Savoirs sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle - article ; n°1 ; vol.44, pg 107-136
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Description

Communications - Année 1986 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 107-136
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 81
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Agnès Fine
Savoirs sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle
In: Communications, 44, 1986. pp. 107-136.
Citer ce document / Cite this document :
Fine Agnès. Savoirs sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle. In: Communications, 44, 1986. pp. 107-136.
doi : 10.3406/comm.1986.1657
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1986_num_44_1_1657Agnès Fine
Savoirs sur le corps et procédés abortifs
au XIXe siècle
Alors que l'article 317 du Code pénal punissant « quiconque par
aliments, breuvages, médicaments, violences ou tout autre moyen
aura provoqué l'avortement d'une femme enceinte » date de 1810, il
faut attendre plusieurs décennies pour voir la justice engager rée
llement des poursuites contre les inculpés. Le ministère de la Justice
publie à partir de 1828 le nombre annuel des poursuites engagées
pour avortement : 8 accusations et 16 accusés seulement pour l'e
nsemble de la France en 1828, 8 accusations et 10 accusés en 1829.
En revanche, vingt ans plus tard, le nombre des accusations est
multiplié par quatre : 32 en 1851 et 86 accusés;
25 accusations et 55 accusés en 1852. Le nombre des affaires classées
sans suite ou ayant entraîné un non-lieu passe respectivement de 30
et 3 en 1832 à 130 et 98 en 1851, soit une multiplication par 7 entre
ces deux dates *. Dans le département de la Haute-Garonne, on observe
le même type d'évolution : 2 poursuites seulement entre 1810 et 1842,
5 de 1842 à 1850, puis 24 entre 1850 et 1880.
Il semble donc que vers le milieu du XIXe siècle un changement
important soit intervenu dans l'attitude de la justice à l'égard de
l'avortement, et peut-être la pratique de l'avortement elle-même.
C'est ce que j'ai essayé d'examiner en m'intéressant aux procédés
abortifs et aux savoirs sur le corps auxquels ils se réfèrent.
Les nouveaux spécialistes des techniques obstétricales. '
Qui sont les inculpés? Ces poursuites sont dirigées davantage contre
des avorteurs notoires que contre les femmes avortées. Sur les treize
procès qui se déroulèrent entre 1850 et 1863 dans le département de
la Haute-Garonne 2, neuf concernent des individus dont la réputation
d'avorteurs semblait bien établie dans l'opinion publique locale. Ce
sont surtout des « professionnels de la santé », et bien souvent ils sont
impliqués dans plusieurs affaires : un médecin de Montréjeau est
107 Agnès Fine
inculpé pour plus -de dix interventions repérées par la justice. Les
autres, deux officiers de santé, deux sages-femmes, un guérisseur, sont
impliqués aussi dans plusieurs avortements. Mais on trouve également
une tisserande, une blanchisseuse et une femme de gendarme dont
les réputations d'avorteuses étaient établies dans leur quartier ou leur
village.
Comment ces affaires d'avortement éclatent-elles et que faut-il pour
qu'il y ait poursuite? Dans les procès mettant en cause ces avorteurs,
il a suffi quelquefois d'un grain de sable venu enrayer les rouages
d'une activité clandestine, fournissant ainsi à des voisins « la » preuve
qu'ils attendaient depuis longtemps pour dénoncer les contrevenants
à la justice : une erreur d'adresse, une indiscrétion, et surtout une
vengeance, la justice étant un des moyens privilégiés d'exercer des
représailles contre un ennemi.
Ou bien il peut s'agir d'un accident plus grave : la mort d'une
femme des suites d'une infection ou d'une perforation utérines, ou
encore la découverte d'un cadavre de fœtus.
C'est la mort d'une femme qui est à l'origine de la poursuite
en 1851 de Jeanne Lille dite « Corne », sage-femme toulousaine de
38 ans 3. Elle exerce son métier de sage-femme, comme beaucoup
d'autres à son époque, en recevant des pensionnaires chez elle, rue
Mage. Celles-ci sont le plus souvent des jeunes filles célibataires
originaires de la campagne, qui viennent cacher en ville leur accou
chement. La sage-femme prend cinquante francs pour aider à l'a
ccouchement et trouver une nourrice. C'est un peu plus cher pour
faire l'accouchement, loger quelques jours la femme et aller déposer
l'enfant à l'hospice. Il suffit pour cela que la jeune mère fournisse
un certificat d'indigence du maire de sa commune. Les sages-femmes
sont nombreuses en ville et à la campagne à recevoir ainsi des
pensionnaires et font d'ailleurs l'objet d'une surveillance policière
particulière. La tentation est grande en effet, compte tenu de leur
clientèle, de pratiquer des avortements. C'est ce que fait la femme
Corne avec l'aide de son amant, un veuf qui se dit « courtier en
biens », et celle d'une nièce de 24 ans qui a accouché elle-même,
trois ans avant l'inculpation, d'un enfant mâle déposé par sa tante
à l'hospice de Toulouse. Une autre affaire met en cause un médecin,
le Dr Bezins de Montréjeau, inculpé en 1862 pour avoir pratiqué
des avortements sur une dizaine de femmes pendant les quatre
années précédentes 4. L'affaire éclate à la suite d'une erreur : la
patiente se trompe de porte et sonne chez un greffier de justice
qui habite à côté de chez le médecin. Le greffier tient enfin la
preuve qu'il attendait pour poursuivre le vieux médecin dont la
réputation est connue non seulement à Montréjeau, mais dans la
plupart des communes des cantons environnants et même jusqu'à
108 sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle Savoirs
Luchon. Le médecin pratique aussi des accouchements et les note
scrupuleusement sur ses carnets, que la justice saisit. Il note aussi
les lieux où il pratique d'autres « opérations » et les montants des
honoraires perçus. Mais il opère le plus souvent chez lui, les jours
de foire, lorsque ses clientes de la campagne ont une bonne raison
de se déplacer. Agé de 72 ans lorsqu'il est inculpé en 1862, il avait
déjà fait l'objet de poursuites en 1840. C'est donc lui aussi un
« récidiviste », que la justice poursuit comme tel.
L'enquête dans le village d'Ausson tendrait à attribuer à ce médecin
la mort d'une femme, des suites d'un avortement clandestin, survenue
quelques années auparavant.
C'est encore la mort d'une femme qui aboutit à l'inculpation d'une
sage-femme et de son père officier de santé. Cela se passe à la campagne
dans un canton aux confins du Gers et de la Haute-Garonne en 1863 5.
Bertrande Friot est âgée de 58 ans, elle vit à Montesquieu-Guitaut où
elle exerce la profession de sage-femme. Son père est officier de santé
à Blajan, âgé de 83 ans. Lorsqu'une de ses parentes, servante cél
ibataire de 35 ans, enceinte de son patron, se présente chez la sage-
femme, à Montesquieu-Guitaut, celle-ci part à pied à Blajan chercher
son père pour qu'il vienne pratiquer avec elle l'avortement. Cela se
passe dans une cave obscure pour que la jeune fille ne reconnaisse
pas son parent. La jeune femme est conduite dans un village voisin
chez une sage-femme qui reçoit des pensionnaires pour accoucher elle. Elle y meurt d'infection. L'officier de santé se voit inculpé
une deuxième fois. Dix ans plus tôt, en effet, il fut inculpé d'avor-
tement sur une dénonciation du maire du village d'origine d'une
jeune fille qui avorta par ses soins. Par une lettre, le maire s'adresse
au procureur de la République, en date du mois de novembre 1852,
en ces termes :
II me reste à vous dire qu'il importe de donner un exemple dans
cette contrée des rigueurs de la justice sur de pareils actes, l'im
moralité y est assez répandue et se cache sous le manteau du crime,
qui reste presque toujours inconnu. Très souvent on entend dire
que telle fille a avorté au moyen de remèdes secrets, que telle autre
dans la crainte d'être enceinte prend ses précautions... aussi les
parents honnêtes et religieux tremblent pour la vertu et l'honneur
de leur jeune famille... •
Le maire proteste d'autant plus que la proximité de sa commune
avec celle de Blajan, le village où exerce l'officier de santé, rend les
activités de ce dernier insupportables. Il est connu pour ses activités
dans les villages aux alentours puisque le pharmacien d'une commune
proche, apprenant qu'il y a poursuite d

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