Corps fictif et corps mourant. « Disgrâce couronnée d épines » de Mécislas Golberg : un texte décadent ? - article ; n°94 ; vol.26, pg 49-71
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Corps fictif et corps mourant. « Disgrâce couronnée d'épines » de Mécislas Golberg : un texte décadent ? - article ; n°94 ; vol.26, pg 49-71

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Description

Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 94 - Pages 49-71
Partant d'un parallèle entre la mort écrite « en direct » par Mécislas Golberg, dans son journal de tuberculeux (1907), Disgrâce couronnée d'épines, et par Hervé Guibert, l'article compare leur rapport ambigu, l'un à la « modernité », l'autre à la littérature décadente, en particulier à la tradition de la nosographie fictive. Le journal de Golberg, en témoignant d'une mort décrite de l'intérieur, donc d'une décomposition organique et mentale réelle, incarne l'angoisse décadente de la mort de l'auteur en rompant avec sa teneur mythique. L'imaginaire décadent et l'idée nihiliste ressurgissent dans le texte, mais comme les produits pervers de la maladie. Ce texte détruit et accomplit le fantasme décadent en le littéralisant dans une écriture du corps mourant. Sa relation à la décadence est ainsi celle d'un « double » inquiétant, qui permet de comprendre la mythification de Golberg en martyr, et sa constitution en allégorie même de la décadence, toutes deux paradoxales car contraires au vitalisme de son œuvre, ici démenti par le fait de la mort.
Starting with a parallel between death as reported live by Mecislas Golberg, in his journal of Tuberculosis Disgrace Crowned by Thorns and Herve Guibert, the article compares their ambiguous relationship ; the one with Modernism ; the other with decadent literature and particularly with fictional nosography. Golberg's journal, by witnessing a death described from the interior, thus a real organic and mental decomposition, embodies a decadent anxiety of the death of the author breaking with his mythical tenor. The decadent imaginary and the nihilistic idea comes out in text but as perverse products of the illness. This text destroys and achieves the decadent fantasy by literalising it within the writing of a dying body. His relationship to decadence is thus one of a worrying double which allows the understanding of Golberg as a martyr and his establishment as an allegory even of decadence, both paradoxical as it is contrary to the vitality of his work, here denied by thefact of his death.
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 103
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mme Catherine Coquio
Corps fictif et corps mourant. « Disgrâce couronnée d'épines »
de Mécislas Golberg : un texte décadent ?
In: Romantisme, 1996, n°94. pp. 49-71.
Citer ce document / Cite this document :
Coquio Catherine. Corps fictif et corps mourant. « Disgrâce couronnée d'épines » de Mécislas Golberg : un texte décadent ?. In:
Romantisme, 1996, n°94. pp. 49-71.
doi : 10.3406/roman.1996.3159
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_94_3159Abstract
Starting with a parallel between death as reported live by Mecislas Golberg, in his journal of
Tuberculosis Disgrace Crowned by Thorns and Herve Guibert, the article compares their ambiguous
relationship ; the one with Modernism ; the other with decadent literature and particularly with fictional
nosography. Golberg's journal, by witnessing a death described from the interior, thus a real organic
and mental decomposition, embodies a decadent anxiety of the death of the author breaking with his
mythical tenor. The decadent imaginary and the nihilistic idea comes out in text but as perverse
products of the illness. This text destroys and achieves the decadent fantasy by literalising it within the
writing of a dying body. His relationship to decadence is thus one of a worrying "double" which allows
the understanding of Golberg as a martyr and his establishment as an allegory even of decadence, both
paradoxical as it is contrary to the vitality of his work, here denied by thefact of his death.
Résumé
Partant d'un parallèle entre la mort écrite « en direct » par Mécislas Golberg, dans son journal de
tuberculeux (1907), Disgrâce couronnée d'épines, et par Hervé Guibert, l'article compare leur rapport
ambigu, l'un à la « modernité », l'autre à la littérature décadente, en particulier à la tradition de la
nosographie fictive. Le journal de Golberg, en témoignant d'une mort décrite de l'intérieur, donc d'une
décomposition organique et mentale réelle, incarne l'angoisse décadente de la mort de l'auteur en
rompant avec sa teneur mythique. L'imaginaire décadent et l'idée nihiliste ressurgissent dans le texte,
mais comme les produits pervers de la maladie. Ce texte détruit et accomplit le fantasme décadent en
le littéralisant dans une écriture du corps mourant. Sa relation à la décadence est ainsi celle d'un «
double » inquiétant, qui permet de comprendre la mythification de Golberg en martyr, et sa constitution
en allégorie même de la décadence, toutes deux paradoxales car contraires au vitalisme de son œuvre,
ici démenti par le fait de la mort.Catherine COQUIO
Corps fictif et corps mourant
« Disgrâce couronnée d'épines » de Mécislas Golberg : un texte décadent ?
« Le mourant n'aime pas le cadavre. »
Mécislas Golberg, Lettres à Alexis
« Je ne sais ce qui, en moi, est la femme malade ou la
femme bien portante. Je ne suis qu'une fiction après
une autre. Seulement, maintenant, je le reconnais [...] »
« Y a-t-il un Moi? [...] Si je pouvais pousser un seul
cri vers Dieu, voyez-vous, ce serait : je veux être
REELLE. Jusque-là, je ne vois pas comment éviter
d'être éternellement à la merci de la vieille Eve qui est
en moi, dans toutes ses manifestations... »
Katherine Mansfield, lettres à John M. Murry (sanato
rium d'Avon, 26 octobre et 26 décembre 1922).
Le cas Guibert et la modernité
On dit souvent que le sida tient aujourd'hui la place que s'étaient faite au siècle
précédent la tuberculose et la syphilis. Vite entrée en littérature, la maladie nouvelle a
créé un fait nouveau, que certains ont appelé le « phénomène Guibert » : celui du
livre qui raconte l'agonie de son auteur. Un article d'Hélène Merlin, dans les Lettres
actuelles \ s'interrogeait récemment sur le caractère régressif, ou porteur, des ten
dances littéraires révélées dans les derniers livres d'Hervé Guibert. L'auteur voit dans
le processus de publicité de soi destiné à authentifier le réfèrent textuel — le corps
mourant de l'écrivain - un démenti aux valeurs de la modernité littéraire, qu'elle résu
me ainsi : le règne du signifiant et de la fiction, le Texte autoréférent, la mort de
l'auteur, l'interdit de la critique biographique.
Mais au-delà de ce démenti, le phénomène Guibert accomplit selon H. Merlin une
« perversion de la modernité » : il partage avec celle-ci le refus de la « représentation »
mimétique et du signifié, ici, au profit du signifiant (la modernité), là, du réfèrent
(Guibert). L' autoprésentation du sujet mourant dans le texte, dit-elle, réanime la figure
de « V immédiation » christique : « lisez, car ceci est du vrai corps [...] gagé sur le
mien, sur son sacrifice médiatique, afin que vous puissiez vérifier vous-même les pro
grès de ma maladie, de mon vieillissement, l'évidence de ma douleur et de mes
affects dont le livre que je vous donne porte témoignage, vrai morceau de ma vie... »
Mais alors que l'Eucharistie, dit H. Merlin, « vise un sens et joue avec la mémoire »
pour un « partage de la finitude humaine », alors que les textes de Beckett parcourent
les figures de la décomposition comme autant d'interrogations, l'exposition du
1 . Hélène Merlin, « Le phénomène Guibert. Une perversion de la modernité ? », Lettres actuelles, n° 1 -
2, juin-septembre 1996.
ROMANTISME n° 94 (1996-4) 50 Catherine Coquio
cadavre, chez Guibert, n'interroge rien, et sa lecture s'englue dans « l'excitation
primaire » venue du fait « qu'on sait que c'est lui ». Pourtant, cette littérature s'est
constituée en « formidable allégorie de nous-même ». Notre culture, gagnée par le
mythe de l'information en direct, préfère faire parler les mourants plutôt que dialo
guer avec les morts.
L'article se termine pourtant sur la possibilité d'une reprise féconde du genre, et
du geste de l'exposition de soi, inaugurant une vraie lecture de sympathie critique,
sans voyeurisme. En résonance, on pense aux notions de « témoignage », d'« expé
rience » et de « document » qui ont émergé dans le champ critique à la lecture de la
littérature concentrationnaire - chez Shoshana Felmann par exemple - et forment un
des points d'interrogation actuels sur l'avenir de la littérature. On peut voir aussi dans
cette hypostase du pacte autobiographique une autre « perversion de la modernité »,
même si cette littérature semble reprendre à son compte, dans son assurance et ses
doutes, certaines des valeurs modernistes : l'inconnu et le nouveau y prennent un tour
tragiquement historique, mais font bien inventer des genres et croire en des « véri
tés ». Cette littérature tranche en tout cas violemment sur le sacre de la fiction et du
simulacre issu des mythologies post-modernes. Or, le post-moderne est une autre per
version de la modernité, qui répète d'ailleurs en partie les figures de l'imaginaire
décadent 2. On pourrait dire que la littérature de témoignage « pervertit » la modernité
d'une manière symétriquement opposée, aujourd'hui, à la littérature post-moderne. Et
se demander comment, au début du siècle, lorsqu'elle existe, elle entre en relation
avec la modernité décadente.
Le cas Golberg et la fiction décadente
Le texte dont il sera question ici « témoigne » d'une mort par tuberculose.
Golberg l'a écrit d'octobre 1906 à décembre 1907, à Avon puis à Fontainebleau 3. Ce
journal de maladie fait souvent penser aux récits de déportation. Le sanatorium y
prend les traits d'un espace concentrationnaire — comme chez Thomas Bernhard (Le
Souffle) - et dans ses aspects socio-politiques ce texte s'apparente parfois à ceux de
Foucault ou Erwin Goffman (Asiles). Surtout, son écriture du corps mourant rappelle
les sensations de mort progressive des « musulmans » et « crevards » que furent dans
les camps Robert Antelme ou Varlam Chalamov. Mais Disgrâce couronnée d'épines
est un journal de malade. Le déporté est un tuberculeux qui ne revient pas de l'enfer,
et le raconte au jour le jour. La mort s'écrit en temps réel, dans un journal qu'elle
interrompt brutalement. Ce texte rappelle d

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