PRÉFACE. LIVRE III. — LE ROYAUME UNIQUE. I. - Le gouvernement de David. — II. - Organisation militaire. — III. - Rôle des Philistins dans l'organisation ...
HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL
PAR ERNEST RENAN
TOME DEUXIÈME
PARIS 1891
PRÉFACE.
LIVRE III. — LE ROYAUME UNIQUE.
I. - Le gouvernement de David. — II. - Organisation militaire. — III. - Rôle des Philistins
dans l'organisation d'Israël. — IV. - Guerres de David. — V. - La religion sous David. —
VI. - L'arche à Sion. — VII. — Vieillesse de David. Affaiblissement de son pouvoir. —
VIII. - Mort de David. — IX. - Salomon. — X. - Développement profane d'Israël. — XI. -
Constructions à Jérusalem. — XII. - Le temple. — XIII. - Le culte. — XIV. - Vieillesse de
Salomon. Sa légende. — XV. - Roboam. Dislocation du royaume.
LIVRE IV. — LES DEUX ROYAUMES.
I. - Décadence nationale d'Israël. — II. - Travail littéraire dans le royaume d'Israël.
Idylles patriarcales. — III. - Travail littéraire dans le royaume d'Israël. Récits héroïques.
— IV. - Premier essai d'un iahvéisme moral à Jérusalem. Asa et Josaphat. — V. - La
maison d'Omri. Samarie. — VI. - Prépondérance du rôle des prophètes en Israël.
Progrès du monothéisme. Mosaïsme. — VII. - Élie et Élisée. — VIII. - Règnes d'Achab
et de Josaphat. — IX. - Victoire du prophétisme. Jéhu. — X. - Conception d'une
Histoire sainte. — XI. - Rédaction du Nord, dite jéhoviste. — XII. - Le livre de l'Alliance.
— XIII. - Rédaction de Jérusalem, dite élohiste. — XIV. - Le Décalogue. — XV. -
Amoindrissement profane. — XVI. - Jéroboam II et ses prophètes. — XVII. - Amos et les
prophètes ses contemporains. — XVIII. - Apparition de l'Assyrie dans les affaires
palestiniennes. — XIX. - Le prophète Osée. — XX. - La supériorité religieuse passe à
Juda. Commencements d'Isaïe. — XXI. - Complet épanouissement du prophétisme
en Isaïe et Michée. — XXII. - Agonie du royaume d'Israël. — XXIII. - Prise de Samarie.
— XXIV. - Œuvre générale du royaume d'Israël.
PRÉFACE.
Ce volume renferme la partie que je regarde comme la plus importante dans
l'histoire du judaïsme. Iahvé, le dieu national d'Israël, y subit une complète
transformation. De dieu local et provincial, il devient, par une sorte de retour à
l'ancien élohisme patriarcal, le Dieu universel qui a fait le ciel et la terre. Il
devient surtout un Dieu juste; ce que les dieux nationaux, nécessairement pleins
de partialité pour leur clientèle, ne sont jamais. L'entrée de la morale dans la
religion est un fait accompli : Amos, Osée, Michée, Isaïe, à la date où s'arrête ce
volume, l'ont proclamée en tirades dont la beauté n'a jamais été surpassée.
Au premier abord, le judaïsme semble une religion née avec le monde, ou, pour
mieux dire, qui n'a pas eu de commencement. C'est là une conception bien
erronée. Le judaïsme, comme toutes les religions, a commencé, et il a mis à peu
près quatre cents ans à se constituer. Vers 1000 ans avant JésusChrist, la
religion israélite, ce qu'on a depuis appelé le judaïsme, n'existait pas encore. La
religion de David et de Salomon ne différait pas sensiblement de celle des
peuples voisins de la Palestine. Certes, un œil sagace aurait pu apercevoir dès
lors les germes qui devaient se développer plus tard. Mais, à raisonner de cette
manière, rien ne commence et ne finit nulle part. Les traits de prédestination à
une vocation religieuse qu'on peut entrevoir en Israël, dès l'époque la plus
reculée, ne se dessinent nettement qu'à partir du te siècle avant JésusChrist.
Les prophètes deviennent alors des créateurs dans le sens le plus éminent du
mot. Élie et Élisée sont les représentants légendaires de cette grande révolution.
Puis le mouvement se continue par des hommes que nous touchons en quelque
sorte et dont nous possédons les écrits. En réalité, à l'avènement d'Ézéchias,
vers 725 ans avant JésusChrist, le judaïsme est complètement formé. Ce que
l'époque de Josias, les restaurateurs du temps de Zorobabel, la réforme d'Esdras
y ajouteront, c'est une organisation sectaire d'une merveilleuse solidité.
J'essayerai de montrer, dans le prochain volume, comment s'accomplit cette
œuvre d'organisation, qui fut achevée environ 450 ans avant JésusChrist. Le
judaïsme dès lors résume tout le travail religieux de l'humanité, puisque le
christianisme et l'islamisme n'en sont que des branches latérales. L'œuvre du
génie israélite n'a été vraiment atteinte qu'au XVIIIe siècle après JésusChrist,
quand il est devenu fort douteux pour les esprits un peu cultivés que les choses
de ce monde soient gouvernées par un Dieu juste. L'idée exagérée de Providence
particulière, base du judaïsme et de l'islam, et que le christianisme n'a corrigée
que par le fond de libéralisme inhérent à nos races, a été définitivement vaincue
par la philosophie moderne, fruit non de spéculations abstraites, mais d'une
constante expérience. On n'a jamais observé, en effet, qu'un être supérieur
s'occupe, dans un but moral ou immoral, des choses de la nature ou des choses
de l'humanité. Une forte transposition demande dès lors à être opérée dans
toutes les idées religieuses que nous a léguées le passé; on ne peut pas dire que
la formule, satisfaisante pour tous, en ait encore été trouvée.
Je dois une explication sur les dates courantes que j'ai mises, pour la commodité
du lecteur, au haut des pages. Ces dates, hors celle de la prise de Samarie, ne
doivent jamais être considérées que comme des approximations. La date de la
prise de Samarie est certaine à un an près. Mais toute la chronologie des
événements qui vont de David à la destruction du royaume d'Israël souffre de
graves difficultés, venant presque toutes des fautes que les abréviateurs, les compilateurs et les copistes ont introduites dans les textes hébreux, Il suffit de
faire remarquer que les durées de règne des rois de Juda et d'Israël, depuis la
séparation des deux royaumes jusqu'à la fin de celui du Nord, additionnées
séparément, ne donnent pas le même total. Pour les temps de David et de
Salomon, on estime que l'amplitude de l'erreur peut être de près de cinquante
ans. Nous pensons qu'avec le système de moyennes que nous avons adopté,
l'erreur possible des chiffres proposés au haut de nos pages ne va pas au delà
d'une vingtaine d'années. Pour les derniers événements racontés en ce volume,
l'erreur est bien moindre. Telles qu'elles sont, ces indications chronologiques
fixent les idées, et peuvent aider l'imagination à espacer convenablement la
succession des faits. LIVRE III. — LE ROYAUME UNIQUE
CHAPITRE PREMIER. — LE GOUVERNEMENT DE DAVID.
Le pouvoir de David, définitivement établi roi de Juda et d’Israël, en sa forteresse
de Sion, à Jérusalem, dépassait de beaucoup celui d’un sofet. Tout le monde le
craignait ; un ordre de lui était exécuté de Dan à BeërSéba. Ses
commandements pouvaient paraître très absolus ; mais ils s’étendaient à peu de
chose. Il n’y avait ni religion, ni législation écrite ; tout était coutumier. La vie de
famille fortement constituée chez les sujets enlève beaucoup de soucis au
souverain. Le gouvernement de David peut ainsi être conçu comme quelque
chose de très simple et de très fort. On peut se le figurer sur le modèle de la
petite royauté d’Abdelkader à Mascara, ou d’après les essais dynastiques que
nous voyons, de nos jours, se produire en Abyssinie. La façon dont les choses se
passent à la cour de tel négus, à Magdala ou à Gondar, est la parfaite image de
la royauté de David, dans son millo de Sion. La distribution et le rôle des
fonctionnaires, l’organisation des revenus, la fidélité des serviteurs, le rôle des
écritures, encore assez réduit, offriraient probablement à un voyageur instruit
des choses bibliques qui visiterait l’Abyssinie de curieux rapprochements.
Ce règne, à la fois flexible et fort, patriarcal et tyrannique, dura trentetrois
ans1. David garda sur le trône les qualités qui l’y avaient fait parvenir. Il ne
paraît pas avoir jamais commis de crime inutile ; il n’était cruel que quand il
avait un profit à tirer de sa cruauté. La vengeance, dans ce inonde passionné,
était considérée comme une sorte de devoir ; David s’en acquittait
consciencieusement. Les fondateurs de dynasties nouvelles, quand ils se
trouvent en présence de restes considérables d’anciennes dynasties, sont
toujours amenés à être défiants. Les transfuges des anciens partis qui viennent à
eux excitent chez eux une suspicion bien légitime. Ils sont mieux placés que
personne pour avoir la mesure des fidélités humaines. Pourquoi les convertis
apporteraientils à leurs nouveaux engagements plus de constance qu’ils n’en ont
eu pour les premiers ?
La famille de Saül, quoique très riche encore, était assez abaissée pour que
David pût sans danger se montrer généreux envers elle. Naturellement cette
générosité n’excluait pas certaines arrièrepensées. Dans les premiers temps,
David affecta beaucoup de bienveillance pour Meribaal, le fils boiteux de son ami
Jonathas. Après la mort d’Esbaal, les biens de Meribaal, à Gibéa, avaient été
usurpés par un de ses intendants, nommé Siba. Meribaal vivait indigent dans un
petit endroit nommé Lodebar, au delà du Jourdain, près de Mahanaïm. David lui
1 Les documents sur le règne de David, compilés dans le deuxième livre dit de Samuel,
sont de trois sortes : 1° les notes contemporaines de David même et provenant, si l'on
veut, des mazkir, tels que les courtes notes des chapitres VIII, XXI, XXIII ; 2° un long
fragment d'une histoire écrite avec art et prolixité : c'est le récit de la révolte d'Absalom;
3° des fragments d'une ou deux Vie de David, écrites dans les cercles prophétiques, et
dont les parties les plus modernes paraissent remonter au temps d’Ézéchias. — Pour ce
qui concerne les Chroniques, il en faut user comme de Josèphe. Ce que ces
historiographies modernes ajoutent aux anciens récits des livres de Samuel et des Rois
n’a que peu de valeur. Parfois, cependant, l’auteur des Chroniques parait avoir eu entre
les mains des textes plus complets que ceux que nous avons. fit rendre