Quelques vérités économiques
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Quelques vérités économiques
Louis Blanc
1911
Le travail agréable
…Mais, avec des facultés, l’homme a reçu, de la nature, des besoins : besoins
intellectuels, moraux et physiques ; besoins du cœur, de l’intelligence, des sens, de
l’imagination. Or, quel moyen que chacun remplisse la fonction, pour laquelle la
nature le créa, si les institutions sociales, qui pèsent sur lui, font obstacle à l’entier
développement de son être en lui refusant la satisfaction des besoins inhérents à
son organisation particulière ? D’où — dans les limites des ressources communes
et en prenant le mot « besoins » dans sa plus large et plus noble acception — cet
axiome qui correspond avec le premier et le complète : « À chacun suivant ses
besoins. »
Là est le droit
Utopie ! ne manqueront pas de s’écrier les hommes superficiels, ou ceux à qui des
investigations de ce genre sont tout à fait étrangères. Cependant, voyons un peu.
La première objection qui se présente aux esprits inattentifs, est l’impossibilité
apparente de fixer la mesure d’un besoin. Objection étrangement futile ! La mesure
d’un besoin est dans son degré d’intensité. Est-ce que nous ne cessons pas de
manger, quand nous n’avons plus faim ; de boire, quand nous n’avons plus soif ; de
marcher, quand nous sommes fatigués ; de lire ou de jouer, quand nous
n’éprouvons plus le besoin de le faire ? il n’est pas jusqu’aux besoins morbides qui
n’aient leur limite naturelle et infranchissable. La difficulté n’est donc pas de trouver
une ...

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Quelques vérités économiques Louis Blanc 1911
Le travail agréable
…Mais, avec des facultés, l’homme a reçu, de la nature, des besoins : besoins intellectuels, moraux et physiques ; besoins du cœur, de l’intelligence, des sens, de l’imagination. Or, quel moyen que chacun remplisse la fonction, pour laquelle la nature le créa, si les institutions sociales, qui pèsent sur lui, font obstacle à l’entier développement de son être en lui refusant la satisfaction des besoins inhérents à son organisation particulière ? D’où — dans les limites des ressources communes et en prenant le mot « besoins » dans sa plus large et plus noble acception — cet axiome qui correspond avec le premier et le complète : « À chacun suivant ses besoins. »
Là est le droit
Utopie ! ne manqueront pas de s’écrier les hommes superficiels, ou ceux à qui des investigations de ce genre sont tout à fait étrangères. Cependant, voyons un peu.
La première objection qui se présente aux esprits inattentifs, est l’impossibilité apparente de fixer la mesure d’un besoin. Objection étrangement futile ! La mesure d’un besoin est dans son degré d’intensité. Est-ce que nous ne cessons pas de manger, quand nous n’avons plus faim ; de boire, quand nous n’avons plus soif ; de marcher, quand nous sommes fatigués ; de lire ou de jouer, quand nous n’éprouvons plus le besoin de le faire ? il n’est pas jusqu’aux besoins morbides qui n’aient leur limite naturelle et infranchissable. La difficulté n’est donc pas de trouver une mesure à nos besoins, mais d’arriver à un arrangement social tel, que les prescriptions de la nature n’y soient contrariées par aucun obstacle conventionnel, né de cet arrangement même: comme, par exemple, dans la société actuelle, où l’on voit des paralytiques manquer de tout moyen de transport, tandis qu’il y a chevaux, carrosses à l’usage de gens à qui le mouvement serait bon pour la santé. Il est singulier que des faits où se trouve, manifestement, le germe des perfectionnements possibles de la société se passent chaque jour, sous nos yeux, sans que personne prenne la peine de les analyser. Dans la famille, est-ce que les enfants ne donnent pas proportionnellement ce qu’ils peuvent, et ne reçoivent pas proportionnellement ce qu’il leur faut ? Est-ce que celui d’entre eux qui est en état d’aider la famille par ses travaux s’autorise de ses services pour confisquer la part de celui de ses frères qui n’est encore, pour la famille, qu’une charge ? L’action du double principe, posé plus haut, est ici bien évidente, et si l’on objecte qu’elle s’explique, en ce cas, par des liens naturels d’affection, impossibles à supposer entre des hommes inconnus les uns aux autres, le spectacle de ce qui a lieu dans un club fournit une réponse décisive. Là, une fois admis, chaque membre a le libre usage des journaux de la bibliothèque, de la salle où l’on fume, etc. Mais, dans le
fait, chacun prend-il, de ces divers avantages, une part identique à celle de son voisin ? Non ; tel membre fréquente, de préférence, la salle de billard, tel autre la salle de lecture ; et celui qui ne fume pas paye volontiers sa cotisation destinée à la salle des fumeurs.
« À chacun selon ses besoins », voilà le principe sur lequel tout club anglais repose. Oui, au point de vue de la proportionnalité à établir dans la satisfaction des besoins de l’homme en société, un club est la mise en pratique du socialisme sur une petite échelle, son objet et son résultat étant de fournir, à tous les membres qui le composent, l’égale satisfaction de leurs besoins inégaux. Je pourrais multiplier les exemples, et montrer, par ce qui se voit journellement, combien est facile la réalisation de la doctrine en question, même pour ce qui touche aux besoins intellectuels et moraux. Que sont, en effet, les cours gratuits, les bibliothèques publiques, les musées, les parcs tels que Hyde-Park, les jardins tels que les Tuileries, sinon d’admirables emprunts faits par la société actuelle à l’idéal de la société future ?
Mais où chacun recevrait de la sociétéce qu’il faut, il serait nécessaire et juste que chacun fît pour la sociétéce qu’il peut. Et c’est ce qui aurait lieu volontairement, sans effort, et, à part même le sentiment du devoir, par le seul attrait du travail, dans une société, où l’accord établi entre les fonctions diverses et les aptitudes naturelles correspondantes aurait fait, du travail un plaisir ; car, de toutes les jouissances de l’homme, il n’en est point de plus vive que celle qu’il puise dans le libre, dans le volontaire exercice de ses facultés.
Si nous voyons aujourd’hui tant de paresseux, c’est la faute d'institutions qui font dépendre uniquement du hasard et de la misère la distribution des fonctions sociales, sans tenir compte ni de la spécialité des vocations, ni de celle des aptitudes, et sans consulter les penchants. Tel était né poète ; la misère le force à être charpentier. Tel était né Louis XVI, avec une propension et des aptitudes marquées pour la mécanique ; le hasard de la naissance le condamne à être roi. Est-il surprenant que la haine du travail trouve place au milieu de ce déclassement universel des aptitudes et dans ce perpétuel étouffement des tendances naturelles ? Qu'on préfère le repos à un travail auquel on ne se sent point propre, vers lequel on n'est point porté, qu'on n'accepte que comme une dure loi de la misère et dont les fatigues sont sans compensation suffisante : quoi de plus simple ? Pour les nègres, à qui la servitude a inspiré l'horreur du travail, le repos absolu, c'est l'idéal de la liberté, et l'on conçoit du reste que la paresse soit fille de l'esclavage.
Mais prenez un ordre social où les fonctions diverses seraient distribuées selon les facultés et les penchants… Y aurait-il paresse générale, alors, dites-moi ? Est-ce que les poètes n'aiment pas à faire des vers, les peintres des tableaux, les mécaniciens des machines ? Est-ce qu'un véritable mathématicien ne se complaît pas à résoudre des problèmes et un véritable architecte à bâtir des maisons ? Est-ce que l'art de cultiver la terre n'a pas des charmes puissants, quand il ne constitue pas un labeur contraint et excessif ?
Je connais des hommes qui, possesseurs d'une fortune colossale, travaillent jusqu’à 12 heures par jour. Je connais des négociants qui, après s'être enrichis, restent dans les affaires afin de ne pas s'exposer à tomber dans l'ennui : tant il est vrai qu'on peut aimer le travail pour lui-même et indépendamment de ce qu'il rapporte, quand on l'a embrassé avec entière liberté et par choix ! De fait, les lois de la nature ne seraient-elles pas dignes de pitié et de mépris, si elle nous avait donné, avec des facultés, une répugnance instinctive à les exercer ; si, en nous donnant des yeux, elle nous avait rendu pénible l'action de voir ; si, en nous donnant des oreilles, elle nous avait rendu pénible l'action d'entendre ? Non, la paresse absolue n'est point pour l'homme un état normal, et elle lui serait un supplice le jour où elle deviendrait obligatoire. Rapp, fondateur d’une communauté civile et religieuse enAmérique, avait imaginé, comme châtiment à infliger aux paresseux, l’oisiveté forcée, pendant un laps de temps déterminé : l’efficacité du moyen en démontra bien vite l’excellence.
(Révélations historiques, tome 1er.)
Sujétion économique
Lorsque, au mois de septembre 1848, le droit au travail fut discuté, M. Thiers donna de la liberté sociale la définition suivante : « Elle consiste, dit-il, à disposer de ses [1] facultés comme on l’entend, à choisir sa profession. » Il est singulier que M. Thiers n’ait pas pris garde qu’en s’exprimant de la sorte, il prononçait contre l’ordre
social actuel la plus dure des sentences, et proclamait implicitement la vérité de ce qu’on a appelé les « théories » du Luxembourg ; car il faudrait un degré bien extraordinaire de hardiesse pour prétendre que la constitution actuelle de la société se prête à l’exercice de la liberté, telle que M. Thiers la définit. Sont-ils libres d’entrer dans la carrière de la magistrature, de s’appliquer aux lettres, d’aspirer aux grasses fonctions de la finance, en un mot de disposer de leurs facultés comme ils l’entendent et de choisir leur profession, ces pauvres enfants qui, forcés d’ajouter au salaire paternel le fruit d’un travail horriblement précoce, sont envoyés, dès l’âge de sept ans, dans une manufacture où la flamme de leur intelligence s’éteint, où la santé de leur âme se perd, où toutes leurs facultés s’épuisent à surveiller une roue qui tourne. Sont ils libres de suivre le goût qui les entraîne vers l’agriculture ou le commerce, ces adolescents, fils du pauvre, que réclame le devoir militaire, dont les fils du riche se dispensent à prix d’or ? Quedis je ! sont-elles libres de devenir d’honnêtes mères de famille, ces pêcheresses que le tragique ouvrage de Parent-Duchâtelet nous montre irrésistiblement poussées dans les impasses de la prostitution par l’excès de la misère ? Qui ne voit que, le régime actuel donnant presque tout au hasard d’une naissance heureuse, c’est ce hasard, et non la loi naturelle des vocations, qui décide presque toujours du choix des carrières ? On cite et l’on compte ceux qui, par un surcroît d’énergie, ou de circonstances particulières, sont parvenus à dompter les obstacles dont le berceau du pauvre est entouré. Le pauvre libre ! Eh ! nous ne laissons pas même à sa liberté la borne de nos rues et la pierre de nos chemins ; car nous punissons comme mendiant celui qui tend la main, faute d’emploi, et comme vagabond celui qui s’endort sur les marches d’un palais, faute d’asile. Non, le pauvre ne jouit pas de cette liberté sans laquelle il ne vaut pas la peine de vivre ; — et c’est tout au plus si, à son tour, le riche est appelé à en jouir, asservi qu’il est aux préjugés qui le rendent esclave de lui-même. Louis XVI, qui eût été digne et heureux serrurier, a dû au hasard de sa naissance de mourir sur un échafaud ; et tel qui mourra sur un grabat, après avoir vécu dans une mansarde, avait eu lui les germes d’une intelligence à gouverner un empire. En veut-on la preuve ? Elle est fournie par toutes les révolutions, qui, agitant la société de manière à en déchirer la surface, ont si souvent tiré de ses profondeurs de quoi étonner les hommes. Nul observateur impartial qui ne soit obligé de reconnaître, dans le principe qui sert de base à la société actuelle, la négation même de la grande maxime, récemment proclamée en Angleterre avec tant d’éclat :The right man in the right place. Il y a là un mal impossible à nier et qui a sa racine dans la possession, transformée en privilège, de tous les moyens d’éducation et de subsistance, de tous les instruments de travail : état de choses qui fait qu’un grand nombre d’hommes trouvent, dès leur premier pas dans la vie, un obstacle invincible au développement de leurs facultés naturelles et à l’emploi de leurs véritables aptitudes. Aussi, à qui les encouragerait au travail par l’espoir d’en recueillir les fruits, combien pourraient leur répondre :Vous nous criez : « Travaille ! » mais nous n’avons ni un champ pour labourer ; ni du bois pour construire ; ni du fer pour forger ; ni de la laine, de la soie, du coton, pour en faire des étoffes. C’est peu : ne nous est-il pas interdit de cueillir ces fruits, de boire à cette fontaine, d’aller à la chasse de ces animaux, de nous ménager un abri sous ce feuillage ? Tout nous manque pour travailller et… pour vivre, parce qu’en naissant nous avons trouvé tout envahi autour de nous ; parce que des lois, faites sans nous et avant nous, ont remis cruellement au hasard le soin de notre destinée ; parce qu’en vertu de ces lois, les « moyens de travail » dont la terre semblait avoir réservé l’usage à tous ses enfants, sont devenus la possession exclusive de quelques-uns. À ceux-ci de disposer de nous, puisque nous ne pouvons disposer de nous mêmes. « Travaille ! » Nous sommes prêts, mais cela ne dépend-il que de notre volonté ? « Travaille, et tu seras assuré de conserver le fruit de ton travail. » Eh ! comment nous garantiriez-vous le fruit de notre labeur, quand vous ne pouvez ou n’osez nous garantir l’emploi de nos bras ? Notre dénuement nous livre à la merci d’autrui, et ce qu’on nous offre, en échange de notre activité, ce n’est pas le produit créé, c’est seulement un salaire qui nous permettra de vivre en le créant, salaire dont la concurrence maintient le chiffre au niveau des plus strictes nécessités de la vie, et qui ne laisse presque jamais de marge pour des épargnes, que dévorerait, d’ailleurs, le premier jour de chômage ou de maladie. Ce n’est donc pas la perspective du bien-être futur de nos enfants qui nous stimule, nous : en fait de stimulant, nous ne connaissons que la faim. Comment se fait-il que ceux qui fécondent la terre soient en peine d’un morceau de pain ? que ceux qui tissent les étoffes précieuses soient en peine d’un vêtement ? que ceux qui bâtissent les palais ne sachent pas quelquefois où reposer la tête ?… (Révélations historiques, pages 166 à 169.) Notes
1. ↑Séance du 3 septembre 1848.
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