Sorcellerie, justice criminelle et société dans la France moderne (l'ego-histoire d'un Américain à Paris) - article ; n°2 ; vol.12, pg 177-217

Alfred Soman

Description

Histoire, économie et société - Année 1993 - Volume 12 - Numéro 2 - Pages 177-217
Abstract The article retraces the path followed in the course of twenty-five years of research. The point of departure was an investigation into the practice of censorship (drawing primarily upon diplomatic dispatches). This project led to the discovery that the prison records of the Conciergerie furnish the long-sought key to the criminal archives of the Parlement of Paris and open the door to intensive serial research. These archives tell us less about the levels of criminality in the society than they do about the image consciously projected by the judicial institution itself. The present text surveys witchcraft trials, torture and punishment, concluding with a preliminary sketch of the lessons to be drawn from a of 1500 hangings for the crime of infanticide.
Résumé L'article retrace le chemin de vingt-cinq années de recherches. A l'origine, une enquête sur la censure, saisie essentiellement à travers les dépêches diplomatiques : elle a permis de comprendre que les registres d'écrou de la Conciergerie fournissent la clef aux archives criminelles du Parlement de Paris. Aussi a-t-il été possible d'entreprendre pour la première fois une exploitation sérielle de ces dernières. Plutôt qu'un bilan de la criminalité, elles nous livrent Y image volontairement créée par l'institution judiciaire elle-même. Outre une synthèse des travaux de l'auteur sur les procès de sorcellerie, sur la torture et sur la pénalité, on trouvera une première esquisse des leçons à tirer de la série de 1500 pendaisons pour crime d'infanticide.
41 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: HISTOIRE-_ECONOMIE_ET_SOCIETE
• Publié le: 01 janvier 1993
• Nombre de lectures: 28
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

Alfred Soman
Sorcellerie, justice criminelle et société dans la France moderne
(l'ego-histoire d'un Américain à Paris)
In: Histoire, économie et société. 1993, 12e année, n°2. pp. 177-217.
Résumé L'article retrace le chemin de vingt-cinq années de recherches. A l'origine, une enquête sur la censure, saisie
essentiellement à travers les dépêches diplomatiques : elle a permis de comprendre que les registres d'écrou de la Conciergerie
fournissent la clef aux archives criminelles du Parlement de Paris. Aussi a-t-il été possible d'entreprendre pour la première fois
une exploitation sérielle de ces dernières. Plutôt qu'un bilan de la criminalité, elles nous livrent Y image volontairement créée par
l'institution judiciaire elle-même. Outre une synthèse des travaux de l'auteur sur les procès de sorcellerie, sur la torture et sur la
pénalité, on trouvera une première esquisse des leçons à tirer de la série de 1500 pendaisons pour crime d'infanticide.
Abstract The article retraces the path followed in the course of twenty-five years of research. The point of departure was an
investigation into the practice of censorship (drawing primarily upon diplomatic dispatches). This project led to the discovery that
the prison records of the Conciergerie furnish the long-sought key to the criminal archives of the Parlement of Paris and open the
door to intensive serial research. These archives tell us less about the levels of criminality in the society than they do about the
image consciously projected by the judicial institution itself. The present text surveys witchcraft trials, torture and punishment,
concluding with a preliminary sketch of the lessons to be drawn from a of 1500 hangings for the crime of infanticide.
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Soman Alfred. Sorcellerie, justice criminelle et société dans la France moderne (l'ego-histoire d'un Américain à Paris). In:
Histoire, économie et société. 1993, 12e année, n°2. pp. 177-217.
doi : 10.3406/hes.1993.1668
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1993_num_12_2_1668JUSTICE CRIMINELLE ET SOCIÉTÉ SORCELLERIE,
DANS LA FRANCE MODERNE
(Fego-histoire d'un Américain à Paris)
par Alfred SOMAN
Résumé
L'article retrace le chemin de vingt-cinq années de recherches. A l'origine, une enquête sur la
censure, saisie essentiellement à travers les dépêches diplomatiques : elle a permis de comprendre que
les registres d'écrou de la Conciergerie fournissent la clef aux archives criminelles du Parlement de
Paris. Aussi a-t-il été possible d'entreprendre pour la première fois une exploitation sérielle de ces
dernières. Plutôt qu'un bilan de la criminalité, elles nous livrent Y image volontairement créée par
l'institution judiciaire elle-même. Outre une synthèse des travaux de l'auteur sur les procès de
sorcellerie, sur la torture et sur la pénalité, on trouvera une première esquisse des leçons à tirer de la
série de 1 500 pendaisons pour crime d'infanticide.
Abstract
The article retraces the path followed in the course of twenty-five years of research. The point of
departure was an investigation into the practice of censorship (drawing primarily upon diplomatic
dispatches). This project led to the discovery that the prison records of the Conciergerie furnish the
long-sought key to the criminal archives of the Parlement of Paris and open the door to intensive
serial research. These archives tell us less about the levels of criminality in the society than they do
about the image consciously projected by the judicial institution itself. The present text surveys
witchcraft trials, torture and punishment, concluding with a preliminary sketch of the lessons to be
drawn from a study of 1 500 hangings for the crime of infanticide.
En 1760, un certain Daniel Soman quitta Lunéville pour s'établir à Norwich en
Angleterre, d'où son arrière-petit-fils Abraham (mon arrière-grand-père), ayant fait
scandale en épousant la bonne allemande, se vit obligé d'émigrer au Nouveau Monde,
d'abord à Toronto, ensuite à New York. Cela mis à part, rien dans mon ascendance ni
dans mon enfance ne suggérait que la France et les archives françaises allaient être ma
destinée. J'avais déjà dix- huit ans lorsque j'ai commencé l'étude du français : ce fut le
début d'une grande passion. Simultanément j'ai découvert ma vocation d'historien,
grâce à un conférencier envoûtant, le professeur Laurence B. Packard, spécialiste du
règne de Louis XIV. Deux ans plus tard, j'ai eu la chance inouïe de poursuivre mes
études dans l'intimité d'un très grand savant : Geoffroy Atkinson, élève de Gustave
Lanson, qui lui avait personnellement suggéré, en 1916, le champ de ses recherches.
Les travaux de G. Atkinson sur la littérature géographique de la Renaissance française
font toujours autorité. Chacun se souvient de son monumental répertoire bibliogra- HISTOIRE ECONOMIE ET SOCIETE 178
phique des récits de voyages au seizième siècle et de son ouvrage de synthèse : Les
nouveaux horizons de la Renaissance française '.G. Atkinson a fait naître en moi, dès
mes vingt ans, une affinité durable pour les méthodes de Gustave Lanson, ainsi que le
désir de participer, un jour, à ce remarquable foisonnement d'érudition et
d'imagination créative que représentent la tradition et la pratique de l'histoire en
France.
C'est ainsi que, après mon baccalauréat-ès-arts (l'équivalent américain de la maît
rise), et après un intermède de sept ans à la Bourse de New York (où j'effectuais des
recherches financières), j'ai réintégré le monde universitaire à Harvard, étudiant
d'histoire des idées, plus particulièrement des idées françaises. Pour mon sujet de
thèse de doctorat, j'ai jeté mon dévolu sur Pierre Charron, dont l'œuvre et la biblio
graphie constitue un champ de recherche de dimensions pratiquables. Cependant, au
fur et à mesure de mes découvertes, l'intérêt que je portais à la pensée de P. Charron
cédait le pas à une nouvelle question inspirée de la tradition de G. Lanson et de G. At
kinson — inspiraton renouvelée par ma rencontre, plus récente, avec les écrits de Lu
cien Febvre2.
Tous les biographes de P. Charron, toutes les analyses de sa pensée font grand
cas du fait que son œuvre la plus célèbre : De la sagesse (1601) — fut mis à l'Index à
la suite d'une dénonciation par le nonce en France, Innocenzo Del Bufalo, dans sa dé
pêche du 10 février 1604 :
[... ] sempře esce fuori qualche libro scandaloso come fu li giorni passati, conforme alla impia
dottrina di Machiavello, intitulato La sapentia, composto da un theologo e cantore délia cathédrale
di Condom, il quale finito che hebbe quest' infâme opera piena di hérésie morse di morte
subbitanea-\
Or, les archives de la Congrégation de l'Index ne sont toujours pas ouvertes à la
recherche ; d'ailleurs il ne reste probablement pas grand-chose dans le fonds, pillé et
dispersé à l'époque napoléonienne4. Il existe, toutefois, un autre moyen de replacer ce
passage dans son contexte rhétorique, c'est le dépouillement de la correspondance du
nonce. Quels autres livres dénonça-t-il ? Pourquoi taxa-t-il la Sagesse de machiavél
isme ?
A peine arrivé à Paris pour une année de recherche (1966-1967), je me suis mis à
étudier le manuscrit italien 66 de la Bibliothèque nationale, c'est-à-dire le registre
d'expédition du nonce, la référence de ma citation. C'était mon premier contact avec
des documents plus anciens que mon pays d'origine. Un Français peut-il comprendre
l'émotion d'un Américain qui se penche sur des papiers vieux de trois siècles et demi ?
Le manuscrit, en tant qu'objet, n'a jamais cessé de me fasciner. Le document parlant
est un peu comme une machine à remonter le temps.
Je n'ai pas tardé à découvrir l'édition magistrale de la correspondance de Del Buf
alo, publiée en 1964 par les soins de Bernard Barbiche : mon premier maître en
France. Il a bien voulu partager avec moi sa connaissance profonde des archives di- JUSTICE CRIMINELLE ET SOCIETE 1 79 SORCELLERIE,
plomatiques et assumer pour moi le rôle de guide. Aussi ai-je pu élargir mon enquête
aux dépêches des prédécesseurs et des successeurs de De