Du bûcher au piédestal : Etienne Dolet, symbole de la libre pensée - article ; n°64 ; vol.19, pg 85-100
17 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Du bûcher au piédestal : Etienne Dolet, symbole de la libre pensée - article ; n°64 ; vol.19, pg 85-100

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
17 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1989 - Volume 19 - Numéro 64 - Pages 85-100
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacqueline Lalouette
Du bûcher au piédestal : Etienne Dolet, symbole de la libre
pensée
In: Romantisme, 1989, n°64. pp. 85-100.
Citer ce document / Cite this document :
Lalouette Jacqueline. Du bûcher au piédestal : Etienne Dolet, symbole de la libre pensée. In: Romantisme, 1989, n°64. pp. 85-
100.
doi : 10.3406/roman.1989.5589
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1989_num_19_64_5589Jacqueline LAWUETTE
Du bûcher au piédestal
Etienne Dolet, symbole de la libre pensée
Comme l'Eglise a ses bienheureux et ses saints, la Libre Pensée 1 a ses
grands hommes et ses héros, savants, hommes politiques, écrivains, philosophes
pour la plupart Comme l'Eglise aussi, elle a son martyrologe : Le&Martyrs de la
Libre Pensée, tel était le titre d'un livre de Jules Barni paru à Genève en 1862.
Ces victimes, quand elles avaient été celles de l'Inquisition, remplissaient un rôle
fondamental, contribuant à prouver la cruauté et l'esprit de domination de la rel
igion catholique, « par excellence la religion de la persécution et du feu » 2. En
France, si les figures de Giordano Bruno et de Jean Huss furent souvent évoquées,
s'il y eut un projet de monument Galilée, les martyrs de prédilection furent
Etienne Dolet et le Chevalier de la Barre. Tous deux eurent leur statue dans la
capitale, conviés à la pérennité du bronze pour rappeler la puissance oppressive de
l'Eglise, son hostilité passée et présente aux droits de l'esprit, à la marche de la
raison .
Le chevalier de la Barre, supplicié à dix-neuf ans, par sa jeunesse, par la
ténuité des crimes dont il fut accusé, par la place que Voltaire lui avait réservée
dans son action et dans son œuvre, aurait pu prendre le pas sur l'imprimeur de la
Renaissance. Pourtant, Etienne Dolet fut statufié à Paris, place Maubert, en 1889,
seize ans avant que le chevalier de la Barre ne le fût devant le Sacré-Cœur, en
1905. Il est vrai que le second eut l'avantage en province, avec deux monuments,
l'un à Abbeville (Somme), l'autre à Gruissan (Aude), tandis que Dolet, s'il connut
bien la gloire du bronze puis celle de la pierre à Orléans, sa ville natale, n'eut
jamais à Lyon le monument prévu, dont la Première Guerre mondiale empêcha la
réalisation. Nous avons retenu le cas d'Etienne Dolet, de préférence à celui du
jeune chevalier, à cause de l'antériorité de la première statue et des manifestations
imposantes et régulières qui se déroulèrent place Maubert, durant les années 1890
et 1900. En outre, deux cas attestés - mais il y en eut sans doute d'autres -
d'enfants de libres penseurs devant leur prénom à l'imprimeur exécuté, le nombre
relativement important de sociétés de Libre Pensée placées sous le patronage de
celui-ci, l'existence, ici ou là, d'une rue portant son nom, achevèrent de nous
convaincre de l'importance du véritable culte que la Libre Pensée organisa autour
du souvenir d'Etienne DoleL
Comment devenir un martyr de la Libre Pensée
Rappelons d'abord à grands traits la vie de celui qui fut, au moins un temps,
le protégé de François 1er, l'ami de Clément Marot et de Rabelais. Né à Orléans
en 1509, Etienne Dolet suivit les cours des facultés de droit et de lettres de Paris,
Ci-contre fig. 1, 2, 3, 4. Voir légendes des illustrations p. 100.
ROMANTISME n* 64 (1989 - П) Jacqueline Lalouette 86
de Padoue - à cette époque célèbre pour ses hardiesses intellectuelles - et de
Toulouse. Deux violents pamphlets qu'il rédigea contre le parlement de cette
ville 3 lui valurent ses premiers ennuis et une durable réputation de caractère emp
orté, violent, discourtois. Ayant quitté les rives de la Garonne, il s'établit à Lyon
en 1535, y fréquenta les milieux lettrés et se trouva mêlé, de manière très intime,
à la querelle des Cicéroniens dans laquelle il gagna quelques solides inimitiés. En
1536, il tua un dénommé Compaing, dans des circonstances qui ne furent jamais
vraiment élucidées. Gracié à l'issue de son procès, il travailla chez le célèbre im
primeur Sébastien Gryphe, puis reçut de François 1er, en 1538, le privilège de
s'installer lui-même comme maître-imprimeur. Lyon était alors un très grand
centre de l'imprimerie ; or, de 1539 à 1542, un violent conflit opposa maîtres et
compagnons. Les premiers ayant vu d'un mauvais œil l'installation du nouveau
venu, celui-ci aurait pris tout naturellement parti pour les seconds. Plus tard, ses
concurrents se seraient ingéniés à comploter sa perte. Imprimeur donc, Etienne
Dolet fut toujours plus audacieux, faisant sortir de ses presses Le Nouveau Tes
tament en français, les Commentaires de Lefèvre ďEtaples sur les Evangiles, deux
traités religieux d'Erasme, et diffusant L'Institution chrétienne de Calvin. Jugé une
seconde fois en 1542, il dut répondre devant l'Inquisiteur général de la Foi,
Mathieu Ory, de divers actes entachés d'hérésie : avoir imprimé les ouvrages
mentionnés ci-dessus, mangé de la viande en Carême, proclamé publiquement
qu'il préférait le sermon à la messe. Ayant fait appel comme d'abus devant le
Parlement de Paris, il fut transféré de Roanne à Paris et, là, en appela au roi.
Après quinze mois passés à la Conciergerie, il obtint ses lettres de rémission,
grâce à l'appui de l'évêque de Tulle, Pierre Duchatel. Il retourna à Lyon, reprit ses
activités et fut de nouveau emprisonné en mai 1544 car on avait saisi des ballots
emplis de livres hérétiques portant sa marque d'imprimeur. Il réussit à s'évader,
passa en Piémont, rentra imprudemment en France pour visiter sa famille et fut
finalement arrêté à Troyes. Amené à Paris, il connut de nouveau la Conciergerie
qu'il ne quitta que pour le bûcher. Lors de son troisième procès, on le jugea pour
l'affaire des ballots - dans laquelle certains ont vu la main des maîtres-imprimeurs
ennemis - mais aussi pour la traduction qu'il avait donnée d'un passage de
L'Axiochus, dialogue alors attribué à Platon : « après la mort, tu ne seras plus
rien du tout ». Ces deux petits mots « du tout » lui furent imputés à péché
d'hérésie ; en outre les débats firent resurgir l'assassinat de Guillaume Compaing.
Convaincu d'être athée et relaps, Etienne Dolet fut condamné à être pendu puis
brûlé ; un retentum de l'acte de condamnation précisait qu'il serait brûlé vif s'il ne
se repentait sur le lieu du supplice. Le 3 août 1546, il fut amené sur la place
Maubert, fit amende honorable, invoqua pieusement la Vierge et son saint patron,
fut pendu et son corps jeté sur le bûcher. Il aurait conservé suffisamment de sang
froid pour un dernier mot d'esprit avant sa mort : « Non dolet ipse Dolet, sed pia
turba dolet ». « Dolet lui-même ne souffre pas mais la foule pieuse souffre ».
Trois siècles et demi plus tard, à quelques années près, Etienne Dolet revint
prendre place sur la place Maubert, juché sur un haut piédestal (fig. 2),
« ressuscité dans l'immortalité du bronze » 4. Et, chaque premier dimanche
d'août, pendant des années, une « foule pieuse » vint devant ce monument pour
manifester son animosité envers l'Eglise et son attachement à la cause de Libre
Pensée. Il est vrai que, praticien de la liberté d'expression, auteur d'une phrase
susceptible d'une interprétation athée 5, supplicié pour des motifs d'ordre religieux, souvenir d'Etienne Dolet 87 Le
Etienne Dolet avait tout pour rassembler les libres penseurs autour de son nom et
de son effigie.
La formation du culte
Mais le souvenir du martyr de 1546 ne ressuscita pas ex nihilo au bout de
trois cent quarante-trois années
« О grande ombre par nous de bronze revêtue,
Glorieux ouvrier ! Bien avant ta statue
Les penseurs t'ont dressée sur un socle éternel » 6.
Pierre Bayle l'avait mentionné dans son Dictionnaire historique et critique et
Jean-François Née de la Rochelle lui avait, en 1779, consacré une biographie fa
vorable 7. Pendant la Monarchie de Juillet et le Second Empire, des hommes
connus par leurs convictions républicaines et leur

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents