Rachid Boudjedra. - L escargot entêté  ; n°1 ; vol.26, pg 161-169
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Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1978 - Volume 26 - Numéro 1 - Pages 161-169
9 pages

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Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 103
Langue Français

Extrait

Hédi Bouraoui
Rachid Boudjedra. - L'escargot entêté
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°26, 1978. pp. 161-169.
Citer ce document / Cite this document :
Bouraoui Hédi. Rachid Boudjedra. - L'escargot entêté. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°26, 1978. pp.
161-169.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1978_num_26_1_1835COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
R. BOUDJEDRA, L 'escargot entêté
névrose individuelle ou fable politique ?
Le roman de Boudjedra, L 'Escargot entêté, pose d'emblée une problématique dans
la façon dont il doit être abordé par la critique. Est-ce une fable politique qui cache judi
cieusement sa contestation ? Ou est-ce le portrait d'un névrosé dont la pathologie risque
de détruire l'impact de son engagement socio-politique ? En plus de cette tension, il
existe une véritable surcharge de symboles opératoires souvent à des niveaux contradict
oires, augmentant ainsi le sens de l'ambiguïté fondamentale qui caractérise ce récit. Si
l'ambiguïté est génératrice de significations littéraires prolifiques, elle peut dans certains
cas oblitérer ou obscurcir le message désiré.
Boudjedra met en scène l'histoire intime, pour ne pas dire la vie intérieure d'un
bureaucrate méticuleux jusqu'à la schizophrénie, et sensible jusqu'à la paranoia. Ce per
sonnage est enchâssé dans un complexe allégorique et fabuleux,vivificateur de la dimens
ion humoristique et révélateur d'une critique acerbe, mais furtive et indirecte, du
régime algérien et de toute bureaucratie. On pense surtout à la bureaucratie tiers-
mondiste castratrice de toute liberté d'expression, génératrice d'une réalité étouffante
à laquelle il est impossible d'échapper.
D ne s'agit pas dans ce roman d'une attaque directe et frontale d'une politique
basée essentiellement sur la bureaucratie, mais plutôt d'une remise en question de
certaines valeurs de dévouement à l'état, de ponctualité et de rentabilité dans le travail,
de l'hypocrisie religieuse, et du soi-disant bien-être de la société. Boudjedra réussit,
grâce à l'exploration intérieure d'un personnage, à faire ressortir les avatars d'une situa
tion socio-politique mutilante et auto-destructrice.
Ce fonctionnaire dévoué, complexé et entêté est doublé du portrait d'un artiste
manqué entretenant des relations presque morbides avec l'écriture, auto-censurant sa
pensée la plus intime, ses réflexions les plus poétiques, bref, la partie essentiellement
humaine de son être. D'autre part, il est triplé du portrait d'un savant compétent,cher-
chant le poison efficace afin de dératiser la capitale. Ici il étale ses prouesses et ses
succès scientifiques, révèle l'extension de ses recherches savantes, mais ne se rend pas
toujours compte de l'inefficacité de ce savoir gratuit. Tiraillé par deux pulsions contra- COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 162
dictoires, scientifique-utilitaire d'une part, poétique-intime de l'autre, il ne cesse de
griffonner chaque pensée sur un bout de papier qu'il cache dans vingt-et-une poches
(multiple de 7 dimension mystique ?) déplacées à travers tout son corps. Boudjera
suggère que ces poches correspondent aux protrusions, orifices-cavités-nodosités du
corps humain éclaté, pour ainsi dire, troué, rappelant les cavités, protrusions, coquille
de l'escargot, dont l'hermaphrodisme fascine le narrateur. Corps de l'escargot, corps
du narrateur, corps du texte forment ainsi la charpente critique que le lecteur doit
décoder.
L'écriture, élément primordial de ce récit, aussi bien que donnée fondamentale
de l'œuvre de Boudjedra, se reflète dans les spirales inscrites sur la coquille de l'escar
got comme dans les lacis esquissés par les mouvements des rats, comme dans les diffé
rentes tactiques cachottières et révélatrices du narrateur ambigu. Si le lien structurel
entre ces trois éléments est assez ténu, il n'en reste pas moins que la vingt-et-unième
poche y injecte le suspens, tout en liant l'intime intérieur et le visible extérieur. Cette
vingt-et-unième poche est toujours secrète, réservée aux émois aussi bien qu'au "moi",
se déplaçant au gré des fluctuations humaines (1).
Mais le narrateur gomme assez souvent ses pensées intimes, annulant ainsi son
désir de communiquer. Cette frustration intérieure est essentiellement branchée sur le
monde extérieur dépourvu de liberté d'expression caractérisant les sociétés du Tiers
Monde. Ces bouts de phrases jetés sur des bouts de papier définisssent en quelque sorte
l'expression fragmentée, mutilée, et oblitérée par la société. La dislocation et dissémi
nation verbales rappellent les "paper pills" de Dr. Reefy du conte de Sherwood
Anderson suggérant que ces moments privilégiés, ces epiphanies joycéennes, sont pres
que impossibles à structurer dans un roman traditionnel. Ainsi, l'élément poétique est
présent dans les œuvres de Anderson et de Boudjedra, mais leurs personnages, intério
risant les valeurs de leurs sociétés, ne peuvent s'empêcher de l'enterrer ou de l'enrayer
au lieu de le communiquer.
Boudjedra pose ainsi le problème du silence et de l'articulation verbale, du mes
sage direct et indirect, de la technique littérale et symbolique. Par exemple, le roman
n'a aucune indication directe du lieu où se passe l'action. L'Algérie n'est jamais nom
mée, mais tout mène à penser que l'intrigue a lieu à Alger. Le narrateur est arabophone ;
il fait allusion à la revendication des chauffeurs de bus, contestation qui existait en
réalité en Algérie. En plus, le vendredi, jour de congé hebdomadaire, révèle que cette
modalité culturelle est spécifiquement algérienne.
L'ambivalence devient dans ce roman la note primordiale. L'histoire d'Onan fas
cine le narrateur célibataire tombant dans cette pratique, mais l'onanisme est biblique,
ne correspondant point à la tradition coranique (p. 92). Le narrateur fait allusion aux
rats dans la mythologie grecque, mais il précise, "Je suis arabe et je le reste. Ce qui se
passe en Grèce me laisse indifférent" (p. 92). Sa vie est une série de contradictions
transformant l'état en religion et la religion en système politique. La dichotomie de ce
personnage se fait sentir davantage lorsqu'il plonge d'une part dans l'introspection du
"je" (tendance occidentale) et la tradition orale-folklorique (tendance orientale). Par
ailleurs, il est aussi attiré par le père "fin lettré" appartenant à la tradition d'arabe
classique, et les proverbes de la mère représentant une sagesse pratique, un résumé COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 163
condensé de conduite sociale et éthique. Ces proverbes de la mère jouent un rôle import
ant dans la narration. Ils forment non seulement un condensé, un réservoir de sagesse
pratique, que le narrateur ressort à chaque tournant de vie, et qui lui servent, pour
ainsi dire, à ancrer la texture romanesque fabuleuse, à lui donner pignon sur rue, mais
aussi la concrétisation qui fixe et arrête les divagations du délire. Cette morale à
l'emporte-pièce des ancêtres est peut-être le seul lien solide, la seule leçon pratique,
qu'on peut tirer (et auquel le narrateur s'accroche à juste raison) de ce brouillage de
perspectives.
Lorsque la mère parle du "chameau [qui] ne voit pas sa bosse" (p. 10), ou
lorsqu'elle compare la patience de son fils à celle du cactus (p. 57), ces deux images
du chameau et du cactus ne donnent pas seulement le contexte maghrébin, mais s
ignalent surtout l'analogie entre la plante, l'animal, et le personnage qui ont un rap
port similaire vis-à-vis de l'élément eau, symbole de la vie et de la fertilité. Comme
nous le savons, le chameau, ce "bateau du désert", emmagasine l'eau à l'intérieur de son
corps. Le cactus, plante du désert, n'a point besoin de trop de pluie. De même, le narra
teur répète souvent qu'il déteste les jours de pluie, image freudienne de fécondité
sexuelle. S'il a peur de l'escargot, c'est surtout à ca

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