Doctrine symboliste du langage poétique - article ; n°25 ; vol.9, pg 75-106
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Description

Romantisme - Année 1979 - Volume 9 - Numéro 25 - Pages 75-106
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Claude Abastado
Doctrine symboliste du langage poétique
In: Romantisme, 1979, n°25-26. pp. 75-106.
Citer ce document / Cite this document :
Abastado Claude. Doctrine symboliste du langage poétique. In: Romantisme, 1979, n°25-26. pp. 75-106.
doi : 10.3406/roman.1979.5275
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1979_num_9_25_5275Claude ABASTADO
Doctrine symboliste du langage poétique
Une doctrine littéraire n'a pas la cohérence d'un système philoso
phique ; c'est un ensemble d'opinions contradictoires, de jugements
de goût et de recettes sur l'art d'écrire, dont l'idéologie reste implicite ;
c'est, de plus, la pensée d'un groupe et non l'œuvre d'un seul. Le
Symbolisme ne fait pas exception : autour de 1885, c'est la visée des
jeunes poètes, dont chacun poursuit sa voie propre ; les déclarations
et les manifestes sont les échos mieux entendus d'une quête aux aspects
multiples. Pour en connaître la doctrine, il convient de confronter les
textes, même polémiques, et d'y lire le non-dit ; on devine, sous les
mots, des intentions, une pensée qui se cherche et reste informulée.
Pour l'interpréter, il faut la replacer dans l'histoire des idées, l'éclairer
rétrospectivement, la déchiffrer avec la grille que nous donnent, aujourd
'hui, la linguistique et l'anthropologie. Ce seront les deux parties de
cette étude.
Dans le procès que les contemporains firent au Symbolisme, il faut
négliger la part des injures, ce fonds inaltérable d'une critique de
folliculaires. Les Symbolistes (confondus avec les Décadents) furent
traités de «fous» et de «cabotins», de «toqués», de «galopins»,
de « drogués », de « pornographes » ; on en appela contre eux aux
sanctions de la VIe Chambre ; on expliqua aussi que des « étrangers »
ne pouvaient sentir le génie de la langue française : « Nés du surbla-
séisme d'une civilisation schopenhaueresque, [ils] ne sont pas une
école littéraire. Leur mission n'est pas de fonder. Ils n'ont qu'à détruire,
à tomber les vieilleries et préparer les éléments fœtusiens de la grande
littérature nationale du XXe siècle » ; « Cette fin de siècle appartient
aux toqués [...]. A tous moments la poésie se fait complice de farceurs
à froid et d'illuminés [...]»; « Les Symbolistes, à l'heure actuelle, ne
représentent qu'une toute faible minorité : quatre ou cinq d'un
incontestable talent, deux ou trois dont on ne peut rien dire encore,
une douzaine de galopins qui barbottent, ridicules, dans un gâchis
dont ils ne sortiront pas. Rien n'est plus antipathique à l'esprit français Claude Ahastado 76
que le symbole. M. Moréas, en sa qualité d'étranger, a pu s'y méprend
re » l. Mieux valait rire de ces accusations : « Que M. Bourde se
rassure, écrit Moréas ; les décadents se soucient fort peu de baiser les
lèvres blêmes de la déesse Morphine ; ils n'ont pas encore grignoté
de fœtus sanglants ; ils préfèrent boire dans des verres à pattes plutôt
que dans le crâne de leur grand-mère, etc. » 2. Pourtant Verlaine lui-
même n'échappe pas à la contagion : « Le Symbolisme ?... Comprends
pas... Ça doit être un mot allemand... hein ? [...] qu'est-ce que ça peut
faire à un poète ce que Kant, Schopenhauer, Hegel et autres Boches
pensent des sentiments humains ! Moi je suis Français... » 3. De tels
propos occupent des pages d'articles et donnent le ton des polémiques.
En revanche deux griefs qui reviennent avec insistance chez les
critiques méritent qu'on s'y arrête : Г « ésotérisme » et Г « esthétisme ».
On accuse les écrivains d'être obscurs et de mépriser le public ; on
leur reproche d'élaborer des théories avant d'avoir produit des œuvres 4.
Ces deux griefs n'ont pas le même objet : le premier (nous y revien
drons) dénonce un type de discours ; le second met en cause une
manière d'être et de se dire écrivain.
Depuis le xvin' siècle, on considère que la création artistique et
littéraire est affaire de sentiment et de « naïveté » ; le Romantisme
a orchestré cette idée qui garde encore des adeptes à la fin du xix* siè
cle. Après la publication du Manifeste de 1886, France fait la leçon
à Moréas : « Le royaume de la poésie est comme le royaume de Dieu.
On n'y peut entrer qu'avec un cœur simple. Le sentiment y conduit
et non pas les systèmes » 5. Valéry rappellera plus tard ce « préjugé »
qui l'irritait à vingt ans : « En ce temps-là, régnait une opinion, qui
n'est peut-être pas tout à fait sans substance. Plusieurs, ou presque
tous, pensaient, quoique assez vaguement, que les analyses et le travail
de l'intellect, les développements de volonté et les précisions où il
engage la pensée ne s'accordent pas avec je ne sais quelle naïveté
de source, quelle surabondance de puissance ou quelle grâce de rêverie
que l'on veut trouver dans la poésie [...]. Je n'aimais pas cette opinion.
Il y a trop de choses sur la terre, et dans le ciel surtout, qui nous
demandent le sacrifice de l'esprit » 6.
La critique des années 1880 se choque de voir renverser l'ordre
des événements littéraires. Entre l'enquête de Léo d'Orfer et celle de
J. Huret, de 1886 à 1891, paraissent des textes-manifestes qui ne décla
rent que des intentions et annoncent une littérature à venir : le Traité
du verbe de Ghil et son « Avant-dire » par Mallarmé, le Manifeste de
Moréas, l'Art symboliste de Vanor, ía « Préface » des Grands Initiés
de Schuré, le Symbolisme en peinture d'Aurier, De VEsotérisme dans
l'art de. V.-E. Michelet. Morice, en 1888 et 1889, donne à ses études
des titres révélateurs : Demain, questions d'esthétique, et la Littérature
de tout à l'heure. Brunetière, apportant en 1888 sa caution au mouve
ment, fait cette mise en garde : « On les attend toujours à la preuve
de leurs théories par le chef-d'œuvre [...] »7. Et Huret, en 1891, termine
le compte rendu, dans l'Echo de Paris, d'un banquet en l'honneur de
Moréas par cette pointe : « Et maintenant, poètes symbolistes, aux
chefs-d'œuvre ! »
Les Symbolistes témoignent d'un certain embarras : « Je ne vous
opposerai guère que des intuitions et ne puis compter que sur l'incer- symboliste du langage poétique 77 Doctrine
tain avenir pour légitimer par des œuvres les théories [...]. Non plus
que vous je n'estime les théories qui se perpétuent dans l'abstraction.
Je n'ai foi qu'aux œuvres. » 8 Mais ils justifient leur démarche au nom
de la lucidité créatrice ; ils veulent se démarquer des Romantiques
assimilant création et spontanéité : « N'en finira-t-on jamais, s'indigne
Morice, avec cette antique confusion de l'inspiration et de l'inconscien
ce ?» Au votes on oppose « le poète sachant ce qu'il fait », « l'union
nécessaire de l'esprit poétique et de l'esprit critique » ; « N'est-ce pas
là toute la définition du « poète moderne » ?» demande Morice et il
invoque des parrainages illustres : « Ils sont spéciaux à notre siècle,
les poètes esthètes, c'est vrai : mais n'y ont-ils pas, de par Edgar Poe,
Wagner et Baudelaire, droit de cité ? » 9
Cette représentation qu'on se fait du « poète moderne » n'est
pas simplement pittoresque. Elle a des implications esthétiques, philo
sophiques et mêmes éthiques. Et elle dicte l'objet de cette étude : les
textes-manifestes ne servant plus à commenter des œuvres et consti
tuant un corps de doctrine autonome, nous n'avons pas à apprécier
la concordance d'une théorie et d'une pratique ; nous pouvons considé
rer la théorie symboliste de l'écriture poétique en soi, comme fragment
de l'idéologie d'une époque.
I. — LA DOUBLE VISEE DES MANIFESTES
Doctrine symboliste : si l'on a pu douter que cette expression
eût un sens, c'est qu'on a réduit le mouvement à son étiquette, et
cette étiquette à une

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