CHAPITRE SIXIÈME.
Conversion de Madeleine apr ès sa rechute. J ésus à Azanoth, à Damna, à
Gatepher, à Nazareth. Melchis édech et les pr écurseurs d'Abraham.
(Du 31 d écembre 1822 jusqu'au 7 janvier 1823.)
(31 d écembre.) Ce matin J ésus est all é à un petit endroit, qui est à peu pr ès à une
lieue de Dotha ïm et à la m ême distance de Magdalum. Il poss ède une école et
s'étend le long d'une colline sur laquelle est un bel emplacement avec une chaire.
Cet endroit est situ é au sudest de Dothaim au pied de la montagne de B éthulie sur
le prolongement de laquelle se trouve aussi Cydessa. Je crois me souvenir que son
nom commence ou finit par Aza : car ce nom me fit penser à Azarias, l'ange de
Tobie. Il me revient maintenant ; c'est Azanoth. Ce bourg est situ é à l'extr émité
nordest de la montagne, autour d'un mamelon élevé, sur lequel est une chaire o ù
les proph ètes ont enseign é autrefois. Azanoth est le dernier endroit du territoire de
Séphoris de ce c ôté : quand on franchit la montagne et qu'on laisse Cydessa sur la
gauche, il y a de S éphoris ici trois ou quatre lieues dans la direction du sudouest.
On trouve pr ès d'Azanoth beaucoup de grottes s épulcrales : je crois qu'on enterre
ici les morts de beaucoup d'endroits environnants. Azanoth est rempli de jardins et
d'avenues, ce qui lui donne une certaine ressemblance avec B éthanie : aussi quand
j'ai vu isolement la conversion de Madeleine qui a eu lieu ici, j'ai cru plus d'une
fois qu'elle avait eu lieu à B éthanie. On s'occupe beaucoup de jardinage à Azanoth.
La temp érature y est admirable en ce moment et tout est d éjà en fleurs du c ôté de
Thabor. Beaucoup de gens, parmi lesquels nombre de malades et de poss édés, sont
accourus ici de plusieurs lieues à la ronde.
Sur le chemin J ésus rencontra Marie, sa m ère, et les saintes femmes qui étaient
parties de Damna pour assister à son instruction. Lazare c' était également ici ainsi
que les six ap ôtres et plusieurs disciples. Marie dit à J ésus que Marthe était all ée
voir Madeleine et qu'elle viendrait l'entendre. Plus de douze femmes s' étaient
réunies ici à la sainte Vierge : parmi elles étaient Anne, fille de Cl éophas ;
Suzanne, fille d'Alph ée ; Suzanne de J érusalem, V éronique, Jeanne Chusa, Marie,
mère de Jean Marc, Marie la Suphanite, Dina, Maroni de Na ïm et aussi la servante
de Marthe. Marie de Cl éophas n'y était pas. Elles étaient dans une h ôtellerie à part
de celle des hommes o ù Marthe vint les rejoindre plus tard5 tandis que Madeleine
qu'elle avait amen ée resta dans une h ôtellerie s éparée avec d'autres femmes
mondaines. Madeleine, livr ée à tous ses vices, était devenue tout à fait insens ée et
elle avait trait é Marthe avec beaucoup de froideur et d'orgueil. Sa soeur avait eu
beaucoup de peine à la d écider à ce voyage : elle était venue avec une toilette des
plus exag érées et des moins convenablesOn intercale ici les d étails qui suivent sur la visite de Marthe à Madeleine, d'apr ès
les visions qu'eut AnneCatherine en juillet et ao ût 1821, pendant et apr ès l'octave
de la f ête de sainte Madeleine, touchant la conversion de celleci.
L'état de Madeleine était devenu d éplorable au dernier point. Depuis qu'elle était
retombée apr ès sa conversion pr ès de Gabara, sept d émons s' étaient empar és d'elle.
Son entourage était devenu pire que jamais. Les saintes femmes, sp écialement la
sainte Vierge, n'avaient cess é de prier instamment pour elle, et enfin Marthe
accompagnée de sa suivante était all ée la voir à Magdalum (dans l'apr èsmidi du
dernier dimanche) Elle fut re çue froidement et on la fit attendre. Pr écisément une
cohue de libertins et de femmes galantes de Tib ériade venait d'entrer pour prendre
part à un festin. Madeleine était occup ée à sa toilette, elle fit dire à sa soeur qu'elle
ne pouvait pas lui parler maintenant. Marthe se mit en pri ère et l'attendit ainsi avec
une patience indicible. Enfin l'infortun ée Madeleine arriva, toute pleine de
mauvaise humeur et d'irritation : elle était dans un grand embarras : la simplicit é
des v êtements de Marthe lui faisait honte, elle craignait que ses h ôtes ne la vissent
et elle l'invita à se retirer. Marthe lui demanda seulement un coin o ù elle p ût se
reposer : on la conduisit avec sa suivante dans une chambre vide des b âtiments de
service et elle y fut laiss ée ou plut ôt oubli ée : car on ne lui donna m ême pas à boire
et à manger ; on était dans l'apr èsmidi. Cependant Madeleine se Parait et s'asseyait
sur un si ège élégant à la table du festin tandis que Marthe et sa servante priaient,
accablées de tristesse. A la fin du banquet Madeleine sortit et porta. quelque chose
à Marthe sur une petite assiette qui avait un rebord bleu : elle lui porta aussi à
boire. Elle lui parla d'un ton injurieux et m éprisant. Il y avait en elle un m élange
d'orgueil, d'impudence, de d ésespoir et de d échirement int érieur. Marthe l'engagea
de la fa çon la plus humble et la plus affectueuse À venir assister à la pr édication
solennelle que devait faire J ésus dans le voisinage : elle lui dit que toutes les
personnes avec lesquelles elle s' était li ée r écemment dans une occasion semblable
se trouveraient, et qu'elles se feraient une f ête de la revoir. qu'ellem ême avait d éjà
fait voir combien elle honorait J ésus, qu'elle devait donner à sa soeur ainsi qu' à
Lazare la joie de l'y voir venir : qu'elle ne trouverait pas de si t ôt une autre
occasion d'entendre l'admirable proph ète dans un lieu si rapproch é de sa demeure
et de voir en m ême temps tous ses amis. Derni èrement en r épandant des parfums
sur J ésus au festin de Gabara. elle avait prouv é qu'elle savait rendre hommage a
tout ce qui était grand et beau partout o ù elle le rencontr ât ; il fallait qu'elle vint
saluer encore une fois ce qu'elle avait honor é publiquement avec une hardiesse si
magnanime, etc. etc. Il est impossible de dire avec quelle affection et quelle
patience Marthe lui adressa ce discours et supporta ses mani ères odieuses et
altières. A la fin Madeleine lui dit : " J'irai, mais non pas avec toi. Tu peux prendre
les devants, car je ne veux pas me montrer en toilette si n égligée : je veux me parer
suivant ma condition et avoir mes amies avec moi ". L àdessus elles se s éparèrent.
Il était tr ès tard. Le jour suivant je la vis occup ée a sa toilette. Elle fit appeler Marthe et parla toujours en sa pr ésence avec aigreur et avec arrogance. Marthe la
laissa dire, et fit preuve d'une grande patience : elle ne cessait de prier en secret
pour qu'elle all ât avec elle et devint meilleure. Je vis Madeleine se faire laver et
parfumer par ses deux suivantes. Elle était assise sur un si ège peu élevé, ayant
devant elle un tablier de laine fine qui lui allait jusqu'aux genoux, et sur les épaules
et la poitrine un drap de m ême étoffe, avec une ouverture au milieu pour passer le
cou.
Deux servantes étaient occup ées à lui laver les pieds et les bras et à verser sur elle
de l'eau parfum ée. Ses cheveux partag és en trois et rejet és derri ère les oreilles et
sur la nuque, furent aussi liss és, peign és, parfum és et tress és. Elle mit ensuite une
tunique de laine extr êmement fine, un justaucorps vert sem é de grandes fleurs
jaunes (j'en ai un morceau), et encore par l àdessus une robe pliss ée. Elle portait
sur la t ête un bonnet fronc é tr ès élevé qui faisait saillie en avant du front : ce
bonnet ainsi que ses cheveux étaient ornes d'une quantit é de perles. Elle portait de
longs pendants d'oreille. Ses manches, tr ès larges depuis l' épaule jusqu'au coude,
étaient étroitement serr ées à l'avantbras par des fermoirs larges et brillants : la
robe était pliss ée. La robe de dessous était ouverte sur la poitrine et était attach ée
avec des rubans chatoyants. Pendant qu'on l'habillait, elle tenait à la main par le
manche un miroir ovale de m étal brillant. Un corsage broch é d'or, orn é de perles et
de pierres taill ées à facettes, lui couvrait enti èrement la poitrine. Sa robe de
dessous à manches étroites était recouverte d'un pardessus avec des manches larges
et courtes et une longue queue tra înante : il était de soie violette chatoyante, broch é
de grandes fleurs de couleur et d'or. Les tresses de sa chevelure étaient entrelac ées
de roses de soie brute, de cordons, de perles et d'une étoffe travaill ée à jour
semblable à de. la dentelle. On ne pouvait pas voir les cheveux sous cet amas
d'ornements. Tout cela s' élevait et s'avan çait autour du visage : Pardessus cette
coiffure elle avait une riche cape d' étoffe fine et transparente qui se relevait par
devant, retombait par derri ère et s'abaissait le long des joues jusque sur les épaules.
S'étant ainsi par ée du haut en bas, elle se montra à Marthe qui fut oblig ée de
l'admirer. Elle d éposa ensuite une partie de ces atours et s'enveloppa d'un manteau
de voyage. Ses suivantes furent charg ées d'empaqueter ses habits et les attach èrent
sur le des de la b ête de somme qu'ellem ême monta pour se rendre à Azanoth avec
son cort ège. Marthe la quitta, accompagn ée de sa suivante. Elles all èrent à pied aux
bains de B éthulie.
Madeleine n'avait cess é de se montrer pleine d'irritation et d'arrogance, tandis que
Marthe avait pratiqu é à un degr é rare les vertus de patience et d'humilit é. Le d émon
tourmentait violemment Madeleine pour l'emp êcher d'aller entendre J ésus, et elle
n'y serait pas all ée si les autres p écheresses de Tib ériade, qui étaient chez elle,
n'avaient pas form é de leur c ôté le projet de s'y rendre pour voir le spectacle comme elles disaient. Elles firent aussi leurs dispositions pour le voyage : elles
étaient mont ées sur des ânes, suivies de leurs gens et d'autres ânes charg és de
bagages : car, de m ême que Madeleine avait v