De l’enseignement de l’économie politique
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Revue d’économie politique, 1887Alfred JourdanDe l’enseignement de l’économie politiqueDe l’enseignement de l’économie politiqueFaut-il enseigner l’économie politique ? Où et par qui convient-il qu’elle soitenseignée ? Quelles difficultés particulières présente cet enseignement ; quellesaptitudes spéciales réclame-t-il ? Dans quelles conditions est-il donné aujourd’hui ?Quelles perspectives cet enseignement ouvre-t-il aux progrès et à la diffusion desconnaissances économiques ! Ces questions, et d’autre analogues, ont soulevé delongs débats. Je les ai suivis avec d’autant plus d’intérêt qu’ils ont commencé, il y aquelque vingt-cinq ou trente ans, à l’époque où je m’adonnais à l’étude del’économie politique avec la ferveur et l’inexpérience d’un néophyte, et qu’ils nelaissaient pas de me troubler quelque peu dans ma foi naissante. Si le débat étaitirrévocablement clos, je me garderais bien de le rouvrir, et il y aurait tout au plus làematière à un court chapitre dans une histoire de l’économie politique au XIXsiècle. Mais il n’en est rien : quelques-unes des questions que je viens de poserrestent toujours ouvertes, et le débat reprend de temps à autre avec une vivaciténouvelle. Nul ne saurait y demeurer indifférent, et c’est un devoir étroit d’y prendrepart pour tous ceux qui, s’étant consacrés à l’étude et à l’enseignement de cettescience, ont conservé entière leur foi dans les salutaires effets que produira tôt outard une large diffusion des saines ...

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Revue d’économie politique, 1887Alfred JourdanDe l’enseignement de l’économie politiqueDe l’enseignement de l’économie politiqueFaut-il enseigner l’économie politique ? Où et par qui convient-il qu’elle soitenseignée ? Quelles difficultés particulières présente cet enseignement ; quellesaptitudes spéciales réclame-t-il ? Dans quelles conditions est-il donné aujourd’hui ?Quelles perspectives cet enseignement ouvre-t-il aux progrès et à la diffusion desconnaissances économiques ! Ces questions, et d’autre analogues, ont soulevé delongs débats. Je les ai suivis avec d’autant plus d’intérêt qu’ils ont commencé, il y aquelque vingt-cinq ou trente ans, à l’époque où je m’adonnais à l’étude del’économie politique avec la ferveur et l’inexpérience d’un néophyte, et qu’ils nelaissaient pas de me troubler quelque peu dans ma foi naissante. Si le débat étaitirrévocablement clos, je me garderais bien de le rouvrir, et il y aurait tout au plus làmatière à un court chapitre dans une histoire de l’économie politique au XIXesiècle. Mais il n’en est rien : quelques-unes des questions que je viens de poserrestent toujours ouvertes, et le débat reprend de temps à autre avec une vivaciténouvelle. Nul ne saurait y demeurer indifférent, et c’est un devoir étroit d’y prendrepart pour tous ceux qui, s’étant consacrés à l’étude et à l’enseignement de cettescience, ont conservé entière leur foi dans les salutaires effets que produira tôt outard une large diffusion des saines notions d’économie politique. Je suis de ceux-là ; et je ne suis poussé à parler de toutes ces choses que par le pur intérêt de lascience. J’en parlerai donc sans autre préoccupation que la recherche de la véritéet d’une juste mesure entre les appréciations si divergentes qui se sont produitessur ce sujet : sine ira et studio, quorum causas procul habeo..IIl semble que je remonte au déluge en rappelant qu’un jour ou s’est posé la questionde savoir s’il convenait d’enseigner l’économie politique, et qu’on a réponducatégoriquement : non. Il semble que c’est là une de ces causes qui ne se plaidentplus. Mais, outre qu’il s’est dit, à ce propos, des choses bonnes à noter, on verraque certaines opinions plus raisonnables, ou, du moins, émanant de personnesréputées plus raisonnables, se rapprochent assez de cette assertion de M. JeanReynaud : que l’économie politique, bonne dans les livres, ne se prêtait pas à unenseignement oral.C’était le lendemain de la Révolution du 24 février 1848, le ministre de l’Instructionpublique, M. Carnot, avait nommé une commission pour préparer la transformationdu Collège de France en une École d’administration ; et, dès le 7 avril, leGouvernement provisoire signait un décret conforme aux conclusions du rapportprésenté par M. Jean Reynaud, président de la commission. La chaire d’économiepolitique, alors occupée par Michel Chevalier, était supprimée et remplacée par lescinq chaires suivantes : économie générale et statistique de la population ;économie générale et statistique de l’agriculture ; économie générale et statistiquedes mines, arts et manufactures ; économie générale et statistique des travauxpublics ; économie générale et statistique des finances et du commerce. Inutiled’insister sur ce qu’a de bizarre cette conception d’un pareil démembrement del’économie politique ; et, quand on lit dans le rapport de M. Jean Reynaud, leprogramme sommaire de ces cinq nouveaux cours, on se demande si la hautecommission s’est rendu compte de ce qu’il fallait entendre par économie générale.Mais, ce qu’il importe de relever ici, ce sont les termes dans lesquels le rapporteurjustifie la suppression de la chaire d’économie politique : « Quant à l’économiepolitique proprement dite, l’avis unanime de la haute commission a été que cetenseignement, convenable dans les livres, devait être éliminé d’un systèmed’études officiel. Elle a estimé que, l’économie politique, ne se composant jusqu’àce jour que de systèmes disputés, sans aucun droit à la fixité, il pouvait y avoir dudanger à attacher de jeunes esprits à l’un de ces systèmes plutôt qu’à un autre ; etque, la véritable économie politique n’étant autre, en définitive, que la science de lapolitique et de l’administration, les cours proposés pour cette science et son
perfectionnement devaient suffire. Néanmoins, comme il peut être avantageux, nefût-ce que pour les dominer, de connaître d’une manière sommaire la successionde ces divers systèmes, elle a demandé, dans ce but, quinze leçons, qui pourraient,à ce qu’il semble, se rattacher utilement, comme introduction, au cours d’économiegénérale des finances et du commerce. » En conséquence, le professeur chargéde ce dernier enseignement devait débuter par un cours d’histoire de l’économiepolitique dont la haute commission rédigea le programme. Proscrirel’enseignement de l’économie politique proprement dite, et commencer par uncours d’histoire de l’économie politique ! et Dieu sait quelle histoire !Le vrai motif de ce remaniement n’est pas indiqué dans le rapport, mais M. JeanReynaud l’a dit un peu plus tard, à l’Assemblée nationale, lors de la discussion dubudget rectifié de 1848 : « Il s’agissait de remplacer l’économie politiquemonarchique et constitutionnelle par une économie politique républicaine. » M.Jean Reynaud résumait ainsi, à sa manière, l’étrange réponse faite par M. deLamartine à la députation de la Société d’économie politique qui était venueprotester contre la suppression de la chaire de Michel Chevalier : « Je ne puis mepersuader, messieurs, que les intentions si éclairées et si larges de mon excellentcollègue et ami, M. Carnot, aient été bien comprises par la Société deséconomistes… L’intention du ministre a été de multiplier sous d’autres formesl’enseignement de cette science, qui n’est pas seulement une science spéculative,mais qui doit devenir, selon moi, une science administrative. Mais cette science,citoyens, ne doit plus être, comme autrefois, la science de la richesse. LaRépublique doit et veut lui donner un autre caractère. Elle veut en faire la science dela fraternité, la science par les procédés de laquelle non-seulement le travail et sesfruits seront accrus, mais par laquelle une distribution plus générale, plus équitable,plus universelle de la richesse s’accomplira entre le peuple tout entier. L’anciennescience ne s’occupait qu’à faire des individus riches ; la nouvelle s’appliquera àfaire riche le peuple tout entier. »Qu’on ne s’étonne pas trop de tout cela. Il n’y avait pas bien longtemps qu’unministre de la monarchie constitutionnelle avait dit à Rossi : « Nous inaugurons unrégime politique nouveau ; il nous faut une économie politique nouvelle. » À quoiRossi avait répondu : « Vous tombez bien mal ! Je ne sais que l’ancienne. » Et,quelques mois avant les réformes de M. Jean Reynaud, comme on discutait, àl’Académie des sciences morales, la question de l’enseignement de l’économiepolitique, Victor Cousin déclarait que ce n’était pas à la pénurie de l’enseignementque tenait la situation où on se plaignait devoir la science ; que, du temps de Turgotet de Quesnay, il n’y avait pas de chaires ; que les livres de Bastiat avaient plus faitque trois chaires pour le développement de l’économie politique ; quel’enseignement libre devait précéder et amener l’enseignement officiel[1].Les temps qui suivirent la Révolution de 1848 furent témoins d’un véritabledéchaînement contre l’économie politique et ses représentants. Les socialistes, uninstant au pouvoir, servaient les rancunes des protectionnistes contre leséconomistes libre échangistes. Michel Chevalier était à peine remonté dans sachaire, que le conseil général de l’agriculture, des manufactures et du commerce lesommait, sous peine de destitution, de n’enseigner désormais l’économie politiquequ’au point de vue des faits et de la législation qui régit l’industrie française. Dansson numéro du 21 février 1850, le journal l’Univers applaudissait à un discours deM. Donoso Cortès affirmant que le Socialisme est fils de l’Économie politiquecomme le vipereau est fils de la vipère. Dans son numéro du 20 juin suivant, cemême journal demandait la suppression de l’Académie des sciences morales etpolitiques.Dans cette revue des opinions défavorables à l’enseignement de l’économiepolitique, on ne saurait oublier le curieux article paru dans la Gazette des Tribunauxdu 4 avril 1877, au moment où l’économie politique venait d’être introduite dans lesFacultés de droit. Ce ne sont pas précisément les conclusions de cet article quisont déraisonnables, car l’auteur admettait, à la rigueur, qu’on enseignât l’économiepolitique dans les Facultés de droit : seulement, il ne voulait pas qu’elle fût matièred’examen. Ce qui est à noter, ce sont les motifs de cette disposition peubienveillante : « L’économie politique n’a jamais été une science positive ; c’est toutau plus un art conjectural… Existe-l-il des textes pour l’économie politique ? Noncertes. Là tout est fantaisie. Chaque économiste fait son système et condamnecelui des autres. Chacun préconise sa recette, dont le résultat doit être de procurerinfailliblement aux nations un enrichissement inouï et sans précédents. » Cela n’apas besoin de commentaire. .II
Après ceux qui ne voulaient pas qu’on enseignât l’économie politique sont venusceux qui voudraient bien qu’on l’enseignât, à condition qu’elle ne fût pas enseignéepar l’État. Le débat offre aujourd’hui assez peu d’intérêt, on peut même dire qu’il n’ajamais été très sérieux, en ce sens du moins que, de tout temps, l’immensemajorité des économistes a demandé à l’État la création de chaires d’économiepolitique. C’est ainsi que, dès l’année 1845, une députation de la Sociétéd’économie politique, composée de MM. Hippolyte Passy, Dunoyer, Horace Say,Renouard, de Laffarelle, Wolowski, H. Dussard et Joseph Garnier, remettait à M. deSalvandy, ministre de l’Instruction publique, une note[2] détaillée dans laquelle elledemandait, comme un minimum, la création de cinq chaires d’économie politique àParis : à l’École de droit, à la Sorbonne, à l’École normale, à l’École polytechniqueet à l’École des ponts et chaussées, « en attendant, dit la note, que cetenseignement puisse être introduit dans toutes les Écoles de droit, dans lesFacultés, et même dans plusieurs institutions d’un ordre inférieur. » M. de Salvandyfit le meilleur accueil à la députation, et il n’a pas dépendu de lui que ces vœuxreçussent une complète satisfaction.Mais revenons à notre débat. C’est vers l’année 1860 qu’il a commencé, et il asouvent figuré à l’ordre du jour de la Société d’économie politique. Quels étaientdonc les arguments de l’opposition ? L’opposition, par parenthèse, n’était guèrereprésentée que par M. Dupuit, ingénieur distingué, bien connu pour la rigueur deson orthodoxie économique[3]. M. Dupuit disait aux économistes : Vous êtesinfidèles à vos principes sur le rôle de l’État en lui demandant de créer des chairesd’économie politique. C’est là une chose d’initiative privée. L’enseignement del’État aurait pour conséquence de créer une science officielle conforme à lalégislation du moment. Dans un pays protectionniste, évidemment les professeursde l’État ne seraient pas libres d’enseigner la liberté commerciale. On ne conçoitpas que l’État enseigne dans une chaire que celui qui prête à plus de cinq pour centcommet un délit punissable de l’amende et de la prison, et dans une autre chaireque cet acte est conforme à la morale et à l’intérêt. Ce qu’il faut à toutes lessciences, à l’économie politique surtout, c’est la liberté de discussion etd’enseignement. D’ailleurs, l’enseignement oral n’a plus la puissance qu’il avaitautrefois ; depuis la vulgarisation de l’imprimerie, le livre, la revue, le journal ontmille fois plus de lecteurs que les chaires officielles n’auraient d’auditeurs. Il ne fautpas repousser le concours de la parole, mais il est bien moins puissant que lapresse.À cela les économistes répondaient que les professeurs d’économie politiqueavaient joui, en fait, de la plus grande liberté, et n’avaient nullement été empêchésd’enseigner la liberté commerciale et la liberté du taux de l’intérêt. Sans doute, sil’enseignement se répandait dans les divers établissements de l’État, il faudrait desprogrammes, mais les programmes ont simplement pour but d’indiquer quellesmatières le professeur doit traiter, et non de quelle manière on doit les traiter. Unprofesseur qui sait son métier, et à la condition qu’il se tienne sur le terrainscientifique, peut tout dire. Le danger d’une doctrine officielle sera d’autant moins àcraindre que les professeurs seront plus nombreux. À tout prendre, d’ailleurs, lesadministrations ont généralement été plus libérales en matière économique quel’opinion et les partis politiques de toute nuance. Enfin, concluait notamment JosephGarnier avec infiniment de raison, si le Gouvernement n’enseignait rien, il ne nousconviendrait pas de lui demander qu’il eût à enseigner l’économie politique ; maispuisqu’il enseigne tout, qu’il a des écoles de tous les degrés, primaires,secondaires, supérieures, nous trouverions bon qu’il fit aussi enseigner l’économiepolitique[4].Je n’ai pas à examiner ici la question de savoir si l’enseignement rentre dans lesfonctions de l’État. Des économistes très orthodoxes pensent que oui. D’ailleurs,c’est une question qu’il ne faut pas envisager d’une façon purement théorique, maiseu égard à tel ou tel État. Est-ce sérieusement qu’on vient nous dire quel’enseignement donné par l’État a nui au développement des sciences ? On ne sefait pas faute de répéter qu’on ne veut ni de l’enseignement de l’Université, ni del’enseignement des Jésuites. On s’imagine peut-être que le libre enseignement eûtpris la place de l’Université. S’il était permis de faire des expériences de ce genre,et qu’un beau jour on déclarât qu’il n’y a plus d’Université, que chacun est libred’enseigner ce qui lui plaît, on verrait quel désarroi général en résulterait.III.
Quel que fût le mérite des professeurs qui les occupaient , deux ou trois chaires àParis ne constituaient pas une organisation de l’enseignement de l’économiepolitique. Un nouveau débat s’éleva donc lorsqu’il s’agit de lui faire une plus largepart dans les établissements d’instruction publique. Où fallait-il placer cetenseignement ?Il en a été de cette question un peu comme de la précédente : il n’y a pas eu dedivergence d’opinion bien considérable, de dissentiment bien profond ; un courantirrésistible portait vers les Facultés de droit, ce qui s’explique par des raisonsd’ordre différentes. C’est, en premier lieu, le rapport étroit qui existe entre le droit etl’économie politique. Ce rapport, ceux-là seuls peuvent le nier qui n’ont pas unenotion claire de l’une ou de l’autre de ces sciences, sans compter ceux qui ignorentl’une et l’autre. C’est ce rapport qui explique comment des jurisconsulteséconomistes ont pu avoir la pensée de n’admettre l’économie politique à la Facultéde droit que comme accessoire d’un autre enseignement, du cours de droitadministratif, par exemple, ou du cours de droit commercial, ou d’un cours de droitnaturel, en supposant que ce dernier enseignement eût existé. Je crois quel’économie politique méritait mieux que cela, et que le voisinage eût été fâcheux àcertains égards.Une autre raison, qui tient moins au fond même des choses qu’à l’organisation denotre enseignement supérieur, peut se résumer ainsi : à l’École de droit l’économiepolitique, ou, pour parler plus exactement, le professeur d’économie politique aurades élèves ; ailleurs, à la Faculté des lettres ou à la Faculté des sciences, il n’auraque des auditeurs. Mais, élèves ou auditeurs, qu’importe ? Cela importe fort, parcequ’il y aura dix fois plus d’élèves ici que d’auditeurs là-bas. Qu’à cela ne tienne, dit-on, nous obligerons les élèves de la Faculté de droit à aller suivre le coursd’économie politique de la Faculté des lettres. Je réponds qu’il est bien plus simpleque le professeur d’économie politique vienne à la Faculté de droit faire son cours,faire passer des examens.Et c’est bien cela, ce n’est pas une simple habitude de langage : la Faculté de droits’appelle l’École de droit, parce qu’il y a là des écoliers, des élèves ; pour lesFacultés des lettres et des sciences, on ne dit pas l’École des lettres, l’École dessciences, parce que, en effet, elles n’ont pas d’élèves. Cela était absolument vrai ily a vingt-cinq ans, lorsque la question dont s’agit était discutée. Depuis on a créédes élèves à ces Facultés : des jeunes gens qui se préparent à la licence ou àl’agrégation ; mais, à part quelques grands centres, tels que Lyon, par exemple,cela ne fournit pas un personnel d’élèves bien considérable. Il faut encore noter que,si vous placez l’économie politique à la Faculté des sciences ou à la Faculté deslettres, en rendant ce cours obligatoire pour les élèves de l’École de droit, encorefaudra-t-il que ces différentes écoles se trouvent réunies dans la même ville ; et iln’en est point ainsi partout. Lille, Clermont, Besançon, ont une Faculté des scienceset une Faculté des lettres, et n’ont pas d’École de droit. D’ailleurs, qu’entend-on parcours d’économie politique fait, soit à la Faculté des lettres, soit à la Faculté dessciences ? J’ai l’honneur de faire depuis quinze ans un cours d’économie politiqueà la Faculté des sciences de Marseille : cela signifie tout simplement que ce coursest annoncé sur l’affiche des cours de la Faculté ; que la Faculté met à madisposition son grand amphithéâtre, son luminaire, un appariteur, mais personne neconsidère ce cours comme faisant partie intégrante de l’enseignement scientifiquequi se donne dans ce grand établissement. Il en est tout autrement à la Faculté dedroit.En somme, la proposition de placer le cours d’économie politique soit à la Facultédes sciences, soit à la Faculté des lettres.ne me paraît pas avoir été prise en considération. Les amis de la scienceéconomique doivent s’en féliciter, comme aussi de ce que l’économie politiquefigure parmi les matières d’examen. Il ne faut pas seulement voir dans l’examen unesanction à l’adresse des mauvais élèves ; il est une continuation du cours, del’enseignement. Lorsque le professeur se trouve en présence d’un bon élève,laborieux, attentif, et qui ne répond cependant pas d’une manière satisfaisante lejour de l’examen, il peut y avoir là l’indice d’une modification à apporter dans lamanière de présenter telle ou telle théorie. L’examen est bon pour le maître et pourl’élève ; si les bons maîtres font les bons élèves, il est aussi vrai que les bons élèvesfont les bons maîtres, et qu’on apprend en enseignant.Aurait-on pu résoudre le litige entre les trois Facultés par un partage ? « La théoriede la répartition appartient au groupe des sciences juridiques. Les législationsciviles, commerciales ou pénales, en tant qu’elles s’occupent des biens, ne sontque les applications des principes de la répartition. C’est la seule branche de
l’économie politique, à vrai dire, qui se rattache directement à l’enseignementdonné dans les Facultés de droit. Les trois autres trouveraient mieux leur placedans les Facultés des lettres et des sciences[5]. » Ainsi s’exprime M. Charles Gide.Que mon excellent collègue de Montpellier ait voulu marquer ainsi, en l’accentuant,le caractère distinctif des diverses parties de la science économique, je n’ycontredirai pas absolument ; mais je repousserais la proposition d’undémembrement en trois cours faits dans des établissements différents : 1° à laFaculté des lettres, un cours comprenant la théorie de la richesse et de la valeur ; 2°un cours de production et de consommation de la richesse, à la Faculté dessciences ; 3° un cours de répartition de la richesse, à la Faculté de droit. Je préfèreencore la prévision de M. Gide, qui, après avoir constaté qu’il y a là trois sciencesdistinctes, entrevoit le jour où « elles se sépareront complètement du tronc communet vivront de leur propre vie. » Soit ! mais ce tronc sortira apparemment de terredans la même Faculté, quelque chose comme la Faculté des sciences camérales,comme elle existe, ou du moins telle que je l’ai connue à l’Université de Tubingue .VIJusqu’à un certain point, la question  est secondaire ; ce qu’il importe, c’est desavoir par qui et comment elle sera enseignée ? Bien que ces deux dernièresquestions semblent étroitement connexes, je demande la permission de lesexaminer séparément. Par qui donc convient-il que l’économie politique soitenseignée ? Ici, nous nous trouvons tout d’abord en présence de formules qui vontde l’optimisme le plus accommodant au pessimisme le plus décourageant.L’économie politique ayant été introduite dans les Facultés de droit, c’est à desprofesseurs de ces mêmes Facultés, agrégés ou titulaires, que son enseignementa été confié. Là-dessus, une voix s’est élevée, des plus autorisées, pour signalerles périls qu’une pareille mesure faisait courir à la science. M. Courcelle-Seneuil adressé contre les jurisconsultes, professeurs d’économie politique, un acted’accusation en forme ; il leur oppose une sorte de fin de non-recevoir tirée de leurshabitudes d’esprit, qui les rendraient incapables de comprendre et d’enseignerl’économie politique. Il vient de passer en revue les adversaires de cette science ; ila nommé les socialistes et les philosophes éclectiques ; il poursuit : « Les légistesn’ont pas fait à l’économie politique une guerre aussi décidée ; un certain nombred’entre eux l’ont même étudiée et enseignée. Mais ils n’ont pu se défendred’apporter dans cette étude et cet enseignement les habitudes d’esprit acquisesdans leurs études antérieures. Ils se sont souvent attachés aux mots en négligeantles choses, et ont abusé de la subtilité qui fait si souvent dégénérer leurs travaux encasuistique. En un mot, au lieu de la traiter comme une science d’observation, ilsl’ont traitée comme un texte livré aux controverses, de telle sorte qu’ils ont peut-êtreplus nui à sa diffusion que ses adversaires déclarés[6] »Avant d’examiner de plus près ce jugement, il me semble qu’on ne peut s’empêcherde le trouver bien sévère, empreint d’une exagération évidente, inspirée, j’en suispersuadé, par l’ amour de la science. C’est ce même sentiment qui dictait à Bastiatune appréciation diamétralement opposée : « Qu’on enseigne l’économie politiquecomme on voudra, où l’on voudra, et que l’on choisisse qui l’on voudra pourl’enseigner, même le plus ignorant des hommes, même le moins disposé à pensercomme les économistes, le résultat sera toujours excellent pour tout le monde ; carle professeur, nouveau dans la science, étudiera nécessairement les questions, etnécessairement il se rendra à l’évidence de ses lois, comme celui qui suit dedéduction en déduction des théorèmes géométriques. »J’avoue que ma préférence est pour le jugement tempéré qu’a porté sur cettequestion un homme dont on ne peut mettre en doute la sincérité et l’amour de lascience, Joseph Garnier. M. de Laveleye lui avait écrit pour réclamer contre lamanière inexacte dont le Journal des économistes avait résumé le discours par luiprononcé au banquet des économistes, à Rome, en janvier 1873. A ce propos, ilexposait les divergences qui existent entre l’économie politique orthodoxe et lanouvelle école, et il arrivait à cette conclusion que le courant portait irrésistiblementvers la nouvelle école ; que l’orthodoxie n’était plus nulle part, et, passant en revueles conquêtes de la nouvelle école : « En France, disait-il, plusieurs des nouveauxprofesseurs d’économie politique nommés dans les Facultés de droit sonthérétiques. » Joseph Garnier reproche à M. de Laveleye de grossir outre mesure lebataillon des néo-économistes, et notamment d’y faire entrer les nouveauxprofesseurs des Facultés de droit. « À ce propos, dit-il, nous nous bornerons à faireremarquer à notre malicieux correspondant que la moitié de ces professeurs, ceux
qui savent leur affaire, viennent de la vieille école, et que les autres sont entraind’apprendre ce qu’ils doivent enseigner dans les livres de la vieille école[7]Examinons maintenant la valeur de cette fin de non-recevoir : votre éducationscientifique, vos habitudes d’esprit vous rendent incapables de comprendre etd’enseigner l’économie politique. Sur quoi se fonde-t-on pour prononcer cettecondamnation, j’allais dire cette proscription ? En quoi consistent ces habitudes quiauraient irrémédiablement faussé l’intelligence, comme certains tratravaux travauxphysiques qui imposent à un jeune corps l’effort constant d’une altitude pénible etcontre nature, lui infligent une déformation définitive ? On vient de nous le dire :l’abus de la subtilité dégénérant en casuistique ; l’habitude de ne s’attacher qu’auxmots et non aux choses, de ne rien comprendre en dehors d’un texte à interpréter.Ailleurs, confondant dans une même réprobation les théologiens et lesjurisconsultes : « Ils ne reconnaissent d’autre autorité que la tradition , où ils puisentla science absolue, complète. Ne leur a-t-on pas enseigné qu’ils savent le derniermot du bien et du mal ? D’une part, la Bible, les Pères, les décrets des papes etdes conciles ; d’autre part, le Corpus juris et le Code civil contiennent tout ce qu’ilest utile de savoir. Hors de là, il n’y a qu’erreur et mensonge, ou, tout au plus,fantaisie personnelle plus ou moins ingénieuse, opinion plus ou moinsprobable[8]. »Est-ce bien là le tableau fidèle de l’activité intellectuelle d’un jurisconsulte quienseigne le droit ? Est-il vrai qu’il se renferme dans le commentaire d’un texte, etque, pour expliquer ce texte, en saisir l’esprit, en mesurer la portée et lesconséquences, il n’a besoin d’aucun secours étranger ? Pour quiconque sait un peuce qu’est, ce que doit être l’enseignement du droit, ces assertions ne supportentpas un seul instant l’examen. À l’École de droit, on n’explique pas seulement lestextes, la législation ; on enseigne la science du droit. Cette science pourrait trèsbien être enseignée sans le secours des textes : ce serait un cours de droit naturel.On enseigne le droit à propos des textes qu’on ne se borne pas à commenter, àparaphraser, mais qu’on juge et critique, dont on dit qu’ils sont ou non conformes audroit. On a dit : il n’y a pas de droit contre le droit ; on a opposé le droit à la légalité,en abusant peut-être un peu de cette formule ; tout cela signifie simplement qu’uneloi peut être mal faite, mauvaise, contraire au droit, ce qui n’empêche pas qu’unemauvaise loi doit cire obéie tant qu’elle n’a pas été abrogée.On parle du Corpus juris et du Code civil comme d’un formulaire, d’un codex oupharmacopée, qu’il suffirait de se loger dans la mémoire. La science du droit et laconnaissance de la législation sont à plus haut prix. Derrière les textes, il y al’histoire du droit, la philosophie du droit. Sans, compter les cours d’histoire dudroit, le cours du droit constitutionnel, où évidemment on n’a pas seulement dostextes à commenter, il n’y a pas, dans notre législation un principe, qui n’ait plus oumoins ses racines dans le passé. Le droit a une origine essentiellementcoutumière, et, pour le comprendre, il faut savoir dans quelles circonstances cettecoutume s’est formée. On oppose l’économie politique, science d’observation, àl’étude du droit qui serait une pure affaire de textes à élucider. Cette oppositionn’est pas fondée. Le droit, qui précise, détermine, régit les rapports des hommesvivant en société, suppose la connaissance du milieu social, des passions et desintérêts qui s’y heurtent. N’y a-t-il pas là matière à observation ? Que sera-ce s’ils’agit d’abroger ou de modifier une loi dont il aura fallu constater les dangers,l’inutilité ou l’insuffisance. Quelle finesse d’observation une pareille tâche neréclame-t-elle pas de la part du jurisconsulte et du législateur. Il est vrai qu’onqualifiera cette finesse de subtilité. Pareillement, la loi ne dispose qu’en termesgénéraux, et ne saurait prévoir l’infinie variété des cas auxquels elle seraapplicable. C’est l’affaire du jurisconsulte de mettre la loi en lumière par l’examende cas nombreux, compliqués, et de montrer que des cas en apparencesemblables diffèrent par quelque point de fait et ne tombent pas sous l’applicationde la même loi. Ex facto jus hauntur… minima differentia facti maxima differentiajuris. On appelle cela avec dédain de la casuistique.Mais qu’ai-je besoin de m’évertuer pour démontrer à mon savant contradicteur quel’enseignement du droit ne se borne pas à la stricte explication des textes ? Dansune excellente réponse à l’article de la Gazette des Tribunaux que j’ai cité plushaut, il combat la manière étroite dont l’auteur de cet article entend l’enseignementdu droit, lequel n’aurait pour but que de former les praticiens. « L’enseignement dudroit, dit M. Courcelle-Seneuil, est destiné, ce nous semble, à former desjurisconsultes qui connaissent non-seulement le texte des lois et la manière de lecomprendre et de l’interpréter, mais encore sa raison d’être et un idéal au delà, aumoyen duquel ils puissent s’éclairer pour la solution des cas nouveaux et difficiles.L’enseignement du droit est destiné en outre à former des gens capables de
« comprendre et de discuter des lois au point de vue législatif. » Et plus loin, aprèsavoir constaté que le Code civil ne contient aucune doctrine sur le droit depropriété. « Il est évident d’ailleurs que la théorie de la propriété ne peut se trouver,dans un texte de loi, car la loi, bien qu’inspirée par une doctrine, n’a pas às’occuper de doctrine ; elle ordonne ou défend. C’est au jurisconsulte qu’ilappartient de posséder et d’enseigner, au besoin, la doctrine, chose impossible s’ilse limite à l’étude du texte des lois, comme le veut notre contradicteur[9]. »On ne saurait mieux établir la distinction entre la connaissance de la législation et lascience du droit. Les textes, voilà la législation. La doctrine, la théorie, la raisond’être de la loi, l’idéal de la loi, voilà la science du droit. Ce que M. Courcelle-Seneuil dit du droit de propriété s’applique plus ou moins à toutes les matières, quisont à la fois objet de la législation et objet de la science du droit. Du même coup,mon savant contradicteur a tracé le portrait du jurisconsulte chargé à la foisd’interpréter le texte de la loi et d’enseigner la science du droit. En vérité, il mesemble que ce personnage n’a pas de si mauvaises habitudes d’esprit.On n’oppose une fin de non-recevoir péremptoire aux jurisconsultes, auxprofesseurs des Facultés de droit, que pour arriver à cette conclusion, qu’il fautconfier l’enseignement de l’économie politique à des économistes. Quoi de plusnaturel, dira-t-on ? La chose n’est pas aussi simple qu’elle le paraît. Qu’est-ce, eneffet, qu’un économiste ? Mais, apparemment, c’est celui qui sait l’économiepolitique et qui est ou se croit capable de l’enseigner. J’éprouve ici quelqueembarras , et je ne voudrais pas qu’on me supposât l’intention de maltraiter leséconomistes pour la plus grande satisfaction des jurisconsultes, d’autant mieux queje suis autant l’un que l’autre, ou, si l’on aime mieux, aussi peu l’un que l’autre. Jepréfère laisser la parole à M: Courcelle-Seneuil, dont le témoignage ne saurait êtresuspect, et qui va nous expliquer l’embarras dans lequel se serait trouvé le ministrede l’Instruction publique, s’il avait dû ne charger que des économistes del’enseignement de l’économie politique. M. Courcelle- Seneuil applaudit àl’introduction de l’économie politique dans les Facultés de droit ; « mais, ajoute-t-il,aujourd’hui le Gouvernement se trouve placé en face d’une difficulté très sérieuse,celle d’organiser cette branche d’enseignement. En premier lieu, il lui faut choisirou, plus exactement, trouver des professeurs. S’il les cherche parmi les agrégésexclusivement, il aura peu de chance de les rencontrer, et nous doutons que, mêmeen sortant de ce cercle fort étroit, il parvienne à pourvoir convenablement toutes lesÉcoles de droit tant les sujets capables sont actuellement rares[10]. » Ailleurs, M.Courcelle-Seneuil est plus explicite encore ; il déplore le triste état dans lequel lascience est tombée : « En fait, dit-il, l’économie politique ne compte plus, enFrance, qu’un petit nombre d’adeptes, très inférieur à celui qu’on y rencontrait il y acent ans. Ce petit nombre n’a même ni la foi, ni la vie qui animait sesprédécesseurs ; il reçoit l’enseignement de seconde main, avec distraction, sansêtre convaincu. » Plus loin, après avoir parlé des erreurs ou des imperfectionsqu’on rencontre dans Quesnay, Turgot, Adam Smith, J.-B. Say, Malthus et Ricardo :« Tous ceux que nous venons de nommer sont des maîtres ; que dirons-nous desvulgarisateurs, et de ceux qui ont aspiré, non à propager où à agrandir la science,mais à prendre le titre d’économiste et à en tirer profit ? En effet, nous en sommesvenus à ce point qu’il n’est pas nécessaire de connaître le premier mot de lascience pour prendre le titre d’économiste[11]. »Eh bien, je le demande : quel n’eût pas été l’embarras d’un ministre de l’Instructionpublique qui, s’étant adressé à une autorité aussi compétente que M. Courcelle-Seneuil, en aurait recueilli de pareils renseignements sur les économistes, parmilesquels il se proposait peut-être de choisir des professeurs d’économie politiquepour nos Facultés de droit? Je comprends très bien que ce ministre, qui n’était pasnécessairement obsédé par cette idée que l’étude du droit ferme irrévocablementl’esprit à l’intelligence des vérités économiques, ait fait ce raisonnement : Aprèstout, mieux vaut encore charger des agrégés du nouvel enseignement. Le titred’économiste, que chacun prend suivant sa fantaisie, comme on prend celui depubliciste ou d’homme de lettres, n’offre point de garanties par lui-même. L’agrégéest docteur en droit, ce qui est peu de chose, si l’on veut ; mais il a conquis son titred’agrégé, après une préparation laborieuse, dans un concours public qui a pourobjet de constater, non-seulement le savoir, mais encore l’aptitude professionnelle,l’aptitude à enseigner, et cela dans le sens le plus large, à savoir l’aptitude àexposer nettement, méthodiquement une question. Cela est bien quelque chosepour une œuvre de vulgarisation. Le titre d’économiste, dit-on, ne garantit pas lesavoir ; il ne garantit pas davantage l’aptitude à enseigner, et il pourrait bien sefaire qu’un économiste, même un de ceux qui savent un peu d’économie politique,l’enseignât médiocrement[12]. Il est vrai que les épreuves du concours d’agrégationn’ont pas porté sur l’économie politique, mais elles attestent suffisamment que lesagrégés ont l’aptitude à apprendre et à enseigner : ils apprendront l’économie
politique pour l’enseigner ; ils l’apprendront, au besoin, en enseignant. Si ennemiqu’on soit des privilèges de diplôme et d’école[13], il faut reconnaître que lesconcours publics sont encore, en général, le moyen le moins mauvais de constaterl’aptitude professionnelle que réclame l’enseignement.On comprend qu’un ministre de l’Instruction publique eût abrité sa responsabilitéderrière de pareils raisonnements ; qu’il eût évité des compétitions délicates,embarrassantes, des tiraillements ; qu’il ne se soit pas exposé à des mécomptespossibles pour le cas où il aurait voulu absolument mettre partout the right man inthe right place.On voulait donc bien de l’économie politique dans les Facultés de droit, à conditiontoutefois qu’elle y serait enseignée, non par des jurisconsultes économistes, maispar des économistes pur sang. C’est là une opinion qui, à la rigueur, peut sediscuter. Voici qui échappe à toute discussion. On a pensé que des économistesqui viendraient prendre rang parmi les membres de l’Université seraient souilléspar ce contact impur. « L’Université enseignera, ou du moins fera semblantd’enseigner tout ce qu’on voudra. Elle a commencé par enseigner la théologie et ledroit canon ; puis la médecine, le droit civil ; ensuite le grec et le latin. Et toujours lesenfants de l'Alma mater ont été grossir le flot des déclassés et des pensionnairesde l’État, sous une forme ou sous une autre. C’est fatal ; après avoir créé desfonctionnaires, il est logique de leur créer des emplois. L’organe crée les fonctions.Que l’Université enseigne le commerce et l’industrie, ce sera encore la mêmechose. On pourrait lui faire instruire des savetiers, des vidangeurs, qu’elle yconsentirait : l’essentiel pour elle, c’est d’émarger au budget. » Voilà ce qu’on peutlire, sous la signature de M. Rouxel, dans le numéro de février 1886, page 320, duJournal des économistes, dont j’ai l’honneur d’être depuis vingt-cinq ans le trèsfidèle abonné, et depuis plus de trente ans le très assidu lecteur..VIl est permis d’écarter la fin de non-recevoir, et de plaider au fond ; car, en somme,si, malgré la défiance plus ou moins légitime qu’ils inspiraient, ces professeurs dedroit ne s’étaient pas montrés trop incapables d’apprendre et d’enseignerl’économie politique, encore faudrait-il bien reconnaître qu’on avait eu tort, qu’on neleur avait fait qu’un procès de tendance. On ne les a pas précisément condamnés àpriori sur leur simple qualité de jurisconsultes ; on les a condamnés parce qu’ils ontmal enseigné l’économie politique, qu’ils avaient mal comprise, et ce n’est qu’enrecherchant les causes de leur insuffisance, qu’on a cru pouvoir en donner cetteexplication : ce n’est pas étonnant, ce sont des jurisconsultes qui ont contracté dansl’enseignement du droit de mauvaises habitudes d’esprit qui les ont rendusimpropres à l’étude et à l’enseignement de l’économie politique.Soit, dira-t-on : nous laissons de côté la fin de non-recevoir ; mais nous soutenonsque ces jurisconsultes improvisés professeurs d’économie politique ne savaientpas l’économie politique et qu’ils n’ont pu enseigner ce qu’ils ne savaient pas, alorssurtout qu’il s’agissait d’une science si difficile.Il y a là deux griefs : ces professeurs d’économie politique improvisés ne savaientpas l’économie politique ; et c’est une science trop difficile pour qu’ils aient pul’apprendre et se mettre en mesure de l’enseigner du jour au lendemain. Quelquesmots seulement sur chacun de ces griefs.Ces professeurs d’économie politique, pris dans le personnel des Facultés dedroit, n’ont pas été aussi improvisés qu’on veut bien le dire. Lorsqu’il eut été décidéque l’économie politique serait enseignée dans les Facultés de droit, on ne créatout d’abord qu’une seule chaire, à la Faculté de Paris. M. Duruy, alors ministre del’Instruction publique, déclara que des raisons budgétaires l’avaient seulesempêché d’en faire autant dans les Facultés de province, et il faisait appel au zèledes agrégés qui voudraient bien se charger gratuitement d’un courscomplémentaire d’économie politique. M. Duruy ne le dit pas, mais j’imagine que,indépendamment des raisons budgétaires, il fut aussi déterminé par cetteconsidération qu’il eût été difficile de trouver dans chaque Faculté un professeurprêt à monter en chaire du jour au lendemain. L’appel aux hommes de bonnevolonté n’avait pas le même inconvénient. Mais, dira-t-on, c’était bien le cas denommer des économistes ! Je me suis suffisamment expliqué sur ce point ;j’ajouterai seulement ici que, parmi les économistes en Vue, on aurait trouvébeaucoup de concurrents pour la chaire de Paris ; bien peu, au contraire, qui
eussent consenti à s’exiler en province. Quoi qu’il en soit, l’appel adressé par leministre aux jeunes professeurs fut entendu, et entendu dans un double sens ;quelques-uns s’offrirent immédiatement, qui s’étaient occupés d’économie politiquedès qu’il avait été question de l’enseigner dans les Facultés de droit ; un bien plusgrand nombre se prépara silencieusement pour le jour, sans doute peu éloigné, oùune chaire serait créée dans chaque Faculté de droit. J’ai connu plus d’un jeunedocteur, agrégé de la veille, qui, saturé de droit civil et de droit romain, s’est reposédes ennuis et des fatigues du concours dans l’étude de l’économie politique et y apris un plaisir extrême.J’arrive au second grief que j’ai relevé ci-dessus. Je suis loin (le nier les difficultésque présentent l’étude et l’enseignement de l’économie politique, à laquelle on nesaurait appliquer ce qui, sous une forme un peu paradoxale, a pu être dit dequelques autres enseignements, à savoir qu’il suffît au maître d’avoir vingt-quatreheures d’avance sur ses élèves. Non, on n’apprend pas l’économie politique au jourle jour, comme on l’enseigne. Il faut en avoir parcouru le domaine entier pour ensavoir quelque chose, pour bien savoir, je ne dirai pas l’économie politique, maisce que c’est que l’économie politique ; d’autant mieux que les notions élémentaires,celles qui, dans certaines branches du savoir humain, sont les plus faciles et lespremières qu’on rencontre, sont souvent, dans les sciences morales, les plusdifficiles à bien saisir et n’apparaissent que comme le couronnement tardif delongues études. Il ne faut pourtant rien exagérer, ni dans un sens ni dans l’autre ; etj’ai le regret de rencontrer des appréciations empreintes de cet espritd’exagération qui, suivant la thèse qu’on soutient, présente l’économie politiquecomme très difficile ou comme très facile.La thèse favorite de M. Courcelle-Seneuil est, on le sait, la nécessité de séparerl’étude de la science pure de l’étude des applications. Je suis loin de contester lathèse, mais il m’a semblé que, à l’appui de cette thèse , le savant économiste estentré dans des développements qui l’ont conduit à tracer un tableau quelque peueffrayant des efforts intellectuels auxquels devra se soumettre l’apprentiéconomiste. J’essaie de citer sans tronquer : « L’économie politique a pour objetune partie de l’activité volontaire des hommes, et la science sociale a pour objetcette activité tout entière. Donc, il n’y a point ici de place pour l’expérienceproprement dite : il faut se contenter de l’observation et du raisonnement. L’activitévolontaire de l’homme ! S’il est un sujet complexe, difficile à étudier et qui exigel’attention la plus soutenue, c’est assurément celui-ci… Partout, mais surtout enmatière de science sociale et d’économie politique, le penseur se trouve en faced’un sujet obscur, à la contemplation duquel ses yeux ne sont pas habitués… Ensuivant la marche que nous venons d’indiquer (l’analyse rationnelle), et que nouscroyons la meilleure, on a constamment l’intelligence fixée sur les phénomènesréels, sur des faits concrets ; mais il faut qu’elle en écarte tout ce qu’ils contiennentd’accidentel et de contingent, afin de dégager les lois permanentes et universellesqui les régissent. Il faut donc se livrer à un travail d’abstraction constant et à desconceptions hypothétiques assez semblables aux constructions de la géométrieélémentaire. Il faut que les cadres soient assez larges pour comprendre l’ensembledes phénomènes et que l’analyse soit assez patiente pour les examiner dans tousleurs aspects successifs. Si l’on veut mener à bien ce travail délicat et difficile, il estindispensable de négliger et d’oublier même toutes les questions d’application,toutes les discussions contemporaines, afin d’interroger la nature face à face,sincèrement, sans arrière pensée, et d’accepter d’avance ses réponses quellesqu’elles puissent être. La plupart des économistes n’ont pas songé ou ne se sontpas résolus à prendre ce parti. De là des discussions nombreuses, souventconfuses, trop souvent inutiles, relevées directement par les adversaires… C’estdire assez que l’étude de l’économie politique pure sera longtemps, sinon toujours,accessible seulement à un petit nombre d’esprits cultivés, qui y trouveront desconvictions inébranlables[14]. » Voilà certainement un programme, un plan d’étudequi donnera à réfléchir à quiconque serait tenté de se livrer à la recherche de lavérité économique.Voici maintenant une thèse un peu différente. On a exprimé la crainte qu’il soitdifficile de trouver assez de professeurs capables, et on se hâte d’ajouter : « Nonpas qu’on doive pousser l’exigence bien loin, aussi loin, par exemple, que s’ils’agissait d’enseigner la physique ou la chimie, et vouloir que les professeursconnaissent l’économie politique. On apprend cette science, comme toutes lesautres, quand on l’étudié, et il n’est ni impossible ni même difficile de l’apprendreen enseignant[15]. »Ailleurs, pour aggraver le reproche adressé aux jeunes professeurs d’économiepolitique des Facultés de droit, de n’avoir pas exposé convenablement leur sujet,on leur fait observer que rien n’eût été plus facile que de se mettre au courant de lascience : « L’exposition qu’on leur demandait avait été faite depuis vingt-cinq ans. Il
était facile de l’étudier et aussi de la perfectionner ; mais encore était-il nécessairede la connaître et de ne pas jeter à l’aventure, dans des discussions plus ou moinsconfuses, des formules et un langage qui ont pu avoir cours en 1835, mais qui sontdepuis longtemps tombés en désuétude[16]. »N’avais-je pas raison de dire qu’on a tour à tour présenté l’économie politiquecomme la plus difficile et comme la plus facile des sciences ? C’est que là il s’agitd’une science nouvelle à édifier par des méditations et des recherches toutespersonnelles ; ici c’est une science toute faite, parfaitement exposée dans deslivres qu’il suffit de lire avec attention..IVTout ce qui précède se réduit, en somme, à des raisonnements sur la question desavoir si telle personne, à raison des qualités d’esprit qu’on lui connaît ou qu’on luisuppose, sera ou non capable de remplir une fonction qu’on va lui confier :enseigner l’économie politique. Les uns ont dit : non ; les autres ont dit : oui. Lesplus sages, à ce qu’il me semble, auraient dû dire : nous verrons bien ! Mais nousvoici à bout de raisonnements ; nous sommes en présence du fait accompli, et ils’agit de juger en fait : comment la fonction a-t-elle été remplie ?C’est là matière à enquête. Cette enquête a-t-elle été faite ? À quel jugement a-t-elle abouti ? Comme procès-verbaux d’enquête je ne trouve guère quel’appréciation par M. Baudrillart et par M. Courcelle-Seneuil[17] de deux ou troistraités élémentaires d’économie politique publiés par quelques-uns desprofesseurs chargés du nouvel enseignement dans les Facultés de droit.Préalablement à toute discussion sur les motifs, je consigne ici les jugements quiont été prononcés. Voici comment s’exprime M. Baudrillart, à la page 185 del’article cité : « Nous estimons que l’enseignement de l’économie politique a été unprogrès dans ce sanctuaire jusqu’alors fermé des études juridiques, et, en jetant lesyeux sur tout ce qu’il a produit, nous avons la certitude qu’il a porté d’excellentsfruits. Nous avons cru pourtant utile d’appeler l’attention sur certaines défaillancesou déviations, du moins sur ce qui nous a paru tel. Nous avons pensé qu’il y auraitquelque chose d’inquiétant dans cet éclectisme qui admet, dans une sorte d’exæquo, la vertu de principes contraires. » Quant au jugement porté par M. Courcelle-Seneuil, il est d’une extrême sévérité, et conforme à ce qu’il avait auguré d’unenseignement de l’économie politique confié à des jurisconsultes. On pourrait, à lavérité, penser que la condamnation prononcée par l’éminent économiste ne frappeque les deux auteurs dont il vient d’apprécier les ouvrages ; il n’en est rien, et cettecondamnation porte beaucoup plus loin, car voici sa conclusion : « Maintenant, sinous comparons le livre de M. Villey à la plupart de ceux qui ont été publiés par sescollègues des diverses Facultés, nous trouvons qu’il ne leur est pas inférieur. Il estmême préférable à tel d’entre eux qui écrit avec plus de prétention et de hardiesse,contient un assez grand nombre d’erreurs positives très grosses, très dangereuseset bien affirmées. En somme, si nous en jugeons par les livres qu’ils ont publiés,nos professeurs d’économie politique agrégés de droit n’ont guère répondu àl’intention du législateur qui a établi leurs chaires… Nous regrettons que la lassitudecausée par des concours qu’ils ont dû subir et par les habitudes d’esprit qu’ils ontcontractées dans leurs études ne leur aient pas permis de se mettre au courant dela science qu’ils ont été chargés d’enseigner[18]. » Ainsi, on le voit : lacondamnation est bien générale, et toujours reparaît l’explication tirée du viceoriginel dont sont infectés les jurisconsultes. Quant aux motifs des deux jugements si contraires dont je viens de reproduire ledispositif, je serai bref. Ce n’est point ici le lieu de s’engager à fond dans unepolémique qui me mènerait trop loin. La bienveillance n’exclut pas la justice ; etl’appréciation bienveillante de M. Baudrillart contient des réserves auxquellesj’adhère plus ou moins complètement, notamment sur la notion môme de lascience, sur l’épargne, sur la rente, sur la liberté commerciale, et plus généralementsur l’intervention de l’État dans l’ordre économique. Parmi les critiques adresséespar M. Courcelle-Seneuil aux deux ouvrages dont il a rendu compte, il y en a sansdoute de fondées. Mais il en est qui reposent sur des subtilités tout au plus dignesd’un jurisconsulte ; quelques-unes me paraissent dépourvues de tout fondementsérieux. Je les relève principalement dans le compte-rendu du livre de M. Villey.M. Courcelle-Seneuil ne veut pas entendre parler de ce qu’il appelle « le postulatd’un droit naturel défini. » Il ne voit que des « artifices de langage » dans ladistinction entre le droit naturel ou idéal et le droit positif ou législation, et cela parce
que chaque école a un droit idéal différent. Il me semble avoir montré plus haut queM. Courcelle-Seneuil n’est pas si opposé que cela à cette distinction. Ellecorrespond d’ailleurs à la distinction qu’il a établie entre la science économiquepure et les applications : le droit positif, les diverses législations ne sont que desapplications plus ou moins heureuses des principes du droit.M. Courcelle-Seneuil ne veut pas qu’on parle de trois facteurs de la richesse : lanature, le travail et le capital. Ce serait là une métonymie bien dangereuse, dit-il. Iln’y aurait, semble-t-il, qu’à substituer au mot facteur le mot élément. Mais là n’estpas le grand mal : « Pourquoi employer cette déplorable locution de capital, dont ona tant abusé ? » Ici qu’on me permette d’opposer M. Courcelle à lui-même : « Lecapital est un élément essentiel de la production… Quelle peuplade sauvage n’a nialiments accumulés, ni vêtements, ni armes, ni instruments de travail ?… Tous lesbesoins de la société sont satisfaits au moyeu d’un capital plus ou moins ancien, etle but de la production actuelle est de réparer les brèches que fait incessamment àce capital la consommation quotidienne… L’idée de produire sans capital nsoutient pas le plus léger examen. Il faut posséder des instruments de travail, lesmatières sur lesquelles l’industrie s’exerce, et tout cela est capital, qu’on en soitpropriétaire ou qu’on l’obtienne parle crédit… Les capitaux, quelle que soit leurforme, sont destinés à la consommation[19]. » Il n’y avait donc pas lieu de tants’élever contre cette déplorable locution de capital et d’en proscrire l’emploi. Quemettrait-on à la place ? Voici, paraît-il, ce que M. Courcelle-Seneuil proposerait :« Est-ce que le capital est un être concret et agissant ? Non, sans doute. Commentcet être de raison pourrait-il se trouver un facteur ? Le facteur, c’est l’hommeagissant d’une certaine façon ou plutôt s’abstenant, épargnant. Pourquoi ne pasconsidérer et désigner l’homme qui épargne et mettre à sa place uneabstraction[20]? » Ainsi, voilà qui est clair, le mot capital n’est qu’une abstraction ;on l’a substitué à la réalité, à savoir : l’homme qui épargne. Qu’on mette doncpartout l’expression homme qui épargne à la place de capital. Eh bien ! après cettesubstitution, je me trouve quelque peu embarrassé par l’interdiction de me servir dumot capital.M. Courcelle-Seneuil n’entend pas non plus qu’on parle de la la terre commeélément de la production. Il ne voit dans la terre qu’une espèce particulière decapital[21], ce dont je ne me scandalise nullement, et voici comment il parle de cesdeux éléments de la production, la terre et le capital ; c’est à propos de larépartition et de la richesse. « L’étudiant comprend ra-t-il mieux ce qu’on lui dira dela répartition ? Voilà qu’on lui parle de partager le produit entre la terre, le capital etle travail ; mais la terre ne produit rien par elle-même que des herbes et des épines,et le capital, quoique l’on dise, ne produit rien non plus. Les socialistes ont doncraison quand ils affirment que le travail produit seul toutes choses et que letravailleur ne reçoit pas la totalité du produit. Il est vrai que le professeur intervient,et met ses élèves en garde par une réfutation ou, pour parler plus « exactement, parune négation des conclusions socialistes[22]. » Nous pourrions, comme tout àl’heure pour le mot facteur, proposer une correction qui consisterait à substituer auxcléments de la production ceux qui les ont fournis, et dire que le produit separtagera entre le propriétaire de la terre, le capitaliste et le travailleur. On ne secontentera pas de cet artifice de langage ; on répondra que les deux premierscopartageants n’ont droit à rien, puisqu’ils n’ont rien fourni : ne vient-on pas, eneffet, de poser en principe l’improductivité de la terre et du capital ? on pourraitrépliquer que le travail seul, sans terre et sans capital, ne produit pas non plusgrand chose ; mais laissons là toute cette logomachie et allons au fond de cettecritique à outrance adressée à la formule de la répartition. Non-seulement cettecritique n’est pas fondée, mais encore elle est dangereuse, car elle dévoile unprocédé compromettant pour la science. Il importe d’analyser et de caractériser ceprocédé.M. Courcelle-Seneuil signale, dans l’ouvrage dont il rend compte, diversesexpressions qui lui paraissent bizarres, et enfin : « Que dire des déshéritésmentionnés à la page précédente ? En quoi consiste l’héritage dont ces déshéritésn’ont pas eu leur part légitime ?… Quand on veut réfuter les socialistes, il ne fautpas parler leur langue, si l’on tient à conserver quelque autorité[23]. » C’est fort biendit ; mais mon savant contradicteur n’a-t-il pas lui-même quelque peu encouru cereproche en proclamant l’improductivité du capital, en reconnaissant que lessocialistes ont raison d’affirmer que le travail produit seul toutes choses et que letravailleur ne reçoit pas la totalité du produit ? Oh ! je sais bien ce qu’on répondra ;on répondra que c’est là une manœuvre habile autant que loyale pour faire tomberles armes des mains des socialistes. Les socialistes disaient : Tout pour letravailleur ! Eh bien ! nous sommes d’accord avec vous ; mais le propriétaire et lecapitaliste qui ont créé et conservé le capital, sont aussi des travailleurs ; ils doiventvenir au partage, et les travailleurs auront ainsi la totalité du produit.
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