Industrie et société aux États-Unis - article ; n°2 ; vol.3, pg 150-166
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1948 - Volume 3 - Numéro 2 - Pages 150-166
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1948
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Georges Friedmann
Industrie et société aux États-Unis
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 3e année, N. 2, 1948. pp. 150-166.
Citer ce document / Cite this document :
Friedmann Georges. Industrie et société aux États-Unis. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 3e année, N. 2, 1948.
pp. 150-166.
doi : 10.3406/ahess.1948.1618
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1948_num_3_2_1618INDUSTRIE ET SpCIÉTÉ
AUX ÉTATS-UNIS
(Fin)*
III
Ce serait une vue bien incomplète des « relations industrielles » que
celle qui se limiterait aux ateliers de production mécanique et omett
rait d'observer, sous cet angle, les> bureaux, les magasins, les grandes
administrations et particulièrement les entreprises où les problèmes psy
chologiques et sociaux du travailleur sont compliqués par un double et
même triple réseau de relations : avec ses supérieurs, avec ses camarades
de travail et enfin, directement, les usagers de l'entreprise. Aussi,
l'essai que M. William F. Whyte, professeur de sociologie à l'Université
de Chicago, intitule « Lorsque se rencontrent les travailleurs et les
clients » (When workers and customers meet) est- il d'une importance sin
gulière. Enquête pénétrante, nuancée, une des plus instructives de celles
menées par l'équipe de Chicago. A travers des expériences faites sur le
vif, des cas suivis sur place, elle pose des problèmes généraux et ouvre
des pistes à la recherche. .
Il 's'agit d'une étude du travail dans les restaurants, américains, qui
constituent une véritable industrie, comprenant des établissements de
diverses catégories, adaptés à diverses couches sociales. Elle a été faite plus
précisément ли niveau des serveusgs^ont les - « relations industrielles»
présentent . le triple aspect que nous venons d'évoquer. Avec une grande-
perspicacité, M. Whyte a fait porter la pointe de ses enquêtes à l'endroit
où ces relations se détraquent, afin de mieux comprendre (le pathologi
que révélant un grossissement des interactions qui jouent, elles aussi,
dans le normal, comme l'avait bien vu Durkheim) l'ensemble des facteur,,
psychologiques et sociaux qui interviennent ici. Parmi les jeunes filles oî
jeunes femmes qui gagnent leur vie dans ce métier pénible, surtout en
tre iq4i et 1945, il en est, relativement assez nombreuses, que saisissen!
au cours de leur travail, de soudaines dépressions nerveuses. Le lecteur
qui ne connaît pas les U. S. A. peut imaginer, par certains restaurants
industrialisés de nos capitales européennes, la tension, l'âpreté, les fat
igues et difficultés de ce métier, véritable lutte avec les supérieurs (qui ne
sont pas toujours sympathiques ni bienveillants), avec les camarades (et
*Voir 1© n° i, janvier-mars 1948, page 69. ET SOCIETE AUX ETATS-UNIS 151 INDUSTRIE
concurrentes) «• serveuses du restaurant, enfin avec les employés de l'office
et des cuisines, pris dans un dur travail « à la chaîne », mais libérés, en
revanche, du contact avec les clients.' souvent redoutables, grincheux,
abouliques ou même malhonnêtes1.. C'est ce que^Whyte et ses collabora
teurs ont appelé le problème de « la serveuse qui pleure » (the crying
waitress), de ces jeunes femmes qui, à bout de nciio, quittent -le restau
rant, le floor, et vont « piquer leur crise » de larmes dans la salle du per
sonnel.
On ne peut songer à donner ici tous les détails de cette étude, riche
de documents, sortes de confessions notées sur le vif et incluant le « con
texte » biographique de ces serveuses, les motivations individuelles ou
sociales de leur conduite.
En premier lieu, ces- incidents, comme il fallait s'y attendre, manif
estent' une combinaison de pressions, subies par la serveuse et devenues
insupportables par suite d'une mauvaise coordination des services, et d'un
échec — ou d'échecs répétés — dans ses rapports avec les clients. Il n'est
pas indifférent" de constater que chez ces femmes surmenées, à la sensi
bilité exacerbée, la conduite du client stiff est ressentie non pas économi
quement (à savoir le manque à gagner du pourboire qui pourtant cons
titue l'élément principal de 'leur gain), mais * affectivement : « On pense,
dit l'une d'elles, en ces circonstances, à tout le travail qu'on a fait, à
tous vos efforts pour contenter ces gens et cela blesse quand ils ne lai
ssent rien pour vous. On se dit : ainsi, voilà ce que réellement ils pensent
de tot. C^est comme une insulte...2 »
Au delà dey ces éléments de psychologie individuelle, divers autres
influent sur la conduite de la serveuse : la catégorie sociale du restaurant'
(il y a beaucoup moins de dépressions dans les restaurants populaires :
les serveuses y ont,. ou y prennent, le droit de « répondre » aux clients;
il y en a davantage dans les restaurants middle-class, où elles doivent
avoir, même face au plus grincheux d'entre eux, la bouche cousue) ;
l'expérience professionnelle de la serveuse qui parvient à mieux organiser
son travail, ses relations avec l'office, les contrôleurs et les clients, à qui
elles savent parler et s'imposer d'emblée. M. Whyte a su distinguer ici
les facteurs individuels d'une part, sociaux de l'autre, et utiliser l'obser-.
vation de plusieurs cas de jumelles élevées dans le même milieu, puis
employées dans les1 mêmes entreprises. L'expérience professionnelle ne
suffit pas à débarrasser la serveuse de ces dépressions. Il est des jeunes
femmes, nouvelles dans le métier, qui ne pleurent jamais, et d'autres
expérimentées et pourtant sujettes à des crises fréquentes. Néanmoins, un
des motifs individuels, fort curieux du reste, et qu'elles appellent « la
peur du client », disparaît avec l'expérience, et nous en venons ainsi aux
causes, proprement sociales de ces échecs dans le travail, que nous soul
ignons patce qu'elles nous intéressent, ici, particulièrement.
L'intégration sociale de la serveuse dans son groupe de travail joue
un rôle considérable : selon ses degrés, elle aplanit ou, au contraire,
accentue les frottements avec l'entourage et par suite les causes de dé
pression. Une jeune fille4, accoutumée par son caractère, son éducation,
i. Ceux-là sont les stiff, lee « durs », qui ne laissent pas de pourboires ou
même parfois empochent, en l'absence de la serveuse, la pièce laissée sur la table
par leurs prédécesseurs...
a. О. с, p. 129. ■
1
щуща
152 ANNALES
sen milieu personnel à être une « suiveuse » plutôt qu'une animatrice,
si elle se trouve soudain privée de l'impulsion psychique à laquelle elle
est habituée, risquera fort d'être désadaptée," déséquilibrée à la fois dans son
travail et dans ses loisirs où, souvent, les mêmes camarades interviennent.
D'autre part, la notion d'intégration entraîne^ avec elle celle, plus
importante encore à nos yeux, de mobilité sociale. Que faut-il entendre
par là ? Aux États-Unis, les serveuses de restaurant sont légion : o-a sait
que l'Américain, aussi bien dans la classe ouvrière que moyenne ou
même bourgeoise, prend bien moins souvent qu'en France le repas de
midi en famille. Au reste, l'absence de nertaines traditions, à la fois so
ciales, psychologiques, alimentaires, — qui, au contraire, jouent à plein
chez nous, — affaiblissent la pratique de la cuisine domestique et entra
vent toute culture gastronomique (le caractère de la femme américaine
intervient ici, à la fois cause et effet de cette situation). Les serveuses se
trouvent donc recrutées dans des milieux très différents, en une collecti
vité "où les cadres sociaux, principalement déterminés par le revenu brut,
sans être aussi mobiles, tant s'en faut, qu'à l'époque des pionniers,
demeurent néanmoins à la fois plus fragiles et plus impérieux que chez
nous1. Dans les restaurants middle-class, le personnel provient, en génér
al, des petites villes, des régions rurales et de la classe ouvrière urbaine.
Pour y servir correctement la clientèle, les employés doivent rejeter le
comportement, les habitudes des classes inférieures et rurales en ce qui
1'

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