Les intellectuels juifs français et la philologie allemande : un débat scientifique et idéologique (1860-1914) - article ; n°73 ; vol.21, pg 69-80
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Les intellectuels juifs français et la philologie allemande : un débat scientifique et idéologique (1860-1914) - article ; n°73 ; vol.21, pg 69-80

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Description

Romantisme - Année 1991 - Volume 21 - Numéro 73 - Pages 69-80
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 54
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Perrine Simon-Nahum
Les intellectuels juifs français et la philologie allemande : un
débat scientifique et idéologique (1860-1914)
In: Romantisme, 1991, n°73. pp. 69-80.
Citer ce document / Cite this document :
Simon-Nahum Perrine. Les intellectuels juifs français et la philologie allemande : un débat scientifique et idéologique (1860-
1914). In: Romantisme, 1991, n°73. pp. 69-80.
doi : 10.3406/roman.1991.5783
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1991_num_21_73_5783SIMON -N AHUM Perune
Les intellectuels juifs français et la philologie allemande
un débat scientifique et idéologique (1860-1914)
L'esprit qui domine parmi les professeurs allemands m'est trop odieux et trop
méprisable pour que je tienne à me procurer un diplôme émanant de ces
hommes, qu'à moi juif ils accorderont seulement pour se procurer quelques louis
d'or. [...] Aussi longtemps que la situation de nos coreligionnaires en
Allemagne n'aura pas changé, j'y renonce ; je considère tout juif cherchant à
acquérir ce titre comme un fou, qui sacrifie sa dignité à sa vanité,
écrivait en 1833, à sa sœur, le philologue Salomon Munk \ Ils furent quelques-
uns, Joseph Derenbourg, Henri Weil, Louis Benloew, philologues, élevés dans la
tradition juive et formés au sein de l'Université allemande, à souscrire à ces pa
roles et à faire le voyage de France. Le judaïsme français nouvellement émancipé,
alors en quête d'une élite intellectuelle, les accueillit tout naturellement II en fut
de même de l'Université française, à laquelle ils apportaient la science allemande.
Au fait des méthodes critiques et des débats scientifiques d'outre-Rhin, ils conser
vèrent comme interlocuteurs privilégiés les savants allemands. Ce courant intel
lectuel que l'on a ailleurs qualifié de « science du judaïsme français » - par comp
araison avec son homologue allemande, la Wissenschqft des Judentums, associa
tion fondée par des étudiants juifs à l'Université de Berlin, dont l'objectif était,
tout en faisant du judaïsme un objet scientifique, d'en légitimer la prérennité -
montre quelle importance exerça l'Allemagne dans la construction du modèle intel
lectuel du judaïsme français tel qu'on peut le définir dans les cercles scientifiques
du XDCe siècle.
Cette relation du proximité avec l'Allemagne ne se démentira pas tout au long
du siècle. D'emblée plus politique que philosophique, si on la compare à la
Wissenschqft des Judentums, la science du judaïsme français a relevé le défi que
lui posaient dans son propre champ d'investigation théologiens et philosophes a
llemands. Lorsque le mythe aryen, véhiculant un antisémitisme aux formes renou
velées, conquiert l'Université, les érudits de la science du judaïsme sont prompts à
répliquer. Son enjeu explique que ce dialogue franco-allemand, parfois âpre, se
poursuive par-delà la fracture de 1870. Ce rapport à l'Allemagne donne à leurs tr
avaux un ton à part dans la production scientifique française, en même temps qui
éclaire les origines de l'Université républicaine et la formation des sciences so
ciales. Et s'il se dément à partir des années 1880, c'est essentiellement en raison
de l'isolement croissant auquel conduit la représentation du judaïsme français en
tant que modèle d'intégration réussie, et par suite de la disparition de la science du
judaïsme qui en est le corollaire.
ROMANTISME n°73 (1991 - Ш) 70 Perrine Simon-Nahum
Mythe et aryanisme : une discussion de l'originel
Dans les années 1860, la science allemande ne domine pas seulement la phi
lologie, telle que tentent de l'adapter à la pratique mondaine française du discours
scientifique les représentants de la science du judaïsme français. Elle règne égale
ment sur l'histoire et les disciplines qui en découlent : la numismatique,
l'archéologie, ou encore la philologie comparée. Or c'est un nouveau défi que pro
pose cette science, non seulement à la science du judaïsme, mais à l'ensemble des
cultures, en affirmant la prééminence d'une civilisation indo-européenne dans
l'origine et le progrès de l'humanité. C'est dans les années 1860 que les thèmes du
darwinisme viennent se mêler aux théories romantiques et historicistes de l'âme
des peuples. Etablissant un schéma universel des origines de l'humanité, ils ôtent
du même coup au judaïsme toute spécificité. Contrairement à l'école archéolo
gique, les partisans de ces théories des races ne se contentent pas en effet de fonder
sur ce nouvel universalisme une unité du genre humain, mais établissent au cont
raire à partir de lui, une échelle de valeurs plaçant au sommet la civilisation indo
européenne et à son plus bas degré les civilisations sémitiques. En établissant un
lien entre la vision du mythe et les théories du langage développées par le roman
tisme allemand, les partisans de la suprématie de l'aryanisme vont à la fois ériger
celui-ci en civilisation primitive de l'humanité et instituer la langue indo-euro
péenne comme langue originelle.
Or, avant même d'opposer aux théories racistes une réplique politique, les
juifs vont être en France les premiers adversaires de leur pseudo-scientificité. Le
premier et le plus virulent d'entre eux fut Michel Bréal, normalien de la promot
ion 1852 et agrégé de grammaire, qui, dès 1862, dans une thèse consacrée au
mythe d'Hercule et Cacus, assignait au mythe une place plus restreinte que ses
maîtres allemands dans l'explication du développement des civilisations et entre
prenait de combattre la supériorité de l'aryanisme à sa racine même.
La notion de mythe dont la France hérite par l'intermédiaire des traductions de
Schlegel par Quinet 2 et de Creuzer par Guigniaut 3, va se trouver immédiatement
adaptée à la réalité française. La traduction de Guigniaut fait, la première, état des
critiques à rencontre des théories de Creuzer. Dans le compte rendu qu'il en donne,
Renan marque à son tour l'écart entre la mythologie allemande et l'état d'esprit qui
anime, en France, les travaux mythologiques \ II critique l'excès de mysticisme et
de symbolisme dont Creuzer avait hérité de ses conceptions philosophiques et qui
le conduit notamment à faire fi de toute chronologie, dédaignant les différences
d'espace et de temps. Dans la conception que Renan se fait du mythe, conception
encore fortement marquée par la théologie, celui-ci n'est pas separable de l'objet
qu'il représente. Puisqu'il situe le mythe à une période bien antérieure à
l'apparition du christianisme, ce qui l'intéresse avant tout est la transition du
mythe au dogme, du paganisme au christianisme, dont la filiation s'établit à tra
vers les mystères. De même que dans le cas des auteurs romantiques allemands, le
jugement porté sur le mythe ne se situe pas au niveau de la révélation, mais à ce
lui de la raison comprise dans la foi, la supériorité de la religion s'exprimant dans
la structuration par le dogme du sentiment religieux. La critique renanienne des
théories romantiques du mythe apparaît donc nuancée, dans la mesure où elle porte
uniquement sur la forme du mythe - on trouve d'ailleurs chez Renan comme chez
les romantiques une réhabilitation du paganisme -, et non sur sa fonction. Renan juifs français et philologie allemande 71 Intellectuels
conclura à une coupure radicale entre les civilisations dont l'âme est propice au
mythe, et celles dont l'esprit, dépourvu d'imagination créatrice, est ancré dans le
monothéisme.
Les théories du langage permettent par ailleurs de combiner la présence de
nombreux mythes avec l'affirmation du caractère monothéiste d'une civilisation.
La nostalgie monistique, héritée du christianisme, et dont sont imprégnées les
théories romantiques, conduit les mythologues à valoriser, dans la religion indo
européenne, voire dans celle de la Perse ancienne, tous les éléments qui feraient
d'elle la première religion monothéiste, et à placer du même coup à l'origine d'une
humanité chrétienne coupée de ses racines juda

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