Diderot contre Greuze ? - article ; n°1 ; vol.24, pg 7-25
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1998 - Volume 24 - Numéro 1 - Pages 7-25
Walter E. Rex : Diderot against Greuze ?
In accordance with the uniquely curious twists of Diderot's thinking processes, the forceful, passionate enunciation of an idea sometimes brings the philosophe to perceive the reasons against his position-reasons which then emerge as the next stage in his dialectic, without his bothering to notice meanwhile that his line of argument had contradicted itself . Thus, the intensity of Diderot's enthusiasm for Greuze leads him to launch into a defense of values that in effect negate the very qualities he admires most in the painter, a flip-flop that incidentally connects rather well to modem reactions to this artist's dramatic scenes. In sum, if it would be foolish to deny Diderot's espousal of the æsthetics of Greuze, it is time also to recognize the negative aftermaths which his position entails, and which challenge powerfully his own original values.
Walter E. Rex : Diderot contre Greuze.
Suivant la curieuse tournure d'esprit de Diderot, l'énoncé passionné d'une proposition lui devient souvent une occasion de découvrir les mérites des idées qui contredisent cette proposition, et qu'il épouse ensuite, sans se rendre compte qu'il a changé de position du blanc au noir. Ainsi il n'est pas étonnant que l'intensité même de son enthousiasme pour Greuze l'ait amené à préconiser des valeurs qui, en art et en morale, sont totalement contraires à celles qu'il estimait le plus chez le peintre. En somme, s'il est impossible d'ignorer l'enthousiasme de Diderot pour Greuze, il faut reconnaître aussi que cette attitude comporte des éléments négatifs qui deviennent à l'occasion si forts qu'ils risquent de renverser toutes les valeurs.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 91
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Walter E. Rex
Diderot contre Greuze ?
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 24, 1998. pp. 7-25.
Abstract
Walter E. Rex : Diderot against Greuze ?
In accordance with the uniquely curious twists of Diderot's thinking processes, the forceful, passionate enunciation of an idea
sometimes brings the philosophe to perceive the reasons against his position-reasons which then emerge as the next stage in his
dialectic, without his bothering to notice meanwhile that his line of argument had contradicted itself . Thus, the intensity of
Diderot's enthusiasm for Greuze leads him to launch into a defense of values that in effect negate the very qualities he admires
most in the painter, a flip-flop that incidentally connects rather well to modem reactions to this artist's dramatic scenes. In sum, if
it would be foolish to deny Diderot's espousal of the æsthetics of Greuze, it is time also to recognize the negative aftermaths
which his position entails, and which challenge powerfully his own original values.
Résumé
Walter E. Rex : Diderot contre Greuze.
Suivant la curieuse tournure d'esprit de Diderot, l'énoncé passionné d'une proposition lui devient souvent une occasion de
découvrir les mérites des idées qui contredisent cette proposition, et qu'il épouse ensuite, sans se rendre compte qu'il a changé
de position du blanc au noir. Ainsi il n'est pas étonnant que l'intensité même de son enthousiasme pour Greuze l'ait amené à
préconiser des valeurs qui, en art et en morale, sont totalement contraires à celles qu'il estimait le plus chez le peintre. En
somme, s'il est impossible d'ignorer l'enthousiasme de Diderot pour Greuze, il faut reconnaître aussi que cette attitude comporte
des éléments négatifs qui deviennent à l'occasion si forts qu'ils risquent de renverser toutes les valeurs.
Citer ce document / Cite this document :
Rex Walter E. Diderot contre Greuze ?. In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 24, 1998. pp. 7-25.
doi : 10.3406/rde.1998.1412
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1998_num_24_1_1412Walter REX
Diderot contre Greuze ?
simultanément d'« opposition Les linguistes verbale une connaissent, chose », à savoir, et son l'existence de contraire1. longue de date, mots Parmi le pouvant phénomène les exemples signifier dit
traditionnels, ils citent le latin « altus », qui peut vouloir dire « haut » ou
bien son opposé exact, « profond » (« en haute mer ») et l'anglais « fast »,
le plus rapide des mouvements ou l'absence de tout mouvement (« stay »
ou « cling fast »). En français, on trouve « farouche », qui peut signifier
timide (« un enfant farouche ») aussi bien qu'acharné ou violent, et de
nombreux autres mots, tels « plus », « personne », ou « hôte ». Freud
s'intéressait particulièrement à cet étonnant phénomène, l'estimant lié au
langage des rêves. Dans « Sur les sens opposés dans les mots primitifs »
(« Gegensinn der Urworte », 1910), il cite abondamment les découvertes
du philologue Karl Abel sur les contradictions verbales qui informaient la
langue de l'Egypte ancienne. D'après les travaux d'Abel, les Égyptiens
communiquaient, le plus souvent, au moyen d'un vocabulaire dont les mots
possédaient (simultanément) deux sens contradictoires, ou dans lesquels
une syllabe contredisait directement la suivante. Notant que la civilisation
égyptienne comptait parmi les plus avancées de l'antiquité, il en conclut
que ce phénomène n'indiquait nullement un manque d'intelligence ou de
rigueur intellectuelle de la part de ce peuple. Il provenait plutôt du fait que
« Nos idées naissent d'un processus de comparaison » et que « chaque idée
est [...] la jumelle de son contraire », ce qui revient à dire que, du point de
vue linguistique, cette opposition contradictoire est une qualité inhérente au
processus de formation des idées-mots. La discussion de Freud montre bien
que, selon lui, une partie de la richesse des mots réside dans le fait que
ceux-ci sont, pour ainsi dire, saturés de leur contraire.
* Cet article est tiré d'une étude plus approfondie, Diderot' s Counterpoints : the
Dynamics of Contrariety in his Major Works, à paraître à Oxford dans les Studies on Voltaire
and the Eighteenth Century.
1 . Voir Walter E. Rex, Attraction of the Contrary, Essays on the Literature of the
French Enlightenment, Cambridge University Press, 1987, pp. 230-231, n. 31.
Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 24, avril 1998 8 WALTER REX
II existe, chez Diderot, des exemples frappants et bien connus de telles
oppositions verbales2. Cependant, dans ses écrits, il s'agit, le plus souvent,
de cas où la pensée de Diderot se contredit d'une manière encore plus
générale et radicale, et où un revirement total d'opinion de la part de
l'auteur s'ajoute au revirement verbal. Et nulle part ce procédé n'est plus
saisissant que dans les articles du Salon qu'il a consacrés à Greuze : seul
Freud aurait pu ne pas être surpris ou troublé par leur présence. Certes,
l'opinion traditionnelle veut que l'attitude de Diderot envers l'art de
Greuze, du moins à propos des tableaux les plus connus, ait été surtout
favorable au début. Cette affirmation qui a été soutenue par des générations
de spécialistes de Diderot ne manque pas de fortes apparences en sa faveur.
I
Dans le célèbre Salon de 1765, l'enthousiasme de Diderot pour
Greuze atteint son plus haut point3. On sait aussi les raisons que en
donne : d'abord, c'est que Greuze fut le premier en France à conférer à l'art
« des mœurs » — le mot renvoyant non seulement au sens habituel de
moralité4, mais aussi au concept plus neutre de « tableaux de mœurs », tel
que le genre se pratiquait chez les peintres hollandais. Ainsi, on comprend
dès le début de cet article que les « mœurs » dont il fait l'éloge chez Greuze
allaient parfaitement s'intégrer à la vision sociale du philosophe5.
La deuxième explication fournie par Diderot pour justifier son
enthousiasme à l'égard de Greuze, c'est que le moment dépeint dans ses
scènes s'inscrit dans le mouvement de la vie, formant un maillon dans une
chaîne d'événements, exactement tel qu'on en trouve dans un roman —
notion qui reflète non seulement l'intérêt de Diderot pour la dimension
littéraire de la peinture, mais qui en même temps épouse parfaitement la
dynamique du matérialisme qui est le sien, et en particulier le sens
2. Les divers genres de renversements verbaux qui abondent chez Diderot ont été
classés et analysés de façon magistrale par Georges Daniel, Le style de Diderot : Légende et
structure, Genève, Droz, 1986, Chap. IV, « Le thème de la réversibilité », pp. 283-344.
3. DPV, XIV, pp. 177-201 ; les numéros de page dans le texte renvoient à cette édition.
Édition Seznec, II, pp. 144-160.
4. Le sens de « moralité » était bien sûr l'acception principale du terme dans le
vocabulaire de Diderot, en ce qui concerne l'art. Cf. le Salon de 1763, DPV, XIII, p. 394,
sur la Piété filiale de Greuze : « D'abord le genre me plaît ; c'est de la peinture morale. Quoi
donc ! le pinceau n'a-t-il pas été trop longtemps consacré à la débauche et au vice ? Ne
devons-nous pas être satisfait de le voir concourir enfin avec la poésie dramatique à nous
toucher, à nous instruire, et à nous inviter à la vertu ? Courage, mon ami Greuze, fais de la
morale en peinture, et fais-en toujours comme cela ! » [avec, à l'occasion, la ponctuation et
l'orthographe de l'édition Seznec, I, 233].
5. Cf. l'élégante discussion de ces questions par Jean Starobinski dans « Diderot dans
l'espace des peintres », in Diderot et l'Art de Boucher à David. Les Salons : 1759-1781,
Paris, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 1984, p. 24A. DIDEROT CONTRE GREUZE ? 9
diderotien du devenir. Si un tableau ne peut, par définition, dépeindre qu'un
seul instant, en revanche cet instant est conçu comme un signe ou une clé
révélant implicitement dans sa fonction en mouvement la trame entière de
l'histoire6. Ainsi, chaque geste ou expression peut être déchiffré à
l'intérieur du devenir événementiel auquel il appa

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