Compétence et connaissance expertes. Propriétés publiques et cognitives-pratiques - article ; n°1 ; vol.4, pg 89-108

Jacques Merchiers, Patrick Pharo

Description

Sociétés contemporaines - Année 1990 - Volume 4 - Numéro 1 - Pages 89-108
Résumé : L'activité compétente est ordonnée par des connaissances liées à sa dimension pratique, et dépend du jugement ď autrui qui la sanctionne et la valide. Un modèle sociologique de la compétence ne peut donc la réduire aux seuls mécanismes cognitifs ni à une illusion sociale générée par des conduites stratégiques. Le modèle proposé ici distingue plusieurs types de compétences, juridique, technique, tactique, éthico- esthétique suivant le caractère des succès atteints. Lorsque la compétence s' exerce surtout sur un plan tactique ou éthico-esthétique, les connaissances correspondantes font principalement appel aux ressources sémantiques du langage naturel. A l'inverse, les compétences juridiques ou techniques font plutôt appel à des procedures, conventions et formalismes mathématiques qui constituent la connaissance procédurale. L' approche par la connaissance permet ainsi de rendre compte de la dualité essentielle de la compétence, et plus généralement de V expertise, à la fois opératoire et visant le résultat, et expressive, interlocutoire, et visant la validation par autrui.
JACQUES MERCHIERS AND PATRICK PHARO Expert's skillful activity is based on practical knowledge and depends on public assessments. A model of competence must embrace both cognitive mecanisms and conditions of social success. The sociological model proposed in this paper refers to several types of competence according to different kinds of success. Some are technical and juridical, others are tactical and ethico-esthetical. The latter mainly require semantical knowledge of natural language. The former require rather a procedural knowledge which consists in definite methods, conventions and mathematical formalisms. This cognitive and sociological approach accounts for essential duality of competence, which achieves technical and conventional aims on the one hand and expressive and ethical values on the other hand.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: SOCIETES_CONTEMPORAINES
• Publié le: 01 janvier 1990
• Nombre de lectures: 55
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Jacques Merchiers
Patrick Pharo
Compétence et connaissance expertes. Propriétés publiques et
cognitives-pratiques
In: Sociétés contemporaines N°4, Décembre 1990. pp. 89-108.
Résumé : L'activité compétente est ordonnée par des connaissances liées à sa dimension pratique, et dépend du jugement ď
autrui qui la sanctionne et la valide. Un modèle sociologique de la compétence ne peut donc la réduire aux seuls mécanismes
cognitifs ni à une illusion sociale générée par des conduites stratégiques. Le modèle proposé ici distingue plusieurs types de
compétences, juridique, technique, tactique, éthico- esthétique suivant le caractère des succès atteints. Lorsque la compétence
s' exerce surtout sur un plan tactique ou éthico-esthétique, les connaissances correspondantes font principalement appel aux
ressources sémantiques du langage naturel. A l'inverse, les compétences juridiques ou techniques font plutôt appel à des
procedures, conventions et formalismes mathématiques qui constituent la connaissance procédurale. L' approche par la
connaissance permet ainsi de rendre compte de la dualité essentielle de la compétence, et plus généralement de V expertise, à
la fois opératoire et visant le résultat, et expressive, interlocutoire, et visant la validation par autrui.
Abstract
JACQUES MERCHIERS AND PATRICK PHARO Expert's skillful activity is based on practical knowledge and depends on public
assessments. A model of competence must embrace both cognitive mecanisms and conditions of social success. The
sociological model proposed in this paper refers to several types of competence according to different kinds of Some
are technical and juridical, others are tactical and ethico-esthetical. The latter mainly require semantical knowledge of natural
language. The former require rather a procedural knowledge which consists in definite methods, conventions and mathematical
formalisms. This cognitive and sociological approach accounts for essential duality of competence, which achieves technical and
conventional aims on the one hand and expressive and ethical values on the other hand.
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Merchiers Jacques, Pharo Patrick. Compétence et connaissance expertes. Propriétés publiques et cognitives-pratiques. In:
Sociétés contemporaines N°4, Décembre 1990. pp. 89-108.
doi : 10.3406/socco.1990.977
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/socco_1150-1944_1990_num_4_1_977♦ ♦♦♦♦♦♦ JACQUES MERC HIERS ♦ ♦♦♦♦♦♦
PATRICK PHARO
COMPETENCE ET CONNAISSANCES EXPERTES 1
PROPRIETES PUBLIQUES ET COGNITIVES-PRATIQUES
RÉSUMÉ : L'activité compétente est ordonnée par des connaissances liées à sa dimension
pratique, et dépend du jugement ď autrui qui la sanctionne et la valide. Un modèle sociologique
de la compétence ne peut donc la réduire aux seuls mécanismes cognitifs ni à une illusion sociale
générée par des conduites stratégiques. Le modèle proposé ici distingue plusieurs types de
compétences, juridique, technique, tactique, éthico- esthétique suivant le caractère des succès
atteints. Lorsque la compétence s' exerce surtout sur un plan tactique ou éthico-esthétique, les
connaissances correspondantes font principalement appel aux ressources sémantiques du
langage naturel. A l'inverse, les compétences juridiques ou techniques font plutôt appel à des
procedures, conventions et formalismes mathématiques qui constituent la connaissance
procédurale. L' approche par la connaissance permet ainsi de rendre compte de la dualité
essentielle de la compétence, et plus généralement de V expertise, à la fois opératoire et visant
le résultat, et expressive, interlocutoire, et visant la validation par autrui.
INTRODUCTION
On oppose traditionnellement la connaissance scientifique et la connaissance
technique qui en dérive, au sens commun. Mais la sociologie ou l'anthropologie du
travail de ces quinze dernières années 2 ont montré qu'il fallait supposer l'existence, à
côté de ces deux types de connaissance, de savoirs et de savoir-faire que l'on ne pouvait
décrire facilement et qui pourtant, permettaient de comprendre certaines propriétés des
activités professionnelles là où la science ne pouvait fournir de connaissances
opérationnelles. De façon parallèle, l'Intelligence Artificielle (IA) qui s'était donnée à
ses débuts l'objectif de comprendre et de reproduire le raisonnement symbolique et
au-delà l'intelligence humaine en est rapidement venue à traiter de la question des
connaissances mises en oeuvre dans l'accomplissement des tâches cognitives. L'IA
s'efforce de créer des entités ayant des formes telles qu'elles puissent être soumises à
1 . Cet article présente des résultats issus d'une recherche menée avec l'aide du РШ.ТТЕМ en 1988, sur
les méthodes de formalisation des activités à forte contrainte normative et communicationnelle.
2. Il faudrait ici citer de très nombreux travaux en commençant par ceux, déjà anciens, de Desbrousses
et Pelloile (1975), Linhart (1978), Lescot et al. (1980, Darré (1979), Salmona (1979), Chamoux (1981),
etc., sans parler des travaux en ergonomie et en psychologie cognitive ou sociale. L'ampleur, ne
serait-ce qu'en France, de tous ces travaux rend impossible, dans le cadre de cet article, toute entreprise
rigoureuse de recension.
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certaines procédures de traitement informatique tout en jouant le même rôle dans les
programmes que les connaissances que l'on prête aux agents dont on veut simuler le
comportement, l'action ou l'activité cognitive selon les cas. Dans le domaine
technico-empirique (et aussi commercial) des systèmes experts, la question de la
connaissance est traitée comme un problème de représentation dans un langage
informatique d'une série de connaissances que l'on aurait extraites, par interview ou
observation, du comportement des sujets agissants. Dans les sciences cognitives
proprement dites, de nombreuses théories tentent d'expliquer les comportements en
termes d'états mentaux ou cognitifs en utilisant les notions de représentation mentale,
de croyance, de connaissance, de plan ou de but 3 qui se rapprochent par certains aspects
des modes de représentation des connaissances utilisées en IA.
Etablir des relations entre connaissance et activité soulève bien sûr de nombreux
problèmes comme le montre le traitement de la connaissance experte par Г1А et les
technologies qui en dérivent. Lorsqu'on entreprend de séparer la connaissance de son
utilisation pour la formaliser et l'enregistrer dans des bases de connaissances, on
s'expose à perdre la diversité des modes de la connaissance experte autant que certaines
propriétés pratiques des activités expertes considérées 4. Du côté des sciences
cognitives, la controverse entre le cognitivisme et le connexionnisme (Fodor et al.,
1988, Smolenski, 1988) conduit à s'interroger sur l'autonomie du niveau mental et le
degré de pertinence des descriptions d'activité, de compétence et de connaissance que
l'on peut appeler des macro-descriptions (cf. Merchiers-Pharo, 1989a et 1989b).
Nous voudrions pour notre part aborder ce problème sur la base d'une analyse des
liens entre la dimension cognitive des activités pratiques, qui n'est pas immédiatement
saisissable, et leur publique ou sociale qui est immédiatement donnée à voir.
Notre hypothèse pourrait être que l'activité compétente est ordonnée par des
connaissances dont la nature et les caractéristiques apparaissent lorsqu'on prend en
compte le rôle du jugement d'autrui comme sanction et validation de cette activité. On
peut à partir de là définir la connaissance experte comme la condition de réalisation des
activités compétentes, autrement dit des activités heureuses du fait du succès qu elles
rencontrent dans le jugement d'autrui. Selon cette définition, la compétence est un
phénomène public, c'est-à-dire social. Mais la connaissance experte elle-même ne se
réduit pas à ces propriétés publiques. Nous soutiendrons au contraire que la
compétence, phénomène public, est conditionnée par des propriétés cognitives
particulières, liées à sa dimension pratique.
Cette approche cherche à mettre en évidence les liens qui unissent mais aussi
distin