«Bref, c est mon disciple», le cas Flaubert-Maupassant - article ; n°122 ; vol.33, pg 93-105
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

«Bref, c'est mon disciple», le cas Flaubert-Maupassant - article ; n°122 ; vol.33, pg 93-105

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 2003 - Volume 33 - Numéro 122 - Pages 93-105
On ne voit guère, en littérature, de relation de maître à disciple aussi évidente, aussi proche, aussi étroitement consentie de part et d'autre que celle qui unit Flaubert et Maupassant. C'est une relation passionnelle, faite d'acceptations et de tensions, d'attirance et de haine. Elle est difficile à cerner en ce qu'elle est d'abord essentiellement orale et passe par un souvenir dont on ne mesure pas bien le rôle, celui d'Alfred Le Poittevin. On voit très bien, en revanche, comment Laure de Maupassant contribue sciemment à provoquer entre son fils et Flaubert une sympathie qui débute en 1867, s'affirme lentement et ne devient une relation consentie de maître à disciple qu'en 1876. Par pudeur, par modestie, Flaubert ne fait pas étalage de ce statut: l'étude détaillée de la correspondance montre comment celui-ci se cache et s'affirme cependant. Ce rapport d'allégeance et de protection s'explique par des goûts, des opinions, des attitudes communes (enseignement, services rendus) à travers lesquels Flaubert acquiert une présence envoûtante pour Maupassant, jusqu'au moment grisant où, après «Boule de suif», le maître reconnaît le disciple comme un égal. Relation nouvelle aussitôt brisée par la mort de Flaubert. Maupassant demeure, à la fois disciple et maître, aux prises avec une succession inattendue, mais reconnue de toute part. Il est en présence d'un héritage quasi filial qu'il se doit de recueillir et de faire fructifier, avec les risques que cela représente, à commencer par celui de la répétition, contre lesquels Maupassant se prémunit par un antiflaubertisme latent.
Not many artists must have experienced such a self-evident, close, fully granted master to disciple relationship as Flaubert and Maupassant have. It was a passionate relationship which led both characters to acceptance, tensions, attraction and hatred. It is not easy to define clearly as it is based on conversations and on the memory of Alfred Le Poittevin, whose part cannot be defined precisely. On the contrary, it has been made quite clear that Laure de Maupassant, in 1867, wittingly initiated a friendship between her son and Flaubert. This relationship slowly asserted itself and was fully accepted by both as master to disciple in 1876 only. Flaubert did not make a show of his status, being modest, hiding his feelings; a detailed study of the correspondence proves how he hid himself and how he asserted himself though. This allegiance-protection relationship can be explained by common preferences, opinions or attitudes (teaching, help when needed) which made Flaubert become an entrancing presence for Maupassant. It was so until the exhilarating moment of publication of Boule de Suif occurred and that the master recognised his disciple as an equal. This recent relationship was soon broken by the death of Flaubert. Maupassant remained at the same time disciple and master, battling with an unexpected though acknowledged by all, succession. He faced a nearly filial inheritance he had to inherit and make flourish, with all the risks it could represent — starting with repetition — against which he protected himself by showing a latent antiflaubertism.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 127
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Louis Forestier
«Bref, c'est mon disciple», le cas Flaubert-Maupassant
In: Romantisme, 2003, n°122. pp. 93-105.
Citer ce document / Cite this document :
Forestier Louis. «Bref, c'est mon disciple», le cas Flaubert-Maupassant. In: Romantisme, 2003, n°122. pp. 93-105.
doi : 10.3406/roman.2003.1224
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2003_num_33_122_1224Abstract
Not many artists must have experienced such a self-evident, close, fully granted master to disciple
relationship as Flaubert and Maupassant have. It was a passionate relationship which led both
characters to acceptance, tensions, attraction and hatred. It is not easy to define clearly as it is based
on conversations and on the memory of Alfred Le Poittevin, whose part cannot be defined precisely. On
the contrary, it has been made quite clear that Laure de Maupassant, in 1867, wittingly initiated a
friendship between her son and Flaubert. This relationship slowly asserted itself and was fully accepted
by both as master to disciple in 1876 only. Flaubert did not make a show of his status, being modest,
hiding his feelings; a detailed study of the correspondence proves how he hid himself and how he
asserted himself though. This allegiance-protection relationship can be explained by common
preferences, opinions or attitudes (teaching, help when needed) which made Flaubert become an
entrancing presence for Maupassant. It was so until the exhilarating moment of publication of Boule de
Suif occurred and that the master recognised his disciple as an equal. This recent relationship was soon
broken by the death of Flaubert. Maupassant remained at the same time disciple and master, battling
with an unexpected though acknowledged by all, succession. He faced a nearly filial inheritance he had
to inherit and make flourish, with all the risks it could represent — starting with repetition — against
which he protected himself by showing a latent antiflaubertism.
Résumé
On ne voit guère, en littérature, de relation de maître à disciple aussi évidente, aussi proche, aussi
étroitement consentie de part et d'autre que celle qui unit Flaubert et Maupassant. C'est une relation
passionnelle, faite d'acceptations et de tensions, d'attirance et de haine. Elle est difficile à cerner en ce
qu'elle est d'abord essentiellement orale et passe par un souvenir dont on ne mesure pas bien le rôle,
celui d'Alfred Le Poittevin. On voit très bien, en revanche, comment Laure de Maupassant contribue
sciemment à provoquer entre son fils et Flaubert une sympathie qui débute en 1867, s'affirme lentement
et ne devient une relation consentie de maître à disciple qu'en 1876. Par pudeur, par modestie, Flaubert
ne fait pas étalage de ce statut: l'étude détaillée de la correspondance montre comment celui-ci se
cache et s'affirme cependant. Ce rapport d'allégeance et de protection s'explique par des goûts, des
opinions, des attitudes communes (enseignement, services rendus) à travers lesquels Flaubert acquiert
une présence envoûtante pour Maupassant, jusqu'au moment grisant où, après «Boule de suif», le
maître reconnaît le disciple comme un égal. Relation nouvelle aussitôt brisée par la mort de Flaubert.
Maupassant demeure, à la fois disciple et maître, aux prises avec une succession inattendue, mais
reconnue de toute part. Il est en présence d'un héritage quasi filial qu'il se doit de recueillir et de faire
fructifier, avec les risques que cela représente, à commencer par celui de la répétition, contre lesquels
Maupassant se prémunit par un antiflaubertisme latent.Louis FORESTIER
«Bref, c'est mon disciple», le cas Flaubert-Maupassant
«ô mon maître, je vous remercie.
C'est vous qui m'avez créé.»
Victor Hugo, Quatrevingt-Treize, III, V, 7.
On ne voit guère, en littérature, de relation de maître à disciple aussi évidente,
aussi proche, aussi étroitement consentie de part et d'autre que celle qui unit Flaubert
et Maupassant '. On ne trouverait peut-être de lien analogue, mais non équivalent,
qu'entre Mallarmé et Valéry. Ce dernier en est tellement conscient qu'il s'interroge,
sans citer de noms, sur ce que la critique désigne par le mot influence. Il écrit alors un
paragraphe qui mérite d'être rappelé:
II arrive que l'œuvre de l'un reçoive dans l'être de l'autre une valeur toute singulière, y
engendre des conséquences agissantes qu'il était impossible de prévoir et qui se font
assez souvent impossibles à déceler. Nous savons, d'autre part, que cette activité dérivée
est essentielle à la production dans tous les genres. Qu'il s'agisse de la science ou des
arts, on observe, si l'on s'inquiète de la génération des résultats, que toujours ce qui se
fait répète ce qui fut fait, ou le réfute: le répète en d'autres tons, l'épure, l'amplifie, le
simplifie, le charge ou le surcharge; ou bien le rétorque, l'extermine, le renverse, le nie;
mais donc le suppose, et l'a invisiblement utilisé. Le contraire naît du contraire2.
Prenons d'abord en compte ce que ces lignes affirment de décourageant pour le
critique : les effets suscités par une œuvre, un enseignement ou un sentiment plus vaste
de filiation sont souvent imperceptibles. Ensuite, loin des problèmes d'imitation,
d'influence ou, pire, de sources, Valéry place la relation disciple-maître au cœur de ce
qu'elle est: une affaire de création dans la lutte, l'amour et la haine, une opposition
peut-être irréductible entre le maître-Dieu qui, consciemment ou non, aspire à façonner
le disciple à son image, et le disciple-Lucifer prompt à la révolte. Ce combat inégal,
où chacun se confronte à un autre dans un vertige dangereux, laisse toujours place
pour la chute d'un ange. La relation maître-disciple est faite d'acceptations et de ten
sions, d'attirance et de haine. Disons-le, c'est une relation passionnelle. Flaubert et
Maupassant n'y échappent pas, pas plus qu'ils n'échappent, une fois cette relation
admise, aux codifications dont elle est l'objet.
Et d'abord, on ne naît pas disciple, on le devient. C'est l'aboutissement d'une
longue probation, au cours de laquelle le maître finit par prodiguer à celui qu'il a
distingué un enseignement plus spécifique, plus personnel, plus orienté; lorsqu'il a
reconnu les qualités de l'élève, il peut alors exercer à son égard son devoir de protec
tion et de recommandation. Le disciple, lui, obéira aux strictes consignes de vénér
ation, d'imprégnation, de transmission. Entre les deux intéressés la démarche est,
1. Tous les critiques ont souligné à l'envi cette relation. Aussi l'étude que je propose était-elle peut-être
impossible à faire,... parce qu'elle a déjà été faite! Disons que j'ai tenté de déplacer certains points de vue.
Je n'en ai pas moins de gratitude à l'égard d'Yvan Leclerc d'abord; mais aussi de Roger Bismut, Philippe
Bonnefis, Alain Buisine, Gérard Delaisement, Thierry Poyet, Daniel Sangsue et tant d'autres.
2. Valéry, «Lettre sur Mallarmé», Œuvres, I, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», p. 634.
ROMANTISME n° 122 (2003-4) 94 Louis Forestier
théoriquement, aussi parfaitement réglée que le pas de deux d'un ballet. Ils le savent;
ils s'y complaisent ou regimbent; le faux-pas calculé y devient parfois délicieux.
Flaubert et Maupassant exécutent brillamment — parfois en cabotins — les figures
imposées et jouent fort bien leurs personnages respectifs. Encore faut-il accepter
d'entrer dans la distribution: même si le hasard fait souvent bien les choses, la relation
maître-disciple ne va nullement de soi. Elle est le résultat d'un choix réciproque
qu'une mère prévoyante - Laure de Maupassant, par exemple! — peut tenter de forcer.
Il existe une sorte de préhistoire à ce qui nous paraît une aventure. Enfin, et plus
particulièrement peut-être en ce qui concerne Flaubert et Maupassant, cette relation
est, comme tout enseignement, essentiellement orale. C'est dire qu'une part importante
de ce qui éclairerait notre propos nous échappe. On entend bien, on entend souvent les
appels du Vieux au «jeune lubrique»: «Je vous attends...», «Arrangez- vous pour
venir ...». Mais une fois refermée sur les deux hommes la porte du logis de Croisset,
les mots qu'ils échangent ne nous parviennent plus. Tous les dimanches, ses écrits sous
le bras, Mau

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents