Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyle, un parcours poétique - article ; n°1 ; vol.51, pg 11-31
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Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1989 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 11-31
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 111
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Salem Chaker
Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyle,
un parcours poétique
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°51, 1989. pp. 11-31.
Citer ce document / Cite this document :
Chaker Salem. Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyle, un parcours poétique. In: Revue du monde
musulman et de la Méditerranée, N°51, 1989. pp. 11-31.
doi : 10.3406/remmm.1989.2266
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1989_num_51_1_2266La poésie berbère kabyle /11
Salem CHAKER
UNE TRADITION DE RÉSISTANCE ET DE LUTTE
LA POÉSIE BERBÈRE KABYLE
Un parcours poétique
Nulle part dans le monde berbère la «poésie de résistance» ne constitue un genre
autonome : elle ne présente aucune spécificité particulière dans ses formes et le
détail de sa thématique est d'une grande diversité suivant l'époque et les circons
tances historiques. Mais la résistance, la réaction à l'agression extérieure, est par
tout l'une des inspirations majeures, permanentes, de la poésie berbère.
Depuis la fin de la période médiévale au moins, les Berbères entretiennent, dans
leur quasi totalité, des rapports conflictuels avec les divers pouvoirs centraux cons
titués au Maghreb. Produit d'une société en dissidence ou échappant totalement
au contrôle des pouvoirs centraux (comme les Touaregs), la (ou les) culture ber
bère peut être largement définie comme une «culture en résistance».
Sociétés tribales, sans pôles internes stabilisés de centralisation — politique ou
symbolique —, les groupes berbérophones vivaient aussi dans un état de tension
interne permanent et la guerre faisait partie du quotidien et de la culture. Le grand
poète kabyle de la première moitié 18e siècle, Yusef u Qasi, décrit ce «jeu de la
guerre» de manière extraordinairement stylisée et ramassée :
Atna begsen-dd Yeflisen s Abizar ad nnayen
ttyita bb°uzzal ifn-ay tazeddamt nugar-iten
idelli nennuy nefra ass-a nuyal d atmaten
(Mammeri 1980 : 89)
«Voici que les Iflisen s'arment pour attaquer Abizar
Pour les armes, ils nous surpassent mais nous avons plus de fougue
Hier, nous nous sommes battus puis avons fait la paix, aujourd'hui, nous
sommes de nouveau des frères»
RE.M.M.M. 51, 1989-1 12/5. Chaker
Les incidences, en matière de littérature, de ces données historiques et anthro
pologiques sont immenses et bien connues.
Dans tous les groupes berbères, la poésie est avant tout un produit collectif et
le poète est l'interprète et le commentateur du groupe avant d'être créateur indi
viduel. D'ailleurs la tradition berbère est sur ce point explicite et lucide : le poète
est plus un intermédiaire, celui qui formule un discours collectif préexistant qu'un
créateur; il exprime le groupe avant de s'exprimer. De ce fait, le don poétique
lui vient pratiquement toujours de l'extérieur (tettunefk-az-dd - «il lui a été donné»).
Il n'est pas doté d'une capacité personnelle, innée; il n'est que le vecteur choisi
par une inspiration miraculeuse, un saint, un songe, voire des puissances occultes
pour certaines formes de poésie liées à la divination et à la magie. La célébrité
du poète, même le plus grand, est toujours attachée à sa façon, à sa capacité de
dire et non à ce qu'il dit, que tout un chacun connaît, vit et pourrait éventuelle
ment formuler, mais de manière gauche. Le poète est celui qui explicite, qui fo
rmule : yessefruy = «il éclaircit, il démêle (l'écheveau du vécu et des sentiments)»
disent les Kabyles.
La poésie et le poète tendent de ce fait à être investis de fonctions sociales essent
ielles. Héraut de son groupe, le poète est à la fois l'élaborateur principal de la
mémoire collective, le gardien des valeurs du groupe, le juge des actes individuels.
Mais comme l'a très bien perçu Hanoteau, le premier grand descripteur de la cul
ture berbère de Kabylie :
« Dans ce rôle de dispensateur de l'éloge et du blâme, ils [les poètes] suivent bien plus
qu'ils ne dirigent l'opinion publique, et si les vers de quelques-uns d'entre eux ont exercé
une influence sur leurs concitoyens, c'est surtout parce qu'ils formulaient en peu de mots
les sentiments un peu confus des masses.» (1867 : VII- VIII)
Les dénonciations du poète, ses satires constituaient dans la société tradition
nelle une condamnation sociale majeure, souvent le comble de l'opprobre. Hanot
eau (1867 : 172) rapporte même le cas d'un village qui aurait cherché à tuer un
poète pour se venger de ses railleries répétées. Ce rôle d'énonciation de la morale
sociale prend souvent un aspect véritablement comminatoire :
Yiwen d bu uzegza neeql-it segg-iyzer ay dd ixutel
ma yella d uhdiq neffr-it abrid wayed ar dd iqatel
ma d ungif neml-it ad fell-as sewwbey Imaqel
(Mammeri 1980 : 80-81)
«Vêtu de bleu, je l'ai reconnu embusqué dans un ravin
s'il est sage, je tais son nom la prochaine fois, il se battra aux
avant-postes
s'il est sot, je le dénoncerai et composerai des vers sur lui. »
II peut même adopter des formes d'une assez grande crudité pour une société
où beaucoup de choses vont sans se dire :
wi 'by an ad igzu Ixalat, ass n ttrad ur dd yettixxir,
ad yefk amayg i lurat di tlemzyin ad yextir...
(Hanoteau : 1858/1906 : 309)
«Qui veut posséder les femmes ne recule pas le jour du combat
qu'il garde la crosse à la joue parmi les jeunes filles il choisira.»
Poésie de l'affirmation du groupe, de ses valeurs et de sa pérennité, elle sera
volontiers une «poésie de résistance» puisque ce même groupe est, structurelle-
ment et historiquement, en butte à la concurrence des groupes voisins (guerres La poésie berbère kabyle I 13
tribales) où à l'agression de puissances étrangères : tentatives de contrôle des pouv
oirs centraux (Turcs, Sultan et Makhzen), conquête et domination coloniales, poli
tique d'unification des Etats modernes.
Même si l'on ne peut, bien sûr, la réduire à cette fonction socio-historique —
il existe aussi une riche poésie lyrique, religieuse... —, la poésie berbère est pour
une large part un témoignage essentiel sur le vécu historique des populations ber-
bérophones. Pendant longtemps, les approches occidentales ont eu tendance à nier
ou à négliger cet aspect. Sensibles aux anachronismes et distorsions historiques
nombreuses dans cette production, les premiers descripteurs occidentaux l'ont géné
ralement perçue comme une poésie naïve et fruste, sans le moindre intérêt histori
que comme l'affirme péremptoirement Hanoteau qui, sur ce plan, partage tous
les poncifs et préjugés de son époque :
«L'absence de sens historique, chez les Kabyles, favorise singulièrement ce résultat. Il
n'est peut-être pas, en effet, de peuple au monde qui ait si peu de souci des événements
de l'histoire. Pour eux, le passé est mort et nul ne songe à l'interroger afin d'y chercher
un enseignement ou une règle de conduite...» (1867 : VI).
Une littérature plutôt féminine d'ailleurs, encore dans l'enfance ainsi que l'écri
ront les meilleurs connaisseurs comme A. Hanoteau ou, plus tard Henri Basset
(1920) :
«II est à peine besoin de dire qu'on ne doit pas s'attendre à rencontrer chez eux une
littérature rappelant, même de loin, celles des nations civilisées. [.]Les femmes fournis
sent un large contingent à cette littérature toute primitive. [..]Placées à ce niveau modeste,
elles peuvent sans désavantage, je crois, soutenir le parallèle. Le souvenir de cette ori
gine rendra plus facile l'indulgence [..]»
(Hanoteau, 1867, Préface).
Bien entendu, si l'on met à part la littérature touarègue, ce n'est pas dans la
littérature des Berbères, et en particulier pas dans leur poésie, que l'on trouvera
des sources précises et fiables pour la connaissance historique si l'on entend par
là une chaîne de répères événementiels, précisément datés et identifiés. Les anach
ronismes y foisonnent et la chronologie y subit souvent un véritable aplatissement :
les compagnon

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