Génération divine - article ; n°19 ; vol.8, pg 56-63

Élisabeth Hardouin-Fugier

Description

Romantisme - Année 1978 - Volume 8 - Numéro 19 - Pages 56-63
8 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ROMANTISME
• Publié le: 01 janvier 1978
• Nombre de lectures: 58
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Mme Elisabeth Hardouin-Fugier
Génération divine
In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 56-63.
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Hardouin-Fugier Elisabeth. Génération divine. In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 56-63.
doi : 10.3406/roman.1978.5150
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1978_num_8_19_5150HARDOUIN-FUGIER Elisabeth
Génération Divine, tableau-poème de Louis Janmot
Génération Divine est comme l'ouverture de l'Opéra de l'Ame :
la composition amorce le récit, en annonce la tonalité d'ensemble, les
principaux motifs et, sans en dévoiler le contenu, le laisse pressentir :
poème et image qui constituent Génération Divine sont un microcosme
dans le macrocosme du Poème de l'Ame 1, comme le Satyre par rapport
à la Légende des Siècles2. C'est un univers, une somme, une ency
clopédie en réduction.
D'emblée, on devine une œuvre de maturité, issue à la fois d'une
longue réflexion et d'une solide pratique picturale. Le tableau et les
24 alexandrins sont placés en tête du cycle, mais ils n'ont pas été
réalisés les premiers. Aussi la date n'étonne-t-elle pas, sur l'esquisse
préparatoire du Musée de Lyon : 1845, l'année du Salon de Baudelaire,
de la rencontre du poète des Fleurs du Mal et du peintre de Fleur des
Champs. Entre le projet que forme l'étudiant Louis Janmot, lors de
son voyage d'étude à Rome, en 1836 auprès de son maître Ingres,
d'entreprendre une œuvre gigantesque, qui sera sa consécration comme
peintre de la jeune école catholique — entre ce projet grandiose et
Génération Divine, il y a dix ans de travail. Le dessin est d'une grande
maîtrise, la technique de la peinture à l'huile est simple. Ce n'est pas
le superbe métier d'Ingres, mais c'est un instrument maintenant docile
laissant à la main son aisance et à l'esprit sa liberté. Les vers sont peut-
être postérieurs : en dehors des textes marqués par la Révolution de
Quarante-huit, il est impossible d'établir unr Chronologie de l'œuvre
poétique qui, avec les peintures, forme le Poème de l'Ame à la manière
dont la chaîne et la trame s'étayent, se relayent, se succèdent, pour
constituer un savant tissage.
L'étudiant romain, puis le jeune peintre lyonnais (1836-1843), se
sont efforcés tout d'abord de décrire la circulation de l'enfant, héros
du Poème de l'Ame, entre ciel et terre. L'amour maternel tient une
place primordiale dans cette histoire, alors que l'artiste est profondé
ment marqué par le décès de sa mère. Après, la réflexion se développe,
les ambitions deviennent démesurées. Il s'agit de peindre la destinée
de l'humanité entière au travers de l'aventure de ces enfants, « car
l'histoire d'un homme, c'est l'histoire de l'homme, l'histoire d'un
homme, c'est l'histoire d'un peuple, c'est l'histoire de tous les peuples ;
c'est enfin du genre humain, et du genre humain, divine 57 Génération Elisabeth fíardouin-rugier 58
3 » homme : Janmot connaît cette phrase de c'est l'histoire de chaque
dans ce tableau et dans l'Echelle il cherche à l'évoquer Ballanche,
Mais à voler la sans doute contemporain. si de même veine, et d'Or,
reste ailes. Les événements à l'action. on se brûle les haut,
arrache à la qui allait le mettre Le garde national Louis Janmot foule,
il entre dans la lice en un malchanceux capitaine de bateau ; pièces,
qu'aime politique en peignant le Mauvais Sentier et Cauchemar
pamphlets contre le monopole d'état universitaire. véritables Baudelaire,
d'ivoire pour suivre ts l'artiste déçu monte dans sa tour Enfin,
aventure. amoureux de ses héros et compatir à la de leur
pour donner Il faudrait une action très fermement indiquée
ité à Janmot ayant créé ces tableaux dans le désordre il l'œuvre, ;
a conscience l'écueil sans des toiles de et doute ajoute, tardivement,
de en bout cette pour assurer des et rendre lisible bout transitions,
— — histoire d'un enfant qui naît au ciel c'est Génération Divine qui
porté par les anges sur terre où il conviennent trouve une tendre duet est mère,
laquelle il élevé. Le jeune couple rencontre une âme sœur avec est
l'amour connaît les tentations de la science et de mais aussi charnel,
les secours apportés par l'amour divin finalement il se la fille ; disloque, attend qugarçon sur terre. La s'élève au tandis que le retombe seconde ciel,
les ébapartie du correspondant aux 16 dessins, est l'histoire de Poème,
seul devenu mais racheté fin par l'amour rédempteur prende l'homme pêcheur,
sa mère. unson sa fiancée et de
Génération Divine échappe à l'aspect anecdotique et parfois niais
récit. sur la un enfant cajolé de ce On voit, par la Trinité, peinture,
détache en qui se contre-jour sur le fond du ciel. A ses le temps pieds,
se au sens propre du terme. Le semi-voilé parce qu'on déroule, Passé,
le connaît et qu'on comme une enroule l'oublie, Parque,
soutenu par interminablement le phylactère le Présent, de alors que le face, Futur,
tourne le dos et dirige la banderolle on ne sait pas encore inconnu,
où. L'enfant va être lancé dans le temps et dans l'espace : un ange,
à e la Trinité le lui confie pour l'emporter dans ses droite,
sur la terre. perd-elle bras l'âme le statut d'être Ainsi, spirituel, rien de
affranchi des contingences spatiales et temporelles comme pour Dieu,
dre celui de l'être humain. Les anges du à qui se sommet, droite,
dirigent vers la sortent du tableau. Leur périple sera raconté sur terre,
les autres images du Poème de l'Ame. Le tableau le Vol des suivant,
Ames, montre les messagers en plein des enfants dans leurs bras. vol,
A cycle se referme : c'est l'âme qui revient à sa patrie gauche, le
le toujours accompagnée par son ange elle se va joindre primitive, ciel, ;
aux chœurs séraphiques qui forment cercle derrière la Trinité. Mais
heureux retour à la cet patrie première n'est pas sans passer par
l'épreuve. Une croix lumineuse, au sommet de la une vierge de toile,
miséricorde à son entourée de saints en pied, évoquent la prière,
souffrance et la rédemption. Le tout se à dessine peine dans la clarté
céleste intense. Aussi tragique n'apparaît-il dans le tableau,
bien au contraire, les tendres couleurs des jeunes filles et des anges
de gauche, le blanc immaculé des séraphins contemplatifs de droite, et
la lumière de printemps sur l'herbe verte et fleurie qu'aime Delacroix, .
n'évoquent que paix et bonheur, et, dans le domaine pictural, font
penser aux cieux de Fra Angelico. Il n'y manque qu'un fond d'or. Génération divine 59
Tout est pour le mieux dans le meilleur des démontre mondes,
poète pas le peintre. Mais le Janmot ne partage cet optimisme :
16e alexandrin perce un pessimisme que l'image ne laisse pas
— soupçonner et c'est là une constante du Poème de l'Ame : homme l'artiste,
tourmenté dans des écoule et empêtré conflits intérieurs, son désespoir
dans les et son espoir dans les images. Une seule et terrible textes,
dans les dessins du Poème de l'image obsessionnelle exception, l'Ame,
attaché au du Supplice de cet homme cadavre de la femme Mézence,
« qu'il aimait. Le premier mot triste du Poème de l'Ame est
« » : s'obscurcir exilé l'absence de lumière et l'absence de patrie sont », puis ledès les leitmotive la bien de tristesse de Janmot :
que lue« Quels destins vous fera l'épreuve de la terre ?
Nul n'en sait rien, sinon que l'épreuve est austère,
Que le bonheur pour l'homme est un fruit défendu,
S'il ne veut pas pleurer le ciel deux fois » perdu.
les héros principaux du tableau. L'ombre et la lumière sont Leur
le premier plan est à contre-jour — description va jusqu'à l'insolite :
— on éclaire Ce qu'on peint . Le foyer situé d'ordinaire, incandescent,
par soderrière la atteint de façon étrange le et de façon Trinité, Passé,
poétique les têtes des anges. La croix elle-même n'est plus ur. Dans
texte l'opposition entre ombre et lumière est bi