Du Rhône à la Galice : genèse et modalités du régime féodal - article ; n°1 ; vol.44, pg 17-55

Pierre Bonnassie

Description

Publications de l'École française de Rome - Année 1980 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 17-55
Dans l'ensemble des régions concernées, on retrouve assez bien le type d'évolution qui avait déjà été mis en évidence pour la Catalogne. Trois phases très distinctes peuvent être décelées dans la genèse du régime féodal. Jusqu'au début du XIe siècle, on assiste à une longue survie de structures très anciennes, aussi bien dans le domaine juridique (fidélité à la loi wisigothique) que dans l'organisation des pouvoirs (maintien de l'autorité publique : royale ou comtale) et que dans l'ordre social (avec d'une part la survivance de l'esclavagisme, d'autre part l'existence de fortes paysanneries libres). Dans le courant du XIe siècle, à des dates variables selon les lieux, ces vieilles structures éclatent au cours de crises violentes, dont l'ensemble constitue la « Révolution féodale » : faillite du système judiciaire public, déchaînement de guerres privées, formation de bandes de milites, mise en sujétion de l'ancienne paysannerie libre, imposition des charges banales et des « mauvais usages ». La troisième phase, qui débute à la fin du XIe siècle (mais dans l'Espagne du Nord-Ouest seulement dans le deuxième quart du XIIe siècle) consiste en une systématisation des relations de type féodal nées au cours des crises : généralisation de l'engagement vassalique, des concessions de fiefs, multiplication des pactes féodo-vassaliques (convenientiae). Contrairement à ce qui a souvent été écrit, les sociétés hispano-occitanes du XIIe siècle peuvent être considérées comme tout aussi féodales que celles de l'Europe du Nord.
39 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: PUBLICATIONS_DE_L-ECOLE_FRANCAISE_DE_ROME
• Publié le: 01 janvier 1980
• Nombre de lectures: 54
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Pierre Bonnassie
Du Rhône à la Galice : genèse et modalités du régime féodal
In: Structures féodales et féodalisme dans l'Occident méditerranéen (Xe-XIIIe siècles). Bilan et perspectives de
recherches. Actes du Colloque de Rome (10-13 octobre 1978). Rome : École Française de Rome, 1980. pp. 17-55.
(Publications de l'École française de Rome, 44)
Résumé
Dans l'ensemble des régions concernées, on retrouve assez bien le type d'évolution qui avait déjà été mis en évidence pour la
Catalogne. Trois phases très distinctes peuvent être décelées dans la genèse du régime féodal. Jusqu'au début du XIe siècle, on
assiste à une longue survie de structures très anciennes, aussi bien dans le domaine juridique (fidélité à la loi wisigothique) que
dans l'organisation des pouvoirs (maintien de l'autorité publique : royale ou comtale) et que dans l'ordre social (avec d'une part la
survivance de l'esclavagisme, d'autre part l'existence de fortes paysanneries libres). Dans le courant du XIe siècle, à des dates
variables selon les lieux, ces vieilles structures éclatent au cours de crises violentes, dont l'ensemble constitue la « Révolution
féodale » : faillite du système judiciaire public, déchaînement de guerres privées, formation de bandes de milites, mise en
sujétion de l'ancienne paysannerie libre, imposition des charges banales et des « mauvais usages ». La troisième phase, qui
débute à la fin du XIe siècle (mais dans l'Espagne du Nord-Ouest seulement dans le deuxième quart du XIIe siècle) consiste en
une systématisation des relations de type féodal nées au cours des crises : généralisation de l'engagement vassalique, des
concessions de fiefs, multiplication des pactes féodo-vassaliques (convenientiae). Contrairement à ce qui a souvent été écrit, les
sociétés hispano-occitanes du XIIe siècle peuvent être considérées comme tout aussi féodales que celles de l'Europe du Nord.
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Bonnassie Pierre. Du Rhône à la Galice : genèse et modalités du régime féodal. In: Structures féodales et féodalisme dans
l'Occident méditerranéen (Xe-XIIIe siècles). Bilan et perspectives de recherches. Actes du Colloque de Rome (10-13 octobre
1978). Rome : École Française de Rome, 1980. pp. 17-55. (Publications de l'École française de Rome, 44)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1980_act_44_1_1211PIERRE BONNASSIE
DU RHÔNE À LA GALICE :
GENÈSE ET MODALITÉS DU RÉGIME FÉODAL
Rapport
II est sans doute bon, au début de ce premier rapport, de faire
référence aux travaux du Colloque qui se tint à Toulouse, il y a juste dix
ans, sur les problèmes évoqués ici1 et de mesurer le chemin parcouru. Au
cours de ce Colloque de 1968, d'importantes contributions furent apportées
à notre connaissance des structures sociales de la France du Midi et de
l'Espagne du Nord aux Xe-XIIe siècles, mais en même temps, les discussions
révélèrent des divergences, parfois très vives, entre historiens du nord et du
sud des Pyrénées2. Ces divergences portaient, pour l'essentiel, sur le degré
de féodalisation des régions concernées. Se sont-elles aplanies depuis? Il ne
le semble pas : je serais plutôt porté à croire qu'elles se sont aggravées. En
effet, les tendances dominantes de l'historiographie la plus récente, en
matière d'histoire de la féodalité, paraissent, de part et d'autre des Pyré
nées, diamétralement opposées.
Concernant la France du Midi et plus particulièrement le Languedoc, la
tendance actuelle consiste généralement à affirmer la spécificité - ou, si l'on
préfère, le caractère atypique de ces régions au sein du monde féodal. C'est
là en tout cas l'orientation qui se dégage de la thèse de Mme Magnou-
Nortier, dont la conclusion nous décrit le comté de Toulouse comme «un
grand État médiéval . . . ignorant jusqu'au XIIe siècle et certainement jusqu'à
la conquête capétienne . . . vassalité et féodalité»3. C'est aussi ce que suggèr
e, avec de prudentes nuances, Thomas Bisson qui, dans une importante
étude parue en 1977, recherche dans les institutions de paix et non point
1 Les structures sociales de l'Aquitaine, du Languedoc et de l'Espagne au premier âge féodal
(Toulouse, 28-31 mars 1968), Paris, CNRS, 1969.
2 Voir en particulier la discussion qui opposa le regretté Robert Boutruche à Hilda
Grassotti, ibid., p. 105 et suiv.
3 E. Magnou-Nortier, La société laïque et l'Eglise dans la province ecclésiastique de Narbonne
(zone cis-pyrénéenne) de la fin du VIIIe à la fin du XIe siècle, Toulouse, 1974, p. 651. FRANCE MÉRIDIONALE ET ESPAGNE CHRÉnENNE 18
dans les structures féodo-vassaliques les fondements de l'ordre politico-
social dans le Midi de la France aux XIe-XIIe siècles4. La position-limite en
la matière pourrait être trouvée dans un article théorique de Mrs Elizabeth
Brown qui nous invite à rayer purement et simplement les mots de
féodalité et de féodalisme du vocabulaire de l'histoire médiévale5.
En Espagne, l'évolution des idées a suivi un mouvement inverse. Si l'on
veut trouver des affirmations catégoriques de la spécificité ibérique à
l'époque féodale, c'est dans des ouvrages relativement anciens qu'il faut les
chercher. On les rencontrera, par exemple, dans l'œuvre de Cl. Sanchez
Albornoz qui, s'il décèle un phénomène de proto-féodalisation dans l'Espa
gne wisigothique6, s'empresse d'ajouter que ce mouvement a été brisé net
par la conquête arabe et les impératifs de la reconquête : dans ces condit
ions, les sociétés de l'Espagne du Nord-Ouest se sont organisées, selon lui,
sur des bases largement étrangères au régime féodal7. Par contre, les
travaux récents - à commencer par la belle synthèse que nous a donnée en
1973 M. Garcia de Cortazar sur l'histoire médiévale de la Péninsule8 - ne
cessent d'insister sur l'étroit parallélisme existant entre l'évolution de la
société hispano-chrétienne et celle des autres sociétés européennes9. Une
telle attitude conduit nécessairement à mettre en relief les traits féodaux
qui se rencontrent dans le monde ibérique. A la limite, dans l'ouvrage le
4 Th. N. Bisson, The Organized Peace in Southern France and Catalonia, ca. 1140, ca. 1233,
dans The American Historical Review, 82, avril 1977, p. 290-331 (en particulier, p. 291).
5 E. A. R. Brown, The Tyranny of a Construct: Feudalism and Historians of Medieval Europe,
dans The American Historical Review, 79, octobre 1974, p. 1063-1088.
6 Cl. Sanchez Albornoz, En torno a los origenes del feudalismo : 1. 1, Fidèles y gardingos en la
monarquia visigoda, Mendoza, 1942. Id, El «Stipendium» hispano-godo y los origenes del beneficio
prefeudal, Buenos Aires, 1947. Id, El ejército visigodo: su protofeudalización, dans Cuadernos de
Historia de Espana, t. 43-44.
7 Cl. Sânchez Albornoz, Conséquences de la Reconquête et du Repeuplement sur les institu
tions féodo-vassaliques de Léon et de Castille, dans Les structures sociales . . ., op. cit., p. 18-28. En
part., p. 19 : «La guerre contre les Sarrasins ne put offrir des temps propices à l'accentuation
ni même à la continuation du processus féodalisant qui avait commencé au VIIe siècle ...»
Cette idée est, par ailleurs, développée dans la grande œuvre de Cl. Sânchez Albornoz, Espana,
un enigmo histórico, 2 vol., 1967.
8 J. A. Garcia de Cortazar, La època medieval, dans Historia de Espana Alfaguara, t. II,
1973.
9 Voir, par exemple, dans l'œuvre citée ci-dessus, p. 222 : «... debe subrayarse de una vez
por todas el paralelismo que, con las inevitables diferencias propias de un mundo de unidades
escasamente articuladas, mantiene en todos sus aspectos el proceso histórico de la Peninsula
con el del resto de la Cristiandad latina». GENÈSE ET MODALITES DU RÉGIME FÉODAL 19
plus récent publié sur la question - celui de MM. A. Barbero et M. Vigil -
apparaît une Espagne totalement placée sous l'empire du féodalisme10.
Donc en résumé, on pourrait schématiser les conclusions de bon
n