Le poème en prose dans les années vingt - article ; n°4 ; vol.67, pg 627-640
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Description

Revue des études slaves - Année 1995 - Volume 67 - Numéro 4 - Pages 627-640
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Charles Bourg
Le poème en prose dans les années vingt
In: Revue des études slaves, Tome 67, fascicule 4, 1995. pp. 627-640.
Citer ce document / Cite this document :
Bourg Charles. Le poème en prose dans les années vingt. In: Revue des études slaves, Tome 67, fascicule 4, 1995. pp. 627-
640.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1995_num_67_4_6287LE POEME EN PROSE DANS LES ANNEES VINGT
PAR
CHARLES BOURG
Mon projet était initialement de traiter du poème en prose chez les
« ornementalistes » des années vingt : Vsevolod Ivanov, Babeľ, Piľnjak. Dans
la mesure où, entre 1921 et 1925, presque toute la nouvelle prose russe était
poétique, c'était une manière apparemment recevable de sérier les problèmes
d'interprétation qu'elle a pu poser. De plus il paraissait ainsi loisible de faire
l'économie d'une trop longue approche historique des sources et des influences.
L'énoncé même du genre — le poème en prose — indiquait sa situation à la
limite, ce qui faisait presque rêver d'une topologie de la prose et de la poésie
figurées en quelque sorte mathématiquement par l'intersection de leurs plans et
de leurs sphères. Cette tentation était d'autant plus forte qu'il est le seul genre
littéraire dont l'historique puisse être fait avec précision sur un laps de temps
très court. Alors que la littérature toute entière se perd dans la nuit des temps,
celle du jour où l'on a procédé au premier rite funéraire et inventé un récit de
ľ outre- tombe, et ce il y a au moins un million cinq cent mille ans, le poème en
prose a une date de naissance bien précise, le 26 août 1862, quand paraît dans un
journal parisien la dédicace des vingt premiers « petits poèmes en prose » de
Baudelaire. Je dois ici à l'aimable intervention de Monsieur le Professeur Nivat
de rendre in extremis son droit d'auteur à Maurice de Guérin, le premier à uti
liser l'expression de « poème en prose » en sous-titre à son Centaure. L'œuvre
de Guérin ayant été publiée en 1841, après sa mort, tout comme Gaspard de la
nuit de Bertrand dont Baudelaire dit s'être inspiré, il faut relever ici le miracle
de la simultanéité des découvertes. L'histoire des arts et des sciences humaines
foisonnent en précurseurs oubliés et en rapprochements saugrenus. Ainsi la
mode contemporaine de la musique baroque a permis de faire remonter à 1732
l'invention de la musique atonale avec l'ouverture des Éléments de Jean Fery
Rebel, un peu moins de deux siècles avant le Pierrot lunaire. Mais les Viennois,
pour savants qu'ils fussent, ne connaissaient probablement pas Fery Rebel et ce
dernier s'était servi de l'atonalité pour figurer le chaos initial tandis que ces
involontaires successeurs croyaient édifier sur la même base un cosmos harmon
ieux... Enfin, il paraissait aisé de définir la thématique assez simple du poème
en prose en tant que genre.
Mais c'était là que s'élevaient les premiers obstacles : fallait-il chercher la
raison de cette simplicité dans la faible durée d'existence du genre qui pourrait
Rev. Étud. slaves, Paris, LXVII/4, 1995, p. 627-640. 628 CHARLES BOURG
expliquer la fidélité des contemporains à leur héritage, quatre générations à
peine s'étant succédé depuis le jour de la fondation, ou, au contraire, la trouver
dans les lois implicites du genre nouveau ? On voit donc qu'il est impossible de
faire totalement l'économie d'une approche historique et comparative.
Mais il y a bien plus grave : à quels critères du monde poétique et de l'él
ément prosaïque fallait-il se référer ? Il était absurde de voir dans le poème en
prose une nouvelle manière de dérimer la poésie, comme cela avait été fait à la
fin du XIVe siècle pour les romans de chevalerie. Certains historiens ont été
tentés de le faire ; c'est le cas notamment de Suzanne Bernard (le Poème en
prose de Baudelaire jusqu'à nos jours, Paris, Nizet, 1959) qui partie de cette
définition en arrive à faire la leçon à Baudelaire lui-même quand elle trouve que
la version en prose de l'Invitation au voyage est « plutôt une rêverie qu'une
œuvre d'art, une très belle prose plutôt qu'un poème ». Fallait-il chercher la part
poétique dans le « miracle d'une prose poétique, musicale, sans rythme et sans
rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de
l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience » dont
parle Baudelaire dans sa dédicace à Arsène Houssaye ? Pour se persuader du
danger de l'entreprise il suffit d'ouvrir Plume de Michaud ou certains poèmes
en prose de Xarms. Et il était encore plus difficile de se fier aux considérations
de Mallarmé sur l'essence poétique de tout langage (« L'œuvre pure implique la
disparition élocutoire du poète, qui cède l'initiative aux mots, par le heurt de
leur inégalité mobilisés », Réponse à l'enquête de Jules Huret sur l'évolution
littéraire).
Et je ne m'attarderai pas sur les systèmes inteprétatifs contemporains. La
circularité sémiotique, sûr indice de l'intention poétique, est bien visible selon
Riffaterre (Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1983), mais je ne suis pas sûr
que la distorsion de la mimésis par la sémiosis qui fait du poème en prose une
« expansion à l'état pur » dont la signifiance se confond avec l'intertextualité,
soit une notion d'un maniement facile.
On ne pourra donc pas éviter de poser les grandes questions naïves : où
commence la poésie, où finit la prose, existe-t-il vraiment une chimère nommée
poème en prose ? On sait que l'analyse morphologique s'est constituée comme
un genre plutôt que comme une science puisque d'Aristote à nos modernes elle
répète ses gloses dans un espace et un temps parallèles à celui de l'œuvre d'art.
Aussi, pour nous démarquer de tant d'illustres prédécesseurs, nous tenterons
d'aborder le problème sous un angle légèrement différent.
Nous avons noté la précision de la date de naissance du genre, en 1862.
Cependant il règne dès le départ une certaine ambiguïté : Baudelaire cite comme
modèle Aloysius Bertrand et son Gaspard de la nuit paru une vingtaine
d'années plus tôt. Mais ces Fantaisies à la manière de Callot, comme il est
précisé dans le sous-titre nous renvoient à E. T. A. Hoffmann, qui a déjà choisi
cet intitulé en 1824, dans le cycle de Saint Sérapion, et ceci est d'autant plus
sensible que les références picturales, chez Bertrand, sont plutôt flamandes
(Haarlem, l'École de Leyde), comme chez Hoffmann. Mais s'il fallait vraiment
chercher un modèle à Bertrand, sans doute faudrait-il le chercher dans les
Veilles de Bonaventura rédigées par un auteur inconnu (on les a attribuées à
Schelling, entre autres auteurs potentiels) en 1804. Ici et là on trouve le même
pessimisme halluciné, visions cauchemardesques auxquelles l'Europe médiévale LE POÈME EN PROSE DANS LES ANNÉES VINGT 629
sert de substrat et paraboles philosophiquement imagées de la condition
humaine.
L'approche historique, l'expérience en fait foi, porte la marque de sa
propre condamnation puisqu'elle ouvre presque fatalement sur une perspective
vertigineuse. Nous avons en effet donné les Veilles comme modèle à Gaspard
de la nuit, mais c'est aller trop vite en besogne. Il faudrait encore citer deux
textes français : le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki et Vathek de
William Beckford. On connaît les scènes de magie noire du Manuscrit, mais les
pendus et les diablesses de Potocki sont d'un commerce encore bien aimable
devant les tunnels infernaux du Palais de feu le long desquels Beckford pousse
son lecteur dans les dernières pages de Vathek. Il ne fait pas de doute que
Beckford, le plus mélancolique des voyageurs sentimentaux du XVIIIe siècle,
soit le précurseur, dans le tableau des splendeurs sataniques, de cette littérature
qui fut celle de Baudelaire ou de De Quincey, très loin du roman gothique
orthodoxe ; mais il est encore plus important de noter, dans la

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