Chateaubriand ou la conversion au progrès - article ; n°108 ; vol.30, pg 23-51
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Description

Romantisme - Année 2000 - Volume 30 - Numéro 108 - Pages 23-51
Longtemps méprisée, la pensée de Chateaubriand retient aujourd'hui l'attention des critiques. L'étude de sa conception du progrès permet d'en mesurer la richesse, dans la mesure où Chateaubriand rencontre cette notion dans tous les domaines qu'il aborde, politique, moral, religieux, littéraire, et fonde sur elle sa philosophie de l'histoire, notamment son analyse du phénomène révolutionnaire. Nous montrons comment, parti d'une vision cyclique et absurde de l'histoire, hostile à toute idée de devenir comme de perfectionnement, il se convertit au progrès en écrivant le Génie du christianisme, lorsque, prenant conscience des vertus civilisatrices de cette religion, il décide de prouver qu'elle est la seule instance de progrès dans l'histoire, parce qu'alliée naturelle de la raison et de la liberté, elle favorise l'émancipation du genre humain. Sensible dans les fictions qu'il compose par la suite et dans sa manière d'écrire l'histoire, ce retournement optimiste est surtout évident dans les années 1825-1830, lorsqu'il élabore une théologie du progrès visant à réconcilier christianisme et modernité. La conclusion des Mémoires d'outre-tombe modère, certes, cet enthousiasme, mais, en dépit de son amertume et de ses doutes, Chateaubriand parie encore sur un avenir politique du christianisme et sur un progrès voulu par Dieu.
Long ignored, Chateaubriand's thought is today attracting critical attention. Studying his conception of progress allows us to measure its richness, in that Chateaubriand engages with the idea of progress in all the domains he enters, political, moral, religious, and literary, and bases his philosophy of history on it, notably his analysis of revolution. We will show how, stating from a cyclical and absurdist view of history, hostile to all ideas of change and improvement, he couverts to the idea of progress in writing the Génie du christianisme, when, becoming conscious of the civilizing virtues of that religion, he decides to prove that it is the only instance of progress in history, because as the natural ally of reason and freedom, Christianity favors the emancipation of the human race. Perceptible in the fictions which he later composes, and in his manner of writing history, this optimistic turn is above all evident in the years 1825-1830, when he elaborates a theology of progress which attempts to reconcile Christianity and modernity. The conclusion of the Mémoires d'outre-tombe certainly moderates this enthusiasm, but, despite his bitterness and doubts, Chateaubriand still wagers on a political future for Christianity and on a progress desired by God.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mme Fabienne Bercegol
Chateaubriand ou la conversion au progrès
In: Romantisme, 2000, n°108. pp. 23-51.
Citer ce document / Cite this document :
Bercegol Fabienne. Chateaubriand ou la conversion au progrès. In: Romantisme, 2000, n°108. pp. 23-51.
doi : 10.3406/roman.2000.976
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2000_num_30_108_976Abstract
Long ignored, Chateaubriand's thought is today attracting critical attention. Studying his conception of
progress allows us to measure its richness, in that Chateaubriand engages with the idea of progress in
all the domains he enters, political, moral, religious, and literary, and bases his philosophy of history on
it, notably his analysis of revolution. We will show how, stating from a cyclical and absurdist view of
history, hostile to all ideas of change and improvement, he couverts to the idea of progress in writing the
Génie du christianisme, when, becoming conscious of the civilizing virtues of that religion, he decides to
prove that it is the only instance of progress in history, because as the natural ally of reason and
freedom, Christianity favors the emancipation of the human race. Perceptible in the fictions which he
later composes, and in his manner of writing history, this optimistic turn is above all evident in the years
1825-1830, when he elaborates a theology of progress which attempts to reconcile Christianity and
modernity. The conclusion of the Mémoires d'outre-tombe certainly moderates this enthusiasm, but,
despite his bitterness and doubts, Chateaubriand still wagers on a political future for Christianity and on
a progress desired by God.
Résumé
Longtemps méprisée, la pensée de Chateaubriand retient aujourd'hui l'attention des critiques. L'étude
de sa conception du progrès permet d'en mesurer la richesse, dans la mesure où Chateaubriand
rencontre cette notion dans tous les domaines qu'il aborde, politique, moral, religieux, littéraire, et fonde
sur elle sa philosophie de l'histoire, notamment son analyse du phénomène révolutionnaire. Nous
montrons comment, parti d'une vision cyclique et absurde de l'histoire, hostile à toute idée de devenir
comme de perfectionnement, il se convertit au progrès en écrivant le Génie du christianisme, lorsque,
prenant conscience des vertus civilisatrices de cette religion, il décide de prouver qu'elle est la seule
instance de progrès dans l'histoire, parce qu'alliée naturelle de la raison et de la liberté, elle favorise
l'émancipation du genre humain. Sensible dans les fictions qu'il compose par la suite et dans sa
manière d'écrire l'histoire, ce retournement optimiste est surtout évident dans les années 1825-1830,
lorsqu'il élabore une théologie du progrès visant à réconcilier christianisme et modernité. La conclusion
des Mémoires d'outre-tombe modère, certes, cet enthousiasme, mais, en dépit de son amertume et de
ses doutes, Chateaubriand parie encore sur un avenir politique du christianisme et sur un progrès voulu
par Dieu.Fabienne BERCEGOL
Chateaubriand ou la conversion au progrès
Si Chateaubriand est passé à la postérité sous les traits de l'enchanteur au style
magique \ il faut reconnaître qu'il a payé cher cette réputation, source de nombreux
malentendus. Très vite, on le soupçonna, en effet, de cultiver cette virtuosité au détr
iment de l'authenticité de l'émotion et du sérieux de la pensée. Examinant dans son
cours professé à Liège l'œuvre du grand écrivain, avec une lucidité non dénuée de
perfidie, Sainte-Beuve souligne, par exemple, combien cet éclat et cette séduction
altèrent le désespoir de René, accusé de poser et d'utiliser son mal pour faire de belles
phrases ; aussi lui préfère-t-il Oberman et son ennui jugé plus sincère, plus profond,
plus vrai, parce que lui, au moins, ne s'y drape pas, et l'exprime avec un dépouille
ment austère qui sied davantage à sa gravité2. Il n'est pas plus clément pour l'homme
politique : certes, Sainte-Beuve reconnaît à Chateaubriand un talent hors pair dans la
polémique, mais c'est pour ajouter aussitôt que la recherche intempestive de la pointe
et de l'image, l'abondance, dans ses écrits, de «panaches blancs et de fanfares d'hon
neur», finissent «pour tout bon esprit», par en gâter les vérités 3. A la fin du siècle,
Charles Maurras durcit le ton, en osant prétendre, dans son article de la Revue ency
clopédique du 15 octobre 1898, que Chateaubriand ne voulait pas «que nous écout
ions ce qu'il dit, mais plutôt l'enveloppe émouvante, sonore et pittoresque de ce qu'il
dit»4. Ainsi, pour toute une tradition critique, Chateaubriand n'est qu'un habile arran
geur de mots, un grand écrivain qui a tout misé sur la somptuosité du style, et a su
s'en servir pour masquer l'indigence d'une pensée, dont on raille volontiers la dispar
ate, la banalité, pire, la superficialité et l'artifice.
Or, la remise en cause de ce discours mortel pour le penseur apparaît comme le
fait peut-être le plus marquant de l'histoire de la critique récente sur Chateaubriand.
On n'avait, certes, jamais oublié qu'il s'était autant illustré en politique qu'en littéra
ture : dès 1911, Albert Cassagne avait rappelé les grandes lignes de sa carrière poli
tique 5. La nouveauté est qu'à présent, l'attention des historiens autant que des
littéraires se reporte sur la figure du penseur, dont les idées politiques et religieuses,
dont la philosophie de l'histoire, sont réexaminées, et, la plupart du temps, revalori
sées. La liste des ouvrages ou articles ayant contribué à ce renouveau est ici trop
longue à dresser : qu'il nous suffise de citer, pour l'élan qu'ils ont donné à ce domai
ne de recherche, les travaux de Jean-Paul Clément, notamment sa biographie récente
1. Voir sur ce point le chapitre que Yves Vadé consacre à Chateaubriand dans son livre, L'Enchante
ment littéraire. Écriture et magie de Chateaubriand à Rimbaud, Gallimard, 1990, p. 103-130.
2. Sainte-Beuve développe le parallèle entre René et Oberman dans la quatorzième leçon. Voir Cha
teaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, Garnier, 1948, t. I, p. 290 et suiv.
3. Ibid., t. I, p. 205 (Dixième Leçon).
4. Reproche repris par Léon Daudet, convaincu, lui aussi, que Chateaubriand a remplacé « le plaisir de
l'esprit par celui de l'oreille». Voir Le Stupide XIXe siècle, Nouvelle Librairie Nationale, 1922, p. 83-87.
5. Dans son livre, La Vie politique de François de Chateaubriand. Consulat, Empire, Première Restaur
ation, Pion, 1911.
ROMANTISME n° L08 (2000-2) 24 Fabienne Bercegol
de Chateaubriand, «biographie morale et intellectuelle», qui, le sous-titre l'indique,
donne précisément la priorité à l'exposé de sa pensée6, ainsi que la thèse déterminante
de Bertrand Aureau, qui analyse sa pensée de la Révolution 7.
Nous tenterons de contribuer à cette relecture de l'œuvre de Chateaubriand comme
littérature d'idées, dans laquelle les beautés du style et de la fiction sont aussi bien
mises au service d'une pensée, certes souvent complexe, parfois contradictoire, mais
toujours riche et pertinente, mais toujours digne d'intérêt, parce que portée par une
intelligence assez lucide et vaste pour se faire l'interprète de sa génération. L'idée de
progrès, entendu au sens de «mouvement de l'histoire en avant», de «marche du
genre humain vers sa perfection, vers son bonheur», selon la définition donnée dans
le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, nous a paru,
cette perspective, particulièrement féconde, parce qu'elle est au cœur de la réflexion
de Chateaubriand, qui la rencontre dans tous les domaines, politique, religieux, litté
raire, qu'il aborde, et parce qu'elle oriente durablement sa méditation sur le devenir
de l'histoire et de l'humanité, l'obligeant ainsi à prendre position dans un débat philo
sophique, venu, pour l'essentiel, du XVIIIe siècle et ranimé par la Révolution, par les
doutes qu'elle laisse planer sur l'évolution optimiste de l'histoire et de l'esprit
humain. Penser le progrès, ce sera donc, pour Chateaubriand, pendant toute sa vie,
dialoguer avec ces philosophes du XVIIIe siècle, qu'il critique d'autant plus qu'ils l'ont
fortement marqué; ce sera inévitablement tenter de

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