À quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule? - article ; n°2 ; vol.21, pg 346-356
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1966 - Volume 21 - Numéro 2 - Pages 346-356
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 36
Langue Français

Extrait

Dag Norberg
À quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule?
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 21e année, N. 2, 1966. pp. 346-356.
Citer ce document / Cite this document :
Norberg Dag. À quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule?. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 21e
année, N. 2, 1966. pp. 346-356.
doi : 10.3406/ahess.1966.421374
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1966_num_21_2_421374QUELLE ÉPOQUE A-TON CESSÉ A
DE PARLER LATIN EN GAULE?
« Dans l'histoire, pas de débuts ni de fins. Ce sont les livres histo
riques qui commencent et finissent, non pas les événements dont ils
parlent. »
C'est un philosophe anglais qui, par cet aphorisme, entend souligner
les rapports étroits entre ce que nous appelons des époques historiques x.
Il est impossible, par exemple, de fixer la limite entre l'Antiquité clas
sique et le Moyen Age. Les historiens commencent leurs livres sur le
Moyen Age, selon les cas, par la mort de l'empereur Théodose en 395,
la déposition du dernier empereur d'Occident en 476, la mort de Justi-
nien en 565 ou d'autres événements qui, en réalité, n'ont qu'une signi
fication symbolique. Les liens entre passé et futur ne sont jamais rompus.
Il est plus difficile encore de fixer les phases de développement d'une
langue, où, le plus souvent, même les événements symboliques font
défaut. En comparant le latin à l'ancien français, nous avons l'impres
sion d'une révolution linguistique mais, en réalité, tous ces changements
phonétiques, morphologiques et syntaxiques se répartissent sur plusieurs
générations. Dans l'histoire d'une langue, il n'y a pas de révolution dans
le sens ordinaire du mot. C'est une image aussi inexacte que celle de la
naissance ou de la vieillesse ou de la mort d'une langue. Le latin parlé
n'est jamais mort mais il a changé, d'une génération à l'autre, de telle
façon qu'un beau jour on a trouvé qu'il était pratique de l'appeler roman
et de réserver le nom de latin à la langue écrite.
Nous savons fort bien à quelle époque on s'est aperçu au nord
de la Gaule que la différence entre la langue écrite et la langue parlée
était devenue si grande que la langue écrite n'était plus comprise par
qui ne l'avait pas étudiée. En 813, au célèbre concile de Tours, il fut
décidé « que tous les évêques, dans leurs sermons, donneraient des exhor
tations nécessaires à l'édification du peuple, et que tous ils traduiraient
ces sermons en rustica Romana lingua, ou en allemand, pour que tout
1. R. G. Coixingwood, The Idea of History, London, 1951.
346 LE LATIN EN GAULE
le monde pût comprendre ce qu'ils disaient ». De ces mots, nous pou
vons peut-être tirer les conclusions suivantes :
1° En 813, les évêques ont composé leurs explications de l'Écriture
Sainte en latin, comme c'était l'usage pendant tout le Moyen Age.
Les œuvres qui relèvent de l'éloquence de la chaire et tous les livres des
Pères de l'Église étaient écrits en latin. Et pour les érudits, il était plus
facile de réfléchir et de rédiger leurs pensées en latin.
2° En 813, il y avait encore des évêques qui prononçaient leurs se
rmons en latin, vraisemblablement avec une prononciation plus ou moins
adaptée à la langue parlée, mais sans que cela suffît pour qu'ils fussent
compris de tous.
3° D'un autre côté, sans aucun doute, même avant 813, des évêques
se sont adressés à leur auditoire dans une langue qui ressemblait plus à
l'ancien français qu'au latin. Mais de cette prédication en langue popul
aire, nous avons peu de traces. On pourrait peut-être citer quelques vers
qui se trouvent dans la marge d'un ancien manuscrit de Lyon, notés par
une main du vne ou vine siècle. Il s'agit de fragments de deux poésies г
dont la première commence ainsi :
Audite omnis génies
Paupires et patentes,
Audite con tremore
De Christo salvatore.
Le but édifiant de ce chant a été le même sans doute que celui de la
Passion du Christ, écrite en ancien français environ trois cents ans plus
tard. L'autre poésie commence par les vers :
Omnes homo Christianus qui haccepet baptismo
In Deo devet cogitare, non peccare nemio.
Après cette strophe vient le refrain, chanté par le peuple :
Christi, resuveniad te de mi peccatore.
On peut se demander si ce refrain est écrit en latin ou en rustica
Romana lingua. Certes, l'orthographe en est, dans l'ensemble, latine, mais
elle ne nous apprend pas grand-chose sur la prononciation des mots. Au
lieu de de mi peccatore, on disait peut-être à Lyon de mei petseoure ou
quelque chose de semblable. Il est moins difficile de juger de la construct
ion. La phrase latine normale, que nous rencontrons par exemple dans
la Vulgate, est respice me peccatorem ou respice in me peccatorem. Parfois
nous trouvons aussi la phrase aliquid mihi subvenit. Mais ici subveniat
1. Poetae Latini Aevi Carolini, IV, p. 651.
347 ANNALES
est remplacé par reswveniad et tibi par te, autrement dit, nous avons ici
la construction se resouvenir qui n'est pas latine mais qui revient dans
l'ancien français. Cet exemple peut illustrer la difficulté de juger du
caractère d'un texte de l'époque mérovingienne. L'orthographe est plus
ou moins latine, mais la construction parfois romane. Si nous essayons
de nous représenter les mots parlés, ne sont-ils pas romans plutôt que
latins ? Mais cet exemple permet aussi d'entrevoir que, bien avant 813,
les évêques gaulois ont employé la rustica Romana lingua pour ne pas
s'éloigner du public populaire.
Nous avons constaté le terminus ante quern. Si nous regardons la ques
tion de l'autre côté, nous devons d'abord souligner que l'Église a tou
jours essayé de prêcher la vérité chrétienne de telle façon qu'elle soit
accessible à tous. Saint Augustin, saint Jérôme et d'autres affirment
souvent qu'ils préfèrent le style simple et populaire aux artifices de la
rhétorique x. Ici, nous nous intéressons surtout à ce qu'ont dit à ce sujet
les évêques gaulois. Au début du vie siècle, saint Césaire d'Arles dit
dans un sermon par lequel il prépare son troupeau à célébrer les
Pâques 2 : « Si nous voulions vous exposer l'Écriture dans l'ordre et
dans le style des saints Pères, la nourriture spirituelle pourrait parvenir
à quelques scolastici mais la grande masse resterait affamée. Je demande
donc humblement que les oreilles des lettrés se contentent de supporter
mes expressions rustiques sans se plaindre, afin que tout le troupeau du
Seigneur puisse recevoir la nourriture céleste dans un langage simple et
terre à terre. » Ce ne sont pas là des clichés sans contenu réel. On sait
que les auteurs latins d'une époque tardive se sont souvent disculpés,
dans leurs préfaces, de leur incapacité d'écrire, afin de souligner, auprès
de leurs lecteurs, la finesse de leur style. Mais un cliché de ce genre sup
pose que l'auteur s'adresse à un public de lettrés qui peut comprendre
et goûter son style maniéré. Or le de saint Césaire était le peuple
de son église, et nous devons donc interpréter ses mots littéralement. Si
nous lisons ses sermons et comparons son style à celui d'autres auteurs, pouvons aussi constater qu'il s'exprime avec une simplicité admi
rable et bienfaisante 3.
A la fin du même siècle, les évêques gardent encore cette attitude
quand ils composent des œuvres hagiographiques qui devaient être réci
tées devant le peuple. Ainsi, Grégoire de Tours excuse la simplicité de
1. Cf. P. Riche, Éducation et culture dans Voccident barbare, Paris, 1962, p/ 129
et suiv.
2. Césaikk, Serm., LXXXVI.
3. S. Césaire exige aussi des fidèles qu'ils étudient les Livres Saints pendant les
nuits d'hiver : Quando nodes longiores sunt qui erit qui tantum possit dormire ut
lectionem divinam vel tribus horis non possit aut ipse légère aut alios legentes audire ?
(Serm., VI, 2).
Le style de saint Césaire a récemment été traité par I. Bonini, « Lo stile nei ser-
moni di Cesario di Arles », Aevum, XXXV

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