Armes des faibles, faibles armes - article ; n°1 ; vol.51, pg 4-16

Lucien Bianco

Description

Perspectives chinoises - Année 1999 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 4-16
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: PERSPECTIVES_CHINOISES
• Publié le: 01 janvier 1999
• Nombre de lectures: 127
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Lucien Bianco
Armes des faibles, faibles armes
In: Perspectives chinoises. N°51, 1999. pp. 4-16.
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Bianco Lucien. Armes des faibles, faibles armes . In: Perspectives chinoises. N°51, 1999. pp. 4-16.
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Armes des faibles,
faibles armes
Cinquante ans de résistance paysanne (1949-1999)
Lucien Bianco gnifie le rôle des paysans dans le lancement de la r
éforme rurale, mais aussi dans son déroulement et ses
progrès. Non seulement, en effet, les paysans collectivi- Y ^ ROIS livres publiés durant la dernière décennie
' ' exaltent l'action des paysans et leur capacité sés ont, par leur répugnance à travailler dur sans être
politique"1. Il vaut la peine d'examiner avec payés de retour, fini par convaincre les dirigeants com
soin leurs arguments, car aucun de ces trois munistes d'adopter une autre stratégie de développe
livres ne laisse indifférent. La plupart des actions pay ment, ils ont ensuite accru la portée de réformes que les
sannes dont ils font état s'apparentent ou appartiennent dirigeants n'entendaient pas pousser aussi loin.
à la catégorie des « formes quotidiennes de résis Quatre ans après Kelliher, Yang ajoute un autre él
tance » '-'. Non seulement ces formes « quotidiennes » ément à l'entreprise de démolition du crédit initialement
porté au compte des dirigeants réformateurs et de réhaont, comme leur nom l'indique, représenté la forme la
plus répandue de résistance paysanne en République bilitation parallèle de l'action des paysans eux-mêmes :
populaire de Chine (RPC), elles ont en outre été de loin le lien entre famine et réforme. Selon l'auteur, la famine
les plus efficaces pour promouvoir les intérêts paysans. des années 1959-1961 est la cause primordiale des r
Après une première partie consacrée aux trois ouvrages éformes lancées vingt ans plus tard dans les campagnes
et à leur discussion, la seconde partie de cet article es chinoises ; et les véritables agents de ces réformes, ne
quisse un panorama des formes quotidiennes de résis sont autre que les principales victimes de la famine, au
tance paysanne en Chine populaire, sans s'en tenir au trement dit les paysans. Ce sont leurs initiatives qui ont
contexte (la réforme post-maoïste dans les campagnes) lancé la réforme, avec la complicité de certains des
qui est au centre de la réflexion de nos trois auteurs. cadres locaux qui avaient partagé leurs affres et
s'étaient convaincus comme eux que le « système de Plus fructueuse que violences et révoltes, la résistance
responsabilité » expérimenté dans la panique au début quotidienne n'est pas pour autant très fructueuse : illu
strées dans la seconde partie, les thèses de Scott sont des années 1980 représentait la seule issue.
discutées dans la troisième. Yang consacre le dernier quart de son livre aux rela
tions entre l'Etat et la société rurale sous la réforme,
Pouvoir paysan ? mais c'est Kate Xiao Zhou qui va le plus loin dans
A peu de choses près (un point d'interrogation scep l'exaltation de l'œuvre récemment accomplie par ces
« agriculteurs » qui ont « transformé la Chine » tique), le titre de ce paragraphe reprend celui du livre de
Kelliher, consacré à la décennie 1979-1989. En s'ap- (...Fanners changed China)'*'. Non contents d'être à
puyant sur des interviews conduites dans le Hubei et l'avant-garde de la décollectivisation, les cultivateurs
d'abondantes sources de première main concernant le ont ensuite été, selon elle, les principaux moteurs de
Hubei et les provinces voisines, Kelliher souligne et la croissance économique (et non seulement agricole)
férspectives chinoises N°S1 • JANVIER - FEVRIER 1999 Chine
en mettant fin au monopole étatique en matière de dis i que les paysans ont efficacement contribué à la
tribution, en développant une industrie rurale plus radicalisation et à l'extension de la réforme rurale. Du
rant toute « l'ère de la réforme » (disons : les deux dercompétitive que les entreprises d'Etat, en emigrant en
masse vers les villes, etc. Agents dynamiques de la nières décennies du siècle), les paysans ont rogné les
transformation sociale (et non seulement écono dents du hukou, concurrencé magasins et entreprises
mique), ils ont favorisé ou accéléré le passage d'une d'Etat, développé l'industrie et les exportations, donné
société close à une société ouverte en achetant des un vigoureux coup de fouet à la croissance, etc. : on
peut reconnaître tout cela (la liste n'est pas exhaustpermis de résidence dans les villes (ce qui a rendu
moins opérant le contrôle des hukou sur la mobilité ive) sans aller jusqu'à leur prêter tout ce que Kate Xiao
des ruraux) et des coupons de nourriture (liangpiao) Zhou leur attribue <(l).
réservés aux citadins, en rendant ces mêmes citadins Enfin, le recul de l'Etat en matière de prévention des
moins dépendants de leur danwei, en améliorant la naissances a préludé à d'autres interventions moins in
condition féminine, etc. Concernant ce dernier point, directes dans le domaine politique. Paysans et pay
inutile de préciser que ce sont les femmes elles-mêmes sannes s'étaient contentés de se soustraire par tous les
qui ont commencé à prendre en main leur destin par le moyens à l'obligation de l'enfant unique, de ne pas dé
clarer les mariages précoces, de dissimuler grossesses biais de leurs activités au marché, en usine, en ville, au
sein de l'entreprise agricole (qu'elles dirigent lorsque et naissances (ou, par exemple, de ne pas enregistrer la
naissance de l'aîné — plus souvent l'aînée — et de déle mari travaille au loin). Ce sont, de même, les
femmes qui ont conduit l'essentiel de la « guérilla pour clarer la naissance de jumeaux quelques années plus
les naissances en excédent des quotas » (chaosheng tard), de s'enfuir pour échapper aux contrôles, d'ache
youjiduï). En contraignant l'Etat à cesser dès 1984 ter le médecin qui dépose un stérilet ou délivre un faux
d'appliquer strictement la politique de l'enfant unique certificat de stérilisation ou de handicap du premier-né
dans les campagnes, paysannes et paysans ont eu une (lequel donne droit à une seconde naissance), d'intimi
action proprement politique. der les cadres trop zélés, de se venger à l'occasion sur
L'argumentation de Kate Xiao Zhou, que j'ai détaillée leurs fils de l'avortement tardif qui a tué un fœtus de
plus longuement que les autres, est la plus excessive des sexe masculin, de payer avec ostentation la lourde
trois. Avant d'exprimer mon désaccord, je voudrais amende qui sanctionne une naissance hors plan, etc.
Hormis — et encore — cette bravade, rien de tout cela d'abord souligner ce que ces trois livres apportent et qui
n'est pas peu. D'abord et avant tout, la réforme rurale n'équivaut à une opposition politique au contrôle des
naissances inscrit dans la Constitution : le résultat — n'est pas l'œuvre des réformateurs en ce sens qu'ils n'en
ont pas pris l'initiative : ils l'ont sanctionnée après coup. pas entièrement satisfaisant du point de vue des inté
Ce sont les paysans qui ont fait démarrer la décollectivi- ressés : au mieux, un compromis entre leur désir d'une
sation, à la faveur des incertitudes politiques créées par progéniture nombreuse et l'enfant unique que l'Etat en
tendait initialement leur imposer — a été obtenu à force la succession de Mao. Le mouvement avait commencé
avant le 3e plénum de décembre 1978 : dès le début de de désobéissance, mais sans se départir — sauf explo
sions de colère incontrôlée — du profil bas qui sied aux l'année dans l'Anhui ; le même plénum continuait de
prohiber explicitement le système de responsabilité fa sujets de seconde zone que sont les villageois. Aujourd
miliale (baochan daohu), déjà adopté dans maint village 'hui comme hier, il va sans dire que ceux-ci se gardent
bien — encore une fois sauf exception rarissime — de et district'41.
Cette réforme elle-même n'était pas une innovation, tout acte politique d'opposition. La nouveauté toutefois
mais une restauration