Nerval et le rêve égyptien - article ; n°120 ; vol.33, pg 37-46
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Romantisme - Année 2003 - Volume 33 - Numéro 120 - Pages 37-46
In the Romantic time, a traveller is first of all a reader and a dreamer: he wants to see the countries he visits just like the world he had imagined before starting. From this point of view, can we say that Nerval was right to sail for Egypt? When setting foot on the Nile shores, did the narrator of the Voyage en Orient succeed in discovering the Egypt of the books and the traditions from Antiquity ? Some of his complaints rather suggest that the aforesaid narrator experienced in Cairo infinitely more deception than joy and Nerval can have been as deceived as many of his foregoers in the country of the pyramids: Modern Egypt has not retained much of Ancient Egypt. Yet, the Voyage en Orient seems to add some shades in the condemnation of XIXth century Egypt, which appears several times under the pen of the French writers of that time: the picture of the bovaryst temptations of the narrator is indeed counterbalanced by the failure of his quest of a «redeeming voyage» and by his will not to come back to France without bringing along a certain form of wisdom.
À l'époque romantique, le voyageur est d'abord un lecteur et un rêveur: il désire voir les régions qu'il visite se confondre avec le monde qu'il a imaginé avant de partir. De ce point de vue, Nerval a-t-il eu raison de se rendre en Égypte ? Le narrateur du Voyage en Orient est-il parvenu à prendre pied, sur les rivages du Nil, dans l'Egypte des livres et des traditions de l'Antiquité? Certaines plaintes laissent plutôt entendre que ledit narrateur a éprouvé, au Caire, infiniment plus de déceptions que de joies, et Nerval a pu faire le même constat désenchanté que beaucoup de ses prédécesseurs au pays des pyramides: l'Egypte moderne n'a pas gardé grand'chose de l'Egypte antique. Le Voyage en Orient paraît cependant introduire certaines nuances dans la condamnation de l'Egypte du XIXe siècle qui se retrouve à maintes reprises sous la plume des écrivains français du temps : la peinture des tentations bovarystes du narrateur est en effet contrebalancée par l'échec de la quête du «voyage rédempteur» et, à défaut d'avoir pu voir se matérialiser ses rêves, par la volonté de ne point revenir en France sans ramener une certaine sagesse.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 99
Langue Français

Extrait

M. Michel Brix
Nerval et le rêve égyptien
In: Romantisme, 2003, n°120. pp. 37-46.
Citer ce document / Cite this document :
Brix Michel. Nerval et le rêve égyptien. In: Romantisme, 2003, n°120. pp. 37-46.
doi : 10.3406/roman.2003.6103
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2003_num_33_120_6103Résumé
À l'époque romantique, le voyageur est d'abord un lecteur et un rêveur: il désire voir les régions qu'il
visite se confondre avec le monde qu'il a imaginé avant de partir. De ce point de vue, Nerval a-t-il eu
raison de se rendre en Égypte ? Le narrateur du Voyage en Orient est-il parvenu à prendre pied, sur les
rivages du Nil, dans l'Egypte des livres et des traditions de l'Antiquité? Certaines plaintes laissent plutôt
entendre que ledit narrateur a éprouvé, au Caire, infiniment plus de déceptions que de joies, et Nerval a
pu faire le même constat désenchanté que beaucoup de ses prédécesseurs au pays des pyramides:
l'Egypte moderne n'a pas gardé grand'chose de l'Egypte antique. Le Voyage en Orient paraît cependant
introduire certaines nuances dans la condamnation de l'Egypte du XIXe siècle qui se retrouve à maintes
reprises sous la plume des écrivains français du temps : la peinture des tentations bovarystes du
narrateur est en effet contrebalancée par l'échec de la quête du «voyage rédempteur» et, à défaut
d'avoir pu voir se matérialiser ses rêves, par la volonté de ne point revenir en France sans ramener une
certaine sagesse.
Abstract
In the Romantic time, a traveller is first of all a reader and a dreamer: he wants to see the countries he
visits just like the world he had imagined before starting. From this point of view, can we say that Nerval
was right to sail for Egypt? When setting foot on the Nile shores, did the narrator of the Voyage en
Orient succeed in discovering the Egypt of the books and the traditions from Antiquity ? Some of his
complaints rather suggest that the aforesaid narrator experienced in Cairo infinitely more deception than
joy and Nerval can have been as deceived as many of his foregoers in the country of the pyramids:
Modern Egypt has not retained much of Ancient Egypt. Yet, the Voyage en Orient seems to add some
shades in the condemnation of XIXth century Egypt, which appears several times under the pen of the
French writers of that time: the picture of the bovaryst temptations of the narrator is indeed
counterbalanced by the failure of his quest of a «redeeming voyage» and by his will not to come back to
France without bringing along a certain form of wisdom.Michel BRIX
Nerval et le rêve égyptien
Nerval a-t-il eu raison de se rendre en Egypte? La question paraît saugrenue, mais
c'est l'auteur qui invite à la poser. Le 6 septembre 1843, alors qu'il vient de passer
plusieurs mois au Caire et qu'il est toujours en Orient, l'auteur publie une lettre ouvert
e à Gautier dans le Journal de Constantinople. Cette lettre évoque La Péri, opéra de
Gautier représenté à Paris au cours du même été de 1843, et brode sur ce thème: si a pu représenter, devant des spectateurs français, «le Caire véritable, l'Egypte
immaculée '», s'il a pu devenir le poète de l'Orient, c'est parce qu'il ne s'est jamais
rendu sur place. Nerval par contre, pour être allé voir Le Caire réel, a dû renoncer,
«sous le marteau d'une civilisation prosaïque 2», à tous ses rêves orientaux et, en
même temps, à ses projets créateurs. Ainsi, non seulement le voyageur ne reproche pas
à Gautier le caractère factice de son Egypte «des feuilles et des livres 3», mais, de
surcroît, il affirme que seule cette dernière image de l'Egypte peut se prévaloir d'être
la vraie.
On dira que c'est le goût du paradoxe qui a inspiré ces lignes et qu'il s'agissait
pour Nerval de faire l'éloge de la création de son ami. Certes, mais on veillera toute
fois à ne pas oublier que de telles déclarations sont, chez lui, loin d'être isolées. Ainsi,
l'introduction du Voyage en Orient témoigne des débats intimes du narrateur, qui
déplore «de perdre, ville à ville et pays à pays, tout ce bel univers qu'on s'est créé
jeune, par les lectures, par les tableaux et par les rêves. Le monde qui se compose
ainsi dans la tête des enfants est si riche et si beau, qu'on ne sait s'il est le résultat
exagéré d'idées apprises, ou si c'est un ressouvenir d'une existence antérieure et la
géographie magique d'une planète inconnue4». De même, au début de Lorely, le narra
teur nervalien confie à nouveau ses hésitations, avant de mettre le pied sur le sol
allemand :
de l'autre côté [du Rhin], là-bas à l'horizon, au bout du pont mouvant de soixante
bateaux, savez- vous ce qu'il y a?... Il y a l'Allemagne! la terre de Goethe et de Schiller,
le pays d'Hoffmann; la vieille Allemagne, notre mère à tous!... Teutonia.
N'est-ce pas là de quoi hésiter avant de poser le pied sur ce pont qui serpente, et dont
chaque barque est un anneau; l'Allemagne au bout? Et voilà encore une illusion, encore
un rêve, encore une vision lumineuse qui va disparaître sans retour de ce bel univers
magique que nous avait créé la poésie 5!...
On aura reconnu, dans ce leitmotiv de l'œuvre nervalienne, un thème récurrent du
récit de voyage romantique. Ainsi, Chateaubriand se plaint de ne pas retrouver sur les
1. Gérard de Nerval, Œuvres complètes, Jean Guillaume et Claude Pichois (éd.), Gallimard, coll.
«Bibliothèque de la Pléiade», 1. 1 [abr.: I], 1989, p. 768. Les tomes II [abr.: II], où se trouve le texte du
Voyage en Orient, et III [abr.: III] de cette édition ont paru respectivement en 1984 et en 1993.
2. I, p. 766.
3. Ibid.
4. II, p. 189.
5. III, p. 13-14.
ROMANTISME n° 120 (2003-2) Michel Brix 38
bords du Nil les Égyptiens d'Hérodote. De même, le Voyage en Espagne de Gautier
fait état des déceptions nombreuses éprouvées par un narrateur qui ne trouvait pas au-
delà des Pyrénées l'Espagne du Cid. Et le même ouvrage rapporte que Heine aurait dit
à Gautier: «Comment ferez- vous pour parler de l'Espagne quand vous y serez allé6?»
C'est pourquoi Yhomo romanticus avoue, en définitive, sa prédilection pour les voyages
imaginaires, - c'est-à-dire les voyages qui se déroulent tout entiers dans une bibliothèque
ou dans une chambre et ne demandent aucune «confirmation» au monde réel. À la fin
du siècle encore, des Esseintes, le héros de Huysmans, refuse au dernier moment
d'accomplir le voyage en Angleterre qu'il projetait, parce qu'il sait que le pays réel
sera inférieur au pays rêvé. La géographie «magique» a plus de prix que la géographie
tout court.
Le désir de voir les régions que l'on visite se confondre avec le pays des rêves
n'est pas propre au seul romantisme. Pareille conception du voyage tire ses origines de
la symbolique profonde de la peregrinatio dans l'histoire de l'Occident. Toute vie est
assimilée à un voyage dans la mesure où, chassé du Paradis terrestre, l'homme voud
rait, sinon trouver le chemin qui permet d'y retourner, en tout cas voir s'ouvrir
devant lui les portes de la rédemption. La tradition juive, puis la doctrine chrétienne -
notamment par la voix de saint Jean, de saint Paul et surtout de saint Augustin -, ont
exploité ce motif7: la vie est une longue errance loin du Seigneur; en nous laissant
guider par la foi, sur le «chemin» du Christ («Je suis le chemin et la vérité et la vie»,
Jean, XIV, 6), nous rejoindrons notre patrie céleste. D'où il s'ensuit que les voyages
se trouvent comme naturellement orientés vers un but sacré, ou un lieu idéalisé. Les
modèles, ou les archétypes, dans une telle perspective, ce sont les croisades vers
Jérusalem, ou les pèlerinages à Rome et à Saint- Jacques-de-Compostelle.
Ainsi, qu'ils soient accomplis par des religieux ou par des laïcs, les voyages ont
eu, à toute époque, partie liée avec une quête mystique. À la fin du XVe siècle, le plus
illustre voyageur de l'histoire de l'humanité, Christophe Colomb, s'était mis en tête de
découvrir le Paradis terrestre et avait même cru un temps y être parvenu - son journal
de bord l'atteste - lorsqu'il avait appareillé aux Caraïbes. Bougainville et ses compa

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