Thématique et poétique de la lecture romanesque - article ; n°1 ; vol.47, pg 63-77

Inge Crosmanwimmers

Description

Communications - Année 1988 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 63-77
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: COMMUNICATIONS
• Publié le: 01 janvier 1988
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Inge Crosman Wimmers
Thématique et poétique de la lecture romanesque
In: Communications, 47, 1988. pp. 63-77.
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Crosman Wimmers Inge. Thématique et poétique de la lecture romanesque. In: Communications, 47, 1988. pp. 63-77.
doi : 10.3406/comm.1988.1706
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1988_num_47_1_1706Inge Crosman Wimmers
Thématique* et poétique
de la lecture romanesque
Me proposant de déterminer la fonction du thème dans une poétique
de la lecture romanesque, je voudrais souligner que le thème ne
s'épuise pas dans les structures narratives du texte mais qu'il est
transcendantal — non seulement parce qu'il nous mène du texte à
l'intertexte, mais aussi parce qu'il 'fait intervenir le contexte d'une
lecture spécifique. Un thème, donc, n'est pas une unité dotée
existence objective dans un texte donné, puisque thématiser un texte
dépend, comme l'a montré Gerald Prince, « non seulement du "
même " mais aussi [...] du thématiseur, du cadre adopté, des unités
choisies, des opérations accomplies pour les harmoniser, des résumés
et paraphrases effectués l ». Envisagé ainsi, le thème est une
« construction conceptuelle » qui exige de la part du lecteur un travail
d'« assemblage », de « généralisation » et d'« étiquetage » 2.
Identifier ou choisir un thème nous permet d'intégrer plusieurs
éléments du texte à l'intérieur d'un cadre thématique 3. Dans la lecture
d'un roman, ces cadres thématiques font partie des différents systèmes
de référence qui entrent en jeu dans l'acte de la lecture '. En appl
iquant le concept de « poétique » à la lecture romanesque, je voudrais
souligner que cette comprend, d'une part, les structures
internes de la composition de l'œuvre, d'autre les
d'échange actualisées au moment de la lecture. Si nous considérons la
thématique de ce point de vue, il est évident qu'il faut aller au-delà
d'une thématique structurale vers une thématique plus intégrative qui
comprend à la fois et le texte et le lecteur et qui illumine leur conjonc
tion dans l'acte de la lecture.
C'est à l'intérieur des différents cadres référentiels que le lecteur
puise les noyaux ou motifs thématiques, et c'est à partir de l'interfé
rence et de l'imbrication de ces cadres divers qu'il commence à tisser
des fils thématiques qu'il pourra relier dans un réseau conceptuel ou
dans une configuration hiérarchisante. Ce faisant, le lecteur ne
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s'appuie pas uniquement sur les systèmes de référence inscrits dans le
roman, mais aussi sur les habitudes conceptuelles et les conventions
discursives du monde que nous habitons.
A part ces cadres textuels et culturels qui entrent dans l'acte de
thématiser, notre choix d'un thème dépend en grande partie du
modèle de lecture ou d'interprétation que nous avons en vue. Quelques
exemples suffiront pour montrer comment les différentes conceptions
de la lecture ont une influence sur l'approche et le niveau de lisibilité
choisis. Selon la « rhétorique de la lecture » de Michel Charles, par
exemple, nous étudierions le thème au niveau de la logique du texte,
c'est-à-dire dans la stratégie discursive explicitée par un ou plusieurs
modèles de lecture inscrits dans le texte 5. Chez Michael Riffaterre,
c'est plutôt dans un réseau intertextuel que nous chercherions l'acte de
thématiser ; selon sa théorie, en effet, le lecteur ne saurait lire autre
ment un texte où il y a toujours les traces évidentes d'un intertexte : ce
réseau intertextuel constituerait donc le cadre de référence à l'inté
rieur duquel s'inscrit l'acte de thématiser 6.
L'espace thématique s'ouvre encore davantage chez Wolfgang Iser.
Celui-ci fait en effet appel à plusieurs cadres référentiels. Il se réfère,
d'une part, au répertoire culturel et à ses transformations littéraires
dans un texte donné, et, d'autre part, à un lecteur « implicite », défini à
partir d'une structure textuelle, à effet calculé, qui anticipe sur la
présence et les réactions du récepteur 7. C'est dans la troisième partie
de son livre, intitulé The Act of Reading, qu'Iser, en traitant de la
« phénoménologie de la lecture », nous donne des renseignements pré
cieux sur l'acte de thématiser 8. Son concept du « point de vue voya
geur » est particulièrement pertinent ici puisqu'il s'applique non seu
lement à l'appréhension progressive de l'œuvre au cours de la lecture,
mais aussi aux changements continuels de perspective qu'opère le
lecteur selon la position qu'il occupe à l'intérieur du texte. Pour expli
citer le caractère dynamique du « point de vue voyageur », Iser intro
duit ce qu'il appelle la « structure du thème-et-horizon » : tandis que le
thème est le point de vue à l'intérieur duquel le lecteur se trouve à un
moment donné de la lecture (p. 97), un point de vue déjà traversé ou
un point de vue anticipé, à venir, constituent l'« horizon » du segment
textuel que l'on occupe à l'instant 9. Cette structure de thème-et-hori
zon, jointe aux blancs du texte, aux lacunes à combler, constituent le
cadre principal de la lecture (p. 202-203).
Iser ouvre en outre l'espace du texte sur le dehors. Il envisage un
autre champ référentiel quand il explique comment ce point de vue
voyageur et notre expérience d'être-dans-le-texte ont des répercussions
importantes sur notre vie. Le point de vue voyageur ne concerne donc
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pas simplement les structures internes du texte, mais permet au lec
teur de restructurer, grâce à l'expérience puisée dans le texte, l'expé
rience de sa propre vie, de sorte que cette nouvelle lecture de soi-même
lui permet de se voir autrement (p. 155-158). C'est ainsi que l'acte de
thématiser prend corps chez le lecteur réel I().
Ainsi, dans une poétique de la lecture basée sur l'interaction entre le
texte et le lecteur, il n'y a pas de démarcation absolue entre monde de
fiction et monde réel. Si nous acceptons ce modèle de lecture, thémat
iser se fait par et dans le texte, par et dans le lecteur. Le thème, donc,
ne s'épuise pas dans les structures narratives et syntagmatiques inter
nes d'un roman, mais inclut des structures conceptuelles et paradig-
matiques externes. Étant donné les différents niveaux où a lieu l'in
scription d'un thème dans une lecture et le travail de structuration et de
concrétisation que cela implique, les œuvres de fiction requièrent une
conception plus large de la notion de référence et du processus de mise
en intrigue. C'est ce que Ricœur a fait en introduisant le concept de la
triple mimesis : mimesis I représente la précompréhension du monde
de l'action et des conventions du récit — c'est-à-dire tout ce qui
structure déjà les attentes du lecteur en face du texte ; mimesis II est le
monde de la composition poétique à l'intérieur du texte ; mimesis III
« marque l'intersection du monde du texte et du monde [...] du lec
teur II ». Comme le souligne Ricœur, « l'acte de lecture est ainsi l'opé
rateur qui conjoint mimesis III à mimesis II. Il est l'ultime vecteur de la
refiguration du monde de l'action sous le signe de l'intrigue »
J'ai fait intervenir cette extension de la notion de mimèsis parce
qu'elle me permet, comme Ricœur l'a bien montré, d'élargir la notion
de « mise en intrigue l2 ». Cela est important si on prend conscience du
rapport étroit entre l'élaboration des thèmes et le développement de
l'intrigue l3. Je souhaiterais prolonger le rapprochement entre intri
gue et thème, suivant le chemin que Ricœur a tracé, en ouvrant sur
l'extérieur la notion de mise en intrigue. Ainsi pourrions-nous exami
ner comment l'acte de thématiser ouvre ce que Ricœur a appelé « un
espace de confrontation entre le monde du texte et le monde du lec
teur » (II, p. 14). Cet espace ouvert sur le thème nous permet de parler