Un Breton du XVIIe siècle à l avant-garde de la critique : le Père Jean Hardouin, de Quimper - article ; n°3 ; vol.36, pg 461-483
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Un Breton du XVIIe siècle à l'avant-garde de la critique : le Père Jean Hardouin, de Quimper - article ; n°3 ; vol.36, pg 461-483

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Annales de Bretagne - Année 1924 - Volume 36 - Numéro 3 - Pages 461-483
23 pages

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Publié le 01 janvier 1924
Nombre de lectures 37
Langue Français
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Extrait

E. Galletier
Un Breton du XVIIe siècle à l'avant-garde de la critique : le Père
Jean Hardouin, de Quimper
In: Annales de Bretagne. Tome 36, numéro 3, 1924. pp. 461-483.
Citer ce document / Cite this document :
Galletier E. Un Breton du XVIIe siècle à l'avant-garde de la critique : le Père Jean Hardouin, de Quimper. In: Annales de
Bretagne. Tome 36, numéro 3, 1924. pp. 461-483.
doi : 10.3406/abpo.1924.1591
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1924_num_36_3_1591El). GALLETIEH
UN BRETON DU XVIIe SIÈCLE
à Pavant-garde de la critique :
LE PÈRE JEAN HARDOUIN, DE QU1MPER
I. — Le Père Hardouin et le pseudo-Horace.
Si l'on demandait à un lettré de citer parmi les éditeurs de
textes anciens et parmi les philologues ceux qui représentent'
à ses yeux les exagérations de la critique et du scepticisme, les
noms de Bentley et de Peerlkamp viendraient sans aucun doute
à ses lèvres. Bentley *, auteur d'une édition d'Horace qui
connut une longue vogue, avait proclamé comme un dogme
qu'il ne faut point se fier à la tradition manuscrite, mais
s'inspirer d'une véritable faculté divinatrice pour rétablir çà
et là dans toute sa pureté le texte d'un auteur qui ne pouvait
être que parfait. Quant au Hollandais Peerlkamp 2, non content
d'apporter à l'œuvre du vieux poète latin le secours de son
génie personnel et de ses corrections, il prétendait y trouver
un nombre considérable de vers apocryphes, dus à des contem
porains ou à des successeurs d'Horace qui, sous le nom du
poète de Venouse, s'étaient plu à abuser ainsi la postérité, et il
1. Edition publiée à Cambridge en 1711.
2. Peerlkamp publia les Odes à Harlem en 1834, Y Art Poétique à Leyde
en 1845, les Satires h Amsterdam en 1863. Grâce au ciel, il épargna les
Epîtres. UN BRETON DU XVIIe SIECLE 462
rejetait résolument plus de 700 vers des Odes au grand scandale
des philologues de bon sens comme Madvig et Orelli. Faut-il
ajouter que Bentley et Peerlkamp eurent des continuateurs ?
la folie, comme la sagesse, fait école. Mais si l'on songe tout
d'abord à eux quand on parle de l'hypercritique, il y aurait
quelque injustice à méconnaître ou à oublier* que ce scepticisme
outrancier est né en France. Dès la fin du XVIIe siècle,
Tanneguy-Lefèvre de Gaen 3 et l'angevin François Guyet 4
avaient pratiqué la critique esthétique de Bentley, et à cette
même époque le Père Jean Hardouin avait, de bien loin, et
par avance, dépassé les audaces de Peerlkamp.
Singulière figure que celle de ce jésuite5 né à Quimper en
1646, professeur de rhétorique puis bibliothécaire au collège
Louis-le-Grand, où il mourut en 1729 dans sa quatre-vingt-
troisième année. Consacrant au travail plus de quatorze heures
par jour, il fut un des plus grands savants de son temps, mais
par un vice de son esprit, sa science fut à tout jamais frappée
de stérilité. Après avoir donné une excellente édition de Pline
l'Ancien 6 et d'importantes études de chronologie, il se sentit
envahir par un scepticisme auquel rien ne sut résister. Il en
vint à se persuader, et à persuader à quelques disciples, que
la plupart des œuvres antiques, tant sacrées que profanes,
provenaient d'une vaste officine de faussaires vivant au
XIIP siècle. Il éprouva tout d'abord une certaine gène à
énoncer en son nom personnel ces conceptions originales
et, par un procédé qui sent les méthodes de Bayle et celles
du XVIII* siècle, il les dissimula dans une savante dissertation
3. Edition publiée à Saumur en 1671.
4. Les notes de Guyet, sur Horace, furent publiées par l'abbé de Marolles
dans sa traduction d'Horace, Paris, 1660.
5. On trouvera toute la chronologie de son œuvre et la bibliographie
dans le recueil bien connu de Sommervogel.
6. Edition ad usum Delphini en cinq volumes, 1685. Il en donna par la
suite une deuxième édition in-f°, où il se laisse inspirer par le scepticisme
et la négation. Il avait, en ouitre, donné en 168i une édition de Thémistius:
sa Chronologie expliquée est de 1696. LE PÈRE» JEAN HARDOUIN, DE QL IMPER. 463
sur les monnaies des Hérodes 7 et les attribua à un homme de
ses amis. Cet ami ingénieux croyait à l'existence d'un cénacle
d'écrivains qui entreprit de présenter l'histoire de l'humanité
telle que nous la lisons aujourd'hui, alors qu'elle n'existait pour
ainsi dire pas avant eux et qui s'aida, pour réaliser cette gigan
tesque supercherie, des rares écrivains authentiques que
l'antiquité nous ait légués. Il est prodigieux en effet de voir
quelle végétation d'œuvres apocryphes a envahi nos bibli
othèques où les écrits authentiques sont aussi rares que l'or ou
les perles précieuses ! Séparer le bon grain de l'ivraie, l'or du
plomb vil, voilà la tâche des bons esprits.
Ce fut la mission que se donna le Père Hardouin. Avec cette
assurance de conviction particulière aux intelligences four
voyées, il soutint par exemple que le texte original du Nouveau
Testament était le texte latin, que les évangélistes avaient écrit
en cette langue, qu'au XIVe siècle seulement des faussaires'se
mirent à forger des bibles hébraïques, syriaques ou grecques,
que toute l'histoire ecclésiastique était un pieux roman, les
écrits des Pères de l'Eglise autant de faux. Son ardeur d'icono
claste n'épargnait point, on l'imagine aisément, la littérature
païenne. De toute l'antiquité, il ne nous est rien parvenu
d'authentique en dehors d'Homère, d'Hérodote, de quelques
poètes, en dehors de Plante, de quelques œuvres de Cicéron,
7. Voici les deux passages les plus importants tirés du traité De nummis
Herodiadum, 1(592, dans le recueil des Opéra Setecta publié en 1709, page 343-:
A\leram hoc loco non inanis quidem semper conjectoris, sed nunc tamen
plus justo fortassis suspiciosi ingenioque nimium indulgentis hominis
conjecturant. Accipiet quisque ut volet. Deprehend.it ille, ut quidem mussi-
tabat, nuper nobiscum, coetum certorum hominum ante saecula nescio quoi
exstitïsse qui historiac veteris concinnandae partes suscepissent qualem
nunc habemus, cum nulla tune exsiaret. Sibi probe notam illorum aetatem
atque officinam esse. Inque eam rem istis subsidio fuisse Tullium, Plinium,
Maronis Georgica, Ftacci Sermones et Epistolas, nam haec ille sola censet,
quod vereor ut cuiquam suadeat, ex omni latma antiquitate sincem esse
monum.enta, praeter inscriptiones admodum paucas — et page 345 : Incredi-
bile enim ac simile portenti est quantam falsorum scriptorum segetem de
rébus tum sacris tum profanis exsecranda et detestaMUs una quaedam,
ut ceteras sileam, ante annos fere quingentos, officina effuderit; quanta sit
e diverso, ut auri ac gemmarum, ita genuinorum operum paucitas. Aurum
igitur a stipula plumbove secernere hoc opus, hic labor est. UN BRETON DU XVII0 SIÈCLE 464
des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile, des Satires et des
Epîtres d'Horace, et de YHistoire Naturelle de Pline, naturel
lement. Tels sont les seuls matériaux, vraiment anciens, qui
ont servi à d'ingénieux architectes à édifier ces trompeuses
constructions que sont aujourd'hui les littératures grecque et
latine. Quiconque ne pensait pas comme ce doux maniaque se
voyait traiter d'âne à courte oreille et il s'entendait dire qu'un
seul homme qui a deux bons yeux voit plus clair que tous les
Quinze-Vingts, quoiqu'ils soient trois cents s. A un jésuite1 de
ses amis qui lui représentait l'émotion soulevée par ses
paradoxes 9, Hardouin répliquait brusquement : « Hé, croyez-
vous donc que je me serai levé toute ma vie à quatre heures du
matin pour ne dire que ce que d'autres avaient déjà dit avant
moi ? »
L'Eglise s'inquiéta de certaines propositions qui n'étaient
rien moins qu'orthodoxes et les supérieurs du Père Hardouin
l'obligèrent à se rétracter dans les Mémoires de Trévoux de
l'année 1707. Mais, suivant le mot du poète, ce furent les lèvres
seules qui abjurèrent et l'entêté sceptique, au fond de son cœur,
garda ses chimères. Prévoyant qu'au lendemain de sa mort
l'autorité ecclésiastique confisquerait et détruirait, pru

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