Premier avertissement : un coup de fouet - article ; n°2 ; vol.20, pg 131-172
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Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1979 - Volume 20 - Numéro 2 - Pages 131-172
Michel Heller, A first warning with a whip. The story of the expulsion in 1922 of the representatives of culture from the Soviet Union.
The expulsion from Soviet Russia of an important group of thinkers, prominent representatives of Russian intelligentsia constituted in Summer 1922 an episode of the struggle of the Soviet state to implant conformism in the country. Famine which threatened some thirty million inhabitants of the Soviet territory, forced the government to accept for the first and last time the assistance of a community which demanded recognition. The permission granted to create a Pan-Russian Committee of assistance to the starving and the dissolution of this organization after five weeks are characteristic of the policy of the Soviet power towards those who endeavor to cooperate with it without, however, submitting completely to its will: make concessions when there is no other possibility, deny them when the necessity has passed, and retaliate for former tolerance. The expulsion of intelligentsia organized in 1922 by Lenin was an act of revenge of this type and a warning to those who remained.
Michel Heller, Premier avertissement : un coup de fouet. L'histoire de l'expulsion des personnalités culturelles hors de l'Union Soviétique en 1922.
L'expulsion de Russie soviétique d'un groupe important de penseurs, de représentants éminents de l'intelligentsia russe au cours de l'été 1922, fut un épisode de l'histoire de la lutte engagée par l'État soviétique pour instaurer le conformisme dans le pays. La famine qui s'abattit en 1921 sur un territoire de trente millions d'habitants, contraignit le Gouvernement soviétique — pour la première et pour la dernière fois — à accepter le concours de la collectivité sociale qui exigea d'être considérée comme son égale. L'autorisation de créer un Comité panrusse d'aide aux affamés et la dissolution de celui-ci au bout de cinq semaines sont caractéristiques de l'attitude du pouvoir soviétique à l'égard de ceux qui veulent l'aider, mais ne veulent pas se soumettre : faire des concessions lorsqu'il n'y a pas d'autre issue, les refuser dès que la nécessité ne s'en fait plus sentir, exercer des représailles pour les avoir tolérées. L'expulsion de l'intelligentsia, organisée en 1922 par Lénine, fut un acte de vengeance de ce type et un avertissement à ceux qui restaient.
42 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Michel Heller
Dominique Négrel
Premier avertissement : un coup de fouet
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 20 N°2. Avril-Juin 1979. pp. 131-172.
Citer ce document / Cite this document :
Heller Michel, Négrel Dominique. Premier avertissement : un coup de fouet. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 20
N°2. Avril-Juin 1979. pp. 131-172.
doi : 10.3406/cmr.1979.1353
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1979_num_20_2_1353Abstract
Michel Heller, A first warning with a whip. The story of the expulsion in 1922 of the representatives of
culture from the Soviet Union.
The expulsion from Soviet Russia of an important group of thinkers, prominent of
Russian intelligentsia constituted in Summer 1922 an episode of the struggle of the Soviet state to
implant conformism in the country. Famine which threatened some thirty million inhabitants of the Soviet
territory, forced the government to accept for the first and last time the assistance of a community which
demanded recognition. The permission granted to create a Pan-Russian Committee of assistance to the
starving and the dissolution of this organization after five weeks are characteristic of the policy of the
Soviet power towards those who endeavor to cooperate with it without, however, submitting completely
to its will: make concessions when there is no other possibility, deny them when the necessity has
passed, and retaliate for former tolerance. The expulsion of intelligentsia organized in 1922 by Lenin
was an act of revenge of this type and a warning to those who remained.
Résumé
Michel Heller, Premier avertissement : un coup de fouet. L'histoire de l'expulsion des personnalités
culturelles hors de l'Union Soviétique en 1922.
L'expulsion de Russie soviétique d'un groupe important de penseurs, de représentants éminents de
l'intelligentsia russe au cours de l'été 1922, fut un épisode de l'histoire de la lutte engagée par l'État
soviétique pour instaurer le conformisme dans le pays. La famine qui s'abattit en 1921 sur un territoire
de trente millions d'habitants, contraignit le Gouvernement soviétique — pour la première et pour la
dernière fois — à accepter le concours de la collectivité sociale qui exigea d'être considérée comme son
égale. L'autorisation de créer un Comité panrusse d'aide aux affamés et la dissolution de celui-ci au
bout de cinq semaines sont caractéristiques de l'attitude du pouvoir soviétique à l'égard de ceux qui
veulent l'aider, mais ne veulent pas se soumettre : faire des concessions lorsqu'il n'y a pas d'autre
issue, les refuser dès que la nécessité ne s'en fait plus sentir, exercer des représailles pour les avoir
tolérées. L'expulsion de l'intelligentsia, organisée en 1922 par Lénine, fut un acte de vengeance de ce
type et un avertissement à ceux qui restaient.ARTICLES
MICHEL HELLER
PREMIER AVERTISSEMENT : UN COUP DE FOUET
L'histoire de l'expulsion des personnalités culturelles
hors de l'Union Soviétique en 1922
L'histoire soviétique fait penser à ces anciennes cartes de géographie
où les océans, les îles et les continents ne sont pas représentés avec exac
titude et où un espace important est laissé en blanc. L'épisode qui fait
l'objet du présent article est l'une de ces taches blanches ; qui plus est,
sur la carte historique, son contour n'est pas tracé avec fidélité.
Le 31 août 1922, la Pravda publia en première page l'information
suivante : « d'après un arrêté de l'Administration politique de l'État
(GPU), les éléments contre-révolutionnaires les plus actifs parmi les
professeurs, les médecins, les agronomes, les hommes de lettres » ont
été expulsés « dans les gouvernements du nord, et une partie d'entre
eux à l'étranger ». Le communiqué était intitulé « Premier avertissement ».
On n'indiquait pas le nombre des expulsés, on ne précisait pas qui était
relégué « dans les gouvernements du nord », qui, à l'étranger. On soulignait
seulement, avec prudence et en contradiction avec les faits, « parmi les
expulsés, il n'y a pour ainsi dire pas de personnalités scientifiques ».
Au cours des cinquante dernières années, les historiens ont ajouté
peu d'éléments à l'information parcimonieuse et inexacte du GPU. Le
chroniqueur officiel des « Organes »*, D. L. Golinkov, précise : « En
août et septembre 1922, suite à un arrêté du GPU, furent expulsés de
Petrograd, de Moscou, de Kiev et d'autres centres importants du pays,
par la voie administrative, les contre-révolutionnaires les plus actifs, и1
S. A. Fedjukin avance un chiffre : «En août et septembre 1922, par voie
administrative, furent expulsés de Petrograd, Moscou et Kiev, qui à
l'étranger, qui dans les gouvernements du nord, 160 idéologues bourgeois
parmi les plus actifs. »2
Les historiens occidentaux, d'habitude, suivent aveuglément les
historiens soviétiques, de surcroît sans faire de distinction entre émigrat
ion et expulsion administrative. L'historien américain Anatol D. Mazour
écrit par exemple : « En 1923 [?], un groupe ď ' inconciliables ' qui
menaient une vie intellectuelle en marge, reçut l'autorisation [?] de quitter
le pays et de rejoindre les émigrés russes en Europe occidentale. Il compren
ait R. Ju. Vipper, N. O. Losskij, N. A. Berdjaev et F. A. Stepun. »3
♦ GPU (Guépéou), ČK (Tchéka), VČK, etc.
Cahiers du Monde russe et soviétique, XX (2), avr.-juin 197g, pp. 131-172. 132 MICHEL HELLER
Dans cette assertion, tout est inexact : la date, l'activité présumée des
« inconciliables », la mesure qui tint lieu de châtiment. Parmi les su
snommés, seul l'historien R. Ju. Vipper « reçut l'autorisation de quitter le
pays », ce qu'il fit en 1924. Les trois philosophes, N. Losskij, N. Berdjaev
et F. Stepun furent expulsés avec les autres, c'est-à-dire reçurent du
GPU un ordre d'expulsion et se virent interdire tout retour sous peine
d'être fusillés. « On me fit signer [une déclaration stipulant] qu'au cas
où je me présenterais à une frontière de l'URSS, je serais fusillé », évoquait
N. Berdjaev4. L'écrivain M. A. Osorgin fut contraint de signer un docu
ment identique : « si je ne partais pas ou m'évadais en cours de route,
j'encourais la peine capitale et serais fusillé. »6 Tous les expulsés signèrent
un document analogue — une condamnation à l'expulsion.
Le bannissement en 1922 d'un groupe important de représentants
les plus marquants de l'intelligentsia russe est un épisode de l'histoire
soviétique qui n'a pas été étudié, une « tache blanche », parce que d'une
part les historiens soviétiques ne disent pas la vérité à son sujet, de
l'autre, les expulsés eux-mêmes ont laissé très peu de témoignages, et
cela pour des raisons aussi bien personnelles que politiques. En général,
cet épisode n'est mentionné — et encore de façon plus ou moins ci
rconstanciée — que dans les mémoires, dans les articles jubilaires publiés
dans la presse russe de l'émigration. Bien que d'éminents historiens
russes aient figuré au nombre des proscrits, ils n'ont pas écrit l'histoire
de leur expulsion.
Pourtant l'expulsion de 1922, qualifiée par N. Berdjaev de « mesure
singulière qui ne se répéta plus par la suite »e présente un intérêt consi
dérable pour l'historien, et ce à plusieurs titres.
L'épisode en question réfléchit comme une goutte d'eau les problèmes
principaux, on pourrait dire éternels, auxquels l'État soviétique est
confronté : ceux du pain, de l'attitude à adopter envers l'intelligentsia,
des répressions, des relations avec l'Occident. Il revêt un intérêt accru
du fait que l'instigateur de l'expulsion et l'artisan de la politique qui se
solda par le bannissement des personnalités culturelles (dejateli kultury)
fut Lénine en personne. Depuis les premiers jours de la révolution d'Oc
tobre, ce dernier avait mis au point une stratégie contre l'intelligentsia
où l'expulsion de 1922 marquait une des victoires du parti. Le coup
porté à l'intelligentsia — qui était l'un des derniers actes politique

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