Cham et Noé. Race et esclavage entre judaïsme, christianisme et Islam - article ; n°1 ; vol.57, pg 93-125
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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 93-125
Cham et Noé. Race, esclavage et exégèse entre islam, judaïsme et christianisme Le récit biblique de l'ivresse de Noé et la malédiction qui voue Canaan à la servitude furent le prétexte d'une des justifications les plus répandues de l'esclavage des Noirs. Comment l'objet même de la malédiction, Canaan, devint Cham, et comment ce dernier, dont la race n'est pas identifiée par la Bible, devint un Noir, est une question troublante. A travers l'examen serré des plus anciennes versions musulmanes, juives et chrétiennes de cet épisode — spécialement des sources et de l'influence du grand érudit musulman Tabari (IX^X6 siècles) -, cet article s'attache à cerner les ambiguïtés et les complexités sous-jacentes de cette mutation scripturale. L'analyse met en évidence la manière dont l'exégèse biblique a ouvert le champ libre à la polémique. À travers une triangulation exégétique semi consciente, associant déni de droit, appropriations et projections abusives, les religions du Livre ont graduellement créé les conditions de ce que la culture euro-américaine allait propager, au temps de l'économie atlantique des plantations : la Malédiction de Cham.
Ham and Noe: race, slavery and exegesis in Islam, Judaism, and Christianity The biblical story of the drunkenness of Noe and the cursing of Canaan with servitude has offered a pretext for one of the most widespread justifications for racial slavery. How the clear object of the curse, Canaan, became Ham and how Ham, not racially identified in Scripture, became a Black, has long been a puzzle. Through a close examination of early Muslim, Jewish, and Christian versions of the story - focusing on the sources and influence of the great Muslim scholar Tabari (9th- 10th centuries) -, this article identifies the ambiguities and complexities underlying the Bible's transformation. This examination reveals how scriptural exegesis provides a common field for appropriation and polemic. Through a half-conscious exegetical trialogue of denial and projection, the religions of Abraham gradually created what Euro -American culture in the age of the Atlantic plantation economy popularized as the Curse of Ham.
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 98
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Benjamin Braude
Cham et Noé. Race et esclavage entre judaïsme, christianisme
et Islam
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 1, 2002. pp. 93-125.
Résumé
Le récit biblique de l'ivresse de Noé et la malédiction qui voue Canaan à la servitude furent le prétexte d'une des justifications les
plus répandues de l'esclavage des Noirs. Comment l'objet même de la malédiction, Canaan, devint Cham, et comment ce
dernier, dont la race n'est pas identifiée par la Bible, devint un Noir, est une question troublante. A travers l'examen serré des
plus anciennes versions musulmanes, juives et chrétiennes de cet épisode — spécialement des sources et de l'influence du
grand érudit musulman Tabari (IXe-Xe siècles) -, cet article s'attache à cerner les ambiguïtés et les complexités sous-jacentes de
cette mutation scripturale. L'analyse met en évidence la manière dont l'exégèse biblique a ouvert le champ libre à la polémique.
À travers une triangulation exégétique semi consciente, associant déni de droit, appropriations et projections abusives, les
religions du Livre ont graduellement créé les conditions de ce que la culture euro-américaine allait propager, au temps de
l'économie atlantique des plantations : la Malédiction de Cham.
Abstract
Ham and Noe: race, slavery and exegesis in Islam, Judaism, and Christianity.
The biblical story of the drunkenness of Noe and the cursing of Canaan with servitude has offered a pretext for one of the most
widespread justifications for racial slavery. How the clear object of the curse, Canaan, became Ham and how Ham, not racially
identified in Scripture, became a Black, has long been a puzzle. Through a close examination of early Muslim, Jewish, and
Christian versions of the story - focusing on the sources and influence of the great Muslim scholar Tabari (9th- 10th centuries) -,
this article identifies the ambiguities and complexities underlying the Bible's transformation. This examination reveals how
scriptural exegesis provides a common field for appropriation and polemic. Through a half-conscious exegetical "trialogue" of
denial and projection, the religions of Abraham gradually created what Euro-American culture in the age of the Atlantic plantation
economy popularized as the Curse of Ham.
Citer ce document / Cite this document :
Braude Benjamin. Cham et Noé. Race et esclavage entre judaïsme, christianisme et Islam. In: Annales. Histoire, Sciences
Sociales. 57e année, N. 1, 2002. pp. 93-125.
doi : 10.3406/ahess.2002.280030
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_1_280030Cham et Noé
Race, esclavage et exégèse entre islam,
judaïsme et christianisme
Benjamin Braude
C'est en se projetant dans la scène spectaculaire de la galerie des glaces de la
Dame de Shangaï, ce grand classique du film noir américain, que débute notre
exercice de comparaison : Orson Welles, Rita Hayworth et Everett Sloane se pour
suivent à coups de revolver. Mais leurs desseins meurtriers sont voués à l'échec,
car ils sont incapables de distinguer leur vraie cible de son reflet. Où est le Moi,
où est l'Autre ? Où est le reflet trompeur ? Autant de questions qui sont au cœur
de l'étude comparative que nous entreprenons ici, quant à l'origine des races et de
l'esclavage, sur la base des phénomènes d'appropriation et à partir des polémiques
auxquelles l'exégèse scripturaire a donné lieu.
En effet, à la différence d'une comparaison qui se jouerait entre les religions
abrahamiques et des systèmes de pratiques et de croyances plus éloignées (an
imisme nord-américain antérieurs à 1492 et bouddhisme japonais par exemple, les
relations entre islam et hindouisme se situant à mi-chemin), toute tentative pour
comparer entre elles l'une ou l'autre des trois religions issues d'Abraham se heurte
à l'absence d'échantillon vierge de toute influence. Chacune, de manière parfait
ement consciente, reconnaît l'autre et, jusqu'à un certain point, s'en fait le miroir.
À l'instar de la galerie des glaces, les religions abrahamiques créent par conséquent
un entrelacs complexe d'identités. Si ce fait ne pose pas de difficulté pour la
méthode comparative qu'a esquissée Marc Bloch il y a plus de soixante-dix ans,
puisqu'il n'abordait pas la question des études religieuses comparées1, il est en
1-Marc Bloch, «Comparaison», Revue de synthèse, 49, 1930, repris dans Histoire et
historiens, Etienne Bloch (éd.), Paris, Armand Colin, 1995, pp. 87-83.
Anna/es HSS 'Janvier-février 2002, n°l,pp. 93-125. BENJAMIN BRAUDE
revanche essentiel pour nous : est-il possible de distinguer ce qui serait réellement
islamique de ce qui serait chrétien et juif? Certes, il est loisible d'établir des
caractéristiques propres à chacune de ces religions, tout autant que des différences.
Mais il y existe aussi un faisceau si considérable de points communs que la ligne
de partage est, par endroits, difficile à tracer. Ce faisceau est en outre si dense
qu'il est fort aisé pour chacune de s'approprier quelque élément d'une autre et de
le revendiquer pour sien ou, à l'inverse, de prêter à l'autre un trait qui relève de son
propre fonds, voire, enfin, de se livrer à un subtil mélange des deux. Rien ne les
empêche non plus de travailler en interaction tout en le niant ou en prétendant
le nier2.
Convergences et divergences sont particulièrement frappantes en ce qui
concerne le rapport à l'Écriture. On peut dire des chrétiens, des juifs et des musul
mans qu'ils « lisent » et, à la fois, ne « lisent » pas le même texte sacré (les guill
emets renvoient au fait qu'historiquement la plupart des musulmans, des chrétiens
et même des juifs - qu'on peut raisonnablement considérer comme les plus lecteurs
de tous - écoutaient plus qu'ils ne lisaient les textes sacrés). Si juifs et chrétiens
partagent entre eux davantage de textes sacrés qu'avec les musulmans, ces écrits
ne sont cependant pas identiques : il faut bien entendu tenir compte non seulement
du corpus chrétien, le Nouveau Testament, mais aussi des multiples désaccords
sur le texte qui leur est censément commun. En outre, postérieurement à la Bible,
le judaïsme rabbinique a maintenu le fil d'une continuité sacrée quasi biblique
dans ce que l'on appelle la « Tradition orale » (littéralement la « Torah de la
bouche ») qui, pendant la transformation du culte de Jésus en Eglise chrétienne
et au-delà, a développé et expliqué le texte saint. La Tradition orale, au bout du
compte, est définie comme l'ensemble des jugements à valeur juridique et des
lectures exégétiques que contient le corpus de la littérature rabbinique connu
sous les noms de Talmud et de Midrach. Le rapport de cette tradition orale avec
Г« Ancien Testament» est aux juifs ce que le entre Nouveau et Ancien
Testament est aux chrétiens, à savoir le prisme définissant le mode de compréhens
ion du texte fondamental. À ce titre, les juifs le considèrent aussi comme Bible,
partie intégrante de la Torah. Cette tradition orale constitue un instrument hermé
neutique remarquablement similaire au genre, chronologiquement postérieur, des
hadiths, ou « dits du Prophète », dans l'islam sunnite : un moyen d'assimiler, à
l'intérieur d'une tradition écrite fixée, innovation et interprétation avec sanction
divine. Il reste que la religion islamique diverge de ses aînées sur un point essentiel.
Pour éviter l'épineuse difficulté de la « bigamie textuelle », qui compliqua l'appro
priation des textes saints israélites par le culte de Jésus en ses débuts, l'islam créa
en effet sa propre synthèse des deux traditions. Le Coran incarne non seulement
un triomphe des lettres arabes, mais aussi une forme de délocalisation des écritures
juive et chrétienne, visant à les distiller. La plupart des leçons morales et des
2 - Benjamin Braude, « Les contes persans de Menasseh Ben Israel : polémique, apo
logétique et dissimulation à Amsterdam au XVIIe siècle », Annales hss, 49-6, 1994,
pp. 1107-1138. RACE ET ESCLAVAGE
personnages subsistent, mais « descendants », personnages mineurs et maints épi
sodes hauts en couleur sont omis, ou seulement évoqués par des allusions aux
histoires plus complètement conservées dans les autres traditions. Lu isolément,
l

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