Pouchkine poéticien et comparatiste - article ; n°89 ; vol.25, pg 45-58
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Description

Romantisme - Année 1995 - Volume 25 - Numéro 89 - Pages 45-58
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Michel Cadot
Pouchkine poéticien et comparatiste
In: Romantisme, 1995, n°89. pp. 45-58.
Citer ce document / Cite this document :
Cadot Michel. Pouchkine poéticien et comparatiste. In: Romantisme, 1995, n°89. pp. 45-58.
doi : 10.3406/roman.1995.3009
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1995_num_25_89_3009Michel CADOT
Pouchkine poéticien et comparatiste
La langue, le style, la critique.
On dispose d'une esquisse de 1828 très brève, intitulée Sur le style poétique, qui
aide à comprendre quelques idées fondamentales de Pouchkine. Il veut y démontrer en
s' appuyant sur des exemples français et anglais que les littératures parvenues à matur
ité recourent à une langue simple, voire populaire, pour sortir des limites d'une
langue devenue conventionnelle, dans sa pensée évidemment celle du classicisme.
Mais le lecteur moderne ne peut manquer d'être surpris que Pouchkine mette en paral
lèle le style poissard de Jean- Joseph Vadé (1720-1757), le très oublié auteur d'un
Catéchisme où règne le parler des halles, et fort admiré, selon Pouchkine, des « blasés »,
des gens du monde, avec les œuvres de Wordsworth et de Coleridge, « pleines de sen
timents profonds et de pensées poétiques, exprimées dans la langue de l'honnête rotu
re » '. Si la volonté de donner la préférence aux modèles anglais sur les poètes
français paraît ici évidente, on doit aussi noter plus précisément l'opposition entre les
« gens du monde », les « blasés » français et l'« honnête roture » des écrivains
anglais cités en référence. On sait pourtant combien Pouchkine était fier de son origi
ne aristocratique, mais il était tout aussi fier de son ancêtre Hannibal, le « nègre de
Pierre le Grand ». En réalité, comme si souvent dans la critique pouchkinienne,
l'appréciation, positive ou négative, des écrivains étrangers ne prend son véritable
sens que par rapport à la littérature russe de son temps. La poésie, la « langue des
dieux », sont choses si nouvelles en Russie qu'on y appelle « poète » « tout homme
capable d'écrire une dizaine de vers ïambiques avec des rimes ».
Ce point mérite une explication. Depuis le fondateur de la poésie russe, Lomonossov,
le vers classique russe est, comme en Allemagne, le vers ïambique à quatre accents,
notamment dans les poèmes en strophes de six vers constitués de quatre pieds ïambiques
et rimes aBaBcc, et dans les odes en strophes de dix vers rimes aBaBccDeeD chez
Derjavine (l'ode Dieu, 1780) 2, ou aaBccBddEE chez Karamzine (ode à Paul Ier, 1796)
caractéristiques de ce que l'on peut appeler la poésie classique russe, contestée dès les
années 80 par Derjavine et Karamzine eux-mêmes dans le Moskovskij îurnal où le dernier,
s'appuyant notamment sur l'exemple de Klopstock, met en pratique l'hexamètre composé
de dactyles et de chorées (appelés aussi trochées, au lieu des spondées antiques), et, inno
vation majeure, publie de nombreux poèmes sans rimes (p. ex. Poèzija, 1787). Mais, aux
yeux de Pouchkine, ces efforts ne sont pas encore suffisants 3 :
1.Œuvres complètes, publiées par André Meynieux, t. III, Paris, André Bonne, 1958,
p. 253.
2. Voir les remarques d'Efim Etkind, « La naissance d'un style hyperbolique », dans le recueil
Derjavine, un poète russe dans l'Europe des Lumières, Paris, Institut d'Études Slaves, 1994, p. 73.
3. Voir la lettre à Delvig de juin 1825 où il déclare que Derjavine « ne connaissait ni l'art d'écrire en
russe, ni l'esprit de la langue russe,[...] n'entendait rien au style ni à l'harmonie, — ni même aux règles de
la versification.» Pouchkine, O.C., t. III, p. 148.
Romantisme n°89 (1995-3) 46 Michel Cadot
Non seulement nous n'avons pas encore songé à rapprocher le style poétique d'une
noble simplicité, mais nous nous efforçons de donner de l'emphase même à la prose ;
quant à la poésie, libérée des embellissements conventionnels de la versification, nous
ne la comprenons pas encore (p.253)
II avait pourtant employé dans son Boris Godounov un mètre nouveau, le penta
mètre ïambique « adopté couramment par les Anglais et les Allemands », dont il trou
ve le premier exemple russe dans Les Argiens de Kiïchelbecker (1824-25), avec une
césure après le deuxième pied qu'il assimile apparemment à la coupe française du
décasyllabe classique coupé 4/6, appelé par lui le « pentamètre français » (p. 301).
Le public, poursuit-il dans son esquisse de 1828, n'a pas suivi les essais poétiques
de Joukovski et de Katénine, le premier dans ses traductions du poète bâlois Johann-
Peter Hebel (1760-1826), le second dans Le Meurtrier (1815), ballade « qui veut riva
liser avec les meilleures œuvres de Burger et de Southey » (p. 253). On note avec
intérêt le goût de Pouchkine pour certains poètes anglais, Wordsworth, Coleridge,
Southey, Crabbe : il possédait dans sa bibliothèque les éditions parisiennes en anglais
des deux derniers de ces poètes, publiées en 1829 4. Il essaya même de traduire plu
sieurs poèmes de Wordsworth, s'inspira parfois de l'œuvre de Coleridge, ainsi que de
Barry Cornwall, également édité en anglais à Paris en 1829, et traduisit quelques
textes de Southey 5.
A plusieurs reprises, Pouchkine s'est efforcé de clarifier ses idées à l'égard de la
critique en général, et des critiques russes qui publiaient des appréciations sur ses
ouvrages littéraires. Il polémique avec son ami A.A. Bestoujev dans une lettre de
1825 où il lui reproche d'avoir écrit que les Russes ont une critique mais pas de litt
érature. C'est tout le contraire, estime Pouchkine :
Nous ne possédons pas un seul commentaire, pas un seul livre critique. Nous ne savons
pas ce que c'est que Krylov, Krylov qui est plus haut que La Fontaine, tout autant que
Derjavine est plus haut que J. -B.Rousseau. Qu'entends-tu donc par critique ? Le
Courrier de l'Europe et Le Bien-intentionné ? Les informations bibliographiques de
Gretch et de Boulgarine ? tes articles ? mais avoue que tout cela ne peut fixer une opi
nion quelconque dans le public, ne peut être considéré comme un code du goût 6
Dans un projet d'article en forme de dialogue qui date de mars ou avril 1830,
Pouchkine réfute l'idée reçue selon laquelle un écrivain n'a pas à polémiquer avec les
critiques : il doit lui-même exposer ses vues sur la littérature, corriger les vues erro
nées et même diriger l'opinion publique.
Ne serait-il pas intéressant, par exemple, de lire l'opinion de Gnéditch sur le romantis
me ou celle de Krylov sur la poésie élégiaque contemporaine ? Ne serait-il pas agréable
de voir Pouchkine analyser une tragédie de Khomiakov ? 7
A l'automne de la même année, Pouchkine, qui s'ennuyait à Mikhaïlovskoïé où il
était confiné par la quarantaine établie pour protéger les capitales russes du choléra,
passa en revue les critiques relatives à ses propres ouvrages dans un assez long article,
qu'il remania ensuite sous forme de dialogue, mais qui ne fut jamais achevé ni publié de
4. Ibid, p. 386, n. 8.
5. Ernest-J. Simmons, « La littérature anglaise et Pouchkine », dans Pouchkine, Revue de Littérature
comparée, Paris, Boivin, janvier-mars 1937, p. 104-7.
6. Pouchkine, O.C., t. III, p. 145.
7.Ibid, « Dialogue sur la critique », p. 285. La tragédie de Khomiakov est Iermak, publiée
par fragments dans Le Courrier de Moscou et dans L' Aurore (note de l'éd. Meynieux.) Pouchkine poéticien et comparatiste 47
son vivant 8. « L'état de la critique, dit-il, montre à soi seul le degré de maturité de toute
la littérature.» Au point où est arrivée la littérature russe, les analyses du Courrier de
l'Europe ou de \J Abeille du Nord sont suffisantes, il n'est pas utile d'avoir un Schlegel
ou même un Laharpe. Mais de même que la Russie peut montrer fièrement à l'Europe
l'histoire de Karamzine, quelques odes de Derj aviné, quelques fables de Krylov, un
poème de Joukovski sur 1812, « et quelques fleurs de la poésie élégiaque du Nord », de
même, poursuit Pouchkine, la critique russe peut

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