Deux mille ans, environ - article ; n°4 ; vol.143, pg 1225-1238
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Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1999 - Volume 143 - Numéro 4 - Pages 1225-1238
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Emmanuel Poulle
Deux mille ans, environ
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 143e année, N. 4, 1999. pp.
1225-1238.
Citer ce document / Cite this document :
Poulle Emmanuel. Deux mille ans, environ. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
143e année, N. 4, 1999. pp. 1225-1238.
doi : 10.3406/crai.1999.16078
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1999_num_143_4_16078DEUX MILLE ANS, ENVIRON
PAR
M. EMMANUEL POULLE
MEMBRE DE L'ACADÉMIE
A la veille de l'an 2000, les imaginations s'excitent sur la situa
tion exceptionnelle qui pourra résulter d'un décompte des années
s'exprimant par un nombre comportant trois zéros. C'est pourtant
là une situation qui n'est inédite ni dans la civilisation chrétienne,
qui a connu il y a dix siècles un passage analogue, ni dans d'autres
civilisations qui, pour avoir retenu un point de départ du
décompte de leurs années beaucoup plus lointain que le nôtre,
ont déjà eu à plusieurs reprises l'occasion d'aligner des milliers
d'années. Du moins, pour nous en tenir à la façon chrétienne de
décompter les années, qui est maintenant très largement répan
due, et même sans verser dans quelque millénarisme dont les his
toriens sont généralement d'avis qu'il n'a pas de précédent attesté,
la perspective de fêter le vingtième centenaire de la naissance du
Christ reste-t-elle porteuse d'une émotion justifiée.
Sans prétendre contrarier celle-ci, je me propose d'appeler
votre attention sur l'ignorance où est restée longtemps la société
chrétienne à l'endroit d'un tel décompte, et sur les incertitudes
structurelles de ce décompte.
Le choix de la naissance du Christ comme date de référence de
la trame chronologique est tardif. A vrai dire, la communauté
chrétienne est restée longtemps indifférente à toute trame chro
nologique : en fêtant la naissance à la vie éternelle de ses martyrs,
elle ne s'est préoccupée que d'en commémorer l'anniversaire,
sans prise en considération de l'année où eut lieu leur martyre ;
aujourd'hui encore, le martyrologe ne mentionne aucune année,
même pour les saints qui sont entrés à l'époque moderne dans le
calendrier liturgique et dont les bases élémentaires de la biogra
phie sont connues. Ce désintérêt pour la chronologie répondait
sans doute à celui de l'ensemble de la société civile, qui l'a cultivé
fort longtemps ; faut-il rappeler que, au XVIIe siècle encore, un
témoin interrogé devant une juridiction ne pouvait, la plupart du
temps, énoncer son âge qu'approximativement ? ce qui me paraît COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS 1226
l'indice, non pas vraiment d'une méconnaissance chez ce témoin
de l'année courante ni de l'année de sa naissance, mais de la
nécessité d'un réel effort pour inscrire l'une et l'autre année dans
une continuité temporelle.
Pourtant, le décompte de cette continuité depuis l'ère du
Christ aurait dû, dans une société fortement christianisée, facili
ter cette prise de conscience de la succession des années ; il lui a
fallu cependant beaucoup de temps pour s'imposer. Proposé par
Denys le Petit, dans la première moitié du VIe siècle, à l'occasion
d'un travail de comput pascal, pour remplacer tout autre sys
tème, le décompte des années depuis la naissance du Christ n'est
apparu que très timidement et très lentement dans l'administra
tion ou les chancelleries : si cet usage se rencontre sporadique
ment dès le VIIIe siècle dans les actes des royaumes anglo-saxons,
cela est très certainement dû à l'influence de Bède de Vénérable,
qui a repris à son compte à la fois l'entreprise computiste de
Denys le Petit et le mode de décompte des années qu'il préconis
ait ; ce mode fut beaucoup plus long à s'imposer sur le conti
nent ; les chancelleries ne s'y référèrent d'abord, et seulement à
la fin du IXe siècle, que très accidentellement, et il faut attendre
la seconde moitié du Xe siècle pour en trouver un emploi plus
général, tant à la chancellerie de l'Eglise romaine qu'à celle des
derniers carolingiens ; mais ce n'est guère avant le XIIe siècle que
la pratique en est devenue courante dans la datation des actes,
sans pour autant éliminer les décomptes effectués selon les
années du souverain ou de quelque autre autorité. Les annal
istes, quant à eux, furent plus précoces, qui eurent recours aux
années chrétiennes dès le milieu du IXe siècle ; mais c'était là une
coquetterie d'intellectuels ; la majorité de la population chré
tienne est restée beaucoup plus longtemps sans se préoccuper
du nombre d'années qui la séparaient de la naissance du Christ,
et ce n'est guère avant le XIVe siècle que la pratique s'est répan
due d'inscrire une activité quelconque dans un décompte des
années écoulées depuis l'ère chrétienne ; le dépouillement, par
exemple, des divers catalogues des manuscrits datés est à cet
égard très instructif : jusqu'au XIIIe siècle, les manuscrits formel
lement dotés d'une date sont une petite minorité, et leur nombre
n'explose que pour la fin du Moyen Âge.
Cette lenteur de la société civile à adopter un décompte des
années, indice en fait d'une longue indifférence à un tel
décompte, rend vaines les prétendues terreurs de l'an mil : com
ment prendre peur de ce qu'on ignore ? Et si nos ancêtres ont
passé le cap de l'an 1000 sans même s'en apercevoir, pourquoi l'an
2000 apporterait-il de quoi alimenter ces mêmes terreurs ? D'au- DEUX MILLE ANS, ENVIRON 1227
tant que les bases arithmétiques sur lesquelles elles s'appuieraient
sont plus qu'incertaines.
En décomptant les années du Christ, le souci de Denys le Petit
était purement apologétique : le remplacement par l'ère chré
tienne de 1ère de Dioclétien, même requalifiée comme une ère
des martyrs, devait contribuer à manifester le triomphe du chris
tianisme sur son persécuteur. Mais ce souci s'exprimait à l'occa
sion d'une entreprise strictement scientifique, l'établissement
d'une table pascale à vocation perpétuelle : en somme, le volet
chronologique de son entreprise n'en était qu'un élément subal
terne, et c'est lui qui s'est finalement imposé à toute la chrétienté
au point de marginaliser tous les autres systèmes de décompte des
années. S'il a fallu un très long délai, sept à huit siècles, pour par
venir à son triomphe, cela est simplement dû à l'absence du
besoin d'y avoir recours, et non pas à quelque contestation de la
chronologie telle qu'établie par Denys. Car, des contestations de
l'année où il convenait de fixer la naissance du Christ, il n'y en eut
guère jusqu'à l'époque moderne : on peut citer, à titre de curiosité,
celle d'Abbon de Fleury dont je vais parler ci-après, si excessive
(vingt ans !) qu'elle devenait non crédible. Mais cela est resté
exceptionnel.
Le ralliement général de la société occidentale à la fixation de
l'ère de l'Incarnation telle qu'établie par Denys pourrait résulter
d'un conformisme normal de la part de non- spécialistes de ces
questions. C'est pourquoi je trouve que l'adhésion des astrologues
à cette chronologie est une preuve tout à fait significative de la cré
dibilité dont a joui l'œuvre de Denys ; or les astrologues ont rallié
l'usage commun sans réticence.
Les astrologues sont en effet, dans les derniers siècles du Moyen
Âge, des hommes de science tout à fait respectables ; admettant,
comme tout le monde alors, le postulat que les astres ont une
influence sur la vie des individus, ils ont, pour exploiter les consé
quences de ce postulat, une démarche éminemment scientifique,
notamment en calculant l'état du ciel (l'horoscope) au moment
d'une naissanc

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