«Vice de Innovation» et «Escumeurs de Latin» : quelques aspects du mélange des langues dans ses rapports avec la création littéraire en France au XVIe siècle. - article ; n°2 ; vol.15, pg 19-36
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1982 - Volume 15 - Numéro 2 - Pages 19-36
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Claude-Gilbert Dubois
«Vice de Innovation» et «Escumeurs de Latin» : quelques
aspects du mélange des langues dans ses rapports avec la
création littéraire en France au XVIe siècle.
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°15, 1982. pp. 19-36.
Citer ce document / Cite this document :
Dubois Claude-Gilbert. «Vice de Innovation» et «Escumeurs de Latin» : quelques aspects du mélange des langues dans ses
rapports avec la création littéraire en France au XVIe siècle. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et
la renaissance. N°15, 1982. pp. 19-36.
doi : 10.3406/rhren.1982.1305
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1982_num_15_2_130519
«VICE DE INNOVATION» ET «ESCUMEURS DE LATIN» :
Quelques aspects du mélange des langues dans ses rapports avec la création littéraire
en France au XVIe siècle.
Par «mélange des langues», il faut entendre une opération volontaire, se don
nant consciemment un objectif (ludique, esthétique, satirique...), par laquelle un auteur
compose un discours en empruntant des éléments lexicaux, morphologiques, syntaxiques à
des langues différentes. Il s'agit donc d'une composition, procédé stylistique qui se distin
gue de la contamination ou compénétration. La contamination des langues est un phéno
mène collectif, sans visée littéraire consciente, reproduisant dans le domaine linguistique un
mécanisme d'échanges économiques, scientifiques, culturels, dans lequel la volonté esthéti
que individuelle n'a que peu de part. Le parler de l'Escholier Limousin est un parler littérai
re résultant d'une volonté esthétique et satirique de la part de Rabelais, procédant par mél
ange, mais renvoyant à un phénomène de contamination.
Le terme de «confusion des langues» désigne, par référence à l'épisode mythique
de Babel, le phénomène de non-communication né de la pluralité des codes. Le phénomène
peut-être utilisé à des fins littéraires pour l'exhibition d'une multiplicité d'idiomes, comme
dans la première apparition de Panurge. Pour obvier aux effets de la «confusion», la tr
aduction est un transcodage qui refuse en principe le mélange et suppose une connaissance
simultanée des langues utilisées. Le mélange des langues suppose aussi, au niveau de l'émis
sion comme au niveau de la réception, une connaissance au moins relative des langues uti
lisées dans le discours composé. En termes métaphoriques, nous dirons que la traduction
propose une métamorphose, alors que le mélange des langues est l'exhibition d'une monst
ruosité, un hybride linguistique. L'objectif littéraire réside à la fois dans la création du
monstre et dans son exhibition.
Le «mélange des langues» a été au XVIe siècle en France un procédé d'écriture
utilisé dans des milieux où la polyglossie était d'usage courant, en particulier, par la connais
sance, en plus de la langue du pays, de langues culturelles comme le latin, le grec, et éven
tuellement l'hébreu. L'usage, dans le discours savant, de citations en ces langues, peut-être
envisagé comme une des origines de ce procédé : mais le discours entremêlé de citations
procède non par mélange, mais par collage. De la compilation d'adages au mélange des
idiomes, il y a certes continuité, mais il y a rupture dans la mesure où le mélange s'effectue
à l'intérieur d'une proposition, ou d'un mot, tandis que le discours par citations respecte
l'unité syntagmatique, au niveau minimal des propositions. Le «mélange des langues» est
d'autre part en rapport avec les mécanismes d'imitation subversive ou parodique : il se veut
la plupart du temps l'exhibition d'une incompétence simulée, et chacun sait que la simula
tion d'incompétence ne peut être que l'œuvre d'experts.
Cette double origine revêt un aspect exemplaire : d'un côté elle manifeste le
caractère «cultiste» d'une exhibition de mystères réservés à des initiés, oracles hermétiques
de sphinx lampadophe res et scioglossés, et d'un autre côté, elle tend vers la caricature, 20
l'hyperbole grotesque, c'est le macaronique et le sabir des docteurs de comédie et des
masques de carnaval. C'est pourquoi des auteurs mus par un souci utilitaire de communica-
bilité érigé en idéal stylistique réagiront avec vigueur, mais à notre avis en porte-à-faux
contre ce qu'ils considèrent soit comme une perversion esthétique (un «vice de innova
tion»), soit comme une informe bouillie confectionnée par d'ignorants «escumeurs de
latin». Le malentendu vient de ce que la condamnation d'une exhibition de style s'effectue
au nom de la productivité (c'est-à-dire, dans le domaine linguistique, de l'accélération du
passage du sens).
Dans son ouvrage intitulé : Le Grant et vray art de pleine rhétorique, utile, pro-
fittable et nécessaire a toutes gens qui désirent a bien elegantement parler et escripre (1),
Pierre Fabri a voulu faire, comme l'indiquent les adjectifs «utile» «profittable» et «nécess
aire» un manuel, comme nous dirions aujourd'hui, de «techniques d'expression», dont
l'objectif est la communicabilité. Il ressort de ce traité un goût relativement puriste dans
l'utilisation du français, qui exclut comme «barbare» non seulement le mélange des langues,
mais aussi, à l'intérieur d'une même langue, l'usage des «langages parciaux» ou idiotismes
régionaux, sociaux ou professionnels. Le «barbarisme» est dénoncé comme l'introduction,
dans un langage dont la norme est l'honnêteté de «mots deshonnestement sonnans ou de
langage parcial, /.../ gergon et autre parler non congneu que en lieu parcial» (2). L'intro
duction de tournures ou de vocables empruntés aux langues culturelles -comme l'est le
latin classique et universitaire- est également considéré par l'auteur comme «barbare»,
avec une mention particulière : «II est une autre manière de barbare appelée vice de inno
vation, commis par ignorans voulans apparoistre escumans termes latins en les barbarisant
sans prendre leur commun significant comme : se ludez a la pille vous amytterez, ludere
significant jouer, et pille esteuf et amittere perdre, qui sont termes beaux et communs ;
comme il est ja diet en plusieurs endroicts l'on doibt tousjours prendre les termes et motz
plus communs que l'on peut trouver et les mettre a leur significant a tous intelligible» (3).
La position de Fabri concernant l'usage du mélange est à la fois complexe et
incomplète : il s'agit pour lui d'un phénomène d'inculture (traduit par le terme «ignorans»
qui s'applique à la fois à la connaissance du latin et du français), qui veut donner le change
par une apparence de surculturation, ce qui aboutit à une occultation généralisée où l'on
ne reconnaît ni le latin barbarisé ni le français latinisé. Fidèle à son idéal de communicabili
té, Fabri passe sous silence l'objectif esthétique de ces jongleurs à deux mains, de ces par
leurs à deux langues. N'ayant en vue que l'utilité et le profit dans le domaine de la commun
ication (en somme faire comprendre vite et bien pour accélérer l'information), Fabri sem
ble ignorer que l'occultation du sens est en fait destinée à l'exhibition d'une culture et
d'une virtuosité : ce qu'on pourrait appeler, en cédant au vice de innovation, une «occultu-
ration». Cette esthétique particulière , fondée sur le maniement transgressif de formes nor
males, en vue de la formation d'anormalités, n'a évidemment rien à voir avec l'idéal d'« él
égance» qui est le sien, mais il a à voir avec cette esthétique maniérée fondée sur le double
plaisir de la transgression, voire de la subversion, et de l'exhibition. 21
Cette position d'autre part est complexe, ou plutôt manifeste un complexe, car,
en même temps qu'il dénonce les abus, il ne résiste pas à une certaine complaisance à citer
des exemples qui composent un florilège de «perles». Il faut reconnaître

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