Espagne : l invention de la laïcité - article ; n°1 ; vol.37, pg 35-51
17 pages
Français

Espagne : l'invention de la laïcité - article ; n°1 ; vol.37, pg 35-51

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Sociétés contemporaines - Année 2000 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 35-51
Spain: the invention of laïcity
Compared to others European countries, Spanish laïcity is a recent construction. The religious question has, for a long time, divided Spain between traditionalists and liberals. The Second Republic laicization experience failed and led to the Civil War. After Franco’s death, in the course of two decades time, the modernization of Spanish society, the reformist will of the Church and the project, shared by all the political actors, to instaure, peaceably, the democracy have defined new relations between the Church and the State. The institutional laicization recognizes religious beliefs and maintains appropriate cooperation with the Catholic Church and other confessions.
RÉSUMÉ: Au regard des autres pays européens, la laïcité espagnole est une construction récente. La question religieuse a longtemps divisé l’Espagne, conduisant à de violents affrontements entre traditionalistes et libéraux. L’expérience laïcisante de la Seconde République s’est avérée un échec débouchant sur la Guerre civile. Après la mort de Franco, en l’espace de deux décennies, la modernisation de la société espagnole, la volonté réformatrice de l’Église et le projet partagé des différents acteurs politiques d’instaurer pacifiquement la démocratie ont dessiné de nouveaux rapports Église/ État. La laïcisation des institutions s’accompagne d’une reconnaissance des croyances religieuses et de relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 21
Langue Français

Extrait

      D A N I E L L E R O Z E N B E R G       
ESPAGNE : L’INVENTION DE LA LACITE
RÉSUMÉ :  Au regard des autres pays européens, la laïcité espagnole est une construction ré-cente. La question religieuse a longtemps divisé l’Espagne, conduisant à de violents affron-tements entre traditionalistes et libéraux. L’expérience laïcisante de la Seconde République s est avérée un échec débouchant sur la Guerre civile. Après la mort de Franco, en l’espace de deux décennies, la modernisation de la société espagnole, la volonté réformatrice de l’Église et le projet partagé des différents acteurs politiques d’instaurer pacifiquement la dé-mocratie ont dessiné de nouveaux rapports Église/ État. La laïcisation des institutions s’accompagne d’une reconnaissance des croyances religieuses et de relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions.  Au regard des autres pays européens, la laïcité espagnole est une construction ré-cente. Les rapports actuels Église/ État sont définis par la Constitution de 1978, adoptée par référendum (6 décembre), trois ans après la mort du général Franco. Après avoir affirmé la neutralité de l’État face aux croyances religieuses, le texte constitutionnel stipule en son article 16 : 1. « La liberté idéologique, religieuse et cultuelle des individus et des commu-nautés est garantie, sous réserve du nécessaire maintien de l’ordre public dans ses manifestations . 2. « Nul ne pourra être contraint de déclarer son idéologie, sa religion ou sa croyance . 3. « Aucune confession n’aura de caractère étatique. Les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et main-tiendront en conséquence des relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions . Les grands principes posés par la Constitution sont repris dans la Loi Organique du 5 juillet 1980. Cette Loi instaure une rupture radicale par rapport au passé : — au passé récent c’est à dire la période franquiste 1939-1975 qui s’est caracté-risée par le monopole religieux de l’Église catholique et sa domination sur l’en-semble de la société, avec une première phase qualifiée de national-catholicisme où l’Église a exercé une puissance hégémonique puis, à partir des années soixante, une seconde phase durant laquelle l’Église s’est distanciée du pouvoir autocratique en optant pour le libéralisme politique ; Sociétés Contemporaines (2000) n° 37 (p. 35-51)   
35  
D A N I E L L E R O Z E N B E R G                 — à l’histoire espagnole en général, et plus spécifiquement les XIX e  et XX e  siè-cles . 1) L’Espagne est longtemps demeurée un bastion de la Contre-réforme en Eu-rope. L’unité religieuse, réalisée à travers la chute du royaume musulman de Gre-nade, l’expulsion des juifs (1492) et des morisques (1502 et 1526), s’est parachevée avec la persécution de toute dissidence religieuse par l’Inquisition. Tout a contribué à faire de l’Espagne une des sociétés catholiques les plus homogènes. L’hégémonie politique et culturelle espagnole a coïncidé avec le catholicisme. L’expansion vers l’Outre-mer a aussi été une entreprise missionnaire (Linz,1993). 2) Le trouble général engendré par la Révolution française et l’invasion napoléo-nienne, qui coïncida avec une crise de légitimité de la monarchie et avec la perte des colonies, contribuèrent à marginaliser l’Espagne – et l’Église espagnole – des cou-rants modernistes du reste de l’Europe. Ce pays est entré dans le XIX e siècle déchiré par de graves divisions qui s’exprimèrent presque toujours en termes religieux ou en référence à la religion. Depuis lors, la vie politique espagnole a été marquée par de violents affrontements entre partisans des réformes et conservateurs : guerres carlis-tes, révolutions, alternance au pouvoir de gouvernements libéraux et absolutistes, Guerre civile. Entre 1808 et 1823, l’Inquisition a été par deux fois supprimée puis rétablie avant d’être définitivement abolie en 1834. La liberté de culte instaurée par la Constitution révolutionnaire de 1869 a été successivement effacée par la Restau-ration en 1878, inscrite à nouveau dans la Constitution de la République de 1931, puis annulée en 1939 après la victoire militaire du général Franco. 3) L’Espagne n’a connu qu’un bref épisode « laïc , celui de la Seconde Répu-blique 1931-36, qui s’est achevé tragiquement dans la Guerre civile. La séparation officielle de l’Église et de l’État (cf. la fameuse phrase du Président Azaña « l’Espagne a cessé d’être catholique ), les mesures laïcisantes du gouvernement républicain, les excès de l’anticléricalisme populaire, furent perçus comme autant d’actes de défi à la religion et eurent tôt fait de mobiliser l’électorat de droite. Lors du pronunciamiento de 1936, L’Église se rallia rapidement au « camp national , en appelant à la croisade contre « les forces sataniques et les ennemis de la patrie .  En référence à cet arrière-plan historique conflictuel, la sécularisation réussie de la société espagnole au cours des dernières décennies paraît d’autant plus remarqua-ble. Il convient de s’interroger sur le contexte socio-politique et l’attitude des princi-paux acteurs du changement qui ont permis une telle évolution. Trois données ma-jeures sont à souligner. Depuis les années 1960, l’Espagne a connu d’importantes mutations structurel-les : exode rural et formation de nouvelles classes ouvrière et moyenne, essor éco-nomique, accès généralisé à l’éducation et à la consommation, ouverture du pays aux influences extérieures avec le retour de la main-d’œuvre espagnole émigrée et le développement du tourisme international. Ceci s’est globalement traduit par un bou-leversement des valeurs et des comportements et, notamment, par un vécu plus indi-vidualisé de la foi religieuse accompagné d’un détachement progressif de l’Église en tant qu’institution. Dans le même temps, cette Église a opté pour la modernité. Après des années de résistance, sous l’influence de son clergé de base et du Concile Vatican II, la hiérar-
36
           E S P A G N E : L ’ I N V E N T I O N D E L A L A  C I T E chie catholique s’est distanciée du pouvoir autoritaire ; elle a rallié le camp des for-ces démocratiques.  la mort du général Franco, l’Église est prête à accepter un ré-gime parlementaire libéral et un État non confessionnel. Enfin, lorsque s’ouvre la transition politique, les principaux acteurs sont cons-cients de l’urgence à doter l’Espagne d’institutions démocratiques, tout en préser-vant la paix entre les citoyens. Au sein de l’appareil d’État comme dans la société civile, le réalisme prévaut, qui impose la recherche, par la négociation, d’un modèle politique largement acceptable, parfois même au détriment de principes idéologiques ou doctrinaux longtemps proclamés. Concernant plus spécifiquement la question re-ligieuse, face à une Église qui a certes renoncé à son hégémonie mais entend tou-jours exercer un rôle politique et une influence morale de premier plan, les gouver-nements et législateurs successifs vont dessiner une laïcité « douce  assurant la neutralité confessionnelle de l’État mais reconnaissant en même temps la catholicité de la majorité des Espagnols et l’importance incontournable de l’institution ecclé-siastique dans la vie publique. C’est cette émancipation de la société espagnole à l’égard de la religion que l’on se propose d’analyser ici dans ses enjeux et sa singu-larité. 1. L’ECHEC DE LA SECONDE REPUBLIQUE ET LA GUERRE CIVILE La formation de l’Espagne comme État unitaire a reposé sur la fusion entre reli-gion et politique. Il en résulte que les projets de changement de l’époque contempo-raine ont été fortement teintés d’antireligiosité. Dans les années 1930, la bipolarisa-tion entre les « deux Espagnes  – l’une catholique, monarchiste, hostile à toute ouverture et l’autre républicaine et anticléricale – s’est encore accentuée. 1  Aux élections à l’Assemblée Constituante de 1931, la coalition socialiste répu-blicaine remporte la victoire. Cette majorité cohérente va assurer l’orientation ré-formatrice. Dès le départ, la République se définit comme un régime dont l’une des priorités est de faire de l’Espagne un pays séculier et laïc. Le 13 octobre 1931, Manuel Aza-ña, membre du Gouvernement et leader le plus respecté de la gauche modérée, pro-nonce, lors du débat sur l’article 26 du projet de Constitution, un discours qui va de-venir célèbre par la déclaration précédemment mentionnée. Ces mots sont à replacer dans leur contexte : « L’Espagne a cessé d’être catholique : le problème politique qui en découle est d’organiser l’État de façon à l’adapter à cette phase nouvelle et historique du peuple espagnol . Souhaitant voir interdire aux congrégations religieuses l’accès à l’enseignement, Azaña explicite les enjeux : « Nous avons d’une part l’obligation de respecter la liberté de conscience, na-turellement sans omettre la liberté de conscience chrétienne ; mais nous avons  1 . Cette représentation d’un pays divisé en fonction de conceptions antagoniques de la nation et de son rapport à la modernité est née chez les intellectuels espagnols au milieu du XIX e siècle. Elle re-flète selon eux l’affrontement existant entre les traditionalistes pour qui l’Espagne doit, si elle veut rester fidèle à sa mission historique, s’identifier au catholicisme et les progressistes acquis au déve-loppement de la science et du libéralisme. (Pérez, 1996).
37
D A N I E L L E R O Z E N B E R G                 également, d’autre part, le devoir de préserver la République et l’État. Ces deux principes s’entrechoquent et de là vient le drame (...). Ce qu’il faut faire c’est adopter une idée supérieure aux deux principes en conflit, qui pour nous laïcs, serviteurs de l’État et hommes politiques gouvernant l’État républicain, ne peut être que le salut de l’État (...).  aucun moment, sous aucun prétexte (...), ni mon parti ni moi-même en son nom, ne souscriront à une disposition législative qui confierait aux Ordres re-ligieux la fonction d’enseignement. Cela, jamais.(...) Il en va de la véritable défense de la République . La Constitution adoptée en 1931 instaure la déconfessionnalisation de l’État et la liberté religieuse des citoyens. Elle se caractérise encore par une volonté manifeste d’expulser la religion de la vie publique. Le texte constitutionnel stipule dans son article 3 : L’État espagnol n a pas de religion officielle . Il définit la liberté religieuse en ces termes : La liberté de conscience et le droit de professer et de pratiquer librement toute religion sont garantis sur le territoire espagnol dans la limite du respect dû aux exigences de la morale publique . Une législation particulière est introduite (article 26) concernant les ordres reli-gieux : « Toutes les confessions religieuses seront considérées comme des Associa-tions soumises à une loi spéciale. L’État, les régions, les provinces et les mu-nicipalités ne prendront pas à leur charge, ne favoriseront pas et ne soutien-dront pas économiquement les Églises, les Associations et les Institutions religieuses.(...)Les biens des ordres religieux pourront être nationalisés.  Dans un premier temps, le Vatican et les organisations catholiques acceptent de reconnaître le nouveau régime. Bientôt cependant diverses mesures : légalisation du divorce, cimetières laïcisés, crucifix retirés des écoles, loi sur les congrégations reli-gieuses imposant la suppression des établissements d’enseignement religieux et sur-tout l’anticléricalisme actif du camp républicain vont renforcer les tendances conservatrices de l’église catholique. D’autant que dès mai 1931, une tradition sécu-laire a été renouée : les incendies de couvents, œuvre de petits groupes mais quasi-ment tolérés par les autorités. Ces exactions marquent le début d’une longue série de violences anti-catholiques qui culmineront au cours de l’été 1936 (Vilar 1996).  partir de 1933, les catholiques s’engagent dans la lutte électorale à l’appui de la Confédération espagnole des droites autonomes-CEDA . Le bieno negro consécu-tif à la victoire de la droite aux élections de novembre 1933, loin d’apaiser politi-quement les catholiques, suscite au contraire la mobilisation de tous les groupes hos-tiles au compromis avec l’État démocratique. La promulgation de la loi du 17 mai 1933 sur les congrégations religieuses a marqué un point de non-retour dans la dété-rioration des rapports entre l’Église et la République. Par la suite, l’effroi engendré par la révolution avortée des Asturies, en octobre 1934, puis la défaite subie par la droite aux élections de février 1936, entraînent un glissement général des catholi-ques vers l’extrême-droite autoritaire (Hermet, 1981). Le soulèvement militaire de juillet 1936 va plonger l’Espagne dans trois années de guerre civile. Celle-ci, on le sait, a signifié l’affrontement de deux camps porteurs de visions du monde inconciliables. Par delà l’acharnement des combats, la violence
38
           E S P A G N E : L ’ I N V E N T I O N D E L A L A  C I T E incontrôlée des uns – quelques 7 000 prêtres et nonnes sont assassinés en territoire républicain dans les premiers temps de la guerre (Payne 1984) – et la terreur systé-matique exercée par les autres sur la population civile suspectée de sympathie « rouge  (cf. les exécutions sommaires par milliers en zone nationale ou encore le bombardement de Guernica) vont laisser un traumatisme durable dans les mémoires. La victoire définitive du général Franco, le Ier avril 1939, fait basculer le sort de l’Espagne. 2. LE REGIME FRANQUISTE : DU NATIONAL-CATHOLICISME  A LA LOI DE LIBERTE RELIGIEUSE L’EGLISE TRIOMPHANTE L’Église avait dès l’automne 1936 apporté son appui à l’insurrection militaire. Le 1 er juillet 1937, une Pastorale collective de l’épiscopat légitimait le soulèvement  et la guerre au nom de la défense de la foi. Pour sa part, le Vatican avait reconnu of-ficiellement le gouvernement rebelle un an après, bien avant que ne soit fixée l’issue du conflit. Aux lendemains de la victoire, l’Église, par la voix du Cardinal Goma, Primat d’Espagne, résume ainsi son projet de recatholicisation du pays : « Gouvernants ! Faites du catholicisme à voiles déployées...Pas une loi, pas une chaire, pas une institution, pas un journal en dehors ou contre Dieu et son église en Espagne  (Laboa, 1985). La collaboration entre l’Église et l’État s’inscrit en réaction au projet sécularisa-teur républicain. Elle se concrétise par une série de mesures annulant les réformes libérales et laïcisantes de la période 1931-1936 : rétablissement de l’éducation reli-gieuse, abolition du mariage civil et du divorce, attribution de fonds publics au cler-gé.... « Les symboles religieux dominèrent le paysage, la croix présida le monument aux morts, évêques et prêtres occupèrent une place dominante dans chaque cérémo-nie officielle et les autorités assistèrent ex oficio aux cérémonies religieuses, proces-sions, commémorations. Tout ce qui s’était opposé ou avait persécuté l’Église fut à son tour persécuté : anarchistes, communistes, socialistes, francs-maçons, républi-cains de gauche furent exécutés, emprisonnés, furent mis en liberté conditionnelle ou furent chassés de l’administration, de l’enseignement, des corps profession-nels.(...) La vie intellectuelle, les moyens de communication, les livres de textes, fu-rent soumis à la censure pour exclure toute critique de l’Église et de la religion. L’État s’était converti en de nombreux domaines en bras séculier de l’Église alors que l’Église (...) contribuait à la légitimation du régime  (Linz, 1993). Cette hégémonie religieuse est ainsi résumée par le sociologue Victor Perez Diaz : « La victoire nationaliste dans la Guerre civile a supposé un essai systémati-que de réalisation des idéaux de la contre-réforme en plein XX e  siècle, avec la confessionnalité de l’État et la catholicisation intégrale de la société  (Perez Diaz, 1987). La période 1945-1957 est le point culminant du triomphe catholique, de l’identi-fication publique de l’Église avec le régime franquiste. Un Concordat est signé avec le Saint-Siège le 27 août 1953. Il confirme pour l’essentiel l’accord de 1941 c’est à dire le statut public de l’Église et son article premier proclame :
39
D A N I E L L E R O Z E N B E R G                 « La religion catholique, apostolique et romaine continue à être la seule reli-gion de la nation espagnole, elle jouit des droits et des prérogatives qui lui correspondent, conformément à la Loi divine et au Droit canon .  Depuis la fin du XIX e  siècle, à la faveur de la Constitution de 1869 2  reconnais-sant la liberté de culte et de l’industrialisation engagée du pays, un petit nombre de protestants et de juifs s’étaient établis dans la péninsule ibérique. Lorsqu’éclate la guerre civile, quelques 22 000 protestants et 6 000 juifs résident en Espagne. Ils ne sont respectivement plus que 11 000 environ et quelques centaines à la fin du conflit. Par ailleurs, entre 1939 et 1945, la Péninsule accueille des Européens de tou-tes nationalités (dont de nombreux juifs) qui franchissent la frontière pour échapper aux persécutions, auxquels s’ajoutent les protégés sépharades « rapatriés . Le national-catholicisme au pouvoir nie l’existence même de ces minorités reli-gieuses. Concernant les protestants, les temples sont fermés et les mariages rendus impossibles. La survie s’organise grâce aux missions étrangères qui diffusent les li-vres sacrés et jouissent d’une relative immunité. Toute expression publique de la foi évangélique est réprimée. Entre mars et octobre 1940, la population juive voit ses institutions dissoutes, les obsèques et les mariages juifs interdits ainsi que le rite de la circoncision. Les nouveaux-nés ne peuvent pas être enregistrés à l’état civil sans avoir été préalablement baptisés et les enfants scolarisés sont soumis au catéchisme obligatoire. Dès 1945 cependant, le Gouvernement espagnol autorise les centres communautaires juifs à reprendre leurs activités.  partir de 1956, d’importants flux migratoires, en provenance du Maroc mais aussi d’Égypte, modifient le profil de la judaïcité espagnole. Cependant, la reconstitution d’une vie juive se fait dans la pré-carité et sous surveillance (Rozenberg, 1997). LE CHOIX DEMOCRATIQUE DE L’EGLISE De profondes mutations s’amorcent dans les années soixante, qui vont avoir des implications pour l’Église : – l’exode rural et la formation d’une nouvelle classe ou-vrière urbaine ; – l’expansion de l’éducation, notamment des universités ; – une prospérité croissante et l’impact du tourisme qui préfigurent la future société de consommation. Elles engendrent des modèles de comportement en conflit avec les normes et le contrôle social traditionnels. Le développement économique de l’Espagne rompt également un isolement de plusieurs décennies et incite les diri-geants franquistes à jouer la carte européenne, à tenir compte de la réprobation des nations occidentales sur le chapitre des libertés. Enfin, l’Église espagnole est traver-sée de tensions internes. Une partie du clergé, à l’écoute des revendications ouvriè-res, estudiantines, régionalistes... et, plus globalement des aspirations d’une large partie de la population, prend ses distances par rapport aux solutions autoritaires de l’église triomphante. Le Concile Vatican II joue un rôle décisif en prônant l’ouverture et le dialogue avec les religions non chrétiennes (Déclaration Nostra Aetate du 28 octobre 1965). Il  2  . La Constitution votée le 1 er juin 1869, après la révolution de 1868, stipule dans son article 21 : « La nation s’engage à soutenir le culte et les ministres de la religion catholique. L’exercice public ou privé de quelque autre culte est garanti à tous les étrangers résidant en Espagne, sans autres limi-tations que les règles universelles de la morale et du droit. Si des Espagnols professent une religion autre que la religion catholique, ils bénéficient aussi de ces dispositions  .
40
           E S P A G N E : L ’ I N V E N T I O N D E L A L A  C I T E va entraîner la hiérarchie espagnole dans une révision du totalitarisme religieux. Celle-ci se rallie à la nouvelle classe politique en faveur d’une démocratie de type libéral. Ceci débouche sur la Loi de Liberté Religieuse du 28 juin 1967, avec son article Ier, paragraphe 3 : « L’exercice du droit à la liberté religieuse conçu selon la doctrine catholique doit être dans tous les cas compatible avec la confessionnalité de l’État espa-gnol proclamée dans ses lois fondamentales . Bien que le catholicisme demeure religion d’État, la nouvelle loi garantit la liber-té de culte. Jusqu’alors interdite aux non-catholiques, la fonction publique leur de-vient accessible, de même que l’engagement dans les forces armées et l’entrée dans les conseils municipaux. Le mariage civil est désormais possible. Les élèves non-catholiques sont dispensés de catéchisme. Il s’agit donc de libertés élémentaires. En janvier 1973, le document de la Conférence épiscopale sur l’Église et la communauté politique représente un pas décisif au sens où la hiérarchie religieuse se prononce en faveur du pluralisme.  partir de là, une aile progressiste dirigée par le cardinal Tarancon, archevêque de Madrid et secrétaire de la Conférence, se heurte aux radicaux de droite. Les relations entre l’Église et l’État changent fondamentale-ment, allant parfois jusqu’à la confrontation : cf . les prises de position anti-franquistes du clergé basque et catalan. Ce rapprochement de l’Église de l’ensemble de la population sera un facteur déterminant dans la modernisation de la culture poli-tique de l’Espagne. 3.  L’APRES FRANQUISME : TRANSITION ET CONSOLIDATION DEMOCRATIQUES LA NOUVELLE CONSTITUTION Après la mort de Franco et avec la nomination d’Adolfo Suarez comme chef de Gouvernement (juillet 1976) s’ouvre une période de transition durant laquelle les principaux acteurs politiques s’appliquent à rédiger une nouvelle Constitution, fon-dement du pluralisme démocratique. Dans ce contexte, la question religieuse consti-tue une des questions sensibles (avec les revendications nationalistes, les problèmes de modernisation de l’économie ou encore l’attitude des forces armées) susceptibles de réactiver les antagonismes de naguère. La Constitution de 1978, à laquelle l’épiscopat apporte son soutien malgré cer-taines réserves, consacre la déconfessionnalisation de l’État – énoncée sous la forme négative (article 16,3) « Aucune religion ne sera religion d’État  – tout en mainte-nant pourtant une référence à la nécessaire prise en compte de la foi catholique de la majorité du peuple espagnol. De fait, quatre accords spécifiques sont signés entre Madrid et le Vatican (3 janvier 1979), dont le plus important prévoit une dotation de l’État à l’Église espagnole pendant une durée indéterminée et des subventions à l’enseignement privé. Par ailleurs, le divorce est légalisé le 20 juillet 1981. Dans cette redéfinition des principes fondamentaux du système politique et no-tamment l’instauration d’une laïcité institutionnelle, un élément essentiel est à signa-ler : la volonté de modération commune aux différents acteurs en présence – le Gou-vernement, les partis mais également la hiérarchie catholique qui accepte le projet de séparation de l’Église et de l’État et la reconnaissance du pluralisme religieux.
41
D A N I E L L E R O Z E N B E R G                 L’actuelle Constitution se différencie de celle de 1931 en matière religieuse de façon significative. D’une part, le texte de 1978 reconnaît le droit à la liberté reli-gieuse non seulement des individus mais des communautés et prévoit le maintient de relations de coopération avec les différentes confessions. Il prend en compte le ca-ractère public de la religion (article 16). D’autre part, le libre choix de l’enseigne-ment et le droit de créer des institutions éducatives sont affirmés dans l’article 27 du même texte. « Les pouvoirs publics garantissent le droit pour les parents de donner à leurs enfants une formation religieuse et morale conforme à leurs propres convic-tions . « (La Constitution) reconnaît aux personnes physiques et juridiques la liberté de créer des centres d’enseignement, dans le respect des principes constitu-tionnels . Le monopole de l’école publique unique que le parti socialiste maintenait encore dans son programme en 1976 est abandonné et un soutien étatique aux établisse-ments privés est envisagé. LES ANNEES SOCIALISTES : 1982-1996 Les relations entre le Gouvernement et l’Église se tendent avec l’arrivée du PSOE aux commandes de l’État. Le cabinet présidé par F. Gonzalez procède à des réformes qui heurtent de plein fouet l’Église et l’opinion conservatrice : dépénalisa-tion de l’avortement approuvée par le Congrès le 6 octobre 1983, loi sur l’organi-sation de l’enseignement votée le 15 mars 1984 et remettant en cause le statut avan-tageux de l’enseignement privé en termes de financement et de contrôle étatique ou encore diverses initiatives destinées à contrecarrer l’emprise de l’Église dans le do-maine social. En juillet 1983, le Gouvernement publie son projet de Loi organique du Droit à l’Éducation (LODE) visant à augmenter le contrôle sur les subventions publiques accordées aux écoles privées, qui n’avaient pas cessé de croître durant la décennie antérieure. Ce projet suscite immédiatement l’opposition de l’Église et des respon-sables des écoles privées. Le dénommé « front anti-LODE , qui se constitue, est composé principalement de la Confédération Espagnole des Centres d’Enseigne-ment, de la Fédération Espagnole de Religieux de l’Enseignement et de la Confédé-ration Catholique de Parents d’Élèves. Les leaders de ce front avancent le fait que la loi proposée représente une menace pour la liberté de l’enseignement, en arguant que le contrôle public des subventions entraînera un contrôle administratif des éco-les. La hiérarchie catholique mobilise les partisans de l’enseignement privé dans une manifestation nationale rassemblant des centaines de milliers de personnes et engage une querelle juridique auprès du Tribunal Constitutionnel. Le conflit sera neutralisé par des négociations directes entre le Gouvernement et la Commission permanente des évêques sur l’application de la loi. Depuis la spectaculaire mobilisation des fidèles réalisée lors de la visite du Pape en Espagne en 1982, l’opposition à la LODE constitue l’opération publique ayant la plus grande ampleur organisée par l’Église au cours des dernières années. Il est inté-ressant de souligner que quelques années plus tard, lorsque l’Église tente à nouveau de mettre en échec le Ministère de l’Éducation, alors que le Gouvernement est sur le
42
           E S P A G N E : L ’ I N V E N T I O N D E L A L A  C I T E point de faire approuver la nouvelle Loi sur l’Aménagement Général du Système Éducatif (LOGSE), elle ne rassemble que quelques 8 000 personnes dans la manifes-tation de Madrid. Cette fois, le Gouvernement bénéficie de l’appui de la Confédéra-tion des Chefs d’Entreprises , disposée à faire des concessions en échange d’une ré-forme de la formation professionnelle pour s’adapter aux nouvelles nécessités du marché du travail (Giner, Sarasa, 1993).  La question de la dépénalisation de l’avortement, officiellement débattue depuis le début des années 1980, a constitué et constitue toujours le lieu d’affrontements passionnés entre partisans et adversaires d’une libéralisation. La modification de la législation en vigueur, approuvée en 1983 par des Cortes à majorité socialiste, classe l’Espagne parmi les pays européens les plus restrictifs, avec le Portugal et l’Irlande. Seuls trois cas sont retenus comme donnant droit à une interruption volontaire de grossesse durant les douze premières semaines : 1) une grossesse résultant d’un viol, 2) une malformation du fœtus, 3) une maternité représentant un danger physique ou psychique pour la mère. Ceci n’a pas suffi à désarmer les forces conservatrices : l’Alliance Populaire, principal parti de l’opposition, a présenté un recours devant le Tribunal Constitutionnel. De sorte que la réforme législative n’est devenue effective que deux ans plus tard (B.O.E. du 2 août 1985).  La dictature franquiste avait confié à l’Église un grand nombre de missions dans les domaines de l’éducation et de l’aide sociale. Avec la création en 1988 du Minis-tère des Affaires Sociales, de nouveaux centres publics sont créés venant contreba-lancer cette emprise. Des initiatives allant dans le même sens sont prises par les gouvernements des Autonomies régionales. Les affrontements entre le Ministère des Affaires Sociales et la hiérarchie catho-lique à propos du financement d’organisations comme Caritas  sont révélateurs des enjeux. En 1979, l’Espagne et le Saint-Siège se sont accordés pour remplacer la contribution financière prélevée sur le budget général de l’État par un impôt payé par les citoyens eux-mêmes. Désormais, les contribuables décident, sur leur déclara-tion de revenus, de l’affectation de 0,52 % de leurs impôts directs (IRPF) soit « au maintien de l’Église , soit « à d’autres activités d’intérêt social . Les fonds recueil-lis dans le cadre de la seconde option sont gérés par le Ministère des Affaires Socia-les qui les reverse à divers projets de la société civile y compris ceux des organisa-tions catholiques. Dans ce contexte, Caritas (l’ONG de lutte contre la pauvreté et la marginalité la mieux implantée) a protesté contre les sommes qui lui étaient al-louées, largement inférieures à ce qu’elle réclamait, et d’âpres négociations ont eu lieu nécessitant le recours à un médiateur. Dans cet affrontement, le Ministère s’est opposé ouvertement à l’Église en appelant les contribuables à choisir l’option « projets d’intérêt social . On le constate, au delà de la séparation Église/État et du pluralisme religieux ac-ceptés de façon consensuelle, la laïcisation des institutions s’inscrit dans un rapport de forces contraignant le Gouvernement à faire des concessions, malgré une majorité parlementaire acquise, face à la puissance de l’église catholique et à sa capacité de mobilisation de l’opinion publique.  
43
D A N I E L L E R O Z E N B E R G                 La reconnaissance officielle des religions protestante, juive et musulmane consti-tue un aspect important du retour à la liberté religieuse. Cette reconnaissance est prévue dans la Loi Organique de 1980 qui précise que l’État pourra conclure des ac-cords avec les confessions « qui par leur étendue et le nombre de leurs croyants ont acquis un enracinement notoire en Espagne . Depuis le milieu des années 1960, les religions minoritaires, placées sous la juri-diction du Ministère de la Justice, bénéficiaient d’une relative tolérance : possibilité d’ouvrir des lieux de culte, de célébrer des mariages et enterrements religieux, dis-penses de catéchisme pour les enfants non catholiques... Le 21 février 1990, des Pro-tocoles sont signés entre l’État espagnol et les représentants des trois confessions minoritaires pour définir les conditions d’exercice de la liberté religieuse. Ceux-ci précisent le statut des lieux de prière et des ministres du culte. L’État reconnaît les effets civils du mariage célébré par les officiants des minorités signataires. Enfin, possibilité est donnée à ces dernières d’ouvrir des aumôneries et de mettre en place un enseignement confessionnel. En 1992, les Accords de Coopération entre l’État et la Federacion de Entidades Religiosas Evangelicas de España  (Loi 24/ 1992, 10 Novembre), la Federacion de Comunidades Israelitas de España (Loi 25/ 1992, 10 Novembre), la Comision Isla-mica de España (Loi 26/ 1992, 10 Novembre), viennent compléter la réglementation légale définissant les relations de l’État avec les confessions religieuses et officiali-sent la pluri-confessionnalité de la société espagnole Ces accords définissent le statut des lieux de culte, cimetières, et des ministres du culte ; accordent des exonérations fiscales pour les édifices religieux ; reconnaissent les effets civils des mariages célébrés religieusement ; accordent un droit de libre exercice du culte dans l’Armée ; permettent la création d’aumôneries pour les mili-taires, dans les hôpitaux et dans les prisons ; fixent la possibilité d’enseignements confessionnels autres que catholiques dans les établissements publics ou privés, éga-lement à l’Université ; légalisent le respect des jours de repos religieux avec une possibilité de date alternative dans les centres d’enseignements publics et privés et les concours d’entrée dans l’Administration publique. Le protestantisme, l’islam et le judaïsme accèdent à un statut de plein droit en Espagne.  Le protestantisme espagnol aujourd’hui concerne une population officiellement évaluée à 200 000 personnes (plutôt 150 000 disent les pasteurs rencontrés), soit se-lon les estimations entre 0,3 et 0,5 % de la population globale. Les protestants sont regroupés dans une Fédération des Entités Religieuses Évangéliques d’Espagne, or-ganisme de création récente destiné à présenter un interlocuteur unique dans les rela-tions avec les autorités gouvernementales. La population musulmane d’Espagne est actuellement estimée à 175 000 person-nes (dont 73 000 à Ceuta et Melilla), un chiffre très approximatif dans la mesure où il s’agit principalement d’un collectif immigré, vivant majoritairement dans l’illéga-lité. Le nombre de musulmans de nationalité espagnole – nés ou naturalisés – ne dé-  passe pas 13 000. La Fédération Espagnole des Entités religieuses Islamiques re-groupe pratiquement la totalité des Communautés Islamiques inscrites au registre des Entités Religieuses du Ministère de la Justice.
44
           E S P A G N E : L ’ I N V E N T I O N D E L A L A  C I T E La judaïcité espagnole se compose de quelques 15 000 personnes réparties en treize communautés sur le territoire. Les juifs d’Espagne ont mis longtemps à envi-sager un enracinement dans la Péninsule (selon un rapport du Congrès Juif Mondial, ils n’étaient que 40 % en 1974 à posséder la nationalité espagnole). Actuellement, la grande majorité est espagnole – avec des deuxième et troisième générations.  De façon générale, ces populations minoritaires déplorent l’ignorance des Espa-gnols d’origine catholique les concernant. Elles tentent d’y remédier par l’édition d’ouvrages spécialisés. Par ailleurs, les possibilités d’expression restent limitées. Pour le moment, les trois confessions ne disposent à l’échelon national que d’un es-pace télévisuel de dix minutes le dimanche matin qu’elles se répartissent alternati-vement. S’y ajoutent quelques espaces concédés par les médias régionaux.  propos de la reconnaissance officielle du protestantisme, du judaïsme et de l’islam en Espagne, un aspect essentiel est à souligner. Cette reconnaissance passe par la signature d’accords de coopération entre l’État et les trois confessions minori-taires. Or, une définition strictement religieuse du judaïsme et de l’islam pose pro-blème. Ces religions n’établissent pas la même séparation entre le sacré et le profane que le christianisme : elles sont en même temps une morale, une culture, un mode de vie, une histoire... (Schnapper,1991). D’ores et déjà la présence en Espagne d’un pourcentage non négligeable de juifs « laïcs  (principalement d’origine sud-américaine), se situant volontairement en marge des communautés israélites officiel-les et, dans le même temps, celle de groupes musulmans ou juifs, pour qui l’ex-pression de l’appartenance collective dépasse largement les strictes limites de l’observance religieuse, laissent supposer l’apparition dans l’avenir d’autres formes d’affirmations identitaires et vraisemblablement de reconnaissance institutionnelle (de type culturel, communautaire, etc.) à l’instar de ce qui se passe aux États-Unis et dans d’autres pays européens. LA DEUXIEME ALTERNANCE DEMOCRATIQUE En mars 1996, les Espagnols ont élu une nouvelle majorité parlementaire de droite, portant le Parti Populaire, dirigé par José Maria Aznar, au Gouvernement. Ceci définit un contexte beaucoup plus favorable à l’église catholique. Ainsi, l’intégration de l’ancien Ministère des Affaires Sociales dans un grand Ministère du Travail et des Affaires Sociales peut s’interpréter comme une limitation de son champ d’intervention. Concernant l’avortement, plusieurs projets de loi, présentés par la gauche et vi-sant à assouplir la législation, ont été rejetés. Le 22 septembre 1998, la Chambre des députés a repoussé par 173 voix contre, 172 voix pour et 1 abstention, la proposition socialiste prévoyant d’élargir l’interruption légale de grossesse à un quatrième cas : celui d’une grossesse entraînant « un grave conflit social, personnel ou familial . Si le débat parlementaire fut conduit sur un mode plus serein que par le passé, la mobi-lisation de la hiérarchie catholique (campagne médiatique, manifestations de rues) pour faire obstacle à une libéralisation et les pressions exercées par le Parti Popu-laire sur ses alliés des partis nationalistes sont parvenues à bloquer la réforme de la loi.
45
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents