Les « faux décollages » et l Amérique latine - article ; n°30 ; vol.8, pg 469-502
35 pages
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Description

Tiers-Monde - Année 1967 - Volume 8 - Numéro 30 - Pages 469-502
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Denis Lambert
Les « faux décollages » et l'Amérique latine
In: Tiers-Monde. 1967, tome 8 n°30. pp. 469-502.
Citer ce document / Cite this document :
Lambert Denis. Les « faux décollages » et l'Amérique latine. In: Tiers-Monde. 1967, tome 8 n°30. pp. 469-502.
doi : 10.3406/tiers.1967.2365
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1967_num_8_30_2365« FAUX DÉCOLLAGES » LES
ET L'AMÉRIQUE LATINE
par Denis Lambert*
De nombreuses études historiques ont permis depuis quelques années
de reconstituer les séries statistiques très incomplètes de grandes
puissances européennes, pour analyser les conditions favorables et défavor
ables au « décollage », lors de la révolution industrielle. Ces études, souvent
contradictoires d'ailleurs, suscitent un vif intérêt dans les pays non développés
ou en voie d'industrialisation, auprès des responsables de l'économie et des
nouvelles élites.
La séduction du concept de décollage (Take Off) est aussi forte que celle
du diptyque industrialisation-planification :
— Déjà l'affirmation, selon laquelle l'industrialisation, et plus parti
culièrement la création des industries lourdes, constitue un mode obligé de la
croissance, pour une économie de marché aussi bien que pour une économie
centralisée et planifiée, ne rencontre guère d'opposition ou de réfutation.
Le pessimisme des théoriciens et des experts du développement à l'égard du
monde rural et de l'agriculture traditionnelle conduit à considérer comme un
gaspillage inefficace l'effort prioritaire en faveur des zones d'économie trop
attardée. Malgré la préoccupation sincère de moderniser l'agriculture et
l'attrait des méthodes de mise en valeur et d'encadrement de la Chine (moindre
depuis l'échec du grand bond en avant), de nombreux responsables estiment
que les capitaux investis dans l'agriculture traditionnelle ont une rentabilité
dérisoire. La promotion sur place du paysan, isolé de la vie moderne, est
illusoire : les paysans doivent émigrer vers les industries de la ville et les pôles
de développement. Dès lors, les jeunes nations, en renonçant aux priorités
industrielles, risqueraient de perdre, à courte échéance et surtout à long terme,
de nombreuses places dans la course au développement.
— Une deuxième idée-force est venue récemment étayer les programmes
économiques dans les pays pauvres : la notion de décollage. Cette idée simple
permet d'ailleurs de renforcer la première, tout en étant plus aisément présentée
à l'opinion publique. En effet, le décollage est par définition une phase de
progrès très rapide qui doit permettre à une économie pauvre, grâce aux
* Professeur à la Faculté de Droit et de Sciences économiques de Lyon.
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30 DENIS LAMBERT
raccourcis techniques de la seconde moitié du XXe siècle, de passer de l'état
de sous-développement à l'état de développement, en un mot de la pénurie
généralisée à l'abondance. Le décollage, par ailleurs, justifie bien des sacrifices
qui sembleraient plus pesants dans la stagnation. Inflation, chômage ou gas
pillage sont des maux plus tolérables dans l'expansion que dans la stagnation.
— Le décollage ne semble pas devoir être dissocié de la révolution indust
rielle, puisque, dans l'histoire économique des grandes puissances, la période
de décollage a été une phase d'expansion très rapide et d'extension de l'indus
trie et des transports. Pourquoi devrait-on renoncer à cet enseignement de
l'histoire, s'il n'y a pas eu d'exception à la règle de l'industrialisation ? Les
grandes économies agricoles, telles que le Danemark, la Hollande, ou l'Austral
ie et la Nouvelle-Zélande, ne sont devenues des pays développés que dans la
mesure où l'agriculture s'est industrialisée !
lue prix du « décollage » est plus onéreux dans les pays pauvres que jadis
Les coûts économiques et sociaux de la révolution industrielle sont maté
riellement et psychologiquement plus élevés, de nos jours, dans le Tiers
Monde que, jadis, en Europe. En effet, matériellement, il faut investir beau
coup plus pour accroître la production, parce que les équipements sont plus
onéreux et les besoins à satisfaire sont plus diversifiés. Bien plus, psycholo
giquement, l'effort de modernisation de l'économie est plus coûteux, parce
que les besoins insatisfaits sont inspirés de l'observation des niveaux de vie
dans les sociétés opulentes. Au siècle passé, les masses prolétaires espéraient,
par l'ascension sociale et la réussite matérielle, parvenir au genre de vie d'une
bourgeoisie, qui gaspillait peu. Au siècle présent, les populations démunies
du Tiers Monde aspirent au genre de vie d'une élite, qui essaye de satisfaire à
la fois les dépenses des riches de la société traditionnelle et les nouveaux
besoins, suscités par la publicité. Plus coûteux également les équipements
collectifs et sociaux, l'infrastructure des transports et surtout l'organisation
de l'État. Dès lors, on peut se demander si l'analogie avec l'Europe du
xixe siècle peut conserver une valeur d'enseignement, car il faudrait que
l'efficacité des méthodes industrielles se soit accrue, de façon à compenser le
relèvement des coûts. Pourquoi payer plus cher la révolution industrielle, si les
chances de s'arracher au sous-développement par une telle méthode ont décru !
— On a invoqué plusieurs arguments pour réfuter les analogies histo
riques et expliquer le fait que la révolution industrielle est un facteur de
décollage, dont l'efficacité se dégrade aujourd'hui. Au premier rang, surgit
l'obstacle démographique. Les grandes puissances industrielles d'aujourd'hui,
même le Japon, ont décollé avant la révolution démographique et ont connu
un effort d'accumulation moins élevé. A supposer que le taux de croissance
de la population s'élevât, au cours du décollage, la soupape de l'immigration
470 LES « FAUX DÉCOLLAGES » ET L'AMÉRIQUE LATINE
permettait d'économiser de lourdes charges d'investissement. Les arguments
économiques et sociaux permettent également de mettre en relief les circons
tances exceptionnelles, qui ont favorisé les « décollages », au xixe siècle. Les
économies européennes, après de longues transitions précapitalistes, ont
connu une rapide atténuation du dualisme pendant la phase de décollage.
La stabilité monétaire constitue un stimulant pour l'épargne et pour l'esprit
d'entreprise : l'innovation est aussi rentable que la spéculation, alors qu'elle
l'est moins de nos jours. La situation du commerce international est favorable
à la propagation de la croissance : pas de pénurie de devises et peu de freins
aux courants de capitaux. Ces différents facteurs sont aujourd'hui inversés
dans les pays pauvres : la surnatalité, l'inflation, la spéculation et la domination
sont autant de facteurs de blocage du développement.
— Les partisans d'une stratégie de croissance déséquilibrée, conscients
de ces obstacles nouveaux au « décollage », invoquent ces contraintes pour
justifier la nécessité d'accumuler davantage de capitaux et d'éviter toute
dispersion dans le choix des investissements. A défaut de solution démograp
hique, la voie économique reste la même que jadis. Seule l'industrialisation
peut permettre de triompher de l'improductivité et du retard social. Mais, il
faudra que l'accroissement de la production soit plus rapide encore qu'au
siècle passé, de façon à intégrer dans le circuit économique le surplus de
population. Or, la production industrielle peut s'accroître de 10 % par an
et doubler en sept années, alors que la production agricole ne saurait s'accroître
durablement à ce rythme.
— L'avenir industriel des pays sous-développés est-il aussi ouvert aujour
d'hui qu'à la fin du siècle passé ? La génération présente, même dans les éco
nomies semi-industrialisées, doit pouvoir se nourrir et se v&#

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