Religion(s) et identité(s) en Ukraine : existe-t-il une « identité des confins » ? - article ; n°4 ; vol.35, pg 37-74

Natalka Boyko

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 2004 - Volume 35 - Numéro 4 - Pages 37-74
Cet article analyse la place du religieux dans le processus identitaire national en Ukraine à partir du paradigme des confins, déjà utilisé par les historiens et les anthropologues ukrainiens pour l'étude des processus de construction de l'État-nation. L'auteur propose la notion de « religion des confins » pour la compréhension de la spécificité des identités religieuses construites à travers l'histoire et s'interroge sur sa pertinence en Ukraine post-soviétique et post-athée.
How does religion take part in forming a national identity in Ukraine? This question is raised in relation to the paradigm of the fringes used by Ukranian historians and anthropologists to study the building of the nation- state. The notion of a religion of the fringes is proposed to understand specific religious identities constructed through history. How relevant is it in post-Soviet and post-atheistic Ukraine?
38 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 2004
• Nombre de lectures: 80
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Natalka Boyko
Religion(s) et identité(s) en Ukraine : existe-t-il une « identité
des confins » ?
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 35, 2004, N°4. Religions, identités et territoires. pp. 37-74.
Résumé
Cet article analyse la place du religieux dans le processus identitaire national en Ukraine à partir du paradigme des confins, déjà
utilisé par les historiens et les anthropologues ukrainiens pour l'étude des processus de construction de l'État-nation. L'auteur
propose la notion de « religion des confins » pour la compréhension de la spécificité des identités religieuses construites à
travers l'histoire et s'interroge sur sa pertinence en Ukraine post-soviétique et post-athée.
Abstract
How does religion take part in forming a national identity in Ukraine? This question is raised in relation to the "paradigm of the
fringes" used by Ukranian historians and anthropologists to study the building of the nation- state. The notion of a "religion of the is proposed to understand specific religious identities constructed through history. How relevant is it in post-Soviet and
post-atheistic Ukraine?
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Boyko Natalka. Religion(s) et identité(s) en Ukraine : existe-t-il une « identité des confins » ?. In: Revue d’études comparatives
Est-Ouest. Volume 35, 2004, N°4. Religions, identités et territoires. pp. 37-74.
doi : 10.3406/receo.2004.1677
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2004_num_35_4_1677Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2004, vol. 35, n° 4, pp. 37-74
Religion(s) et identité(s) en Ukraine :
existe-t-il une « identité des confins » ?
Natalka BOYKO *
RÉSUMÉ : Cet article analyse la place du religieux dans le processus identitaire
national en Ukraine à partir du paradigme des confins, déjà utilisé par les histo
riens et les anthropologues ukrainiens pour l'étude des processus de construction
de l'État-nation. L'auteur propose la notion de « religion des confins » pour la
compréhension de la spécificité des identités religieuses construites à travers l'his
toire et s'interroge sur sa pertinence en Ukraine post-soviétique et post-athée.
Abstract: How does religion take part in forming a national identity in
Ukraine? This question is raised in relation to the "paradigm of the fringes" used
by Ukranian historians and anthropologists to study the building of the nation-
state. The notion of a "religion of the fringes" is proposed to understand specific
religious identities constructed through history. How relevant is it in post-Soviet
and post-atheistic Ukraine?
L'observation des phénomènes identitaires et religieux en Ukraine et
de leur corrélation met en évidence la pluralité des logiques qui sont à
l'œuvre dans le choix d'identité(s) religieuse(s) et nationale(s). Ces ident
ités sont souvent multiples, chacune d'entre elles étant perçue comme
non exclusive et parfaitement compatible avec les autres. Sur ce terrain
post-soviétique/post-athée, il semble intéressant de se demander aujour
d'hui comment se caractérise le phénomène des confins qui a tant marqué
le territoire, la culture et les consciences de l'Ukraine à travers l'histoire l.
Plus précisément, il s'agit d'examiner ici dans quelle mesure on peut
déceler des traits d'une religion des confins dans le paysage religieux
contemporain.
À supposer qu'on parvienne à clarifier comment le religieux des
confins modèle l'identité ukrainienne post-soviétique, il convient toutefois
de démêler ce qui, dans les fondements de cette identité rendue spécifique
* Doctorante à l'IEP de Paris, rattachée au Centre d'études et de recherches interna
tionales, Fondation nationale des sciences politiques ([e-mail]). Cet article
est le prolongement d'une contribution - "L'Ukraine entre Rome, Moscou et
Constantinople" - préparée en commun avec Kathy Rousselet (chargée de recherche à la
FNSP - CERI) et présentée au colloque L'Ukraine et le monde extérieur dix ans après
l'indépendance organisé par Anne de Tînguy au CERI, le 5 avril 2002 ; voir aussi BOYKO &
Rousselet, 2004
1. U-kraïna signifie étymologiquement « pays bordier, confins, marches, limes ». 38 Natalka Boyko
par la « construction tardive de la Nation » (Riabtchouk, 2003), relève du
facteur religieux et ce qui renvoie à des mutations sociales ou géopoli
tiques et au jeu du pouvoir.
1. Comment l'identité ukrainienne a été conditionnée par les
confins : mise en perspective historique
« Les pays ruthènes ont toujours été les confins de
quelqu'un : du vaste Grand-Duché de Lituanie aux XIIIe-
XVe siècles, de la République bicéphale de Pologne-Lituanie
du XVe au XVIIIe siècle, de l'Empire russe, puis soviétique,
du XVIIIe au XXe de d'Autriche aux XVIIIe-
XIXe siècles, de l'Empire ottoman ou de la Horde d'or aux
XVIIe-XVIIIe siècles. » (Beauvois, 2000, p. 59)
« L'Ukraine, située aux confins des deux aires culturelles
gréco-byzantine et occidentale, légitime membre de l'une et
l'autre, a aspiré tout au long de son histoire à une synthèse
vivante de ces deux traditions. Ce fut un grand dessein, mais
il est indéniable que l'Ukraine n'a pas su l'accomplir jusqu'au
bout. Dans les moments marquants de son histoire, tels que
l'époque de la Rus' de Kyïv et de la République cosaque du
XVIIe siècle, l'Ukraine est presque parvenue à opérer une
telle synthèse. Bien que ces époques aient été riches d'opport
unités et de succès partiels, dans les deux cas, la synthèse
finale n'a pas abouti, l'Ukraine ayant succombé à des pres
sions extérieures excessives et à son déchirement interne. En
ce sens, on peut dire que ce grand dessein, vocation historique
du peuple ukrainien, est encore inachevé et appartient à
l'avenir. » (Lysjak-Rudnyts'kyj, 1994, p. 9)
Sur le plan empirique, le rapide survol de l'histoire de l'Ukraine dû aux
deux historiens, l'un français, l'autre ukrainien, cités en épigraphe suffit
pour constater la pertinence du paradigme des confins sur le terrain
ukrainien tant il est vrai que l'espace qui forme aujourd'hui le territoire
national de l'Ukraine s'est caractérisé à travers les siècles par une grande
fluidité du fait de sa position « dans une voie de passage entre l'Asie et
l'Europe, dans les confins géographiquement instables entre deux cultures
différentes : byzantine et romaine » (Lypyns'kyj, 1995, p. 421). Sans parler
de l'influence des Turcs et des Tatars qui voulaient conquérir le Sud mais
qui disparurent de la scène à la fin du XVIIIe siècle. De cette histoire,
l'Ukraine - zone de contact 2 - a hérité une mobilité de ses frontières
intérieures, que celles-ci séparent les groupes linguistiques et ethniques,
les religions, les systèmes politiques ou encore les modèles socio-culturels.
Sur le plan théorique, le paradigme des confins fournit-il une clé
conceptuelle permettant d'élucider ces phénomènes dans leur
2. Pour la notion de zone de contact, lire Nekrasov, 1995. et identité(s) en Ukraine 39 Religion(s)
hétérogénéité et la manière dont ils marquent aujourd'hui la construction
nationale et le processus identitaire en Ukraine ? Cette approche
théorique ne s'est imposée que tardivement et reste peu formalisée 3,
même si les historiens et les anthropologues ukrainiens en ressentent le
besoin depuis longtemps à en juger par les premières tentatives de modif
ier le « schéma de l'histoire nationale » 4 (Hrusevskyj, 1991-1999) forgé
entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Cette réflexion s'étend à
toute l'Ukraine, rive gauche et rive droite du Dniepr, même s'il faut
inscrire, en fonction de l'époque, des parties de cet espace dans des
contextes historiques différents. Elle s'articule autour de l'idée de
l'Ukraine comme « confins » étant donné sa position géographique entre
l'Occident et l'Orient. Il s'agit de penser l'Orient et l'Occident dans la
pluralité de leurs facteurs d'influence :
- pluralité des Orients : facteur byzantin, facteur tatare/turco-
musulman, fac