Idée messianique, justice et narration chez Walter Benjamin - article ; n°1 ; vol.71, pg 93-109
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Description

Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique - Année 2001 - Volume 71 - Numéro 1 - Pages 93-109
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gilbert Vincent
Idée messianique, justice et narration chez Walter Benjamin
In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°71, 2001. pp. 93-109.
Citer ce document / Cite this document :
Vincent Gilbert. Idée messianique, justice et narration chez Walter Benjamin. In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et
politique. N°71, 2001. pp. 93-109.
doi : 10.3406/chris.2001.2311
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_2001_num_71_1_2311OUVERTURES
Idée messianique, justice et narration
chez Walter Benjamin
Gilbert Vincent *
1. La réception contemporaine de l'œuvre de Benjamin
L'œuvre de Benjamin ne cesse de susciter lectures et interprétations.
Parmi les plus récentes parues en français, et pour preuve de l'intérêt
renouvelé pour cette œuvre, relevons celle d'Isabelle Rieusset-Lemarié :
La société des clones à l'ère de la reproduction multimedia (Actes Sud
1999), dont le titre fait directement allusion à l'étude de 1936 : L'œuvre
d'art à l'ère de sa reproduction mécanisée ; celle de Rainer Rochlitz : Le
désenchantement de l'art - la philosophie de Benjamin (Gallimard 1992),
qui met l'accent sur la théorie benjaminienne du langage et de l'allégorie
- fortement influencée par Schelling - et sur ses réélaborations success
ives, à l'occasion d'études consacrées aux Affinités Électives de Goethe
ou aux écrits de Baudelaire, ainsi que dans le cadre des échanges, aux
effets sensiblement divergents, que Benjamin a entretenus avec Brecht,
d'une part, Adorno, de l'autre. Troisième lecture, elle aussi récente, la plus
étroitement apparentée à notre propre perspective, celle de Fr. Proust :
L'histoire à contretemps - le temps historique chez Benjamin. (Cerf,
1994). Rappelons encore l'important travail de Michael Lôwy, Rédemption
et utopie, consacré au « judaïsme libertaire en Europe centrale »
(PUF, 1988), qui souligne le réseau des correspondances existant entre
l'œuvre de Benjamin et celle de penseurs tels que Buber, Rosenzweig,
* Gilbert Vincent est professeur de philosophie à la Faculté de Théologie Protestante
de Strasbourg (Université Marc Bloch).
93 Gilbert Vincent
Scholem, Kafka, Bloch... Enfin, saluons la réédition toute récente du
texte Origine du drame baroque allemand (Champs, Flammarion, 2000).
L'intérêt pour l'œuvre de Benjamin peut s'expliquer de multiples
manières. Évoquer quelques-unes de ces raisons peut être une façon
commode de rappeler certains traits majeurs d'une œuvre attachante et
singulière.
a) Sans doute le destin tragique de Benjamin contribue-t-il à donner à
son œuvre, comme à sa vie, un relief tout particulier : Allemand juif, né
en 1892, exilé lors de la montée du nazisme (il a alors vécu plusieurs
années en France), Benjamin s'est suicidé en 1944, près de la frontière
espagnole, alors qu'il craignait d'être refoulé en France et livré à l'occu
pant. À certains égards, on peut lire notre rapport à Benjamin à partir de
ce que Gershom Scholem, un de ses plus fidèles amis (l'auteur, en parti
culier, de Walter Benjamin, histoire d'une amitié, Calmann-Lévy 1981),
écrit du rapport de Benjamin à son ami décédé, le poète Heinle, très
influencé par Holderlin : « la mort l'avait rendu intouchable, et cela se
sentait à chaque fois que Benjamin prononçait son nom ».
b) La forme de l'œuvre a elle aussi un caractère assez singulier. Délibéré
ment fragmentaire, elle témoigne d'un refus du système. Celui-ci est
l'envers d'une passion pour la singularité des choses et pour le goût des
descriptions. Il va de pair avec l'apologie de l'enfance : Benjamin aimait
collectionner les livres pour enfants ; l'enfant, à ses yeux, échappe, par le
jeu, à la seule considération de l'utile et du rationnel. Il va également de
pair avec ce rapport d'attention détachée que Benjamin entretenait avec les
gens et les paysages, urbains surtout ; rapport manifeste dans la flânerie,
une manière d'être disponible qui pourtant engage corporellement le sujet.
c) L'œuvre de Benjamin paraît d'autant plus fascinante qu'elle
témoigne du refus de l'excessive spécialisation des études académiques,
rançon ou condition de toute carrière universitaire. Rappelons à ce propos
que Benjamin a payé le prix de son inventivité théorique : son livre le
plus construit, Origine du drame baroque allemand, « conçu en 1 6, com
posé en 25 », a été refusé en tant que thèse d'habilitation. À la suite de ce
refus, Benjamin a dû renoncer à toute ambition universitaire, en Europe
du moins, et bien que Scholem ait tout fait pour décider Benjamin à
accepter une chaire de littérature à Jérusalem et, ceci en vue de cela, pour
le convaincre d'apprendre sérieusement l'hébreu. Benjamin a donc dû
vivre de sa plume. Libre, sans doute ; mais désargenté, et parfois condamné
à vivre dans la plus grande précarité.
d) Libre, Benjamin l'a été, y compris à l'égard des cadres disciplinaires
de la recherche. Si bien que - ce qui peut plaire aux uns mais agacer les
94 Idée messianique, justice et narration chez Walter Benjamin
autres - son œuvre résiste aux classements, ou bien devrait se retrouver
sous des rubriques aussi diverses que l'analyse littéraire, l'histoire de la
littérature, la traduction, la médiologie, la sociologie, la philosophie poli
tique ou l'anthropologie philosophique.
e) D'autre part, Benjamin n'a pu ni ne peut laisser indifférents ceux
pour qui le marxisme ne saurait être identifié à la cause du communisme.
Très tôt, Benjamin s'est élevé contre une telle identification. Non sans
difficultés et scrupules, il est vrai : il faudrait, à propos des différentes
prises de position de Benjamin à l'égard du marxisme et du commun
isme, démêler, comme Michael Lôwy l'a fait, le jeu complexe des
influences de Brecht d'une part, de Horkheimer et Adorno, de l'autre. Il
faut en outre rappeler que l'œuvre de Kafka, que Benjamin a lue et com
mentée assidûment, l'a sans doute fortement aidé à ne pas confondre
défense du peuple et défense des appareils d'État qui prétendent au
monopole du « service du peuple ».
f) Le marxisme même de Benjamin est largement hétérodoxe, ainsi que
suffit à l'indiquer son intérêt pour l'action et l'œuvre de Blanqui, d'après
lequel J. Vallès a dressé le portrait de l' Insurgé. Après Miguel Abensour,
je me permets de souligner l'appréciation toute positive portée par Benja
min à cette sorte de spéculation cosmogonique écrite par Blanqui en pri
son en 1871 (mais Blanqui, durant toute sa vie, aura passé plus de trente
ans en prison !) qu'est L'éternité par les astres. Il s'agit là d'une spécula
tion sur la multiplicité infinie des mondes, sur « les duplicata de
l'infini ». Il s'agit aussi d'une vive critique de l'illusion du progrès : « ce
que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s'éva
nouit avec elle : toujours et partout, dans le camp terrestre, le même
drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante,
infatuée de sa grandeur, se croyant l'univers et vivant dans sa prison
comme dans une immensité... L'univers se répète sans fin et piaffe sur
place. L'éternité (c'est la dernière phrase du livre de Blanqui) joue imper
turbablement dans l'infini les mêmes représentations » (p. 151-152).
Un tel propos est assez consonant avec ce que Benjamin écrit de la
leçon du Trauerspiel, théâtre de l'immanence, drame d'une histoire à
jamais balbutiante et qui ne saurait inspirer autre chose que la plus pro
fonde tristesse, la plus irrémédiable mélancolie. Nul doute que ce texte
n'ait marqué la réflexion, profondément sceptique, de Benjamin sur le
progrès. Ne voir dans l'idée de progrès qu'une vérité locale, qu'une assu
rance grégaire, voilà sans doute qui permet de voir en Blanqui un précur
seur de Nietzsche ; lequel, à son tour, étayera

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