CHAPITRE 1. Guerre entre les visigots et les bourguignons après la mort du roi Euric. Clovis la cinquième année de son règne, se rend maître de la portion des ...
Histoire critique de l'établissement de la monarchie
française dans les Gaules
par M. l’abbé Dubos
Livre quatrième CHAPITRE 1
Guerre entre les visigots et les bourguignons après la mort du roi Euric. Clovis la
cinquième année de son règne, se rend maître de la portion des Gaules que tenait
Syagrius.
Nous avons déjà dit qu’Euric roi des visigots ne mourut que trois ans après
l’avènement de Clovis à sa couronne, et environ sept ans après la paix ou la
trêve qui se fit dans les Gaules vers l’année quatre cent soixante et dix-sept. Il
est très vraisemblable que cette cessation d’armes de quelque nature qu’elle pût
être, aura duré jusqu’à la mort d’Euric. Tant que ce prince aura vécu, les Gaules
seront demeurées tranquilles. Si d’un côté, les autres puissances de ce pays
avaient assez de force pour se défendre, et pour faire perdre au roi des visigots
l’espérance de les subjuguer ; d’un autre côté, elles n’étaient point en assez
bonne intelligence pour faire une ligue offensive contre lui. La crainte d’Euric
était même peut-être, la seule chose, qui empêchait ces puissances de faire la
guerre l’une contre l’autre. Il ne reste du moins dans les monuments de
l’antiquité aucun indice qu’il se soit donné des batailles, ni fait des sièges dans
les Gaules depuis la pacification de quatre cent soixante et dix-sept, jusqu’à la
mort d’Euric arrivée vers quatre cent quatre-vingt-quatre. La mort de ce prince
délivra tous ces potentats de la crainte des visigots, parce que son fils Alaric II
qu’il laissait pour successeur, était encore enfant, et hors d’état d’agir par lui-
même. Ils furent donc en liberté après cette mort d’exécuter les projets de
vengeance ou d’agrandissement qu’ils avaient formés, et dont une crainte
commune leur avait fait remettre l’exécution à d’autres temps.
Je crois pouvoir placer dans l’année de la mort d’Euric, ou dans l’année suivante,
celle des guerres des bourguignons contre les visigots, durant laquelle les
premiers conquirent sur les autres la province marseillaise. Cette province n’est
pas une des dix-sept qui se trouvent dans la notice des Gaules ; au contraire
Marseille, loin d’avoir une province à qui elle donnât son nom dans le temps que
cette notice fut rédigée, était elle-même une des cités de la viennoise. Je crois
donc que Grégoire de Tours, lorsqu’il dit que cette province marseillaise
appartenait aux bourguignons en l’année cinq cent, parle le langage de son
temps, et qu’en s’exprimant ainsi, il s’est conformé à la division de la viennoise
qui s’était faite sous les successeurs de Clovis.
Cette province se trouva partagée sous le règne de ces rois en plusieurs autres
petites provinces, dont une portait le nom de province marseillaise. Elle
comprenait outre la cité de Marseille, Aix, et Avignon.
Il est certain, pour reprendre le fil de l’histoire, qu’Euric roi des visigots s’était
emparé en l’année quatre cent soixante et dix d’Arles et de Marseille qu’il avait
unies à son royaume, et qu’il mourut dans Arles. Les auteurs qui nous
l’apprennent, et qui ont écrit environ un siècle après sa mort, ou n’auraient point
parlé de l’acquisition de Marseille, ou bien ils auraient fait mention de la prise de
Marseille par une autre puissance, si ce prince eût perdu Marseille avant que de
mourir. Il est donc apparent qu’il avait conservé Marseille jusqu’à sa mort, ainsi
qu’il avait certainement conservé Arles. Nous trouvons cependant dans Grégoire
de Tours, que lorsque Clovis fit la guerre aux bourguignons, ce qui arriva en l’année cinq cent, comme nous le dirons dans la suite, les bourguignons étaient
actuellement en possession de la province marseillaise.
Notre historien commence la relation qu’il nous donne de cette guerre par dire :
dans ce temps-là le royaume de Gondebaud et de Godégisile... comme Grégoire
de Tours ne fait ici aucune mention particulière d’Arles, rien n’empêche de croire
que les bourguignons ne tenaient pas cette place en l’année cinq cent ; mais que
les visigots après avoir perdu la province marseillaise, n’avaient point laissé de
conserver Arles, suivant l’apparence, à la faveur du pont que cette ville avait sur
le Rhône, et par lequel elle communiquait librement avec la première
narbonnaise, et les autres contrées, où ils avaient leurs établissements les plus
solides. En effet Arles était encore soumise à leur roi Alaric II quand Césaire fut
fait évêque d’Arles, ce qui arriva vers l’année cinq cent trois. Il est dit dans la vie
de ce prélat qu’il fut accusé par un de ses secrétaires devant le roi Alaric, d’avoir
voulu livrer Arles aux bourguignons, et que ce roi se prévint tellement contre lui,
qu’il fut tiré de son diocèse, et relégué à Bordeaux. Mais l’innocence de Césaire
ayant été reconnue à quelque temps de-là, il fut rappelé, et son calomniateur fut
puni de mort par l’ordre du même prince, qui avait exilé notre évêque. Or je ne
crois pas pouvoir placer mieux la conquête de la province marseillaise faite
certainement par les bourguignons sur les visigots entre l’année quatre cent
quatre-vingt-quatre et l’année cinq cent, qu’en la plaçant durant la minorité
d’Alaric II.
Je suis même persuadé que ce fut durant la guerre qui se fit alors entre les deux
nations, qu’arriva un évènement dont il est parlé dans les opuscules de Grégoire
de Tours. On y lit qu’un corps de bourguignons s’étant avancé jusque dans
l’Auvergne, qui pour lors était sous la domination des visigots, il y pilla l’église de
saint Julien martyr, bâtie à Brioude. Hellidius qui commandait pour les visigots
dans le Velay, arriva comme par miracle à Brioude dans le temps que les
ennemis y étaient encore, et il les défit. Ceux des bourguignons qui purent se
sauver, regagnèrent leurs quartiers, emportant avec eux une partie du pillage
qu’ils avaient fait dans l’église de saint Julien. Quand ils y furent arrivés, ils firent
présent d’une patène et de quelques autres pièces de leur butin au roi
Gondebaud, mais la reine sa femme se les fit donner, et elle les renvoya aussi
bien que tous les autres vases pris dans cette église, et qu’il lui fut possible de
recouvrer, au lieu d’où ils avaient été enlevés. Elle joignit même des présents à
cette restitution, disant au roi son mari, qu’il ne fallait point s’attirer l’indignation
du ciel, à l’appétit de quelqu’argenterie.
Cet évènement doit être arrivé ou avant la paix faite entre Euric et les
puissances des Gaules, ou bien dans la guerre durant laquelle les bourguignons
prirent sur les visigots la province marseillaise. En effet on ne saurait, suivant la
vraisemblance, reculer l’évènement dont il s’agit jusqu’en cinq cent sept que les