Cours sur la stratification sociale et inégalités
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Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 1 /15 CHAPITRE 3 : Stratification sociale et inégalitésIntroductionVous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes sociaux et que ce sont lesliens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de groupes différents, qui constituent la vie soc iale. Cesgroupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont hiérarchisés et entretiennent donc des relations marqué es par ladomination de certains et les inégalités et les différences existant entre les membres des différents groupes. Dans les sociétésmodernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation d'individus entre les groupes). De même, aucours du temps, les groupes et leur hiérarchie (et donc les inégalités) se transforment. C'est un des aspects mani festes duchangement social (ou de la dynamique sociale). Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi lastratification sociale se transforme au cours du temps. Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuventcirculer entre les groupes sociaux : c'est la question de la mobilité sociale. En effet, vous savez bien que les privilèg es ont étéabolis en France à la Révolution et qu'on n'hérite plus automatiquement de la position sociale de son père. Mais y a- t-il pourautant une réelle mobilité sociale ? La persistance des ...

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Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/)
CHAPITRE 3 : Stratification sociale et inégalités
1 / 15
Introduction Vous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes sociaux et que ce sont les liens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de groupes différents, qui constituent la vie sociale. Ces groupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont hiérarchisés et entretiennent donc des relations marquées par la domination de certains et les inégalités et les différences existant entre les membres des différents groupes. Dans les sociétés modernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation d'individus entre les groupes). De même, au cours du temps, les groupes et leur hiérarchie (et donc les inégalités) se transforment. C'est un des aspects manifestes du changement social (ou de la dynamique sociale). Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi la stratification sociale se transforme au cours du temps. Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuvent circuler entre les groupes sociaux : c'est la question de la mobilité sociale. En effet, vous savez bien que les privilèges ont été abolis en France à la Révolution et qu'on n'hérite plus automatiquement de la position sociale de son père. Mais y a-t-il pour autant une réelle mobilité sociale ? La persistance des inégalités et la difficulté de la mobilité sociale posent une question fondamentale à nos démocraties : comment assurer l'égalité des citoyens, l'égalité réelle et non l'égalité formelle des droits (qui est inscrite dans la Constitution) ? Mais avant de répondre à cette question, il faudra réfléchir au contenu même de la notion d'égalité : la société recherche-t-elle l'égalité ou la justice, n'y a-t-il pas des inégalités justes ? Mais alors, qu'est-ce que nos sociétés appellent « justes », quels sont les critères de ce qui est ressenti comme « juste » dans notre société ? Vous le voyez, on est ici dans le domaine des valeurs. Nous aborderons toutes ces questions dans la dernière partie de notre chapitre quand nous nous réfèrerons à ce que l'on appelle « l'idéal égalitaire » dans les sociétés démocratiques.
1. La dynamique de la stratification sociale. Pour décrire l'évolution des inégalités, il faut prendre en compte deux choses. La première, c'est l'ampleur des inégalités : est-ce que l'écart entre le « haut » et le « bas » de la hiérarchie augmente ou diminue ? La seconde, c'est la nature des inégalités, c'est-à-dire ce sur quoi elle portent : les inégalités d'aujourd'hui sont-elles les mêmes qu'autrefois, ou bien de nouvelles inégalités apparaissent-elles ?
1.1 - Les sociétés modernes sont structurées par de nombreuses inégalités. Quand on parle d'inégalités, on a trop tendance à ne voir que l'inégalité entre « riches » et « pauvres ». La réalité est plus complexe. Les inégalités ont des origines très variées et ne se recoupent pas toujours les unes les autres. C'est pourquoi nous allons essayer de dissiper deux erreurs traditionnelles, la première étant de croire que les inégalités économiques se réduisent aux inégalités de salaires, et la seconde, que toutes les inégalités s'expliquent au fond par les inégalités économiques. Mais auparavant, il faut d'abord définir précisément ce qu'est une inégalité, sans quoi on serait conduit à traiter toute différence comme une inégalité. 1.1.1 - Les différences sociales ne sont pas toutes des inégalités. Les sociétés sont toutes stratifiées, on l'a déjà dit. Cela signifie qu'elles sont composées de groupes sociaux aux caractéristiques différentes. Ces groupes sont hiérarchisés, c'est-à-dire que certains sont « en haut » de l'échelle, d'autres « en bas », certains « au-dessus », d'autres « en dessous ». Il y a donc un classement des différents groupes sociaux. La hiérarchie sociale repose sur des jugements collectifs (pas individuels) de valeur : par exemple, dans notre société, il « vaut mieux » (du verbe valoir, même racine évidemment que « valeur ») être médecin qu'instituteur. C'est socialement plus valorisé. Le médecin aura donc plus de richesses, plus de pouvoir, plus de reconnaissance sociale que l'instituteur. Cela ne préjuge en rien de l'utilité réelle de leur fonction. Cela signifie simplement que notre société accorde plus de valeur sociale à la fonction de médecin qu'à celle d'instituteur, de même qu'elle en accorde plus à celle d'instituteur qu'à celle d'éboueur : on va dire qu'il y a une inégalité entre le groupe des médecins et celui des instituteurs (pas seulement une différence). Une inégalité, c'est une différence qui se traduit en termes d'avantage et de désavantage et qui fonde donc une hiérarchie. Ainsi la couleur des cheveux peut différencier deux individus, mais, en règle générale, cette différence ne constitue pas la base d'une inégalité, ce qui n'est pas le cas de la couleur de la peau dans de nombreuses sociétés. D'ailleurs, si on associe inégalités et stratification sociale, c'est précisément parce que l'existence de groupes hiérarchisés se voit à travers les inégalités qui les caractérisent. Ceci étant, demandons-nous maintenant quelles sont les inégalités actuelles en nous appuyant ici essentiellement sur l'exemple français, même si la question des inégalités mondiales et au sein des pays en développement est tout aussi importante. Il faut souligner tout de suite que les inégalités ne sont pas qu'économiques, même si les inégalités économiques sont sans doute les mieux connues, ce qui ne prouve en rien qu'elles sont les plus importantes. 1.1.2 - Les inégalités économiques ne se réduisent pas aux inégalités de salaire. Revenus et patrimoine (à savoir avant de commencer) Le revenu (qui comprend les salaires) est constitué par l'ensemble des sommes perçues à un titre ou à un autre (revenus du travail, revenus du capital, revenus de transfert sociaux comme les prestations sociales, par exemple). Le salaire est toujours rattaché à une seule personne alors que le revenu est souvent celui du ménage (c'est-à-dire l'ensemble des personnes vivant sous le même toit).
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 2 / 15 Le patrimoine, enfin, est constitué par l'ensemble des biens possédés par un individu ou, le plus souvent, par un ménage : il est composé d'immeubles (terres, maisons, appartement, bâtiments de production…), de valeurs mobilières (actions et obligations par exemple), de liquidités déposées sur des comptes bancaires, d'objets d'art, de bijoux, etc. Les revenus sont donc des flux, alors que le patrimoine est un stock, que l'on acquiert grâce à son revenu ou en héritant et que l'on peut transmettre à ses héritiers. Il est logique de penser que si on a des revenus faibles, on aura souvent un patrimoine faible (même si ce n'est pas toujours le cas : un agriculteur propriétaire de son exploitation peut avoir des revenus faibles alors qu'il détient un patrimoine). Les statistiques sur la répartition du patrimoine sont difficiles à établir, en particulier du fait de la dissimulation ou la sous-estimation de leur patrimoine par les ménages. L'Insee ne prend en compte que les biens matériels, et encore pas tous (bijoux et objets d'art, par exemple). Les statistiques portent le plus souvent sur le patrimoine brut, c'est-à -dire endettement non déduit (tant que vous n'avez pas fini de rembourser l'emprunt qui vous a permis d'acheter votre appartement, on peut considérer que celui-ci ne vous appartient que pour la partie effectivement payée). Le patrimoine net est le patrimoine brut diminué des dettes contractées par le ménage pour acquérir ce patrimoine. Rapport interdécile et courbe de Lorenz (à savoir avant de commencer) Comment mesure-t-on les inégalités ? Une réponse rapide serait de dire qu'on les mesure mal, ce qui est vrai car les informations fiables sont difficiles à recueillir (par exemple, pour connaître les patrimoines, on dispose surtout des déclarations fiscales et successorales, dont on sait qu'elles ne sont pas toujours complètement fidèles à la réalité). Cependant, on mesure les inégalités et il faut connaître les outils utilisés pour mesurer les écarts à partir des informations recueillies. Il y a deux outils principaux (le rapport interdécile et la courbe de Lorenz) que nous allons présenter ici. Le rapport interdécile : quand on veut mesurer l'inégalité des revenus, par exemple, on peut décider de ranger les ménages par groupe de 10 %, en commençant par les 10 % percevant les plus faibles revenus (ce groupe s'appelle le premier décile) et en allant jusqu'au 10è décile, c'est-à -dire les 10 % des ménages percevant les plus hauts revenus. Un décile est séparé du décile supérieur et du décile inférieur par un montant de revenu que l'on appelle « limite de décile ». Chaque décile est donc borné par une limite inférieure de décile, qui est le montant du revenu au-dessus duquel se situent les ménages du décile, et une limite supérieure, qui est le montant du revenu au-dessous duquel se situent les ménages du décile. Cela permet de dire par exemple : 10 % des ménages (le 3è décile par exemple) disposent d'un revenu compris entre tel montant et tel montant. On peut aussi calculer le rapport inter décile, en général D9/D1 : on fait le rapport entre le montant de revenu séparant le décile 9 du décile 10 et celui séparant le décile 1 du décile 2. On ne prend pas le 10ème décile car, pour ce décile, on n'a pas de borne supérieure (le montant d'un revenu ou d'un patrimoine connaît une borne inférieure, c'est 0, mais pas de borne supérieure). La courbe de Lorenz : à partir d'un tableau de répartition du revenu par décile, on va construire un graphique qui permet d'évaluer au premier coup d'œil l'ampleur des inégalités. Pour construire la courbe de Lorenz, on met en abscisse les ménages par décile successif (du premier au dixième) et en ordonnée le revenu global en % (le montant total du revenu des ménages correspond à 100 %). Plus la courbe est éloignée de la diagonale, plus les inégalités sont grandes. En effet, cela signifie qu'une forte proportion des ménages ne dispose que d'une faible proportion du revenu global (par exemple, si 80 % des ménages ne disposent au total que de 30 % du revenu global, cela signifie que 20 % des ménages disposent de 70 % du revenu global et on a donc une forte inégalité). L'égalité parfaite est représentée par la diagonale : 10 % des ménages disposent de 10 % du revenu, 20 % des ménages de 20 % du revenu, 50 % des ménages de 50 % du revenu, et ainsi de suite. Les inégalités de salaires sont importantes, mais ce sont aussi les plus faibles et les plus stables. Il y a en France, comme dans toutes les sociétés, des inégalités de salaires. Elles dépendent d'abord de la « valeur » que la société attribue aux différents postes de la hiérarchie du travail. Par exemple, on trouve "normal" que le directeur financier d'une entreprise gagne plus que les ouvriers, soit parce qu'on estime que le poste est plus important pour la bonne marche de l'entreprise, soit parce qu'il nécessite plus d'études pour y accéder, soit encore parce qu'il impose de plus grandes responsabilités. Les inégalités dépendent aussi du rapport de force entre les salariés et leurs employeurs : certaines professions, par exemple parce qu'elles sont, à un moment donné, très demandées, obtiennent des salaires plus élevés (comme, par exemple, les informaticiens). Ainsi, en 2000, le salaire mensuel moyen des ouvriers et des employés à temps plein (1200€ environ 1 ) est 2,5 fois plus petit que le salaire mensuel moyen des cadres (plus de 3000€ 2 ). Les ouvriers et les employés représentent au total environ 58 % de la population active et les cadres 12.5 % environ. Au cours du 20ème siècle, les inégalités de salaires ont peu varié du côté « haut » de la hiérarchie : l'écart entre les hauts salaires et le salaire moyen est resté à peu près le même. Par contre, les inégalités entre les bas salaires et le salaire moyen se sont beaucoup réduites, surtout depuis 1968, grâce à l'instauration puis à la revalorisation du SMIC (le rapport interdécile des salaires est ainsi passé de 4 à 3,1 entre 1968 et 2000). Les inégalités de revenus sont plus fortes que les inégalités de salaires et tendent à augmenter avec la crise économique. L'écart entre les revenus est toujours plus fort que l'écart entre les salaires : ceux-ci sont protégés par un SMIC 3  assez élevé (équivalent à près du double du RMI 4 ) et aussi par des grilles salariales qui encadrent l'évolution des salaires et empêchent l'apparition de trop grandes inégalités. Les inégalités de revenus, après s'être bien réduites depuis les années 1960, ont augmenté
1 1 400 EUR environ en 2006. 2 3 800 EUR environ en 2006. 3 Soit 1 037,53 EUR nets mensuels sur la base de 35 heures hebdomadaires au 1er juillet 2008. 4 Soit au maximum 447,91 EUR pour une personne seule, 940,62 EUR pour un couple et deux enfants au 1er janvier 2008.
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 3 / 15 sensiblement depuis le début des années 1980. La première explication de ce retour des inégalités de revenus est le chômage : en perdant leur emploi, les individus perdent aussi leur revenu, ce qui tire vers le bas la hiérarchie des revenus. Mais une deuxième explication tient au fait que les revenus du travail ont augmenté (nettement) moins vite que les revenus du capital depuis 25 ans. Or ces derniers sont surtout perçus par les ménages les plus riches, ce qui a accru l'écart entre eux et le reste de la population. Les inégalités de patrimoine sont les inégalités économiques les plus fortes. Pour le patrimoine, on observe que 20 % de la population ne disposent d'aucun patrimoine. Dans ces conditions, il devient difficile de mesurer un écart… Il vaut mieux parler de gouffre ! Par ailleurs, le patrimoine provient de l'épargne des individus. Or, la capacité d'épargne augmente plus vite que le revenu : une personne qui gagne 1000€ par mois en consommera sans doute 950 et aura donc 50€ d'épargne ; tandis qu'une personne gagnant 2000€ par mois, parce que ses besoins sont bien satisfaits, consommera une moins grande part de son revenu et pourra épargner proportionnellement plus, mettons 400€. L'écart entre les deux montants d'épargne est de 1 à 8 quand l'écart entre les revenus n'est que de 1 à 2. Cela explique en partie pourquoi les inégalités de patrimoine sont nécessairement plus fortes que les inégalités de revenus. On peut ainsi estimer que, en ce qui concerne les patrimoines, le rapport interdécile (D9/D1) est au moins de 1 à 70, c'est-à-dire que la limite supérieure du patrimoine détenu par le neuvième décile des ménages est 70 fois plus élevée que celle du premier décile. Ces inégalités se sont accrues ces 20 dernières années à cause de la hausse du prix des actifs patrimoniaux (c'est-à-dire les titres ou les biens possédés par les ménages, comme les actions, les obligations, les logements…). En conclusion,  les inégalités économiques telles qu'on peut les mesurer restent importantes, ne se réduisent plus, voire s'accroissent. Cependant, comparativement aux autres pays développés, la situation française n'est pas particulière : du point de vue des écarts de salaire, par exemple, la France se situe dans une position moyenne par rapport aux autres grands pays développés. Et les inégalités se sont beaucoup plus accrues en Grande-Bretagne et aux États-Unis qu'en France depuis le début des années 1980.
La pauvreté (pour aller plus loin) On peut la considérer comme un aspect des inégalités économiques. Elle est aussi et surtout à l'articulation des inégalités sociales et économiques car en général, les « pauvres » cumulent beaucoup des inégalités. De plus, la pauvreté est aussi à la source de l'exclusion, même si on peut être pauvre sans être exclu et, éventuellement, être exclu sans être pauvre. Nous nous limiterons ici à la définition de la pauvreté économique. Il y a plusieurs définition de la pauvreté : en général, on distingue pauvreté absolue et pauvreté relative. La pauvreté absolue concerne les gens qui ne disposent pas de la quantité minimale de biens et services qui permettent une vie normale. L'ONU va par exemple définir la pauvreté absolue comme la situation dans laquelle un individu n'a pas les moyens de se procurer le panier de biens jugés indispensable à sa survie (estimé à environ 10€ par jour en 2002 en France). La pauvreté relative définit la pauvreté par comparaison avec le niveau de vie moyen du pays considéré. Elle est en général définie par une proportion du revenu médian (celui qui partage la population en deux parties égales). En Europe, un ménage est considéré comme pauvre quand il dispose de moins de 60 % du revenu médian par unité de consommation 5 . 1.1.3 - Les inégalités sociales ne sont pas seulement la conséquence des inégalités économiques. Les inégalités sociales peuvent être la conséquence des inégalités économiques : par exemple, les inégalités quant à la taille ou au confort des logements découlent bien naturellement d'inégalités de revenus. Cependant, il y a des inégalités qui ne sont pas la conséquence d'un écart de revenu ou de patrimoine, c'est-à-dire que la société valorise des différences autres qu'économiques. Nous allons en donner quelques exemples. Les inégalités entre hommes et femmes.  Elles ont des formes diverses, mais dans tous les cas, c'est le genre (masculin / féminin) qui fonde la hiérarchisation et l'inégalité qui en découle. La place des femmes dans la société est marquée par la domination masculine héritée du passé. Les inégalités se vivent d'abord dans la sphère privée : ainsi, la répartition des tâches domestiques reste-t-elle marquée par une profonde inégalité (les changements sont extrêmement lents, à l'heure actuelle, on estime que les femmes assurent plus des 2/3 des tâches domestiques, on parle de « double journée de travail » pour les femmes actives occupées) qui ne consiste pas seulement en plus de temps passé par les femmes mais aussi au fait que ce sont elles qui effectuent les tâches les moins épanouissantes (lavage du linge, nettoyage des toilettes et des salles de bain, etc.) alors que les hommes font des tâches plus valorisées (jardinage, bricolage, accompagnement des enfants, etc.). Ces inégalités se vivent aussi à l'école : malgré des résultats scolaires meilleurs pour les filles (à tous les niveaux de l'enseignement), les orientations les plus valorisées socialement (série scientifique, classes préparatoires aux grandes écoles) restent, majoritairement, l'apanage des garçons. Elles se vivent encore dans la sphère professionnelle : le salaire des femmes est le plus souvent considéré comme un salaire « d'appoint », c'est-à-dire s'ajoutant à celui de l'homme, il peut donc être plus faible (alors que de plus en plus de femmes vivent seules et que, de toutes façons, il n'y a aucune raison pour considérer que le travail est moins important pour une femme que pour un homme, même si l'identité masculine se construit sur l'activité professionnelle) ; les femmes ont du mal à accéder aux postes de responsabilité malgré leur niveau de diplôme. Elles se vivent enfin dans le domaine politique  où, malgré la loi sur la parité, le nombre d'élues (en particulier aux scrutins nationaux) est, proportionnellement au nombre de femmes dans la société, extrêmement faible. Il faut aussi dire que ces inégalités font système . Qu'entend-on par là ? Les inégalités s'enchaînent les unes aux autres et on finit par avoir du mal à savoir quelle inégalité est à l'origine des autres. On va le montrer en donnant des exemples. Il est ainsi très rationnel
5 En 2006, ce seuil s'élevait à 880 EUR par mois pour un adulte seul (pour une personne seule le RMI était au maximum de 433 EUR en 2006).
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 4 / 15 que ce soit la femme, dans un couple, qui garde les enfants quand ils sont malades (elle perdra alors en général son salaire pour ces jours d'absence) car, comme elle est moins payée que son conjoint, le ménage perdra moins d'argent en faisant ce choix (qui n'est donc pas forcément lié au fait que la mère saurait mieux s'occuper d'un enfant malade que le père, même si le couple le pense souvent, l'argument économique ne jouant souvent qu'à la marge). On pourra ensuite dire que le salaire des femmes est inférieur à celui des hommes, ou qu'on ne leur donne pas de responsabilité, car « elles sont tout le temps absentes ». De la même manière, les femmes refusent parfois des postes de responsabilité parce qu'elles savent que les réunions auront lieu justement à l'heure où elles « doivent » être à la maison pour s'occuper des enfants rentrés de l'école, du fait de la répartition inégalitaire des tâches domestiques. De ce fait, on continue dans l'entreprise à programmer les réunions à 17h30, par exemple, et les hommes participant à ces réunions ne pourront pas (même s'ils le souhaitaient) prendre leur part des tâches domestiques, ce qui contribue à perpétuer le partage inégalitaire des tâches, et la boucle est bouclée ! Les inégalités devant la mort. Alors même que l'accès aux soins médicaux est garanti à tous (en France, toujours), on meurt plus jeune quand on est ouvrier non qualifié que quand on est cadre. Ainsi, entre 1982 et 1996, le nombre de décès observés chez les ouvriers non qualifiés de 30 à 75 ans a été 30 % plus élevé que si leur mortalité avait été la même que celle de l'ensemble de la population, et celui des décès observés chez les cadres de 40 % inférieur à celui qu'il aurait été aux conditions de mortalité de l'ensemble de la population. L'écart est donc important. Résultat : l'espérance de vie est moins longue chez les ouvriers que chez les cadres (aujourd'hui, l'espérance de vie à 35 ans est de 46 ans pour les cadres de la fonction publique et de 37 ans pour les ouvriers non qualifiés). Rappelons que ces chiffres signifient que les cadres qui ont 35 ans aujourd'hui ont une chance sur deux d'atteindre ou de dépasser 81 ans (35+46) et les ouvriers une chance sur deux d'atteindre ou de dépasser 72 ans (35+37), ce qui fait quand même 9 ans de moins en moyenne. Les chiffres montrent aussi des inégalités devant la mort en fonction de la région où l'on habite. Les inégalités de réussite scolaire.  L'école est, en France, publique et gratuite donc accessible à tous également. Pourtant, le genre des études, leur durée, le niveau de diplôme atteint sont assez nettement corrélés avec l'origine sociale. Donnons-en quelques exemples. Les statistiques du Ministère de l'Éducation nationale montrent par exemple qu'en 1996, 80 % des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures sortis de formation initiale entre 1991 et 1994 ont un diplôme de l'enseignement supérieur alors que 20 % à peine des enfants d'ouvriers non qualifiés et d'ouvriers agricoles sont dans cette même situation. Deuxième exemple : en 1993, les enfants de cadres représentent 48,5 % des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles, les enfants d'ouvriers 6,8 %, alors que les enfants de cadres représentent 15,8 % des jeunes de 20 à 24 ans et les enfants d'ouvriers 37,5 %. Il faut ajouter que le diplôme n'est pas valorisé de la même manière sur le marché du travail selon l'origine sociale : en 1990, 81,1 % des enfants de cadres ayant un diplôme supérieur à bac + 2 sont eux-mêmes cadres entre 26 et 33 ans ; avec le même diplôme, les enfants d'artisans et commerçants ne sont que 68,5 % à être eux-mêmes cadres entre 26 et 33 ans. Nous reparlerons de ces inégalités de réussite scolaire à propos de la mobilité sociale. On voit bien que toutes les inégalités ne se réduisent pas à la différence de revenu. Bien plus, l'inégalité économique est souvent la conséquence d'une inégalité sociale, comme dans le cas de l'inégalité entre hommes et femmes. C'est en cela qu'on peut dire que les inégalités sont multidimensionnelles, ce qui est une autre façon de dire qu'elles n'ont pas toutes la même origine. Conclusion :  les inégalités dont nous venons de parler sont connues depuis longtemps. Nous avons vu qu'elles se transformaient au cours du temps (diminution de l'écart des salaires entre 1960 et 1980, réduction de certaines inégalités hommes-femmes, etc…). Mais il faut aussi se pencher sur la transformation des groupes sociaux liée à l'évolution des inégalités.
1.2 - Les inégalités se transforment. Inégalités et stratification sociale sont liées, nous l'avons déjà vu. Si les inégalités s'affaiblissent ou se transforment, il est logique de penser que c'est en lien avec des transformations de la stratification sociale. Ainsi tout un courant de pensée relie l'atténuation des inégalités visible au cours du 20ème siècle à la constitution d'une vaste classe moyenne. Et les arguments ne manquent pas pour soutenir cette thèse. Cependant, nous montrerons qu'on peut observer l'apparition de nouvelles inégalités, brouillant les frontières traditionnelles entre les groupes sociaux, mais les recomposant plus qu'elle ne les supprimerait. La nomenclature des PCS (à savoir avant de commencer) Les P.C.S. sont un outil construit par l'INSEE pour tenter de regrouper les actifs français dans des catégories dont les membres présentent une certaine homogénéité sociale, c'est-à -dire le même genre de comportements (par exemple vis-à -vis de la fécondité, des opinions politiques, des pratiques de loisirs, etc…). Pour constituer ces groupes, l'INSEE prend en compte un certain nombre de critères socioprofessionnels : le statut des actifs (salarié / travailleur indépendant / employeur), leur métier, leur qualification, leur place dans la hiérarchie professionnelle (avoir ou non des personnes sous ses ordres), l'activité de l'entreprise où travaille la personne. Il y a 6 PCS : les exploitants agricoles, les artisans, commerçants et chefs d'entreprise, les cadres et professions intellectuelles supérieures, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. Remarquons que le revenu n'est pas un des critères retenus par l'INSEE pour constituer les PCS, même si, indirectement, on va sans doute retrouver des individus ayant des revenus comparables dans la même PCS. Les chômeurs, s'ils ont déjà travaillé, sont classés en fonction des critères attachés à leur dernier emploi. S'ils n'ont jamais travaillé, ils sont classés à part, dans un groupe qui n'est pas vraiment une PCS, les « chômeurs n'ayant jamais travaillé ». Les PCS regroupent des catégories (42 catégories socioprofessionnelles) qui sont une décomposition plus fine de la population active, qui elles-mêmes regroupent les 486 professions que dénombre l'INSEE On a donc le schéma suivant : 486 Professions -------------> 42 CSP ----------------> 6 GSP (groupes socioprofessionnels)
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 5 / 15 On trouve parfois 8 GSP quand l'INSEE souhaite répartir l'ensemble de la population française : il faut ajouter alors 2 GSP, les « retraités » et les « autres sans activité professionnelle ». 1.2.1 - Les inégalités se sont globalement réduites au 20è siècle. Le rapprochement des modes de vie a été permis par la réduction des inégalités économiques et sociales traditionnelles. Si l'on prend l'ensemble du 20ème siècle, on ne peut pas nier la réduction des inégalités économiques : les bas revenus ont progressé nettement plus vite que les hauts revenus, la consommation s'est beaucoup accrue (spécialement après la seconde guerre mondiale) pour toutes les catégories sociales, rendant possible l'accès quasi généralisé aux biens de consommation durables (automobile, réfrigérateur, télévision, lave-linge, etc…). Parallèlement, la sécurité devant les aléas de la vie a beaucoup progressé pour tous grâce au développement de l'État providence : la Sécurité sociale a permis à tous les Français de se soigner convenablement et de bénéficier de retraites permettant de vivre dignement, ce qui était très loin d'être le cas auparavant. La très grande sécurité de l'emploi durant les Trente glorieuses a également permis à beaucoup de ménages de faire des projets et d'emprunter pour acquérir leur logement (l'accession à la propriété s'est développée dans toutes les couches sociales). Enfin, la scolarisation de tous les enfants s'est allongée. Résultat : on peut soutenir l'idée que les modes de vie se ressemblent de plus en plus, quel que soit le groupe social auquel on appartienne. Ainsi, l'habillement est beaucoup moins typé socialement qu'il ne l'a été (tout le monde porte des jeans), les départs en vacances concernent un nombre grandissant de français, on retrouve sur les bancs du lycée des enfants de tous les groupes sociaux, etc. 1.2.2 - ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenne. La constitution d'une vaste classe moyenne, regroupant les professions intermédiaires, certains cadres, les ouvriers qualifiés, une bonne partie des employés, serait la conséquence de cette réduction des inégalités, mais aussi de l'uniformisation des modes de vie. Dans le monde du travail, les différences se sont aussi beaucoup atténuées :  les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et leurs tâches de gestion les font de plus en plus ressembler à des chefs d'entreprise de l'artisanat ou de l'industrie, les ouvriers travaillent de moins en moins souvent directement la matière, ils ont le plus souvent des fonctions de contrôle sur des opérations de production de plus en plus souvent automatisées. Certains cadres doivent se passer de secrétaire et tapent eux-mêmes leurs rapports ou leur courrier, de même qu'ils gèrent seuls leur agenda. L'autonomie dans le travail est plus grande à tous les échelons de la hiérarchie. Donc, là aussi, les différences (et donc les inégalités) s'atténuent. La diminution des affrontements de classes : les individus cherchent de plus en plus à accroître leur consommation et donnent la priorité à l'amélioration de leur situation personnelle et de celle de leurs enfants sur la défense de leur groupe social. Le résultat est que les conflits sociaux collectifs diminuent en nombre au profit d'une compétition entre individus (même si vous n'avez pas du tout cette impression, il y a beaucoup moins de grèves à la fin du 20ème siècle que dans les années 1970, par exemple). Le rapprochement des modes de consommation : l'enrichissement durant les Trente Glorieuses a permis au plus grand nombre d'accéder à un même type de consommation (logement, voiture, électroménager, télévision, téléphone, …). Par ailleurs, la relative démocratisation scolaire et le développement des médias ont permis la constitution d'éléments de culture communs. Ainsi, certains évènements sportifs ou certains films ont une audience qui transcende les groupes sociaux traditionnels. Cette idée de moyennisation de la société est donc fondée sur des réalités difficilement contestables. Cependant, aujourd'hui, nombreux sont les sociologues qui remettent en cause cette analyse : la diminution de certaines inégalités, réelle, ne signifie pas la disparition des inégalités. D'abord, certaines inégalités traditionnelles augmentent à nouveau. Ensuite, on voit apparaître de nouvelles inégalités qui dessinent un nouveau paysage de la stratification sociale en France. 1.2.3 - Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités. Depuis une vingtaine d'années environ, il est de plus en plus difficile de parler de moyennisation de la société. D'abord parce que les inégalités traditionnelles ne se réduisent plus, ensuite parce que se développent de nouvelles inégalités. Tant et si bien que beaucoup de sociologues parlent aujourd'hui plutôt d'un « polarisation » de la société, c'est-à-dire d'une fragmentation de la population en deux groupes distincts, très éloignés, chacun à une extrémité de l'échelle sociale. La tendance à la réduction des inégalités traditionnelles semble stoppée. On a vu plus haut que, si les inégalités économiques se sont globalement réduites sur le long terme (depuis la seconde guerre mondiale ou depuis le début du 20ème siècle), les inégalités de revenus et de patrimoine augmentent sous l'effet conjugué de la hausse du chômage et de la montée du prix des actifs patrimoniaux. Par ailleurs, les inégalités de consommation n'ont pas complètement disparu non plus : certains biens restent socialement sélectifs (lave-vaisselle, ordinateurs, etc.) et les vacances ne sont pas du tout les mêmes selon les groupes sociaux. Enfin, la scolarisation s'est bien allongée pour tous, mais les études restent très différentes selon le groupe social d'origine. Ainsi, il y a proportionnellement plus d'enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures dans les classes préparatoires aux grandes écoles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a trente ans (où ils étaient déjà très sur-représentés). Les inégalités de patrimoine se sont fortement accrues depuis 1980. D'abord parce que le prix des actifs patrimoniaux (les biens ou les titres possédés par un ménage) ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus du travail depuis 1984 : par exemple, le prix du mètre carré dans l'immobilier a progressé 4 à 5 fois plus vite que le salaire moyen depuis 1980. Ensuite parce que les revenus tirés du patrimoine on progressé beaucoup plus vite que les
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 6 / 15 revenus du travail (pensez à la modification du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des détenteurs de capitaux, sous formes de dividendes par exemple). La remontée des inégalités se conjugue avec un phénomène de cumul des inégalités. Les inégalités font système, c'est-à-dire qu'elles s'entraînent mutuellement les unes les autres. On peut en donner quelques exemples : un travailleur au chômage aura du mal à trouver un logement car il ne pourra pas disposer de suffisamment de feuilles de paie pour prouver sa capacité à payer le loyer (sa « solvabilité »). Mais s'il n'a pas d'adresse à donner à un éventuel employeur, il est certain de ne pas trouver d'emploi… Dans la réalité, notre homme n'aura ni logement, ni emploi. Sans prendre ces extrêmes, on sait bien que si un ménage dispose de revenus faibles, il partira moins en vacances, se soignera moins bien, etc. 1.2.4 - Et les frontières entre les groupes sociaux deviennent floues. Une autre conséquence de la transformation des inégalités à la fin du 20ème siècle est l'apparition de nouvelles inégalités qui ne séparent plus les groupes sociaux traditionnels les uns des autres, mais créent au contraire des hiérarchie à l'intérieur de ces groupes, entre les individus qui les composent. Le résultat est que la stratification sociale est brouillée : les groupes ne sont plus aussi homogènes qu'autrefois. Des inégalités de salaires liées à l'histoire personnelle de chaque individu.  Pour un même niveau de diplôme, par exemple, les inégalités de salaires se sont beaucoup accrues. En fonction de quoi ? De plus en plus en fonction des aléas de la vie de chacun : si l'individu a été embauché au bon moment par une entreprise qui se développait, il a pu bénéficier d'opportunités de carrière que d'autres titulaires du même diplôme n'auront pas eues s'ils habitent dans une région en déclin économique, par exemple. On observe la même fragmentation au niveau du groupe des ouvriers. Quoi de commun entre un ouvrier qualifié travaillant dans une grande entreprise comme EDF, par exemple, ayant pu acquérir son logement dans des conditions très avantageuses et disposant d'une énergie peu coûteuse, et un ouvrier qualifié du textile vosgien, secteur en complète déconfiture, qui a été licencié successivement de plusieurs entreprises et se retrouve sans emploi avec une qualification qui n'a plus de valeur sur le marché français du fait de la mondialisation ? Pas grand-chose, assurément. On peut donc dire que la trajectoire individuelle compte de plus en plus pour expliquer les inégalités, en particulier économiques, observées. De nouvelles inégalités apparaissent, liées aux transformations du salariat. La précarisation du contrat de travail d'un certain nombre de salariés engendre une inégalité qui a d'importantes conséquences pour la vie quotidienne entre ceux qui ont un emploi stable, sûr (pas seulement les fonctionnaires) et les autres qui craignent pour leur emploi, quand ils en ont un : ainsi il est beaucoup plus difficile d'acheter un logement, et même d'en louer un, quand on a un emploi précaire (un CDD, par exemple) que quand on a un emploi stable. D'autre part, on constate une personnalisation croissante de la relation d'emploi : c'est la compétence personnelle de l'individu qui lui permet d'exercer cet emploi, pas, ou de moins en moins, sa simple force de travail qui pouvait être interchangeable avec celle de son voisin. Des inégalités « transversales » (qui traversent les groupes sociaux) sont apparues en tant que telles.  On a déjà parlé des inégalités entre hommes et femmes, on peut parler aussi des inégalités en fonction de l'âge : toutes les générations n'ont pas et n'auront pas accès aux mêmes avantages. Ainsi, les jeunes ont-ils aujourd'hui des difficultés majeures pour accéder à un emploi stable, comme s'il y avait une sorte de « droit d'entrée » à payer (petits boulots, travail quasi non rémunéré lors des stages, etc.). Conclusion : les inégalités se transforment plus qu'elles ne disparaissent, accompagnant les transformations économiques liées à la croissance. Ces transformations contribuent à ce que les inégalités soient davantage vécues sur le mode individuel que collectif. La frontière des groupes sociaux est de ce fait beaucoup moins claire. Cela ne signifie pas que la hiérarchie entre les groupes n'existe plus. Et la réduction des inégalités devient également moins simple dans la mesure où celles-ci ne sont pas clairement attachées à tel ou tel groupe. La question centrale devient, plus que jamais, celle de l'égalité des chances : comment assurer à chaque individu dans une société qui se veut égalitaire et démocratique les mêmes chances d'accès aux ressources valorisées par la société ? La réponse à cette question n'est évidemment pas simple. Un aspect central de la question est de savoir dans quelle mesure la position sociale des parents détermine la position sociale des enfants : s'il y a une forte « hérédité » sociale, les inégalités se reproduisent sans que le mérite des individus soit réellement pris en compte. C'est la question de la mobilité sociale qui est ainsi posée et que nous allons aborder maintenant.
2 - Les enjeux et déterminants de la mobilité sociale. Comme les inégalités structurent la société en groupes distincts hiérarchisés et que les statuts sociaux ne sont pas assignés par la naissance (ils ne sont pas héréditaires), normalement les individus doivent pouvoir circuler entre ces groupes sociaux. Étudier la mobilité sociale, c'est se demander dans quelle mesure les statuts sociaux sont héritables : plus ils le sont, moins la mobilité est grande, plus les inégalités risquent d'être ressenties comme injustes. Pourquoi la question de la mobilité sociale est-elle importante ? D'abord l'aspiration à l'égalité serait heurtée de front par une reproduction des positions sociales à l'identique, ou quasiment à l'identique, de génération en génération. La revendication de l'égalité des chances montre bien que la société souhaite que les individus aient les statuts sociaux qu'ils méritent en fonction de leurs capacités personnelles et non en fonction de leur origine sociale. On parle dans ce cas de méritocratie. Par ailleurs, une classe sociale n'existe en tant que classe que si elle a une certaine permanence dans le temps, en particulier pour pouvoir transmettre à ses membres (et aux enfants de ses membres) une culture commune forgeant la conscience de classe. On peut donc penser que plus le système de classes est constitué, plus les résistances à la mobilité sociale vont probablement être fortes, et inversement. Étudier la mobilité sociale permet donc de compléter la réflexion sur l'existence des classes que nous mènerons dans
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Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) un prochain chapitre. Dans un premier temps, nous allons étudier les moyens de mesure de la mobilité sociale - ce qu'on appelle les tables de mobilité. Ensuite, nous analyserons la mobilité sociale en France, puis nous étudierons les facteurs de la mobilité - ce qui cause, ou permet la mobilité sociale. Pour finir, nous présenterons deux débats autour de la mobilité sociale : le premier portera sur le rôle que joue l'école dans la mobilité, le second sur les éventuels effets pervers de la mobilité sociale.
2.1 - La mesure de la mobilité sociale. 2.1.1 - La mobilité sociale est la circulation des individus entre différentes positions de la hiérarchie sociale. De manière générale, la mobilité sociale est la circulation des individus d'une société donnée entre des positions sociales dont on sait qu'elles ne sont pas toutes équivalentes, donc qu'elles sont hiérarchisées, car elles ne procurent pas toutes les mêmes avantages, économiques et symboliques. Certaines positions sociales sont socialement valorisées alors que d'autres sont dévalorisées. On peut distinguer la mobilité sociale intragénérationnelle (celle d'un individu au cours de sa vie professionnelle) de la mobilité intergénérationnelle (celle d'un individu par rapport à la position sociale de ses parents). La mobilité intragénérationnelle est relativement faible si l'on excepte les tout premiers emplois. C'est donc l'étude de la mobilité intergénérationnelle qui va nous occuper, d'autant qu'elle est bien plus intéressante du point de vue des enjeux dont on vient de parler. 2.1.2 - Les tables de mobilité permettent de mesurer la mobilité intergénérationnelle. Les sociologues construisent deux types de tables de mobilité : les tables de destinée et les tables de recrutement. Les tables de destinée nous renseignent sur ce que deviennent les fils issus d'un groupe socioprofessionnel donné . Elles se lisent en ligne de la manière suivante : que deviennent (destinée) 100 fils d'agriculteurs ? Et bien, par exemple, 22 sont eux-mêmes agriculteurs en 2003 (pour les hommes de 40 à 59 ans) (Insee, Enquête FQP 2003), 9 sont cadres et professions intellectuelles supérieures, etc. Dans la table de destinée, la diagonale indique le degré « d'immobilité sociale », le poids de l'hérédité si l'on peut dire : elle indique pour chaque catégorie le pourcentage d'individus qui ont conservé la position sociale de leur père. Les tables de recrutement  nous renseignent sur la position sociale des pères des individus composant un groupe socioprofessionnel (dans quel milieu social ils se recrutent, c'est-à-dire que faisaient leurs pères). Elles se lisent en colonne de la manière suivante : quelle est l'origine sociale de 100 agriculteurs aujourd'hui (de 40 à 59 ans), autrement dit, que faisaient les pères de ces 100 agriculteurs ? Et bien, par exemple, en 2003, 88 étaient agriculteurs, ce qui signifie que 88 % des agriculteurs ayant entre 40 et 59 ans en 2003 avaient un père lui-même agriculteur. Là encore, la diagonale répertorie les immobiles, c'est-à-dire ceux qui occupe une position sociale identique à celle de leur père. La difficulté est bien sûr de ne pas confondre les deux types de tables de mobilité et de les lire comme il faut. Ce n'est pas simple, mais c'est important car ces deux tables ne nous donnent pas le même genre de renseignements. Vous le voyez bien avec l'exemple des agriculteurs : une très grande partie des agriculteurs (88 %) ont un père qui était lui-même agriculteur mais beaucoup de fils d'agriculteurs (78 %) ne sont pas devenus eux-mêmes agriculteurs, pour des raisons dont on reparlera plus loin. Les limites des tables de mobilité (pour aller plus loin) Les tables de mobilité sont un instrument irremplaçable d'analyse de la mobilité sociale. Mais pour ne pas leur faire dire plus que ce qu'elles peuvent montrer, il faut être bien conscient de leurs limites techniques. Celles-ci sont de trois ordres : La structure des positions sociales n'est pas toujours comparable d'une génération à l'autre. Dans les tables de mobilité que nous avons utilisées, les positions sociales sont identifiées à partir de la nomenclature des PCS. Or celle-ci a changé en 1982 - elle n'a certes pas été bouleversée, mais les changements ont été significatifs. On peut ainsi repérer des mobilités apparentes qui sont dues en fait au changement de la grille de classement des individus. Même si la grille reste formellement identique d'une génération à l'autre, les comparaisons intergénérationnelles peuvent poser des problèmes. En effet, une même catégorie sociale peut ne plus occuper la même position sociale à deux époques différentes : ainsi, le prestige d'un professeur de lycée s'est-il réduit au fur et à mesure que l'enseignement secondaire se démocratisait et que son propre niveau de qualification se banalisait au sein de la société. Les tables de mobilité analysent la mobilité sociale « passée » : pour que les comparaisons entre « pères » et « fils » aient un sens, il ne faut interroger que des personnes arrivées au faîte de leur carrière professionnelle. Si on comparait la situation sociale d'une personne de 25 ans avec celle de son père à l'âge de 50 ans, les deux ne seraient pas sur un pied d'égalité : la situation sociale du fils peut s'améliorer dans les 25 prochaines années (il peut avoir des promotions, se former et changer de métier, …). En fait, on mélangerait dans ce cas la mobilité intergénérationnelle et la mobilité intragénérationnelle. C'est pourquoi les tables de mobilité n'interrogent que des personnes âgées de 40 à 59 ans. Mais on ne sait donc rien de la mobilité sociale vécue par les générations plus récentes. Les tables de mobilité donnent une image partielle de la société : Usuellement, les tables de mobilité ne prennent en compte que les personnes de sexe masculin. Si on compare la situation sociale d'une personne âgée de 40 à 59 ans avec celle de sa mère (qui est donc âgée de 65 à 95 ans), on se heurtera au problème de l'inactivité féminine des générations plus anciennes : il n'est pas impossible que la mère n'ait pas eu de situation professionnelle significative. De même, si on compare la situation professionnelle d'un fille avec celle de son père, on risque d'avoir une différence liée au fait que les
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 8 / 15 femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes types d'emplois. Ainsi, il est fort possible que le père soit ouvrier et sa fille employée : doit-on pour autant en conclure à de la mobilité sociale intergénérationnelle ? On trouve des tables de mobilité mère/fille, mais c'est plus rare et plus difficile à interpréter. 2.2 - La mobilité sociale dans la France contemporaine. 2.2.1 - La société française reste marquée par une forte hérédité sociale. Pour le montrer, on peut utiliser le tableau suivant donnant les destinées des personnes nées entre 1950 et 1955. CSP fils CSP père Agric. Indép. Cadres Prof. Int. Employés Ouvriers Sans prof. Total Agriculteurs 21.5 8.7 7.2 14.7 7.6 39.6 0.7 100.0 Indépendants 0.9 22.2 20.9 22.0 9.5 23.6 0.9 100.0 Cadres 0.8 7.8 51.4 24.4 7.5 7.1 0.9 100.0 Prof. Interm. 0.4 8.3 27.7 33.0 10.2 19.3 1.0 100.0 Employés 0.5 7.6 17.5 27.2 16.7 29.4 1.1 100.0 Ouvriers 0.6 7.9 7.4 20.0 11.2 51.9 1.0 100.0 Total 3.9 9.8 15.7 22.0 10.8 36.9 0.9 100.0 Source : L. Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », DEES 127, mars 2002. Avant de dire ce que l'on peut en conclure, donnons un exemple de lecture des chiffres : il s'agit d'une table de destinée, on y trouve donc le devenir des fils de telle ou telle catégorie. Par exemple, 51,9 % des fils d'ouvriers nés entre 1950 et 1995 sont eux-mêmes ouvriers en 2000. La dernière ligne nous donne la structure socioprofessionnelle des fils : 3,9 % des hommes nés entre 1950 et 1955 sont en 2000 agriculteurs, 9,8 % sont indépendants, etc, et permet donc de comparer la destinée des fils d'ouvrier ou des fils de cadre, par exemple, à la destinée moyenne des fils nés entre 1950 et 1955. Quelles conclusions peut-on tirer de cet ensemble de chiffres ? L'immobilité sociale peut paraître relativement faible puisque le pourcentage d'individus mobiles est presque toujours supérieur à 50 (le chiffre de la diagonale donne la part des immobiles, on peut donc facilement en déduire la part des individus mobiles). Mais en réalité, l'hérédité sociale, c'est-à-dire la transmission du milieu social du père au fils reste forte : en effet, les chiffres de la diagonale sont toujours plus élevés que ceux de la ligne « ensemble ». Par exemple, un fils d'agriculteurs avait en moyenne 5,5 fois plus de chances de devenir agriculteurs que la moyenne des Français (21,5 contre 3,9). S'il y avait une parfaite égalité des chances, on trouverait les mêmes chiffres colonne par colonne. Ainsi, puisqu'il y a 15,7% de cadres dans la population (ligne « total », colonne « Cadres »), il devrait y avoir 15,7% de cadres parmi les fils de chaque groupe socioprofessionnel. 2.2.2 - Il existe cependant une certaine mobilité sociale, mais inégale selon les PCS. Cependant, en reprenant le même tableau, on peut voir qu'il y a une certaine fluidité sociale : si 51,4 % des fils de cadres deviennent cadres, il y en a quand même 24,4 % qui deviennent professions intermédiaires et 7,1 % ouvriers. Cela nous conduit à constater d'abord que la mobilité sociale n'est pas forcément ascendante. Mais il faut aussi souligner que la mobilité se fait surtout entre catégories socialement proches, comme entre cadres et professions intermédiaires, ou entre employés et ouvriers. La CSP qui semble être la plus mobile est celle des employés puisque 16,7 % des fils d'employés sont restés eux-mêmes employés alors que 27,2 % sont devenus professions intermédiaires et 29,4 % ouvriers. En revanche, deux catégories semblent plus nettement immobiles, les cadres et les agriculteurs. 2.3 Quels sont les facteurs de la mobilité sociale ? -S'interroger sur les facteurs de la mobilité, c'est bien sûr chercher à comprendre ce qui peut la favoriser ou au contraire la freiner, mais c'est aussi entrer dans un débat qui touche toute la sociologie et que nous avons déjà rencontré : ces trajectoires de mobilité ou d'immobilité sont-elles plutôt le résultat de l'action des individus (des acteurs, dit-on souvent) ou plutôt le résultat des transformations de la société qui rendent nécessaires cette mobilité sociale ? C'est le débat entre une analyse de type holiste et une analyse de type individualisme méthodologique. 2.3.1 - Le rôle des structures économiques : l'évolution des emplois offerts impose une certaine mobilité sociale. Quand on étudie la mobilité intergénérationnelle, il faut bien sûr tenir compte de l'évolution de la structure des emplois d'une génération à l'autre. Il n'est pas étonnant que les fils n'occupent pas la même position sociale que les pères, puisque les « positions sociales » ont changé d'une génération à l'autre, avec la transformation des métiers, des catégories socioprofessionnelles et des groupes sociaux. Certaines CSP se développent tandis que d'autres régressent, il faut donc nécessairement que les individus « circulent » d'une position sociale à l'autre.  Comment expliquer qu'un quart seulement des fils d'agriculteurs soient devenus eux-mêmes agriculteurs comme nous venons de le voir ? On peut penser que c'est un travail dur, ingrat, dont les revenus sont aléatoires et qu'un grand nombre de fils d'agriculteurs, instruits par l'expérience de leur père, renoncent à vouloir exercer le même métier que lui. On serait là vraiment dans la logique de l'acteur. Mais on sait que les évolutions technique et économique ont complètement transformé le travail agricole : la productivité a énormément
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 9 / 15 augmenté alors que la demande a augmenté moins vite. Résultat : la taille des exploitations s'est accrue et le nombre d'emplois dans l'agriculture a considérablement diminué. Autrement dit, que les fils d'agriculteurs le souhaitent ou pas ne change rien à l'affaire, le nombre d'emplois disponibles dans l'agriculture diminue et ceux qui ne pouvaient pas y trouver de place doivent en chercher une dans les autres secteurs de l'économie et devenir, par exemple, ouvriers (ce qu'ils sont effectivement souvent devenus). Il s'agit donc ici d'une mobilité largement imposée par l'évolution des structures économiques. On parle dans ce cas de mobilité structurelle. La mobilité structurelle est le changement de position sociale qui est dû aux changements des structures économiques et sociales. Elle représente une part importante de la mobilité : ainsi, la croissance pendant les Trente glorieuses a nécessité le développement du nombre d'emplois qualifiés de cadres ou de professions intermédiaires. Où trouver des titulaires pour ces emplois ? Parmi les fils des cadres et des professions intermédiaires, bien sûr. Mais ceux-ci étaient relativement peu nombreux parce que, à la génération de leurs pères, le nombre d'emplois de cadres ou de professions intermédiaires était beaucoup moins élevé. Il a donc bien fallu les recruter parmi les fils d'autres CSP, par exemple les fils d'employés dont on a vu qu'ils avaient eu une mobilité ascendante assez forte. Cette mobilité est donc quasiment obligatoire, poussée par les transformations des structures économiques. On peut encore raisonner de la même manière actuellement avec les ouvriers : le nombre d'ouvriers a beaucoup diminué depuis 1975. Les fils d'ouvriers vont donc peut-être être amenés à changer de CSP du fait de cette diminution, leur mobilité va donc sans doute s'accroître. La mobilité nette n'est pas due à l'évolution des structures, mais au fait que deux individus permutent leur position sociale. Si la structure sociale reste inchangée, la promotion d'un individu dans la hiérarchie sociale impose en effet qu'un autre connaisse symétriquement une régression dans cette hiérarchie (une « démotion »). Cette mobilité nette se mesure simplement par une soustraction : il s'agit de la différence entre la mobilité totale (ou mobilité brute, c'est-à-dire le nombre d'individus mobiles) et la mobilité structurelle. On peut avoir le sentiment qu'il s'agit là de la « vraie » mobilité, celle qui mesure la réelle possibilité de circuler entre des statuts sociaux hiérarchisés. Cependant les choses ne sont pas si simples. D'abord parce qu'on a le plus grand mal à distinguer dans les statistiques les deux types de mobilité. Ensuite parce que le fils d'agriculteurs devenu ouvrier, qu'il l'ait voulu ou non, a effectivement changé de statut social. Il n'en reste pas moins que l'étude de la fluidité sociale (que mesure la mobilité nette) qui traduit la possibilité de changer de statut social indépendamment des changements économiques structurels est très intéressante à étudier.  Conclusion : un des premiers facteurs de la mobilité globale est donc la transformation des structures économiques qui a pour effet de modifier la structure des emplois et donc celle des statuts sociaux qui y sont attachés. 2.3.2 - Le rôle de la famille : transmission d'un patrimoine économique et culturel mais aussi développement de stratégies d'ascension sociale. La famille joue un rôle très important dans la socialisation primaire des enfants. Vous avez étudié ce rôle en classe de première. En analysant plus précisément ce que la famille transmet à ses enfants, nous verrons comment cela agit sur la mobilité. La famille transmet un capital économique, un capital culturel et un capital social à ses enfants, et contribue ainsi à la reproduction des inégalités. C'est Pierre Bourdieu, sociologue français décédé en 2002, qui a, le premier, utilisé de manière systématique cette typologie. Il veut montrer par là que ce que transmet la famille et ce qui est source d'inégalités, ce n'est pas seulement un patrimoine (le capital économique, c'est-à-dire ce qui rapporte un revenu), mais aussi un capital culturel (un ensemble de connaissances, de références culturelles, d'habitudes comme visiter les musées, de compétences valorisées par le système scolaire comme la lecture ou la capacité d'écriture) et un capital social (schématiquement l'ensemble des relations sociales et donc la capacité, plus ou moins grande selon le capital social détenu, de pouvoir faire intervenir ces « relations » pour bénéficier d'avantages divers). On « hérite » d'un capital social ou d'un capital culturel comme d'un capital économique (sauf qu'il n'y a pas d'impôt !) et ce capital peut s'accumuler au fil des générations. Les individus disposent donc d'une quantité inégale de chacun de ces capitaux. La famille peut donc être présentée comme fondamentalement reproductrice, car en transmettant des capitaux différents, elle contribue au maintien des statuts existant. En particulier, dans les milieux favorisés, l'adage « tel père, tel fils » semble souvent vérifié. Mais on peut considérer que c'est aussi vrai pour les ouvriers. Ainsi, si à diplôme égal, les fils d'ouvriers valorisent moins bien sur le marché du travail que les fils de cadres un diplôme de l'enseignement supérieur, c'est peut-être parce que leur comportement extérieur (façon de se présenter, de parler, etc.) traduit de manière suffisamment explicite pour le recruteur leur origine sociale et que cela suffit à faire la différence. Cependant la famille peut jouer aussi un rôle actif dans la mobilité sociale en favorisant la promotion de ses enfants :  ainsi, quand on observe les familles d'origine modeste, on observe que les enfants de certaines familles ont une réussite scolaire nettement supérieure à la réussite moyenne des enfants des familles similaires. Quand on cherche à expliquer ce différentiel de réussite, on trouve toujours une responsabilité particulière de la famille (volonté forte de s'intégrer à la société française pour les familles d'origine étrangère, volonté forte que les enfants ne connaissent pas des conditions aussi difficiles que leurs parents, etc…) qui se traduit en particulier par une grande attention aux résultats scolaires. On voit donc que si la famille, par le fait qu'elle transmet ce qu'elle est et ce qu'elle a, est d'abord reproductrice, donc contribue à l'immobilité sociale, elle n'est pas que cela. Elle peut aussi rendre possible la mobilité sociale. Il y a donc la place pour des comportements particuliers de la famille, des comportements rationnels que l'on peut qualifier de stratégiques.
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 10 / 15 2.3.3 - Le rôle de l'école : dans une société où le diplôme devient la clé de l'accès aux emplois, l'école donne les moyens de la mobilité sociale. En première analyse, c'est l'école, et l'école seulement, qui peut rendre possible la mobilité ascendante des enfants originaires de milieux défavorisés. Si faire des études et avoir un diplôme ne garantissent ni un emploi, ni un statut social, ne pas en faire, ne pas avoir de diplôme, garantit à coup presque sûr pour un enfant de milieu populaire l'impossibilité de l'ascension sociale : dans les sociétés modernes, le diplôme est souvent la clé de l'accès à l'emploi et à la promotion dans l'entreprise. Pendant les « Trente Glorieuses », dans un contexte de forts changements dans la structure des emplois, avec une progression de la part des professions intermédiaires et des cadres, c'est l'école qui a permis de trouver parmi les enfants d'ouvriers ou d'employés ceux qui étaient les plus aptes à exercer ces emplois et qui a donc rendu possible leur ascension sociale. Cependant, maintenant que le nombre d'emplois augmente moins vite, la concurrence pour l'accès aux emplois les plus valorisés socialement s'accroît, surtout que la durée de la scolarisation s'est nettement allongée, entraînant la progression du nombre de diplômés. Le lien entre diplôme et emploi est de moins en moins net. Le diplôme des enfants peut être assez nettement supérieur à celui de leurs parents sans que leur statut social le soit. C'est ce que l'on appelle le paradoxe d'Anderson.
2.4 - Premier débat : l'école, entre choix individuels et reproduction sociale. Dans une société démocratique, l'école apparaît comme le moyen de permettre à tous l'accès à tous les statuts sociaux dans la mesure où les diplômes qu'elles confèrent sont ouverts à tous et ne sont pas décernés selon l'origine sociale. Seuls les résultats aux examens et concours, c'est-à-dire les mérites de chacun, permettent de les obtenir. Or les diplômes jouent un rôle majeur, en particulier en France, dans l'attribution des statuts sociaux. L'école est-elle le lieu de l'égalité des chances, comme on le souhaiterait ? Ou bien reproduit-elle les inégalités en transmettant les compétences et surtout les diplômes à ceux qui sont issus de familles favorisées ? En effet, on a déjà vu plus haut les grandes inégalités de réussite scolaire qui existent en France selon l'origine sociale. Comment les expliquer ? Plusieurs points de vue s'affrontent, ou se complètent. 2.4.1 - L'école reproduit et légitime les inégalités sociales de départ. Cette thèse a été plus particulièrement présentée par Pierre Bourdieu dont nous avons déjà parlé. L'école reproduit les inégalités en valorisant les élèves qui sont issus de familles bien dotées en capitaux de toutes sortes. L'école traite tous les enfants également, mais les enfants sont différents selon leur origine sociale. Et la culture qui est transmise et réclamée à l'école se rapproche beaucoup de la culture transmise par les milieux favorisés à leurs enfants. Résultat : ces enfants vont retrouver dans les exercices proposés les mêmes exigences ou les mêmes contenus que ce que l'on exige au sein de leur famille. Ils vont donc plus facilement, plus « naturellement » peut-on presque dire, réussir à l'école. On peut prendre un exemple pour éclairer le propos : quand un enfant dit chez lui « j'avais tombé pendant la récréation », il fait bien sûr une faute de français, mais tout le monde comprend ce qu'il veut dire (ce qui est quand même l'essentiel) ; si sa mère est professeur de SES, il y a toutes les chances pour qu'elle réponde : « on dit « j'étais tombé », tu t'es fait mal ? » ; si elle est sans activité avec un mari ouvrier, il y a plus de chance qu'elle se contente de dire « t'as eu mal ? ». Petit à petit, un des enfants va acquérir un français proche de celui demandé à l'école, il saura la grammaire sans l'avoir apprise, aura du vocabulaire alors que l'autre devra à l'école faire ce travail-là et sera donc « en retard » sur le premier. Finalement, la réussite scolaire va surtout récompenser ces enfants qui ont une sorte d'avance avant même de commencer. L'école légitime ces inégalités en les attribuant aux mérites personnels des élèves.  Ni la société ni l'école ne veulent voir que les enfants n'ont pas, à l'origine, les mêmes chances de réussite scolaire. Ce faisant, on entretient l'illusion que les diplômes sont obtenus seulement en raison du mérite personnel des élèves. Ainsi, les inégalités au sortir de l'école deviennent plus acceptables, plus légitimes, parce que l'école a occulté le fait qu'elles sont pour une bonne partie l'héritage du milieu social. Finalement, pour Bourdieu, les inégalités de réussite scolaire sont pour l'essentiel le résultat de l'inégale dotation en capital culturel et en capital économique des enfants, et de l'incapacité de l'école à les corriger. 2.4.2 - Les inégalités de réussite scolaire sont le résultat de stratégies familiales différentes. Cette thèse est défendue plutôt par le courant de l'individualisme méthodologique dont Raymond Boudon est le représentant le plus connu dans le domaine de la sociologie de l'éducation. Sans nier les inégalités de départ, Boudon montre que les familles peuvent avoir des stratégies qui expliquent les différences d'orientation et de réussite scolaire : par exemple, une famille ouvrière peut « se contenter » de souhaiter pour ses enfants des études à bac+2 dans la mesure où le diplôme obtenu, supérieur à celui obtenu par les parents, permettra à l'enfant de monter dans l'échelle sociale, sans que les sacrifices financiers faits pour la poursuite des études (une sorte d'investissement) ne soient trop lourds pour la famille. Il y a donc une sorte de calcul coût/avantage qui permet de conclure que ce niveau de diplôme est satisfaisant et suffisant. À l'autre bout de la chaîne, les parents des classes aisées vont mener une stratégie de même type, censée faire progresser leurs enfants le plus loin possible dans la hiérarchie sociale. Mais comme le niveau social des parents est déjà élevés, il ne se satisferont pas, comme dans la famille précédente, d'un diplôme de niveau bac+2, mais bac+5 et plus. De même, ils pousseront leurs enfants dans les cursus les plus sélectifs, sachant bien que tous les diplôme de haut niveau ne permettent pas d'accéder aux meilleurs emplois et qu'il faut donc encore bien choisir la filière et le type de formation. Ainsi, il peut y avoir de la part des parents une stratégie résidentielle : dans quel quartier habiter pour que mes enfants aillent dans tel lycée réputé ? Il y a aussi une stratégie dans le choix des langues vivantes et des options, l'objectif étant que l'enfant soit dans une « bonne » classe, etc… Ces stratégies, différentes selon les familles parce que les intérêts ne sont pas les mêmes, débouchent sur des résultats scolaires différents. Pour
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Conclusion : positions socialement valorisées ? Est-ce sur la base des mérites personnels ? Est-ce en fonction de l'origine sociale ? Vous avez là les deux pôles possibles. Mais la réalité conjugue les deux. L'origine sociale pèse encore largement mais des choix, des stratégies individuels sont toujours possibles. Ainsi les inégalités qui différencient et hiérarchisent les groupes sociaux entre eux sont pour une part « héritables ». La question qui se pose est alors une question de légitimité : est-il juste qu'il en soit ainsi ? C'est à chaque société de le dire en fonction des valeurs qui la sous-tendent. Voyons comment les sociétés démocratiques abordent cette question.
3 - Idéal démocratique et inégalités. Pour compléter notre analyse des inégalités, il nous reste donc à traiter des relations entre l'égalité et la justice sociale. Nous avons vu qu'il y a encore beaucoup d'inégalités dans la société moderne, ce qui pose la question de leur justification : au nom de quoi tolère-t-on des inégalités ? Pour comprendre ce problème, nous allons d'abord étudier ce qu'on appelle l'idéal égalitaire, c'est-à-dire la conception de l'égalité qui prévaut dans nos sociétés démocratiques, ce vers quoi on tend - sans forcément l'atteindre
Chapitre 3 : Stratification sociale et inégalités (d'après http://brises.org/) 11 / 15 Boudon, les acteurs (familles, élèves, enseignants) ont la possibilité de mener des stratégies personnelles, qui expliquent en partie les inégalités.
2.5 - Deuxième débat : faut-il nécessairement plus de mobilité sociale ? Jusqu'à maintenant, nous avons implicitement admis que la mobilité sociale était une bonne chose. Dans nos sociétés démocratiques, on est effectivement choqués à l'idée que les positions sociales ne soient pas accessibles à tous, et dépendent notamment du milieu social familial - la Révolution Française s'est d'ailleurs faite en grande partie contre ce genre de « privilèges ». Mais si la mobilité sociale est un élément de la démocratisation de nos sociétés, il ne faut pas croire pour autant qu'elle soit suffisante en soit. Elle peut même avoir des effets négatifs. 2.5.1 - La mobilité sociale n'est pas nécessairement bien vécue par les individus. La mobilité sociale a paradoxalement des aspects négatifs, d'une part parce que la mise en compétition des positions sociales crée de l'incertitude, et d'autre part parce qu'elle individualise l'échec et le rend ainsi plus difficile à supporter. La mobilité sociale fait peur parce qu'une société mobile est une société incertaine. On a tendance à ne considérer que les aspects positifs de la mobilité sociale parce qu'on ne l'envisage que comme promotion sociale. Or, la mobilité sociale, ça peut être aussi la « démotion », la régression dans la hiérarchie sociale. Et cette mobilité descendante est très difficile à accepter pour les individus. Il faut être psychologiquement très fort pour « repartir de zéro », et cela est souvent vécu comme un traumatisme. Une certaine immobilité sociale peut ainsi être vue comme la contrepartie d'une relative protection contre la compétition. Inversement, la mobilité sociale peut faire peur parce que chacun voit qu'il peut y gagner mais aussi y perdre beaucoup. Dans une société mobile, l'échec est un échec individuel et est plus difficile à accepter. Paradoxalement, il est psychologiquement plus facile, pour l'individu, de ne pas pouvoir accéder à une position sociale s'il est victime d'une ségrégation : dans ce cas, l'échec ne peut lui être reproché puisque la compétition était en quelque sorte « truquée ». Mais échouer dans une société mobile, où l'origine sociale ne pèse pas sur le destin des personnes renvoie chaque individu à ses propres insuffisances : s'il échoue, il ne peut en imputer la faute qu'à lui-même. C'est pourquoi l'échec scolaire est plus mal vécu dans une société où l'accès au diplôme est, au moins en apparence, démocratisé. Quand l'accès à l'école était réservé aux classes supérieures, ceux qui échouaient pouvaient toujours se dire que cet échec était d'abord une injustice faite à leur groupe social. 2.5.2 - Une société plus mobile n'est pas forcément plus égalitaire, et la mobilité peut servir d'alibi à l'inégalité. Mobilité sociale ne veut pas dire égalité des positions sociales. Il y a là un constat d'évidence, mais qu'il faut bien rappeler parce que, dans nos sociétés démocratiques, on a tendance à confondre les deux - ce sont en fait deux formes d'égalité, égalité des chances et égalité des positions, comme on le verra dans la troisième section. Au-delà, il y a un débat fondamental de philosophie politique : la mobilité sociale permet-elle de justifier les inégalités ? Une société plus mobile n'est pas forcément plus égalitaire : Comme on l'a vu plus haut, la mobilité sociale désigne les déplacements d'individus entre des positions sociales hiérarchisées, donc inégales. Un accroissement de la mobilité sociale ne signifie pas que ces inégalités se réduisent. Inversement, une société peut être très égalitaire mais n'avoir aucune mobilité sociale : les individus restent fixés dans des positions sociales très voisines. La mobilité sociale peut-elle justifier l'inégalité ?  C'est une question très controversée. Les penseurs les plus libéraux soutiennent généralement que, dès lors que les positions sociales sont également accessibles pour tous, peu importe qu'elles soient inégales. Les meilleures places seront occupées par les plus méritants, et l'inégalité ne fait que récompenser les efforts. Inversement, d'autres soutiennent qu'il importe peu que les positions sociales soient ouvertes si elles restent inégales. On peut même dénoncer dans la mobilité sociale un moyen de faire oublier l'inégalité : les individus se démèneront pour atteindre les meilleures places plutôt que de lutter collectivement contre les inégalités. On le voit, l'analyse de la mobilité sociale peut déboucher sur le lien entre inégalité et justice sociale, qui fera l'objet de la section suivante.
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