Invention(s) de la syphilis - article ; n°94 ; vol.26, pg 89-109
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Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 94 - Pages 89-109
If at the beginning of the Second Empire, in the treatises devoted to morbid heredity, degeneration expressed itself in nervous disorders, at the end of the 19th century, syphilis embodies an essential disease. However literature does not duplicate as such the obsessions of the medical discourse. One must discriminate between the works expounding a medical thesis and the naturalist and decadent works. They deconstruct the hygienist approach of syphilis specialists, they blur the differences between the various registers, and sometimes provoke ambiguous laught. What clearly emerges is a fascination for syphilis which can be analysed in aesthetic terms. Realistic mimesis enhances the motif of the suffering victim, of the cutaway. It finds its expression in skin diseases which caracterize the protagonists. Venereal disease at times gives rise to a colorist poetic - raw flesh can become pictorialized — at times uncolorist - Jean Lorrain and Rachilde mention a blank colourless syphilis. A floral theme establishes a link between rhetoric and fantasy, and display wreaths of syphilis flowers int he wake of Les Fleurs du mal. Disease artificialises appearances, as though nature paradoxically bred the seeds of death, thus aestheticizing it, and it corresponds to the relation between syphilis and decadence.
Alors qu'au commencement du Second Empire, dans les traités consacrés à l'hérédité morbide, la dégénérescence s'incarnait dans les maladies nerveuses, c'est la syphilis qui, à la fin du XIXe siècle, figure un mal essentiel. Pour autant la littérature ne reprend pas telles quelles les hantises du discours médical. Il faut différencier les œuvres à thèse de Brieux, de Couvreur, de Corday, des récits naturalistes et décadents. Ils déconstruisent l'hygiénisme des médecins syphiligraphes, brouillent les registres, provoquent parfois un rire ambigu. On voit surtout se développer une fascination pour la syphilis, qui doit être analysée d'un point de vue esthétique. La mimesis réaliste privilégie le motif de l'écorché, il s'emblématise dans cette pathologie de surface qui affecte les personnages. Le mal vénérien autorise l'expansion d'une poétique tantôt coloriste (la chair à vif se picturalise) et tantôt décoloriste (Jean Lorrain et Rachilde évoquent une syphilis en blanc). Une thématique florale instaure un lien entre rhétorique et fantasme, tout en situant ces fleurs de syphilis dans la continuité des Fleurs du mal. La maladie artificialise les apparences, comme si la nature contenait paradoxalement un germe qui la nie et qui, de ce fait, l'esthétise. On comprend, en ce sens, la relation qui s'instaure entre syphilis et Décadence.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jean-Louis Cabanes
Invention(s) de la syphilis
In: Romantisme, 1996, n°94. pp. 89-109.
Citer ce document / Cite this document :
Cabanes Jean-Louis. Invention(s) de la syphilis. In: Romantisme, 1996, n°94. pp. 89-109.
doi : 10.3406/roman.1996.3161
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_94_3161Résumé
Alors qu'au commencement du Second Empire, dans les traités consacrés à l'hérédité morbide, la
dégénérescence s'incarnait dans les maladies nerveuses, c'est la syphilis qui, à la fin du XIXe siècle,
figure un mal essentiel. Pour autant la littérature ne reprend pas telles quelles les hantises du discours
médical. Il faut différencier les œuvres à thèse de Brieux, de Couvreur, de Corday, des récits
naturalistes et décadents. Ils déconstruisent l'hygiénisme des médecins syphiligraphes, brouillent les
registres, provoquent parfois un rire ambigu. On voit surtout se développer une fascination pour la
syphilis, qui doit être analysée d'un point de vue esthétique. La mimesis réaliste privilégie le motif de
l'écorché, il s'emblématise dans cette pathologie de surface qui affecte les personnages. Le mal
vénérien autorise l'expansion d'une poétique tantôt coloriste (la chair à vif se picturalise) et tantôt
décoloriste (Jean Lorrain et Rachilde évoquent une syphilis en blanc). Une thématique florale instaure
un lien entre rhétorique et fantasme, tout en situant ces fleurs de syphilis dans la continuité des Fleurs
du mal. La maladie artificialise les apparences, comme si la nature contenait paradoxalement un germe
qui la nie et qui, de ce fait, l'esthétise. On comprend, en ce sens, la relation qui s'instaure entre syphilis
et Décadence.
Abstract
If at the beginning of the Second Empire, in the treatises devoted to morbid heredity, degeneration
expressed itself in nervous disorders, at the end of the 19th century, syphilis embodies an essential
disease. However literature does not duplicate as such the obsessions of the medical discourse. One
must discriminate between the works expounding a medical thesis and the naturalist and decadent
works. They deconstruct the hygienist approach of syphilis specialists, they blur the differences between
the various registers, and sometimes provoke ambiguous laught. What clearly emerges is a fascination
for syphilis which can be analysed in aesthetic terms. Realistic mimesis enhances the motif of the
suffering victim, of the cutaway. It finds its expression in skin diseases which caracterize the
protagonists. Venereal disease at times gives rise to a colorist poetic - raw flesh can become
pictorialized — at times uncolorist - Jean Lorrain and Rachilde mention a blank colourless syphilis. A
floral theme establishes a link between rhetoric and fantasy, and display wreaths of syphilis flowers int
he wake of Les Fleurs du mal. Disease "artificialises" appearances, as though nature paradoxically bred
the seeds of death, thus aestheticizing it, and it corresponds to the relation between syphilis and
decadence.Jean-Louis CABANES
Invention(s) de la syphilis
Pour analyser les représentations littéraires de la syphilis, il faut tenir compte
d'une scientia sexualis dont la médecine est une des parties constituantes. « La volont
é de savoir » ' se manifeste aussi bien dans les traités consacrés aux aberrations du
sens génésique, à la clinique des perversions, que dans la description des maladies
vénériennes. Alfred Fournier est le contemporain de Krafft-Ebing dont on traduit, en
1895, la huitième édition de la Psychopathia sexualis. A ce relevé des secrets du
corps correspondent hygiénisme et eugénisme. Michel Foucault signale à juste titre
l'émergence, au XIXe siècle, d'un « projet médical mais aussi politique d'organiser
une gestion étatique des mariages, des naissances et des survies » 2. Ce projet s'impo
se tout particulièrement lorsque, dans l'histoire culturelle des maladies, la description
clinique du mal vénérien se parachève par l'évocation des dégénérescences. Parler du
sexe et de sa pathologie n'est-ce pas, dans un même élan, discourir sur le sang vicié?
Ne faut-il point, pour garantir au mieux la transmission des héritages génétiques et
des biens familiaux, éviter que les « avariés » contaminent les épousées? Confusion
détestable, voici que la normalité sociale se conçoit en termes de norme biologique,
tandis que, sous l'effet d'une propagande médicale insistante, la hantise de la syphilis
va croissant. Alain Corbin a retracé les étapes de cette montée des périls qui, à la fin
du XIXe siècle et au commencement du XXe, se concrétise par la constitution d'un
mythe de « l'hérédo » et par « l'émergence de la notion de parasyphilis » 3. Elle étend
indéfiniment les conséquences de la contamination vénérienne. En 1891, l'ouvrage
d'Alfred Fournier, L'Hérédité syphilitique, prend le relais des traités que Lucas, Morel
ou Moreau de Tours avaient consacrés, au milieu du siècle, à l'hérédité morbide.
Dans un vocabulaire imprécis et imagé, Alfred Fournier cherche à définir le « vice
organique », « la erase humorale » 4, transmis par l'hérédité, et à systématiser les
ravages du mal vénérien. Le « don fatal » a changé de nature mais l'idée d'un legs
maudit perdure : le péché originel se laïcise en termes biologiques. Au commence
ment du Second Empire, la dégénérescence s'incarnait essentiellement dans les
désordres nerveux ou dans la scrofule - les nerfs jouant le rôle d'une archive biolo
gique et d'un agent transmetteur -, c'est désormais la syphilis qui figure un mal
essentiel et protéiforme.
Des Lettres sur la syphilis de Ricord, aux derniers travaux d'Alfred Fournier, la
scène morbide s'est donc métamorphosée. Ricord, loin de dramatiser le mal vénérien,
croyait que les plaques muqueuses n'étaient pas contagieuses. Son œuvre clinique
n'était pas centrée sur l'hérédité. En revanche, les syphiligraphes, sous la Troisième
République, imposent une conception particulièrement noire de la syphilis. Elle
1. Voir Michel Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1976.
2. La Volonté de savoir, éd. cit., p. 156.
3. Alain Corbin, « L'Hérédosyphilis », Romantisme, n° 31, 1981.
4. Cité par Alain Corbin dans « L'Hérédosyphilis », p. 140.
ROMANTISME n° 94 (1996-4) 90 Jean-Louis Cabanes
semble s'être chargée de toutes les peurs qui, sous forme de « vision entropique », et
en termes de décadence, hantent la fin du siècle. Cette mutation du discours médical
est cependant moins brutale qu'il n'y paraît. Cullerier critiquait déjà, en 1866, l'opt
imisme thérapeutique de Ricord 5. Il faut surtout faire apparaître la permanence, de la
monarchie de Juillet à la Troisième République, d'un discours hygiéniste qui, visant à
réglementer la prostitution, s'obsède des ravages causés par le mal vénérien. Il
s'énonce avec tout le pathos nécessaire chez Parent-Duchatelet, dès 1836 :
La syphilis est chez nous, elle est chez nos voisins, elle est dans l'univers; elle ne tue
pas immédiatement, il est vrai, comme beaucoup d'autres maladies, mais cela
n'empêche pas que le nombre de ses victimes ne soit immense. Ses ravages n'ont pas
d'interruption; elle frappe de préférence cette partie de la population qui, par son âge,
fait la force aussi bien que la richesse des états 6.
Alain Corbin a montré qu'après la Commune le discours réglementariste tendait à
se durcir, et que la police médicale cherchait à élargir sa surveillance, non seulement
aux femmes entretenues, mais aussi aux vagabonds, aux prisonniers, aux prévenus,
bref à tous ceux qui représentent une menace pour la santé du corps social 7. Tout se
passe comme si la clinique des maladies vénériennes, vers les années 1880, était
informée par l'hygiénisme. La création de la première chaire de syphiligraphie, en
1879, paraît significative de la contamination de ces deux ordres de savoir. Alfred
Fournier, l'un des grands cliniciens des maladies vénériennes, ne publie-t-il pas chez
Masson, en 1880, Syphilis et mariage ? Mais on ne comprendrait pas comment, dans
le discours sur l

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