Rousseau et le Jacobinisme : pédagogie et politique - article ; n°1 ; vol.234, pg 584-607
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Description

Annales historiques de la Révolution française - Année 1978 - Volume 234 - Numéro 1 - Pages 584-607
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Revault d'Allonnes
Rousseau et le Jacobinisme : pédagogie et politique
In: Annales historiques de la Révolution française. N°234, 1978. pp. 584-607.
Citer ce document / Cite this document :
Revault d'Allonnes M. Rousseau et le Jacobinisme : pédagogie et politique. In: Annales historiques de la Révolution française.
N°234, 1978. pp. 584-607.
doi : 10.3406/ahrf.1978.1030
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1978_num_234_1_1030ET LE JACOBINISME: ROUSSEAU
PEDAGOGIE ET POLITIQUE
Au début du Traité de l'autorité politique, Spinoza distingue
deux conceptions de la (politique : la politique des philosophes
— « utopique » et dans laquelle s'inscrit la plus grande distance
entre théorie et pratique, car les philosophes « conçoivent les
hommes en effet, non tels qu'ils sont, mais tels qu'eux-mêmes
voudraient qu'ils fussent » ( 1 ) — et la politique des hommes
politiques, « habiles plutôt que sages », guidés par le pragma
tisme et récusant jugements de valeur et considérations morales.
Il serait tentant d'organiser l'analyse des rapports entre
Rousseau et le jacobinisme à la lumière de cette distinction : ainsi,
du rousseauisme au jacobinisme, cheminerait-on du verbe à
l'action, de l'idéal au réel, de l'abstrait au concret. Or, cette
interprétation — pour répandue soit-elle — (paraît en réalité
difficilement recevable et ce pour plusieurs raisons.
1 - Méconnaissant la distance « structurelle » entre théorie
et pratique (2), elle conduit inévitablement à attribuer à Rousseau
la <c responsabilité » théorique d'une pratique politique dont il serait
l'inspirateur. A. Soboul rappelle ainsi que le Contrat social réputé
comme « manuel de despotisme » fut enveloppé dans la même
réprobation que le jacobinisme par les théoriciens du libéralisme
(tels Royer-Collard, B. Constant, Lamartine ou Taine) (3).
Interprétation réactivée par les « nouveaux philosophes » qui ne
font que reproduire la vieille lecture libérale : Rousseau maître
à penser de l'Etat totalitaire. Ainsi réduit-on le réel à n'être que
le reflet appauvri d'un a priori théorique.
(1) Spinoza, Traité politique, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, trad. C. Appuhn,
p. 11.
(2) Voir N. Poulantzas, L'Etat, le pouvoir, le socialisme, Paris, P.U.F., 1978, p. 24.
(3) A. Soboul, « J.-J. Rousseau et le Jacobinisme », in Etudes sur le Contrat
social de J.-J. Rousseau, Actes des journées d'études tenues à Dijon les 3, 4, 5 et
6 mai 1962, Paris, Les Belles Lettres, 1964, pp. 405-406. ROUSSEAU ET LE JACOBINISME 585
2 - Pas plus ne peut-on renvoyer la philosophie politique
de Rousseau à l'utopie : doctrine politique toujours inapplicable,
« sorte de chimère » (4) rêvant les hommes non tels qu'ils sont,
mais tels qu'on les voudrait. Car Rousseau prétend précisément
prendre les hommes « tels qu'ils sont » (5) et concilier deux
exigences : légitimité et sûreté. Et il conçoit une norme dont « il
n'a pas voulu définir les conditions de réalisation, mais qu'il n'a
pas confinée dans le domaine de la chimère ou de l'utopie. La
théorie du contrat implique le « devoir-être » du contrat : il est
réalisable, si les hommes veulent donner à la vie sociale une assise
légitime » (6). On verra que Robespierre ne pense pas autrement :
c'est « la volonté de bien faire » (7) qui permet de dépasser les
limites que nous assigne l'imagination elle-même.
3 - Enfin, comment expliquer qu'après Rousseau, le jacobi
nisme se soit affronté au même problème : le conflit toujours
possible et toujours renaissant entre la volonté générale et la
volonté de tous, la volonté générale et les volontés particulières ?
C'est sous cet angle que nous nous proposons d'aborder
l'étude des rapports entre la pensée de Rousseau et le jacobinisme,
s'il est vrai que les Jacobins se sont voulus non seulement hommes
d'action (en aucun cas « politiques » au sens spinoziste, c'est-à-dire
tacticiens « habiles »), mais aussi théoriciens et législateurs.
Rappelons ce qu'écrit Saint- Just : « Je crois pouvoir dire que la
plupart des erreurs politiques sont venues de ce qu'on a regardé
la législation comme une science de fait, de là l'incertitude et la
diversité des gouvernements » (8).
Les philosophes conçoivent donc « une nature humaine qui
n'existe nulle part » (9) : voilà pourquoi leur politique est
inapplicable. Pas plus recevable n'est — en dépit de son réalisme —
une politique qui en appellerait à la crainte plus qu'à la raison
(vision même du despotisme). Peut-on dès lors envisager une
troisième voie qui permettrait, sinon de réduire totalement, du
moins de restreindre la distance entre théorie et pratique et de
dépasser l'impuissance de la seule théorie. Problématique commune
en grande partie à la pensée de Rousseau et à l'idéologie jacobine :
(4) Spinoza, op. cit., p. 11.
(5) J.-J. Rousseau, Contrat social, éd. Halbwachs, Paris, Aubier-Montaigne, 1976,
I, p. 55.
(6) J. Starobinski, c Du Discours de l'inégalité au Contrat social », in Etudes sur
le Contrat social de J.-J. Rousseau, op. cit., p. 107.
(7) Robespierre, in Œuvres, éd. M. Bouloisbau et A. Soboul, t. X, Paris, P.U.F.,
1967, p. 70.
(8) Saint-Just, Fragments d'Institutions républicaines, pub. par A. Liënard, in
Théorie politique, Paris, Seuil, coll. Politique, 1976, p. 257.
(9) Spinoza, op. cit., p. 11. 586 M. REVAULT D'ALLONNES
comment construire une société nouvelle avec des hommes encore
viciés ou corrompus ? Mais à l'inverse, comment libérer, comment
transformer les hommes dans une société qui demeure injuste et
« aliénante »? Si l'utopie ne rompt le cercle qu'apparemment, par
une fuite en avant et l'élaboration d'un possible auquel on ne se
donne pas les moyens de passer, la question reste-t-elle à tout
jamais insoluble ? Quoi qu'il en soit, il semble que le jacobinisme,
après Rousseau, ait rencontré ce qui est l'objet inévitable de toute
réflexion et de toute pratique politique et dont Rousseau rend
compte en ces termes : « Pour qu'un peuple naissant pût goûter
les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales
de la raison d'Etat, il faudrait que l'effet pût devenir cause
[souligné par nous], que l'esprit social qui doit être l'ouvrage
de l'institution présidât à l'institution même ; et que les hommes
fussent avant les lois ce qu'ils doivent devenir par elles» (10).
Il s'agit donc de réaliser ce que la réalisation même présuppose,
à savoir une fin qui n'est autre que la condition de possibilité,
puisque « celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se
sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine » (11).
A l'accomplissement de cette tâche, fait écho la préoccupation
constamment réaffirmée par les Jacobins — jusqu'à l'obsession
pourrait-on dire — de la régénération, de la recréation : changer
l'homme. On pourrait multiplier à l'infini les références. Ainsi la
révolution est-elle conçue comme régénération par Billaud-Varenne :
il est nécessaire de développer l'instruction publique « telle qu'elle
doit être chez un peuple qui se régénère» (12). Projet identique
chez Lepeletier : «... considérant à quel point l'espèce humaine
est dégradée par le vice de notre ancien système social, je me suis
convaincu de la nécessité d'opérer une entière régénération et, si
je peux m'exprimer ainsi, de créer un nouveau peuple» (13).
Autre formulation chez Saint- Just qui impute les échecs politiques
à l'absence de conditions morales : « Les différentes lois que vous
portâtes autrefois sur les subsistances auraient été bonnes si les
nommes n'avaient pas été mauvais» (14).
(10) C.S., II, 7, p. 184.
(11)II, 7, p. 180.
(12) Billaud-Varenne, Rapport du 1" floréal an II, in Moniteur, réimp., t. 20,
p. 267.
(13) Lepeletier, Plan d'éducation

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