Dix ans d irruption des sciences humaines dans le domaine du travail des paysannes - article ; n°102 ; vol.26, pg 261-271
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Description

Tiers-Monde - Année 1985 - Volume 26 - Numéro 102 - Pages 261-271
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

Andrée Michel
Dix ans d'irruption des sciences humaines dans le domaine du
travail des paysannes
In: Tiers-Monde. 1985, tome 26 n°102. pp. 261-271.
Citer ce document / Cite this document :
Michel Andrée. Dix ans d'irruption des sciences humaines dans le domaine du travail des paysannes. In: Tiers-Monde. 1985,
tome 26 n°102. pp. 261-271.
doi : 10.3406/tiers.1985.3480
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1985_num_26_102_3480DIX ANS D'IRRUPTION
DES SCIENCES HUMAINES
DANS LE DOMAINE
DU TRAVAIL DES PAYSANNES
par Andrée Michel*
Au cours des dix dernières années qui ont constitué la Décennie de
la Femme déclarée par I'onu, les recherches entreprises en sciences
humaines ont permis de donner une certaine visibilité au travail des
femmes paysannes, jusqu'ici ignorées, sous-estimées ou encore mas
quées sous le concept ď « aides familiales », ou de « femmes au foyer ».
Cette sous-estimation, cette invisibilité étaient particulièrement cho
quantes dans les statistiques de population active aussi bien de chaque
pays que des organisations internationales et, d'une façon générale,
dans les indicateurs de la science économique. C'est que la statistique
comme la science économique se sont constituées à partir d'une ratio
nalité qui, loin d'être universelle, épousait les postulats les plus ancrés
d'une classe dominante qui, pour des raisons que l'on exposera ci-dessous,
avait réussi à occulter le travail des femmes mariées, urbaines d'abord,
paysannes ensuite. « La rationalité est avant tout le privilège de ceux
qui détiennent le pouvoir »1. Il s'ensuivait qu'un discours dominant
consistant à déclarer « femmes au foyer » ou « inactives » des paysannes
qui dépensaient dix à quinze heures par jour à travailler dans les champs,
autour ou dans la maison, tenait lieu d'évidence au lieu de faire l'objet
d'une interrogation ou d'une problématique.
Cette situation a engendré de profondes injustices dont les femmes
et en particulier les paysannes du Tiers Monde sont encore les victimes.
Cependant, à la suite des révoltes des femmes et du développement des
* Directeur de recherche au cnrs.
i. Jacqueline Feldman, Le savant et la sage-femme, Impact, Paris, Unesco, vol. 25, n° 1,
1975-
Revue Tiers Monde, t. XXVI, n° 102, Avril-Juin 1985 2Ó2 ANDRÉE MICHEL
recherches en sciences humaines, des certitudes ont été ébranlées, des
contradictions et des mystifications ont été soulignées, des critères d'éva
luation ont été légèrement modifiés dans les statistiques du travail des
femmes, même si la plus grande incohérence règne encore d'un pays
à l'autre, d'un organisme à l'autre dans les de la force de
travail féminine travaillant dans l'agriculture. Ainsi, pour se borner aux
contradictions entre les estimations du Bureau international du Travail
et celles de la fao, tandis que le premier organisme évalue à 31,5 % le
pourcentage de femmes composant la force de travail totale des Caraïbes,
la fao estime ce pourcentage à 54 %2.
Dans cet article, on se bornera à identifier brièvement quelques
résultats de recherches conduites en histoire, en sociologie, anthropol
ogie, géographie humaine, etc., qui permettent de mieux appréhender
l'origine de l'invisibilité du travail des femmes mariées, en particulier
des paysannes, la quantité et la qualité de leur travail, enfin le rôle que
joue cette invisibilité dans l'inégalité des sexes dans la famille et la société
et dans l'accumulation capitaliste.
I. — U apport des recherches historiques
sur l'origine de V invisibilité du travail des paysannes
L'histoire de la famille européenne et de la colonisation apprend
comment s'est imposé au cours des siècles un modèle juridique et
sociologique de la famille conjugale dans laquelle le mari est le « chef
de famille » et le gagne-pain tandis que l'épouse, subordonnée au mari
et cantonnée officiellement dans les tâches domestiques et l'éducation
des enfants, est censée ne pas travailler, même si par ailleurs elle contribue
par sa production non marchande à la survie ou au confort de la famille.
Certes, de tout temps, une division sociale du travail entre les sexes au
sein du couple et de la société a existé dans les cultures pré-capitalistes
mais celle-ci n'engendrait pas nécessairement une inégalité économique
aux dépens des femmes puisque les deux conjoints contribuaient dans
des domaines différents à la survie du groupe domestique, même si
l'épouse avait parfois un statut social inférieur à celui du mari3.
L'historien(ne) a donc été amené à s'interroger sur l'origine d'une
2. Ruth Dixon, Counting women in the agricultural labor force, Population and Deve
lopment Review, sept. 1982, vol. 8, n° 3.
3. Cette théorie a été démontrée par plusieurs auteurs, notamment par l'anthropologue
américaine Eleanor Leacock. Voir Ideologies of male dominance as divide and rule politics :
An anthropologist's view, in Marian Lowe et Ruth Hubbard (éd.), Woman's Nature, Londres,
Pergamon Press (The Athens series), 1983, 155 p. LES SCIENCES HUMAINES ET LE TRAVAIL DES PAYSANNES 263
inégalité économique fondamentale entre les sexes et sur son extension
aux pays du Tiers Monde. Aussi loin qu'il est possible de cerner cette
inégalité en Europe, on constate qu'elle est contemporaine de l'avène
ment du capitalisme commercial dans ce continent. Deux changements
se produisent en effet qui hâtent l'avènement de ce modèle de famille
où une division du travail entre les sexes génère l'invisibilité du travail
des femmes, c'est-à-dire leur exploitation et l'appropriation de ce
par le mari :
— En premier lieu, se développent la fortune mobilière et la monn
aie dans la classe des marchands des villes, qui permettent plus fac
ilement que la propriété immobilière la propriété privée au profit du mari.
En effet, dans les grandes familles féodales, l'indivision de la terre
permettait aussi bien aux femmes qu'aux hommes d'administrer et de
gérer les grands domaines fonciers. C'est parce que le mari commerçant
utilise la monnaie comme instrument de l'échange et de la multipli
cation de la fortune du foyer qu'il peut plus facilement devenir le propriét
aire de celle-ci aux dépens de son épouse même si celle-ci se transforme
en « aide domestique » travaillant à temps plein dans l'arrière-boutique
de l'échoppe ou de l'atelier artisanal. D'où la tentation pour le légiste
bourgeois de faire des femmes des mineures perpétuelles, ayant perdu
tout droit dans l'administration d'abord des biens communs du ménage,
ensuite de leurs biens propres. La bourgeoisie a mis des siècles à perfec
tionner son instrument juridique (le Code Napoléon de 1805), frappant
les femmes mariées d'incapacité juridique puisque l'économie monétaire
rendait « invisible » leur travail d'aide domestique du mari.
— En second lieu, l'Etat national naissant a compris très vite l'intérêt
d'un modèle familial où le mari étant le « chef », l'administrateur des
biens communs du ménage et le gagne-pain officiel de la famille, une
hiérarchie sociale s'établissait dans la famille entre les générations et les
sexes qui fournissait un modèle à la hiérarchie de l'Etat sur le citoyen4.
Ainsi le modèle de la famille conjugale bourgeoise devenait l'instance
médiatrice qui garantissait l'ordre hiérarchique dans la société. En outre,
il était plus aisé pour l'Etat monarchique de lever des impôts sur un
groupe social ayant un chef à sa tête, qui devenait ainsi le seul respons
able de l'impôt vis-à-vis de l'Etat. Le Code Napoléon de 1805 que de
nombreux pays dans le monde ont adopté ou adapté (Europe du Sud,
Amérique latine, Louisiane, Afrique noire, etc.) est la phase ultime
d'institutionnalisation dans la loi civile de ce modèle familial bourgeois
4. Pierre Petot, in Sociologie comparée de la famille contemporaine, Paris, cnrs, 1956. ANDRÉE MICHEL 264
dont l'origine remonte dès le xive siècle. Les travaux de Leonore Davi-
doff sur les familles bo

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