Le débat Tynjanov / Baxtin ou la question du matériau - article ; n°2 ; vol.64, pg 297-322
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Description

Revue des études slaves - Année 1992 - Volume 64 - Numéro 2 - Pages 297-322
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Marc Weinstein
Le débat Tynjanov / Baxtin ou la question du matériau
In: Revue des études slaves, Tome 64, fascicule 2, 1992. pp. 297-322.
Citer ce document / Cite this document :
Weinstein Marc. Le débat Tynjanov / Baxtin ou la question du matériau. In: Revue des études slaves, Tome 64, fascicule 2,
1992. pp. 297-322.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1992_num_64_2_6045LE DEBAT TYNJANOV / BAXTIN
OU LA QUESTION DU MATÉRIAU
PAR
MARC WEINSTEIN
II faut retourner sur le sujet du
discours scientifique les questions qui se
posent à propos de l'objet de ce discours.
Pierre Bourdœu
Le concept de matériau est une catégorie centrale de la réflexion de
Tynjanov sur la littérature ; un simple relevé statistique des occurrences du
mot dans ses travaux suffirait à l'attester. Quant à l'aspect qualitatif, j'antici
perai en disant que l'enjeu du débat n'est probablement ni plus ni moins que la
fondation d'une poétique scientifique.
La situation des études « tynianovologiques » ou, plus généralement, de
celles consacrées au « formalisme russe » est pour le moins paradoxale : le
concept qui nous occupe ici est de première importance, mais les travaux qui
auraient pu l'explorer — pratiquement inexistants1.
À la décharge des chercheurs, il faut reconnaître que la question est d'une
extrême complexité — complexité qui, pour ne rien arranger, s'accompagne
parfois d'une confusion terminologique à laquelle Tynjanov lui-même n'est pas
1 . Voici, sur le formalisme russe, une brève liste d'ouvrages certes fondamentaux,
mais qui ne s'attardent que rarement ou pas du tout à la question : V. Erlich, Russischer
Formalismus, Frankfurt, 1987, p. 209-210 ; Tz. Todorov, « L'héritage méthodologique du
formalisme », in Poétique de la prose, Paris, 1971, p. 9-31 ; id., « Le langage poétique : les
formalistes russes », in Critique de la critique, Paris, 1984, p. 17-37 (Todorov ne mentionne
jamais le concept de matériau) ; K. Pomorska, Russian formalist theory and its poetic
ambiance, The Hague — Paris, 1968, p. 33-37 (le concept est ici à peine effleuré). M. Di
Salvo, Formalisme е storia letteraria, Torino, 1973, p. V-XXXI (la chercheuse italienne ne
mentionne pas le concept). A. A. Hansen-Lôve, Der russische Formalismus, Wien, 1978, cf.
p. 188-197. Voir aussi les actes du colloque parisien de 1981 dans Revue des études slaves,
LV, 1983, 3 (qui n'évoquent notre problème qu'incidemment) ; voir encore les quatre recueils
des Тыняновские чтения (Riga, 1985, 1986 et deux en 1988) qui en parlent mais sans jamais
le prendre à bras le corps en tant que tel ; C. Depretto-Genty, Formalisme et histoire littéraire,
Lausanne, 1986 pour l'introduction) et 1991 (pour l'édition) (la chercheuse nomme une fois le
mot, mais sans s'y arrêter).
Rev. Étud slaves, Paris, LXIV/2, 1992, p. 297-322. 298 M. WEINSTEIN
étranger : notre théoricien met, on le verra, au moins quatre concepts diffé
rents sous le même signifiant de materiál2.
L'objectif est ici d'établir une relative clarté conceptuelle, c'est-à-dire de
comprendre le plus exactement possible la théorie tynianovienne afin de voir,
dans un deuxième temps, si les objections de M. Baxtin (le seul qui se soit
véritablement saisi du problème3) sont ou ne sont pas pertinentes.
1
La logique du propos qui suit découle de l'état des études « tyniano-
vologiques » sur la question : il faudra d'abord exposer les acquis, faire sentir
ensuite toute la part problématique de ce point, esquisser enfin quelques
propositions.
LES ACQUIS
Le premier acquis porte sur la distinction entre principe constructif et
matériau. Comme je l'ai montré par ailleurs4, cette distinction fait science
parce qu'elle permet de sortir de l'ontologie de la forme. La découverte
tynianovienne est particulièrement parlante à notre époque de « texte » et de
« textualité » : contrairement à R. Barthes qui affirme dans sa Leçon
inaugurale au Collège de France que la littérature, c'est un tissu de signifiants,
donc du texte, donc de la langue5 — ceci au prix de contradictions fâcheuses
dont la principale est que la confusion entre littérature et langue empêche
précisément de distinguer entre productions linguistiques littéraires et
productions linguistiques non littéraires — , contrairement à Barthes, donc,
Tynjanov établit que la littérature n'est ni texte ni langue, mais un art qui se
sert de la langue comme d'un matériau. C'est pourquoi la dialectique « prin
cipe constructif / matériau » n'a plus rien à voir avec le dualisme ontologique-
spatial de la forme et du contenu : forme statique dans toutes les conceptions
« textualistes » (de Žirmunskij à Genette), la langue est chez Tynjanov du côté
du matériau, elle est « déformée » par le principe constructif.
2 . Les citations de Tynjanov sont extraites de trois ouvrages principaux et seront
référencées dans notre texte avec l'abréviation correspondant à l'ouvrage, suivie de l'indication
de page ; ПСЯ pour Проблема стихотворного языка, L., 1924 ; ПИЕС pour Пушкин и
его современники, М., 1968 ; ПИЛКроит Поэтика, история литературы, кино, М.,
1977. La pression du dialogue mené également avec des chercheurs non russistes m'a incité à
présenter le travail le plus accessible possible. Ceci explique que toutes les citations soient
traduites en français. Pour le premier ouvrage, je cite la traduction réalisée collectivement chez
10/18 en 1977 sous le titre le Vers lui-même. Pour les deux autres, c'est moi (M. W.) qui
traduis, un peu dans l'esprit d'H. Meschonnic, avec le souci non de l'élégance, parfois génér
atrice de malentendus, mais de l'exactitude conceptuelle.
3. Cf. M. Baxtin, «Проблема содержания, материала и форми в словесном
художественном творчестве » (1924), in : id., Литературно-критические статьи, М.,
1986 ; et sous le nom d'emprunt de P. N. Medevedev, Формальный метод в литературо
ведении : критическое введение в социологическую поэтику, L., 1928.
4 . Cf. M. Weinstein, « L'apport de Tynjanov à la poétique moderne », la Revue
russe, n° 2, 1992.
5. Cf. R. Barthes, Leçon, Paris, Éd. du Seuil, 1978, p. 16-17. LE DÉBAT TYNJANOV / BAXTIN 299
Pendant de nombreux siècles, grammairiens et philosophes n'ont pas cessé
de se poser cette lancinante question : qu'est-ce que la langue ? Ou plutôt : les
sons et les lettres sont-ils une imitation du monde ou une simple convention ?
La réponse est venue de Trubeckoj et ses collègues : en fondant la phonologie,
ils changent radicalement de terrain : la langue n'est faite, dans sa spécificité,
ni de sons ni de lettres, mais de phonèmes et de graphèmes, qui sont des
abstractions efficientes, mais quand même des abstractions. La reconnaissance
de l'abstraction, de la transcendance du signifiant est l'acte de naissance d'une
science : la linguistique.
Depuis de nombreux siècles, critiques et philosophes se posent cette
lancinante question : qu'est-ce que la littérature ? Tour à tour la littérature est
définie comme psychologie (consciente ou inconsciente de l'auteur), comme
sociologie (de l'auteur ou des personnages), comme langue ou texte. Tynjanov,
lui, change radicalement de terrain : en sa spécificité, la littérature n'est faite
ni de psychologie, ni de sociologie, ni de langue ; il découvre le principe
constructif, que l'on pourrait donc appeler constructème6, c'est-à-dire qu'il
reconnaît la transcendance du « littérant » (de la forme littéraire conçue de
manière non plus physique-statique-spatiale-ontologique, mais dynamique-
historique) : cette reconnaissance est l'acte de (re-)fondation d'une science —
la poétique7.
Un deuxième acquis permet d'affirmer que Tynjanov, sans trop en avertir
son lecteur, utilise le terme de matériau au moins en deux sens différents —
double acception sur laquelle nous pourrions fonder une distinction entre
matériau premier (auquel nous laisserons le signifiant de matériau) et un second (que nous nommerons désigné). Deux exemples. Dans Sur les
fondements du cinéma (1927), le théoricien écrit :
Quand on cherche à résoudre le problème de la fable et du sujet, il faut toujours
prendre en compte le matériau [materiál] et le style spécifiques de l'art étudié [PILK,
p. 34

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