Avatars mythiques du poison de pêche - article ; n°1 ; vol.23, pg 45-59
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Avatars mythiques du poison de pêche - article ; n°1 ; vol.23, pg 45-59

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Description

L'Homme - Année 1983 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 45-59
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 5
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacqueline Duvernay-Bolens
Avatars mythiques du poison de pêche
In: L'Homme, 1983, tome 23 n°1. pp. 45-59.
Citer ce document / Cite this document :
Duvernay-Bolens Jacqueline. Avatars mythiques du poison de pêche. In: L'Homme, 1983, tome 23 n°1. pp. 45-59.
doi : 10.3406/hom.1983.368342
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1983_num_23_1_368342L \
AVATARS MYTHIQUES DU POISON DE PÊCHE
par
JACQUELINE BOLENS-DUVERNAY
La pêche joue un rôle essentiel dans le mode de subsistance des Toba et des
Mataco, deux groupes culturellement et géographiquement proches, établis le
long du rio Pilcomayo à la frontière de l'Argentine et du Paraguay. Pourtant il
n'est nulle part mentionné, dans la littérature ethnographique, qu'ils pratiquent
la pêche à la nivrée. A ce titre, la région du Chaco représente une exception en
Amérique du Sud où cette technique connaît une vaste diffusion. D'origine très
ancienne, elle est attestée par l'emploi de plus d'une centaine d'espèces végétales
— chiffre inégalé dans les autres régions du monde. Le poison que l'on extrait de
la sève de ces plantes, souvent regroupées sous le terme générique timbo, possède
la propriété de provoquer l'asphyxie des poissons qui viennent mourir à la surface
de l'eau où les pêcheurs n'ont plus qu'à les ramasser.
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l'absence de cette tech
nique au Chaco. R. F. Heizer1 l'attribue au défaut de matière première, puisque
aucune de ces espèces toxiques ne croît dans cette région. A. Métraux2 apporte
d'autres éléments de réponse : au Chaco, l'époque de la pêche se situe au début
et à la fin de la saison sèche, soit à des moments de l'année où les conditions hydro
graphiques présentent certaines particularités. A la fin de la saison des pluies, la
pêche précède la décrue des eaux d'inondation — celles-ci constituant un empê
chement majeur à la délimitation d'un bras de fleuve d'étendue suffisamment
réduite pour laisser au poison le temps d'agir avant d'être emporté par le courant.
En revanche, à la fin de la saison sèche, la pêche a lieu au bord des mares qui
subsistent en terrain marécageux après le retrait des eaux. La concentration de
poissons y est alors si élevée, dit Métraux, qu'il est possible de les attraper à main
1. R. F. Heizer, « Fish Poisons », in Julian H. Steward, éd., Handbook of South American
Indians. 5 : The Comparative Ethnology of South American Indians, New York, Cooper Square
Publishers, 1963 (« Smithsonian Institution. Bureau of American Ethnology », Bulletin 143) :
277.
2. A. Métraux, « Ethnography of the Chaco », in J. H. Steward, éd., Handbook of South
American Indians. 1 : The Marginal Tribes, New York, Cooper Square Publishers, 1963
(« Smithsonian Institution. Bureau of American Ethnology », Bulletin 143) : 252-253.
L'Homme, janv.-mars 1983, XXIII (1) , pp. 45-5Ç. JACQUELINE BOLENS-DUVERNAY 46
nue. A ce moment de Tannée, ces étendues d'eau offrent naturellement l'abon
dance en poissons que procure artificiellement la technique de la pêche à la nivrée,
à la différence toutefois qu'il s'agit au Chaco d'une réserve de poissons vivants et
non d'un afflux de poissons morts.
Quels que soient les facteurs naturels qui font obstacle à l'utilisation du poison
de pêche dans cette région d'Amérique du Sud, ou la rendent inutile, on ne peut
ignorer pour autant le rôle que jouent les déterminations culturelles dans le choix
opéré par une société entre différents modes d'exploitation des ressources natur
elles. Or, il semble que dans les mythes de pêche du Chaco, la place laissée
vacante par le thème du poison de pêche se trouve en quelque sorte comblée par
divers substituts imaginaires du timbo, avec pour conséquence un renversement
général des valeurs qui lui sont associées ailleurs, notamment dans les mythes
d'origine du poison de pêche recueillis en Guyane. Il est possible que le caractère
« dérivé » des représentations de la pêche au Chaco par rapport aux mythes
guyanais, réponde à la nécessité pour ces sociétés d'expliquer l'absence chez elles
d'une technique très largement répandue dans les aires voisines, en élaborant
une transformation des mythes du poison de pêche qui permette de justifier cet
état de fait et de l'attribuer en fin de compte moins aux obstacles du milieu naturel
qu'à un choix culturel.
Évocation explicite et implicite du poison de pêche
dans les mythes
Dans un ensemble de récits recueillis chez les Toba, on trouve un premier
type de représentation imaginaire du poison de pêche auquel se réfère, de manière
explicite ou implicite selon les cas, la description de certains procédés de pêche
miraculeux. Sous sa forme explicite, cette représentation du timbo fait l'objet
d'un mythe qui raconte comment une femme, avertie par sa fille de l'infidélité
de son mari, se venge de sa rivale en la changeant en une espèce d'oiseau aqua
tique caractérisé par sa manière de lâcher ses excréments en vol. Quand ceux-ci
tombaient dans l'eau ils se transformaient, dit-on, en poison de pêche3. Dans une
seconde version, qui intervertit le sexe des personnages, il s'agit d'un homme qui
apprend de la bouche de son fils l'infidélité de sa femme, séduite par un tapir,
et lui fait expier sa faute en la tuant. A son tour il devra payer son crime en péris
sant, victime d'un serpent venimeux en quoi s'était changé entre-temps son beau-
père, qui était en réalité un grand sorcier4. La ressemblance est manifeste entre
ces deux mythes toba et certains mythes et croyances provenant de tribus qui
connaissent et utilisent le timbo. Chez les Arekuna de Guyane notamment, le
3. A. Métraux, Myths of the Toba and Pilagd Indians of the Gran Chaco, Philadelphia, The
American Folklore Society, 1946 (« Memoirs of the American Folklore Society » 40) : 154.
4. Ibid. : 160-161. AVATARS DU POISON DE PÊCHE 47
mythe d'origine du poison de pêche met en cause une séductrice qui est également
un tapir et qui donne naissance à un enfant hybride mi-humain mi-animal. Celui-
ci, au cours d'une baignade, succombe à la blessure que lui inflige le serpent aqua
tique Arc-en-Ciel ; ce sont les gouttes de son sang qui, en se répandant sur le sol,
sont à l'origine des premières espèces végétales de timbo que l'on vit bientôt sortir
de terre5. Par un retournement de chaque terme des mythes toba, le récit arekuna
attribue l'origine du poison de pêche réel à la transformation physique du corps
d'un enfant bâtard au sens le plus fort du mot, puisqu'il s'agit d'un être hybride ;
tandis que dans la première version toba, c'est l'enfant légitime d'un couple
humain qui porte la responsabilité morale de l'origine d'un poison de pêche ima
ginaire attribuée à une espèce d'oiseau aquatique. D'autre part les qualités
prêtées à ce poison, décrit comme un mets exquis dont s'enivrent les poissons,
évoquent également une croyance répandue en Guyane, selon laquelle les poissons
s'enivrent pareillement avec les excréments que le tapir vient déposer à la surface
de l'eau6. Dans d'autres cas, c'est la fiente de cheval qui produit cet effet. Or, au
Chaco, le cheval est aussi associé au monde aquatique.
Dans un deuxième ensemble de récits toba, consacré à la description du peuple
des Esprits aquatiques vivant dans des villages construits au fond de la rivière,
le cheval est désigné comme la monture de ces Esprits dont les pêcheurs peuvent,
à l'occasion, voir flotter la longue crinière noire à la surface de l'eau. De la même
façon flotte sur la rivière la chevelure noire des Esprits aquatiques, qu'ils
ne se lassent pas de peigner. Un de ces récits, qui relate par ailleurs l'origine des
premiers filets de pêche, prête à cette belle chevelure un pouvoir mystérieux sur
les poissons, qui évoque irrésistiblement, bien que cette fois de manière implicite,
les effets du timbo. Il raconte qu'autrefois, en peignant leurs cheveux, les Esprits
de l'eau procuraient aux pê

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