Verticalité durable - Enjeux écologiques paysages moraux
26 pages
Français

Verticalité durable - Enjeux écologiques paysages moraux

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
26 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Dans cet essai universitaire je propose une lecture de multiples visions environnementalistes contemporaines qui s’expriment dans les dites ¨tours durables¨. À partir de cet objet architectural j´interroge les façons de concevoir les rapports homme/nature et la hiérarchisation des préoccupations éthiques et des valeurs qui sont mobilisées par les différentes « branches » de la pensée écologique. Je conclu par la proposition d’une interprétation de la tour « durable » comme support et expression d’un certain ordre moral qui devient « dominant » car il traduit des rapports de pouvoir. La ¨verticalité durable¨ peut elle donc être interprétée en tant que « paysage moral »?

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 13 juin 2012
Nombre de lectures 778
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

La verticalité « durable »
Enjeux écologiques, paysages moraux
David Mateos Escobar UE Etat des connaissances Master 2 Urbanisme et Aménagement, Parcours Recherche, IUAR, Février 2011
Introduction
Depuis un peu plus d’une trentaine d’années, l’urbanisation vertigineuse du monde a renouvelé dans les villes autour du monde la pression foncière qui encouragea la construction des premiers gratte -ciels entre la fin du XIXe siècle le début du XXe. Dans un contexte sensiblement différent,caractérisé par l’étalement constant de la ville depuis plus d’un demi-siècle, les penseurs et les concepteurs de l’urbain posent l’hypothèse de la densification de la ville existante comme frein à la consommation frénétique de la surface planétaire. Source de polémique après certaines expériences, la « verticalisation » peut-elle faire face aux défis soulevés par l’étalement urbain, notamment ceux qui concernent la diminution des impacts humains sur l’environnement ? Mais aussi, peut-elle contribuer à faire des villes plus habitables et notamment plus justes socialement ? Autrement dit, l’urbanisme et l’architecture verticale sontville durable»,-ils à la hauteur des attentes de la « capablesd’articuler problématiques environnementales, économiques et sociales dans des temporalités longues ?
Afin de dégager des éléments de réponse à cette vaste problématique, une première partie de cet article cherche à montrer comment ont évolué les enjeux qui sont posés au gratte-ciel. En parallèle, il essaye d’appréhender comment ingénieurs, architectes et urbanistes s’adaptent aux nouveaux enjeuxsoulevés par les préoccupations environnementales. Ceci, concernant principalement l’étalement urbain,surconsommation la énergétiqueet en filigrane la question de l’habitabilité et de la mixité sociale, en mettant l’accent sur les limites de leur action. L’analyse de la question de l’étalement urbain sera illustrée par des exemples provenant d’autour du globe. Celui de la problématique de l’efficacitéénergétique des tours et gratte-ciels reposera sur trois projets différents de tours « durables » : laTour de la Rivière des Perles de Gordon Gill, le projet de prospective HypergreenJacques Ferrier et les tours «  de bioclimatiques» du pionnier de l’architecture «durable » Ken Yeang.
Àpartir de cette comparaison, l’article cherche dans une deuxième partie, à proposer une lecture synthétique des visions environnementalistes contemporaines afin d’aider la compréhension des valeurs qui s’expriment dans la tour « durable». Il s’agit donc d’interroger d’une part, les façons de concevoir les rapports homme/nature et de l’autre, la hiérarchisation des préoccupations éthiques et les valeurs qui sont mobilisées par les différentes « branches » de la pensée écologique. Dans ce sens,l’article conclu par la proposition d’une interprétation de comment la tour « durable » est à la fois support et expressiond’un certain ordre moral qui devient « dominant » car il traduit des rapports de pouvoir.On s’interrogera donc sur la verticalité « durable » en tant que « paysage moral ».
I. La verticalité face aux enjeux du développement durable Contrairement à ce que l’on pourrait croire, depuis son apparition le gratte-ciel a évolué relativement peu en ce qui concerne les matériaux et les principes de construction. Il est nécessaire de rappeler quelques éléments caractéristiques des tours des premières « générations » afin de montrer comment la tour contemporaine, et plus particulièrement la tour « durable », cherche à inverser la mauvaise réputation qui lui est accolée (couteuses et énergivores). La tour « durable », pensée dans la diversité, se présente comme avatar de nouvelles pratiques techniques, architecturales et urbanistiques radicalement respectueuses de l’environnement, 1
économiquement viables et socialement intégratrices.Comment caractériser l’évolution des enjeux sur la tour, etqu’est ce que celamontre surl’unité et ladiversité de la tour « durable » ?
I.1 De la G1 à la G3 : nouveaux enjeux pour la tour
Il est admis chez les architectes que, jusqu'à présent, on observe deux grandes générations de gratte-ciel. Il y a eu d’abord le gratte-ciel de pierre et d’acier à Chicago et New York dont l’Empire State Building(19291931)et leChrysler Buildingles caractéristiques. Ces premières cristallisent tours ont été le fruit de la synthèse d’un ensemble de progrès techniques dont la structure métallique, en acier plus précisémentet l’emploi de l’énergie électrique dans le processus de construction. Des avancées technologiquescomme l’ascenseur (E. Otis, 1850-1860),la ventilation (W. Carrier, 1906) et bien sûr le téléphone étant des conditionssine qua non. Bien que les façades de cette génération de tours soient assez vitrées, cela reste modeste, traduisant surtout une sorte d’élargissementde l’architecture typique de l’époque. La fenêtre quant à elle reste un élément caractéristique de la première génération de gratte-ciel, conduisant à une opacité assez limitée de cet objet.
Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1950 que nait une deuxième génération de gratte-ciel entièrement transparent, fait d’acier et surtout deverre, ses deux principaux composants. Sur les pas duSeagram Buildingde Ludwig Mies van der Rohe (1958) et duLever House conçu par Gordon Bunshaft pour le cabinet Skidmore, Owings et Merrill, sont déclinésdes centaines d’immeubles, de plus en plus hauts, jusqu'à nos jours. Le concept de fenêtre disparait en laissant place à un habit en verre. Avec le temps, une relative plasticité des formes, certaines plus qu’improbables (ie. R. Koolhass), est atteinte grâce aux alliages de métaux et à la mise en place du ciment coulé. La tour devient un vrai objet dedesign. Mais la transparence de son habit en verre fait de la tour de la deuxième génération un objet extrême énergivore, du processus de construction à son entretien quotidien.L’architecteJacques Ferrier fait noter avec pertinence l’isolement de cet environnement artificialisé par rapport à l’extérieur. Ainsi, il synthétise de façon pertinentela substance de cette génération d’immeubles de grande hauteur, souvent mal vus :
« [J]e crois que la critique du gratte ciel[de deuxième génération]ne porte pas sur sa hauteur mais plutôt sur sa membrane diaphane qui doit envelopper un environnement bien contrôlé, pour paraphraser Reyner Banham, où l’on obtient grâce à la climatisation, une ambiance artificielle constante toute l’année:une prison de verre 1 énergivore et qui ne peut pas s’ouvrir sur l’extérieur!»(Ferrier J., 2007 :83)
En accord avec le «philosophe de l’urbain» Thierry Paquot, le problème de la deuxième génération de tours est que les architectes n’ont toujours pas abandonné cescanons esthétiques et techniques. Il suffit de jeter un coup d’œil sur des projets récents pour apercevoir ces permanences. Dans un contexte de « verticalisation » de nombreuses villes du monde, en plus de la course à la hauteur et au surdimensionnement, les problèmes de la tour grandissent eux aussi exponentiellement.Afin d’illustrer cela, l’exploitation de la tourJinmao(421 m, 1994 1999) à Shanghai -tour en verre qui fait discrètement allusion à une pagode traditionnelle- coûte environ 100 000 euros par jour ! Par ailleurs, les plus de sept mille gratte-ciels de cette ville emblématique de la Chine contemporainesont à l’origine de l’affaissement du sol: 59). Àà un rythme de 1,5 mts./an (Jian Z., 2007 quelques milliers de
1 L’accent sur cette phrase vient de l’auteur de cet article.
2
Fig. 1, De la première à la deuxième génération de gratte-ciels
b. Le gratte-ciel de deuxième génération La course à la plus haute « prison» d’acier et verreBurj Khalifa, Dubaï, 828 m, (20042010), arch. Adrian Smith, cab. Skidmore, Owings and Merrill LLP, (gauche) Source:http://www.glasssteelandstone.com/Détail Burj Khalifa (2009)Source:http://www.glasssteelandstone.com/
a. Le gratte-ciel de première génération Acier, pierre et verre (gauche) Empire State Building, New York, 443.2 m, (19291931), arch. Shreve, Lamb and Harmon, Source:http://www.glasssteelandstone.com/(droite) Chrysler Building, New York, 319.9 m, (1928-1930), arch.William Van Alen,Source:http://www.glasssteelandstone.com/
c. Le gratte-ciel de deuxième génération La course à la plus haute « prison» d’acier et verreJin-Mao, Shanghai, 421 m, (19941999), arch. Adrian Smith, cab. Skidmore, Owings and Merrill LLP, (gauche) Source:http://www.chinese-architecture.info/
Détail Jin-Mao, Source:http://www.chinese-architecture.info/
3
kilomètres au sud-ouest,c’est le plus grand chantier du monde: Dubaï. En plein désert,où l’on atteint des températures de 49°C, des sables ardents émergent le Burj Khalifa (828 m, 20042010)en 2010. Désormais, c’est la tour la plus haute du monde avec ses 828 mètres d’acier et de verre, une aberration environnementale 2 et économique. On sera sûrement terrifié lorsque dans un futur proche on connaîtra les coûtsd’exploitation de cette vraie tour de Babel. Àl’instar de l’architecte parisienDenis Valode, cette frénésie confirme que «l’exploit technique ne fait pas la qualité» (Valode, 2007 : 74).
Jusqu'à présent nous avons signalé comme enjeu central de la tour contemporaine lefficience énergétique, qu’en est-il del’étalement urbain? Cette problématique plus large et complexe faisant appel à la densification de la ville existante, place la tour comme un enjeu crucial, mais pas unique.En revanche, l’étalement urbainse présente comme un vaste problème de cohérence urbaine dans lequel la tour est un moyen, mais pas une finalité.Dans le cadre d’un certain tournant de conscience écologique qui conduit àl’engouement idéologique pour le « développement durable » ont parle de plus en plus de tours, d’urbanisme, d’architecture «durable». Cet article emprunte cettenovlangue en essayant de distinguer toutefois ses composantes. Ainsi, nous postulons qu’il estpe plus rtinent de parler d’enjeux d’architecture verticale «pour aborder ladurable » question de l’efficience énergétique, etd’enjeux d’urbanisme vertical «pour traiter de ladurable » densification. Comment techniciens, architectes et urbanistes font-ils face à ces défis dans leur pratique et quelles en sont leurs limites? Par ailleurs, peut-on parlerd’une ou de plusieursconceptions de la tour « durable » ? Ce sont ces interrogations qui vont nous entretenir par la suite.
I.2L’étalement urbain : unenjeu d’urbanismeverticale
Parmi les enjeux de « durabilité » posés au gratte-ciel,l’étalement urbainau centre des discours. Il sert figure largementd’argument partisan de la densification radicale de la ville. Pollution, mitage, déforestation, infrastructure et fragmentation urbaine, autant de problématiques que l’on retrouve commeconséquences liées à l’étalement de la ville. Si l´on préfère identifier cet ensemble de problématiques à une pensée plus urbanistique qu’architecturale, cela à plusieurs raisons. Premièrement,il s’agit de l’échelle d’intervention. Si l’architecture concerne la forme et la structure de l’objet àréalisé, l’urbanismeen revanche pense et intervient à l’échelle d’ensemble spatiale, voirede territoires entiers. Il cherche à créer de la cohérence, de la lisibilité et de l’efficacité entre les différents «et objets de la ville. Vue dans cette optique, la tour constitue unmorceaux » objet parmi d’autres. Un objet qui doit faire ville avec d’autres objets et dynamiques. Qu’est-ce que nous  3 entendons alors par « urbanisme vertical » ? Nous y voyons deux sens complémentaires. Premièrement, c’est la réflexion, la construction et la transformation de la ville afin de rattacher la tour à ce qui fait la vie de la Cité. Deuxièmement -et cela se fait en symbiose avec l’architecture-il s’agit de créer des noyaux de la vie de la Cité2 Il ne faut pas s’étonner de la crise récente de la dette de Dubaï. Selon le journal Le Monde (09/12/2009), le conglomérat public Dubaï World doit environ 17,6 milliards d’euros, dont une partie importante correspond à la dette de sa filiale immobilière Nakheel (4 milliards d’euros). Premier promoteur immobilier privé au monde, Nakheel gère un portefeuille de plus de 30 milliards d’euros, et est à l’origine des îles en forme de palmiers et du monde qui ajoutent plus de 1 000 km de plages à Dubaï.Source :http://www.lemonde.fr/, « Le groupe Nakheel boit la tasse au premier semestre »3 Cette terminologie devient courante et souvent l’étendard des partisans de la densification; plus ou moins radicale ; de la ville. En février 2007, Ajman le plus petit des Emirats (275 km², 100 000 habitants), qui ne possède pas de pétrole et rattrapé par la pression foncière qui résulte de la course entre Abou Dhabi et Dubaï, organisa la première édition de la Ajman Urban Planning Conférence, qui se veut annuelle, et rassembla des grandesstars de l’architecture et des intervenants internationaux autour du «Vertical Urbanism». (cf.Panerai, 2007,Urbanismen°354, mai-juin 2007 :75-76)
4
dans la tour.Sans rentrer dans une discussion trop profonde, l’urbanisme vertical cherche à créerles conditions de ladensité, de ladiversitéet de l’intensité: autrement dit de l’urbanité. Entendons par là,
« [Le]caractère proprement urbain d’un espace […] tant un résultat du fonctionnement de l’organisation urbaine qu’un opérateur de l’organisation et de son fonctionnement.» (Lussault M., 2003 : 966).
Ainsi, ses principaux enjeux sont l’articulation et la gestion de la; dedensité et de la pression foncière l’infrastructure,de l’espace public et le paysage urbain ; du rapport à la ville et de la mobilité ; du rapport au sol 4 des tours et, bien sûr, des rapports avecl’environnement.Entendu comme une approche générale, l’urbanisme vertical doit cependant s’adapter aux besoins et contraintes (surtout en termes de réglementation) de sociétés urbaines différentes.
Revenons rapidement sur la question dela densification comme réponse à l’étalement urbain. Il est important de mentionner que, sil’urbanisme vertical devient sujet de colloques internationaux et de réflexions sérieuses et partisanes le débat sur la capacité de la tour à densifier la ville reste ouvert.L’argument selon lequel plus on construit en hauteur plus la densité des quartiers est élevée,fait l’objet de nombreusescritiques. De nombreux auteurs on cherché à montrerque l’habitat vertical ne crée pas forcement des COS plus élevés (Fouchier V., 1997). En partie, cette opposition vient dela critique de l’architecture inspirée du fonctionnalisme Corbuséen qui prônait des emprises au sol faiblespour libérer l’espace de la parcelle.exemple, Claude Parent, Par architecte français, a affirmé que :
«Libérer le sol est devenu faux. Occuper le sol au sens militaire devient la seul action vraie» (cité parManola, T., 2006 :4)
Ainsi, les détracteurs de la verticalité pour la verticalité argumentent que la ville dense n’a pas forcement de grande hauteur mais surtout une épaisseur raisonnée qui encourage la mixité fonctionnelle (ibid). Christian Joubert, président du groupe immobilier Unibail à l’origine du projet de la tour Phare à la Défense, représente bien l’argumentation des partisans des immeubles à grande hauteur :
«C’est un fait avéré que les tours permettent de densifier. Avec un pavillonnaire, on atteint une densité de 0,5, avec des maisons de ville, 1 maximum, avec des bâtiments de 8 niveaux, 3 au maximum ; au dessus, il faut faire appelà des bâtiments de grande hauteur […] seule la densité des villes permettra de sauvegarder des espaces naturels ou agricoles et de limiter le temps et l’énergie dépensés en transports.» (Joubert, 2007 : 60)
On constate que la densification anime un débat partagé entre partisans et détracteurs. Plus particulièrement, parmi les partisans c’estsurtout la hauteur de la tour qui est mise en question. Il est aussi important de constater que les partisans concèdent aux détracteurs quel’urbanisme vertical ne pourra pas conduire à des 4 Si on considère que la préoccupation écologique est d’emblée intégrée dans cette approche holistique, alors il pourrait paraitre redondant de parler d’urbanisme vertical «durable». Cela témoigne d’une part, une logique delabélisation dansl’adjectif «durable», et de l’autre, une tendance à insister d’avantage sur la préoccupation environnementale de cette approche du développement. Enfin, pourvu que l’idée de développement renvoi à penser le développement économique, le bon fonctionnement des circuits de l’accumulation de capital, on est amenés à constater une perte de la dimension sociale de la notion.
5
villes plus compactes tant que la tour reste un objet énergivore et cela semble être proportionnel à la taille. D. Valode interroge le caractère paradoxal de la tour :
«On peut ainsi se demander si pour résoudre un problème, on n’est pas en train d’en poser un autre.» (Valode, D., 2007 :74)
Si de nombreuses municipalités et d’autorités métropolitaines en Europe (i.e Grand Paris ; Merlin P., 2007 :56-58) et dans le reste du monde réfléchissent à la question de la densification comme une solution à l’étalement urbain, la réalité met en exergue les théories et les visions prosaïques. On ne peut pas prétendre que Chicago ou New York, berceaux du gratte-ciel, ont été épargnées par ce processus urbain.La verticalité à Tokyo ne l’a pas empêché de devenir la ville la plus étalée du monde. À Shanghai, ville avec le plus grand nombre de tours au monde (7000 en 2007), la municipalité a favorisé la construction de tours dans le centre-ville pendant les années 1990 en relogeant des centaines de ménages dans les nouvelles banlieues. Désormais, une partie importante des tours de logement restent vacantes. Résultat : la ville se densifie en espace bâti, mais pas en habitants ! (Jian Z., 2007 :52-53).
De l’autre cotédu Pacifique, la ville de Mexico qui a connu une forte croissance depuis les années 1950, n’a toujours pas réussià inverser le processus d’étalement urbain malgré une politique volontariste de densification. Comme Mexico, Istanbul connait depuis une dizaine d’années une croissance verticale de ses quartiers péricentraux caractérisée par des logiques fortement spéculatives. Son étalement se poursuit par le déplacement dans les périphéries de masses de populations modestes voire marginales mais aussi, paradoxalement, par le développement d’enclaves résidentiellesfermées construites dans la forêt primaire, vrai poumon de la ville. Enfin, pour conclure le tour du globe des limites de la densification, la ville de Sao Paolo, qui subit une « verticalisation » précoce depuis les années 1930 lui permettant de rester assez compacte, fait face à un étalement urbain volontariste depuis les années 1960-1970. Ceci comme résultat de la réduction des COS réglementaires. À l´instar de la brésilienneNadia Somekh, historienne de l’architecture:
«Une plus grande consommation de terrain réduit les possibilités de mixité sociale et favorisel’élitisme en termes d’occupation des immeubles. La convivialité qui s’était instaurée entre les immeubles et la ville*…+ disparaît peu à peu, remplacée par une anti-ville.» (Somekh N., 2007 :48)
L’«anti-ville» décriée par N. Somekh n’est pas seulement celle dupavillonnaire et desgated communities,c’estaussi uneanti-villeverticalequi met fin à l’urbanité.Les limites del’urbanisme verticalpour limiterl’étalement urbain font écho au paradigme de la « ville à trois vitesses » de Jacques Donzelot (2004) : périurbanisation, gentrification et ségrégation,marquent le rythme de l’évolution des villes. Dépasséepar l’ampleur du phénomène d’étalement urbain, l’architecture verticale « est-elle capable de répondre auxdurable » problématiques inhérentes de la tour ?
I.3 Tour(s) durables(s) :l’efficience énergétique en point de mireOn la dit, la tour de la deuxième génération incarne l’idée même d’artificialité etpose deux défis majeurs pour la « durabilité »: l’efficacité énergétiquecentre des préoccupations et, en moindre mesure, la mixité au fonctionnelle et sociale. Faceaux limites de l’urbanisme vertical à limiter l’étalement urbain, l’architecture verticale « durable » est-elle en mesure de résoudre quelque chose ? Que nous apprendà ce sujet l’analyse de trois approches différentes de la tour « durable » ? 6
Le développement de la tour de deuxième génération (énergivore et couteuse) est de plus en plus problématique avec le surdimensionnement encouragé par une course « phallique» (on nous excusera l’image)internationale. Depuis la fin des années 1970, début 1980, une troisième génération de tours se profile. Au début dans la marginalité, c’est avec l’émergence du mouvement environnementaliste mondial dans les années 1990 que démarre une course en parallèle, cette fois-ci à la tour « écologique». Alors que pour certains c’est la taille qui compte, pour d’autres, c’est la qualitéqui l’emporte.course à la tour « écologique Cette » s’est rapidement emparée-en synonymie- de la terminologie plus ambitieuse de « durabilité». À l’image des technologies qui ont rendu possible leskybuildingde première génération, la tour « durable » cherche à intégrer toute une armada de dispositifs et matériaux révolutionnaires, afin de diminuer la consommation énergétique et d’enproduire pour devenir autosuffisantes. Panneaux solaires, éoliennes, captation des précipitations et doubles peaux, deviennent la signatured’une « troisième génération » de tours et gratte-ciels.
Depuis 2006, laPearl River Tower (arch. Gordon Gill, étasunien) à Guangzhou est un des multiples chantiers pharaoniques de la capitale manufacturière du sud chinois. Dans le contexte, depuis2009, la Chine s’est 5 engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre entre 40% et 45 % par unité de PIB d’ici 2020. Ainsi, les 310 mètres de la « Perle des tours »s’érigentyeux du monde » comme« aux le symbole de l’engagement (toujours suspect) entre le pays le plus pollueur du monde et l’environnement.Si on s’intéresse au « concept » de la tour, on découvre que cette dernière fait un cocktail de technologiesenvironnementalement correctes (Pacquot T., 2007 :40): éoliennes intégrées au corps de la tour dont l’ergonomie accélère les courants de vent, des centaines de panneaux solaires et une deuxième peau créant un vide avec la première qui permet la circulation de courants d’air et de bénéficier de l’énergie géothermique. Enfin, le tout est censé rendre la tour «énergétiquement-autonome ».
6 La « Perle des tours »fait cependant l’objet de nombreusescritiques. Récemment,lors d’une projection-débat 7 autour du film éponyme réalisé par Guillaume Poyet (2009-50 min) un ingénieurexpert d’EDFénergies aux renouvelables réfute les suppositions que cette tour pourrait devenir auto-suffisante. Il conclu que la « Perle des Tours » ne devrait pas produire plus de 5% de l’énergie qu’elle consomme.Cela équivaudrait plus ou moins à la proportion d’énergie nécessaire pour alimenter le fonctionnement du système de raccrochage de la tour au réseau électrique de la ville ! Par ailleurs, les coûts énergétiques et plus largement environnementauxd’un
chantier d’une telle ampleur sont entièrement négligés. La fin justifie t-elle les moyens ?Idemles pour conditions de travail des masses ouvrières. En pluset ce afin de pousser la contradiction à son extrême caricatural- la tour doit devenir le siège social de la Corporation Nationale du Tabac, groupe industriel certainement très sensible aux impacts environnementaux de son activité et à la santé humaine. Nettoyage de conscience? Ce qui est certain, c’est que la «Perle des Tours » incarne une vision environnementaliste assez légère dite « marketing »et qu’on associe au courant nommémainstream environementalismsur lequel on reviendra plus tard. Ainsi, peut-on parler d’un tour de troisième génération ou plutôt d’une tour G2 bis?
5 http://www.chinadaily.com.cn/china/2009-11/26/content_9058731.htm, consulté : 30 janvier 2011 6 Projection-débat présenté par le journaliste Jean Couture dans les Archives Départementales des Bouches du Rhône, Marseille, dans le cadre du Festival Image de Ville, Aix-en-Provence, novembre 2010
7 « La Perle des Tours », Guillaume Poyet (200950 min) ; Festival Image de Ville, Aix-en-Provence, novembre 2010.
7
Fig. 2, Vers une troisième génération de gratte-ciel ?
a. « La plus propre des tours » ? Technologies « propres » au centre du discoursLa tour de la Rivière des Perles, Guangzhou, 310 m, (2006-2011 ?), arch. Gordon Gill, cab. Skidmore, Owings and Merrill LLP Source:http://www.taringa.net/
b.Le conceptHypergreen Penserl’environnement sans oublier l’habitabilitéProjet ubiquiste pensé pour une métropole tropicale, probablement Shanghai, arch. J. Ferrier et Groupe Lafarge Source:www.cyberarchi.com
c. Designbiomimétique« Innovation inspirée de la nature »
Editt Tower, Singapore, 26 etages, 1998, arch.Ken Yeang, cab.TR Hamzah & Yeang,Source: http://www.trhamzahyeang.com
8
Pionnier de l’architecture dite «bioclimatique », le malaisien Ken Yeang développe depuis les années 1980 une réflexion théorico-pratique innovantesur l’architecture écologique. Celle-ci se structure autour du néologisme bio-mimétisme. Conceptualisé par Yeang, lebio-mimétisme fait del’imitationprocessus de la nature son des 8 principe central. Dansune optique appliquée c’est «linnovation inspirée de la nature » . Ainsi, ledesign bio-9 mimétiquequi favorisea pour objectif de générer une interaction « bénigne » l’intégration des productions de la société urbaine dans les écosystèmes qui les environnent. On identifie deux défis principaux: d’une part, la réduction de la dépendance aux énergies non-renouvelables avec comme but l’autosuffisancede l’objet architectural. D’autre part,lacréation d’«interfaces écologiques » par le biais de ponts et passages souterrains « organiques » liant des paysages verticaux composés decoulées vertes,corridorsetmurs-vivants, deterrasses vertes, nouant les discontinuités entrel’environnement bâti et les écosystèmes environnants. Il est important de soulignerque l’idéedeverticalité écologiepréfère ici la tour (hauteur basse, forte densité) au gratte-ciel. Enfin, de la conceptionbio-mimétique émerge une nouvelle esthétique verticalequi réveille l’imaginationde par son organicité et ses textures visuelles.
Dans ses écrits,l’architecte constate que dans les dernières années les préoccupations environnementales ont vue naître une nouvelle génération d’architectes, d’ingénieurset d’urbanistes.Il reproche à leur pratiqued’êtresouvent complaisante vis-à-vis dudesign“vert”, de se réduire facilementau rassemblement d’éco-gadgetset au respect des chartes donnant de systèmes de labellisation. Il argumente quel’application de ces technologies n’induitpas automatiquement une architecture écologique. Bien que ces technologies soient nécessaires pour la conception de systèmes de basse consommation, celles-ci doivent rester des moyens fonctionnels et non une finalité. Par ailleurs, ledesign écologiquequ’il défendn’est pas exclusivement une question de basse consommation énergétique. Pour qu’elle puisse avoir unimpact réel, il défend la nécessitéd’introduire ces mêmes technologies et principes aux processus de construction. Cela requiert aussi decombiner l’approche technologique avec toute une réflexion surl’influence des conditions physiques, écologiques et climatiques du site d’implantation.En conséquence, cette vision del’architecture écologique se veut « localisée »,c’est à dire, 10 contextuelle et non pas comme une solution standard (Yeang K., 1981) .
Si on résume, l’architecture écologiquebio-mimétiqueKen Yeang postule pour de l’adaptation de l’environnementbâti, des processus de constructionet plus largement de l’activité économiqueaux besoins et modes de fonctionnement des écosystèmes naturels. En revanche, cette conception que l’on peut dire « adaptative » (on y reviendra) ne remet nullement en question les fondements du système économique de production, élément structurel de la dégradation de l’environnementau risque de l’instrumentalisation. À titre 11 d’exemple, le projetSpire Edgeà Delhi a inspiré le constructeurSpire Worldle suivant commentaire: "Motivé
8 Définition du concept debio-mimétiquelors de la Conférence annuelle (2005) de l’ONG environnementaliste étasunienne Bioneers(aussi connue commeCollective Heritage Institute) et fondée en1990. Cette organisation promeut l’échange, le développement et la commercialisation de technologies écologiques.Source :www.bioneers.org/
9 Bioneers, www.bioneers.org/
10 Yeang,K.(1981), PhD Dissertation: "A Theoretical Framework for the Incorporation of Ecological Considerations in the Design and Planning of the Built Environment", Cambridge University Library, England (Subsequently published in Yeang, K. (1995) as Designing with Nature, McGraw-Hill, USA
11 Spire World, un des plus grands promoteurs immobiliers de l’Inde, http://www.spireworld.in/
9
par le désir de développer une grande infrastructure qui n’est pas juste“verte”en apparence mais qui permet de préserver, de protéger et de prospérer avec l’environnement ; Spire World atteint ses impératifs commerciaux 12 sans engager la prospérité de l’environnementOu encore, la tour" . Menara Mesiniagaen Inde, a été (1989) conçue pour IBM Malaisie qui voulait un immeuble « vitrine » capable de lui forger une image «d’engagement et d’éco-responsabilité» et symbolisant son succès dans le marché des produits Hi-Tech.
Le projetHypergreenest à l’origine un projet pour un gratte-ciel sans localisation précise. Celui-ci se rêve « cellule mère» d’une nouvelle génération de tours. Conçu parl’architecte français Jacques Ferrieret soutenu 13 par le Groupe Lafarge , ce projet est présenté comme un projet de recherche, de prospection et d’innovation,qui doit conduireau développement d’un nouveau concept d’architecture verticale «durable ». Alchimie de technologies « vertes » (puits canadiens, pompes à chaleur géothermiques, panneaux photovoltaïques, turbines à vent, captation des eaux pluviales, matériaux recyclables), de réflexion bioclimatique (orientation, serres-tempérées, ventilation naturelle contrôlée par une double peau en grille qui gèreaussi l’ensoleillement)et d’un souci pour les coûts environnementaux du processus de construction ; ce concept se veut avant tout générateur de vie collective et sociale (Ferrier J., 2007 : 63).
La sensibilité pourla question de l’habitabilitéet du rapport de la tourà l’homme se décline de plusieurs façons.Le conceptHypergreen, à différence des deux précédant, défend la multifonctionnalité (bureaux, commerces, logements, loisirs, espaces publics et semi-publics). Cetaspect est vu, d’une part, comme le moteur de l’intégration de la tour àvie de la Cité, la de l’autre-transversalement avecl’urbanisme vertical-il s’agirait de créer des noyaux de Cité dans les hauteurs. Multifonctionnalité et rapport au sol sont ainsi pour Ferrier deux conditions déterminantes pour que le gratte-ciel génère une vie sociale et collective. Enfin, l’architecte souligne un aspect qui pourrait paraitre évident mais qui est souvent négligé : L’intégration de l’architecture verticale àla Cité passe par son ouverture. Pour Ferrier, le citoyen doit pouvoir profiter duprincipal attrait d’un gratte-ciel de 284 mètres : sa hauteur ! En conséquence, il imagine des espaces communs ouverts en hauteur. Ce qui lui permet d’ouvrir la tour à l’extérieur» de deuxième génération, en symbolisant ainsi la fin de la « tour prison fermée sur elle-même. Principe fort loyal, les moyens pour générer de la mixité sociale (notamment dans l’habitat) mais aussi pour créer des espaces vraiment publics restent flous.Ubiquiste à l’origine, il y a des chances qu’une première tourHypergreenvoit le jour en quelques années à Shanghai (Ferrier J., 2007 : 63). Ce sera l’occasion de mettre à l’épreuvele concept de tour « durable » et « humanisée ».
Quel bilan peut-on en tirer ? Du point de vue des réponses apportées auxproblèmes d’étalement urbain et de surconsommation énergétique, cette mise en perspective de la tour « durable » a permis de signaler des échellesd’interventions distinctes (la ville, la tour), des débats cruciaux (hauteur des tours, densité, approches écologiques) mais aussi de nombreuses limites (inefficacité énergétique, banalisation des démarches « vertes », miseà mort de l’urbanité et constitution d’uneanti-villeverticale, ségrégation). Par ailleurs, ce qui est tout à fait remarquable est le fait que cet objet architectural mobilise des conceptions idylliques des rapports homme-nature et apporte ainsi un éclairage privilégié sur la diversité des approches environnementales contemporaines.L’analyse de la tour «durable » invite doncà interroger d’avantage les fondements, priorités, 12 http://www.spireworld.in/site_flash/commercial.html
13 Prestigieux groupe français, leader mondial des matériaux de construction. Il est présent dans trois activités principales : béton et granulats, ciment, plâtre, et a un chiffre d'affaires de 15,8 milliards d'euros (2009).
10
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents