Le religieux sublimé dans le sacrifice du mouton : un exemple de coexistence communautaire au Liban - article ; n°141 ; vol.37, pg 83-100
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Le religieux sublimé dans le sacrifice du mouton : un exemple de coexistence communautaire au Liban - article ; n°141 ; vol.37, pg 83-100

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Description

L'Homme - Année 1997 - Volume 37 - Numéro 141 - Pages 83-100
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Aïda Kanafani-Zahar
Le religieux sublimé dans le sacrifice du mouton : un exemple
de coexistence communautaire au Liban
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°141. pp. 83-100.
Citer ce document / Cite this document :
Kanafani-Zahar Aïda. Le religieux sublimé dans le sacrifice du mouton : un exemple de coexistence communautaire au Liban.
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°141. pp. 83-100.
doi : 10.3406/hom.1997.370203
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1997_num_37_141_370203Aida Kanafani-Zahar
Le religieux sublimé dans le sacrifice
du mouton : un exemple de
coexistence communautaire au Liban1
Aida Kanafani-Zahar, Le religieux sublimé dans le sacrifice du mouton : un exemple de
coexistence communautaire au Liban. — Les shi'ites ne mangeant que de la viande halâl
(licite), c'est-à-dire obtenue suivant un rituel spécifique accompli par un sacrificateur
musulman, les maronites de Hsoun — village où vivent aussi des shi'ites — font appel à
ceux-ci pour l'abattage du mouton lors des fêtes de leur calendrier liturgique et sanctoral.
C'est là un exemple remarquable d'une sublimation du religieux, qui vise à garantir la
coexistence au sein des groupes bi-confessionnels.
À la mémoire de mon père
Dans un grand nombre de villages au Liban, chrétiens et musulmans
vivent ensemble. Dans ces bi-religieux, des pratiques rituelles
communes, sacrifices notamment, sont observées. L'analyse qui va
suivre est le résultat d'une étude effectuée après la guerre, en 1994 et 1995, à
Hsoun, un village maronite et shi'ite d'environ cinq cents habitants situé à
proximité de Byblos2. Dans cette région, aucun déplacement forcé de populat
ion n'a eu lieu pendant le conflit3. Maronites et shi'ites ont continué à vivre
côte à côte comme ils l'ont toujours fait.
1 . Je remercie Christian Bromberger, Jean-Pierre Digard et Jean Pouillon pour leurs commentaires
concernant cet article. Je remercie aussi le père Nabil 'Indâri — paroisse Notre-Dame du Liban,
Paris — pour ses précisions liturgiques.
2. Ce chiffre varie suivant les saisons. En effet, un grand nombre de familles passe l'hiver à Byblos ou
à Beyrouth et sa banlieue. Toutefois il correspond aux listes électorales.
3. D'autres régions de la montagne libanaise ont été soumises à d'importants transferts de populat
ions. Dans ce cas, la coexistence a été, bien entendu, interrompue. Aujourd'hui les personnes
déplacées (mouhajjarîn) regagnent progressivement leurs villages d'origine. La coexistence, fragi
lisée, reprend doucement.
L'Homme 141, janv.-mars 1997, pp. 83-100. 84 AÏDAKANAFANI-ZAHAR
Le but de cette recherche est de comprendre comment se vit la coexistence
dans un groupe formé de communautés religieuses différentes4. Comment peut-
on définir les liens inter-communautaires au sein d'un même village ? La vie
dans une société bi-confessionnelle est, me semble-t-il, réglée par des méca
nismes particuliers qui assurent la continuité du groupe. En analysant le sacri
fice du mouton à Hsoun, je tente de montrer qu'il est basé sur une sublimation
du religieux et qu'il constitue ainsi un cas de coexistence communautaire. Le
rôle de la religion est sans doute important dans la vie de la communauté maron
ite et de la communauté shi'ite, mais des processus accommodateurs se mett
ent en place pour permettre la cohésion. La sublimation du religieux que réalise
le sacrifice bi-confessionnel en est un exemple.
Fêtes sacrificielles, fêtes complémentaires
Le religieux concrétise des traditions identitaires fortes et globales. Du côté
musulman comme du côté chrétien, il imprègne tous les niveaux de la vie au vil
lage. Les pratiques sont de part et d'autre observées avec rigueur. Le sacrifice
d'un mouton est une occasion privilégiée de consommation de viande, aliment
saisonnier, rare et cher5. Avant l'apparition des boucheries dans les villages,
généralement dans les années soixante et soixante-dix, et dans les grandes bour
gades autour des années quarante, on ne consommait de la viande fraîche
qu'aux événements sacrificiels, lors de certaines fêtes religieuses. L'événement
sacrificiel privilégié est pour les shi'ites 'îd il- Adha, pour les maronites le car
naval, il-Marfa'6. Le calendrier musulman est lunaire et n'est donc pas fixe ; le
calendrier chrétien est à la fois liturgique, mobile, centré sur le Christ — sa nati
vité, son baptême, ses manifestations — , et fixe quand il est centré sur les
saints. Les sacrifices de l' Adha, commémorant la substitution d'Ismaël par un
mouton, ont lieu le dix du mois de dhû 1-hijja au cours duquel ils ont d'ailleurs
tous lieu. Au Marfa', les festivités sacrificielles durent une semaine. Le carnaval
suit un calendrier liturgique. Toutefois, s'il est mobile, il intervient, contrair
ement à l' Adha, pendant une période où Pâques puisse tomber au plus tôt le
26 mars, au plus tard le 30 avril.
La présence du mouton, animal biblique, dans la maison est considérée au
Liban comme une bénédiction (baraki, prononciation locale) émanant de Dieu7.
Lors de son sacrifice, la bénédiction se transmet à sa chair. Le sang sacrificiel
4. Dans cet exemple précis, le groupe est bi-confessionnel. Toutefois, dans un grand nombre de vi
llages libanais se côtoient des groupes multi-confessionnels (druzes, maronites, grecs orthodoxes,
sunnites) comme, par exemple, le village de 'Ayn Dâra dans le Shouf .
5. La viande est un aliment dont les villageois sont très friands. Elle est disponible surtout en été. En
effet, en hiver, les femelles sont pleines et les mâles sont maigres. Leur régime alimentaire pendant
cette période est pauvre et consiste en quelques grains et de la paille hachée.
6. De dahâ: « sacrifier » ; marfa ' de rafa 'a : « relever »
7. Gibb (1950 : 10) définit la baraka comme « une puissance magique bénéfique, Chelhod (1955 a :
71) comme « énergie mystérieuse », « source de pouvoir », et Geertz (1968 : 33) comme
« puissance supernaturelle ». Le religieux sublimé 85
accumule trois sources d'énergie — énergie de l'âme, énergie de la volonté
communautaire et énergie transcendante8 — et imprègne la chair des effets
bénéfiques de la baraka9. Il devient un véhicule permettant des transformations
sociales d'importance. Ibn Khaldoun (1967 : 98-100) a indiqué que la parenté
arabe est non seulement un fait généalogique mais aussi un acte social légitimé
par un serment prononcé par deux groupes ou individus après avoir goûté le
sang sacrificiel. Ras wan (1936 : 23) nomme ce contrat de fraternité la « lumière
du sang » et Chelhod (1971 : 138) désigne la demande d'alliance tribale scellée
par ce sang 1'« entrée dans le sang ». Ce contrat définit les obligations sociales :
« Par la vertu de cette dabihey (sacrifice), nous sommes devenus une seule
famille» (Jaussen 1948 : 13).
Le sacrifice, tadhiya ou dhibîha10, est vécu comme un rapprochement
(taqarrob) avec Dieu. En effet, le sacrifice en islam est considéré comme une
« tradition certaine » (sunna mou'akkada), puisque le Prophète lui-même l'a
accompli. Il ne constitue pas un devoir (farod) mais il est « demandé »
(matloub) de toute personne possédant les moyens de l'accomplir. Quoique cela
ne soit pas explicitement prescrit par la religion, on sacrifie souvent au village
un mouton à l'occasion de l'Adha pour commémorer le sacrifice d'Abraham.
L'écoulement du sang (jirâyit il-damm), appelé aussi totyîr damm (« faire voler
le sang ») est halâl. La célébration de l'Adha s'accompagne souvent d'une invi
tation au repas, parfois « en présence » d'un saint, dans le voisinage de sa
tombe. Pour les chrétiens, les sacrifices du Marfa' relèvent strictement du
domaine des traditions. Dans les deux communautés, le sacrifice est surtout
vécu comme un événement social important. « Une fois que le sang coule, il
faut inviter ou donner »n, dit-on. Le mouton est chargé de bénédiction, biyibrik,
sa viande se « multiplie » symboliquement et permet de nourrir un grand
nombre de personnes. Pour partager cette baraka, on s'invite mutuellement à un
repas ou on offre de la viande. Ainsi, ceux qui n'

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