Regards et regard dans An Election Entertainment de Hogarth (regards des personnages, regard du spectateur, regard du peintre-graveur) - article ; n°1 ; vol.34, pg 121-129
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XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1992 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 121-129
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Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

Félix Paknadel
Regards et regard dans An Election Entertainment de Hogarth
(regards des personnages, regard du spectateur, regard du
peintre-graveur)
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°34, 1992. Éducation
et savoir. Regard et vision. pp. 121-129.
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Paknadel Félix. Regards et regard dans An Election Entertainment de Hogarth (regards des personnages, regard du spectateur,
regard du peintre-graveur). In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°34,
1992. Éducation et savoir. Regard et vision. pp. 121-129.
doi : 10.3406/xvii.1992.1232
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1992_num_34_1_1232REGARDS ET REGARD DANS
AN ELECTION ENTERTAINMENT àe HOGARTH
(regards des personnages, regard du spectateur, regard du peintre-graveur)
Je voudrais commencer par une citation tirée du Pendule de Foucault
d'Umberto Eco:
Chez Belbo cette façon de parler sans trop regarder l'interlocuteur dans
les yeux, sans pour autant fuir le regard, trahissait le Piémontais. Le
regard de Belbo n'éludait pas le dialogue. Se déplaçant simplement, fixant
à l'improviste des convergences de parallèles à quoi vous n'aviez pas
prêté attention, en un point précis de l'espace, il vous donnait la sensation
que, jusqu'alors, vous avez fixé, obtus, l'unique point insignifiant.
Mais ce n'était pas rien que son regard. D'un geste, d'une seule inter
jection, Belbo avait le pouvoir de vous placer ailleurs.1
Bien entendu, de nombreux romans nous auraient fourni une citation de
ce genre, et qui nous met au cœur du problème. Comment un peintre
pourrait-il exprimer tout ce que l'écrivain met de significations dans un seul
regard, et tout ce que, dans la vie, nous interprétons dans le regard des
autres? Il n'a à sa disposition que les couleurs de sa palette ou les traits de
son crayon, alors que les messages qu'échangent les regards viennent de
choses ténues, un minuscule plissement des paupières, l'éclat d'un point de
lumière, et d'autres signes encore plus mystérieux. Tout cela n'est pas
représentable par la peinture ou le dessin.
Mais Umberto Eco nous donne la solution en indiquant que Belbo utilise
aussi le geste. C'est ainsi que le peintre peut exprimer l'inexprimable dans
le regard de ses personnages. Jonathan Richardson note cela dans son Essay
on the Theory of Painting, qui date de 1715; il admire la manière dont un
peintre italien a exprimé la douleur de la Vierge, en dissimulant son visage:
«[He] has finely express'd the Excessive Grief [of] the Virgin by intimating
'twas otherwise Inexpressible: Her Attendants discover abundance of Pas
sion and Sorrow in their Faces, but Hers is hid by Drapery held up by both
her Hands.»2 La littérature sur l'expression des passions est abondante
pendant toute la période baroque, mais c'est toujours de gestes ou d'expres
sions du visage qu'il s'agit; jamais, et pour cause, de regard. Si Hogarth était
bien au courant de ces traités, sa conception l'éloignait beaucoup de la pein
ture baroque: c'est par le mouvement qu'il voulait montrer les sentiments
de ses personnages, et non par le geste.5 Le geste baroque est arrêté et, dans
de nombreux cas, figé; il donne souvent dans ce que Hogarth appelait «the
grand stile of History,» une impression de grandiloquence; c'est le geste 122 FELIX PAKNADEL
qui conditionne le regard. C'est tout le contraire dans les Modem Moral
Subjects; le mouvement des personnages est guidé par leur regard. C'est
en effet l'œil qui semble conduire tout le corps, tout le visage, et les mène
à réagir. Le va accompagner le regard avec combien plus de
variété et de finesse que le geste! Cela est particulièrement frappant dans
An Election Entertainment.
Notons d'abord que ce tableau, comme les trois autres de la série An
Election, est d'une grande dimension: 1,01 m x 1,27 m, soit un bon tiers
de plus que les œuvres habituelles de Hogarth. Si bien que, malgré la tren
taine de personnages qui y figurent, chacun d'eux est d'une dimension suf
fisante pour faire son plein effet. Il a pour sujet général les excès qui se
produisent lorsque les candidats à une élection cherchent à soudoyer leurs
électeurs; suivant Peter Quennel, «a popular orgy that threatens to ove
rwhelm the polititians who promoted it.»4 La tension que l'on ressent dans
An Election Entertainment entre gentlemen et membres de la populace est
bien expliquée par Derek Jarrett dans son livre England in the Age of
Hogarth: «Hogarth put into pictorial form the underlying paradox of
eighteenth-century English society, the society that claimed to keep each
individual Englishman in his proper place and yet could at times be over
awed by the spectacle of Englishmen as a whole claiming their ancient
birthright of freedom.»5 Cette série a été inspirée par l'élection des députés
pour le comté d'Oxford, sièges qui n'avaient pas été contestés depuis plus
de quarante ans, et où les surenchères des deux partis firent scandale (il
s'agit, en somme, d'une version hogarthienne de nos fausses factures
actuelles). Voyons donc, en détail, comment les personnages sont conduits
par leur regard.
Au milieu du premier plan, la tête se détachant sur la nappe blanche, un
jeune serviteur vide un tonnelet d'eau de vie dans le baquet à ponche. Son
corps est tourné vers la gauche du tableau, mais il est tellement attiré par
ce qui se passe à droite qu'il tourne la tête complètement dans cette direc
tion; ses pupilles sont aussi fixées vers cette partie de la scène. Il a les
sourcils froncés, la bouche ouverte, horrifiée. Il y a un tel contraste entre
la posture de son corps et celle de sa tête, obligée de se dévisser au maximum
pour pouvoir voir ce qui l'intéresse, qu'il nous invite à suivre son regard.
Que se passe-t-il donc d'aussi surprenant? Une brique a volé par la fenêtre
ouverte, lancée par le parti adverse qui défile dans la rue, et cette brique
a frappé au front un convive qui tombe à la renverse, laissant échapper le
registre sur lequel il écrivait et renversant dans sa chute un guéridon. D'aut
res pierres traversent la pièce. Personne n'a vu cet accident en dehors de
notre petit serviteur et d'un petit garçon, à droite, qui montre l'accidenté
du doigt, essayant en vain d'attirer l'attention de sa mère. L'œil des enfants
est bien plus vif que celui des adultes.
Entre le petit serviteur et l'accidenté (son registre le désigne comme
l'agent électoral), deux personnages sont autrement occupés. Celui qui est
assis, un boucher, a les yeux fixés sur la blessure au crâne d'un homme de 124 FELIX PAKNADEL
main, qu'il soigne en versant dessus du gin. Le blessé, qui tient encore son
bâton noueux à la main, ferme les yeux de douleur. Ces deux personnages
sont en contraste complet avec le petit serviteur: celui-ci ne regarde pas ce
qu'il verse, alors que le boucher y est attentif; mais en revanche, ce dernier
ne prête aucune attention au drame qui se passe à côté de lui. Un des thèmes
du tableau est précisément l'indifférence des personnages pour ceux d'entre
eux qui sont pris de malaise. Ces derniers forment un groupe à droite,
groupe qui comprend outre l'agent électoral, le maire, qui a les yeux clos
et qu'on est en train de saigner, et un convive où nous conduit le bras nu
du maire; ce convive paraît mal en point: les yeux lui sortent de la tête, son
regard devient fixe, son front se plisse, sa perruque est de travers. Ce thème
est repris plus loin; le clergyman étouffe de chaleur et d'avoir trop bu et
trop bien mangé. Les yeux clos, il a enlevé sa perruque et éponge son crâne
chauve. Enfin, trois convives plus loin, un des deux candidats est aveuglé
par la fumée de la pipe de son voisin, qui lui a passé familièrement le bras
autour du cou.
Tous ces non-regards viennent en contrepoint de cette scène où s'échan
gent tant de regards divers. Cela va plus loin: dominant la scène, au fond,
juchée sur une chaise, une vieille violoniste aveugle, connue dans le comté
sous le nom de Fiddling Nan, tire avec vigueur sur son archet. Au-dessus
d'elle, le portrait de William III a été victime d'un iconoclaste qui l'a mutilé,
déchirant particulièrement son œi

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