles strictement « linguistiques ».
Et le veto de la Société de n'en est qu'une illustration
parmi bien d'autres. Or il est évident que le philosophe se trouve en
cette circonstance confronté à une forme d'ostracisme parfaitement
injustifié, voire franchement aberrant. Et il est non moins évident que
si, comme le pense A. Jacob, la question de l'origine du langage n'est
pas une fausse question, elle demeure « anthropologiquement cen
trale » (5). Car, qu'est-ce qui autorise le linguiste à soutenir que la
question de l'origine du langage n'est pas du ressort de la linguistique
sinon un point d'appui, un postulat pour ne pas dire un parti pris ou
un préjugé de nature métaphysique dont justement il entend se défendre
et contre lequel il prétend partir en guerre ? Le linguiste est pris en
flagrant délit ! Son attitude est irrecevable parce qu'elle équivaut tout
bonnement à un suicide logique. Ce au nom de quoi il milite, ce qui
(!) E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, I. Teil : Die Sprache,
Berlin, Bruno 1923, p. 228. A rapprocher entre autres de la prise de position
de Tovar, dans son article Linguistics and Prehistory : « Du point de vue linguistique,
la contemplation des millénaires de la préhistoire fait apparaître insoluble le problème
de l'origine du langage" (p. 349). Cit. d'ap. G. Motjnin, Histoire de la linguistique, Paris,
P.U.F., 1967, p. 18.
(2) G. Motjnin, op. cit., pp. 17-18.
(3) J. Vendryès, Le langage, Paris, Renaissance du livre, 1921.
(4) Cf. B. Malmbeeg, Les nouvelles tendances de la linguistique, Paris, P.U.F.,
1972 (3e éd.), p. 38 : « À la différence des générations antérieures de linguistes qui regar
daient comme capitale la question de Vorigine ou de la pré-histoire du langage, les com-
paratistes et les historiens des langues depuis le début du siècle ont rejeté ce pro
blème dans l'arsenal des questions non scientifiques et métaphysiques ».
(5) A. Jacob, Points de vue sur le langage, Paris, Klincksieck, 1969, p. 323. L'origine du langage dans Vénergétisme humboldtien 521
justifie et sous-tend sa « sainte querelle » se confond précisément avec
ce qu'il prétend combattre et démolir à tout jamais ! Contradiction
redoutable et scabreuse !
On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, du revirement profond
auquel nous assistons depuis quelque temps et dont, avec B. Malm-
berg, nous ne pouvons que nous féliciter. « II est significatif de notre
époque que l'origine du langage, longtemps sujet tabou parmi les
linguistes (à l'exception d'Otto Jespersen dans la génération précé
dente), soit redevenue un objet de recherche et de réflexion. (...) La
linguistique contemporaine (...) s'oppose ainsi à l'attitude négative
des historiens de la langue au xixe siècle et au tournant du siècle, les
quels refusaient de considérer la question comme appartenant au
domaine de la science »(6). Et Malmberg de citer à ce propos entre
autres les travaux importants de G. Révész, sur lesquels il nous va
falloir revenir. En fait, on peut dire, sans commettre d'erreur, que les
linguistes de la première moitié de notre siècle ont vécu sur l'héritage
du scientisme béat et du positivisme obtus de leurs prédécesseurs
immédiats. Encore que l'exemple suivant devrait pouvoir montrer
comme il convie