Écriture et folie chez E.T.A. Hoffmann - article ; n°24 ; vol.9, pg 7-28
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Description

Romantisme - Année 1979 - Volume 9 - Numéro 24 - Pages 7-28
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

M. Alain Montandon
Écriture et folie chez E.T.A. Hoffmann
In: Romantisme, 1979, n°24. pp. 7-28.
Citer ce document / Cite this document :
Montandon Alain. Écriture et folie chez E.T.A. Hoffmann. In: Romantisme, 1979, n°24. pp. 7-28.
doi : 10.3406/roman.1979.5293
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1979_num_9_24_5293Alain MONTANDON
Ecriture et folie chez E.T.A. Hoffmann
L'image variée et complexe de la folie présente dans les écrits de
Hoffmann, qui a son origine dans la pseudo-culture des sciences de
l'homme et de la nature de son époque, n'en est pas pour autant une
image « médicale ». Certes, Hoffmann connaissait bien les phénomènes
psychopathologiques et les manifestations souterraines de la vie psy
chique, objets d'une fascination angoissée quant à son propre destin.
Mais l'érudition, fragmentaire par ailleurs, n'est visiblement qu'un
moyen de grossir le domaine des accessoires de son théâtre fantastique,
un moyen de signifier autre chose, inscrit en creux dans son discours,
auquel les citations « scientifiques » servent de balises, de points de
repère et de signaux. Il serait donc exagéré de dire comme Borne
que les écrits de Hoffmann sont « un manuel avec de belles images [...]
un Pinel élégant, l'épopée de la folie », car Hoffmann, s'il a lu Pinel,
n'essaye pas d'illustrer un discours médical. Bien au contraire, le
discours médical et la réalité clinique servent de point de départ à
une quête, et en ce sens, on peut effectivement parler d'épopée, celle
de la quête du sens de la folie, inséparable de la question de l'essence
de l'homme et de sa destination l.
L'image que Hoffmann se fait de la folie est liée directement à
la philosophie spéculative du romantisme qui s'efforce d'intégrer
l'irrationalité de notre être et de notre existence dans une synthèse
totalisatrice. La vision de la folie ne peut être dissociée de l'idéologie
romantique dans son ensemble, pour qui la folie est le discours de
ce côté nocturne de l'âme, de cet inconscient qui détermine de façon
quasi magique certains actes et certaines pensées, la face nocturne de
notre moi, c'est-à-dire la part cachée de nous-même, cette part cachée
qui émane de la partie dérobée de notre être et qui se trouve en face
de nous, comme un non-moi, comme la Nature elle-même. La récupé
ration de cette part de nous-même dont nous avons été aliéné et
qu'il faut reconquérir, est une quête dangereuse, puisqu'elle peut tout
aussi bien nous conduire à la perte de notre identité dans la scission
irrémédiable du double, à une sorte d'engloutissement terrible, à cette
« catastrophe de la subjectivité » qui menace tout notre être, ou nous
mener à la réunion avec la Nature, à la réconciliation du moi et du
non-moi, de la nature et de l'esprit, de la beauté, de l'art et du monde, Alain Montandon
mettant fin à l'exil et au déracinement quotidien dont est victime
l'artiste et tout homme épris d'idéal et de « vraie vie ». C'est donc
sous le signe d'une dualité ambiguë que se situe la folie chez Hoffmann,
qui est hanté par les signes cliniques de la possession et de l'aliénation
auquel le magnétisme animal donnait une singulière actualité. Plutôt
que de revenir sur les interprétations et les théories bien connues
de l'époque, il me semble plus intéressant de replacer la vision que
pouvait avoir Hoffmann de la folie dans la problématique générale
du romantisme, démarche justifiée par le fait que les spéculations
médicales nous apparaissent comme un cas particulier d'une idéologie
spéculative qui a donné au discours scientifique ses concepts, sa
démarche et sa justification. La folie est d'ailleurs souvent présentée
moins comme un cas singulier et isolé que comme l'expression privi
légiée et ambiguë de notre destinée, signe de notre accomplissement
ou menace fatale de destruction.
Dans cette perspective, la folie est à l'image de ce qui parle en
l'homme et le dépasse, comme dans l'ivresse, l'amour, le rêve (défini
comme un « état de délire »), etc., états particuliers qui ont pour
origine l'enthousiasme.
L'enthousiasme est en effet, avec sa face passive héritée de la
rêverie sentimentale et sa face active héritée du Sturm und Drang,
une des attitudes les plus fondamentales du romantisme. Suivant son
etymologie, elle est la marque du dieu qui habite en nous, le sentiment
sublime de la présence de l'infini qui nous inspire et nous enivre.
Comme « folie divine », l'attitude enthousiaste est le signe de l'irr
ationalité vivante et féconde au sein de l'humanité. Que ce soit dans
la tradition platonicienne, plotinienne, dans celle de la mystique baro
que ou piétiste, l'enthousiasme est un état d'abord contemplatif proche
de l'extase2. Mais, ainsi qu'on peut le voir dans la conception antique
et plus particulièrement celle de Platon qui a profondément marqué
les idées de la Frilhromantik, au premier moment de la passivité qui
correspond à l'écoute de l'Autre voix, succède un état actif, créateur,
dans lequel l'Autre prend notre place, nous possède et parle un langage
prophétique et inspiré, indissociable d'une ivresse aussi bien corporelle
que spirituelle 3. L'enthousiasme extatique est à l'image du rapt diony
siaque, source de vie et de mort, d'unité et de morcellement et qui
est — ainsi que le pensent Herder et les romantiques — à la source
de toute poésie4.
Cette idée d'un art créateur, d'une écriture enthousiaste, a été
— dès Hamann et Herder — contemporaine d'une réhabilitation des
forces obscures, des passions et des instincts avec la théorie du génie,
c'est-à-dire de l'individu exprimant l'inconscient collectif de son peuple.
Pourtant, dès le début du romantisme (et en particulier chez les héri
tiers de Sterne comme Jean-Paul), l'enthousiasme, soit parce que l'on
s'y livre d'une façon immodérée, soit parce qu'il trahit la faiblesse
de la sensibilité, soit enfin parce qu'il exprime la volonté illégale du
rebelle de forcer la nature et la divinité à parler, n'est pas sans provoquer
des réactions de crainte et de rejet. Le caractère ambivalent de cette
attitude où inspiration et aliénation se côtoient d'une manière étra
ngement proche, a été perçue avec beaucoup d'acuité par les romantiques Ecriture et folie chez E.T.A. Hoffmann
qui ont opposé au mouvement de l'immédiateté le recul d'une ironie
à la fois distante et participante5.
L'enthousiasme est d'abord — s'il réussit à trouver son propre
équilibre en s 'alliant avec la raison — le principe des arts et des
sciences (pour reprendre une expression de F. Schlegel). Il témoigne
de l'unité du sentiment et de la pensée, et dans la théorie de l'idéalisme
magique de l'union du moi et de la nature : la découverte de l'identité
du moi est aussi celle de l'infinité du moi par laquelle nous est donnée
l'infinité de la Nature et de l'Esprit. Ce moment de l'enthousiasme
qui est une sorte de retour à l'âge d'or dans lequel particulier et totalité,
nature et esprit, etc. se trouvent réunis, a été appelé par Schubert
« moment cosmique », pour désigner « ces instants où notre être se
trouve en harmonie la plus intime avec toute la nature extérieure...
ceux de la plus grande volupté » 6. Dans ces instants, la plus grande
volupté côtoie la plus grande souffrance. L'homme romantique est
semblable à ce danseur sur la corde évoquée par Hoffmann dans
l'Eglise des Jésuites :
« L'on marche sur une ligne étroite au-dessous de laquelle s'ouvre un
abîme; on plane hardiment au-dessus de lui, tandis qu'une fascination
diabolique fait apercevoir au fond du gouffre précisément ce qu'on voulait
contempler au-delà des étoiles!...»7.
Si le romantique est l'infini, l'enthousiaste, mime de l'infini, est
pénétré par lui avec douleur et volupté comme le mystique l

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