Korsch, Lukacs et le problème de la conscience de classe - article ; n°3 ; vol.21, pg 668-680
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1966 - Volume 21 - Numéro 3 - Pages 668-680
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Joseph Gabel
Korsch, Lukacs et le problème de la conscience de classe
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 21e année, N. 3, 1966. pp. 668-680.
Citer ce document / Cite this document :
Gabel Joseph. Korsch, Lukacs et le problème de la conscience de classe. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 21e
année, N. 3, 1966. pp. 668-680.
doi : 10.3406/ahess.1966.421406
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1966_num_21_3_421406LUKACS ET LE PROBLÈME KORSCH,
DE LA CONSCIENCE DE CLASSE
« Le marxisme a besoin ďune théorie de
la conscience » (Merleau-Ponty).
La vie intellectuelle de la République de Weimar a produit, entre
autres, une curieuse forme de marxisme « ouvert » appelé à s'implan
ter en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à la faveur
d'un climat intellectuel et politique rappelant, dans une large mesure,
celui de Weimar. M. Merleau-Ponty — sans doute le premier penseur
français à rendre justice à l'œuvre de Karl Korsch — a parlé à ce propos
de marxisme occidental ; en fait, comme l'a observé R. Aron, il s'agit
là plutôt d'une forme de marxisme d'Europe centrale. Les trois princ
ipaux représentants de ce courant sont G. Lukàcs, Karl Mannheim et
sans doute Karl Korsch, dont l'ouvrage le plus important vient d'être
traduit en français 4 Deux de ces trois penseurs — Lukàcs et —
sont d'origine hongroise ; le troisième était allemand, mais il n'en eut
pas moins, au cours de sa carrière, de nombreux et fructueux contacts
avec les représentants du marxisme hongrois. Tous les trois ont enfin
en commun une biographie tourmentée dont l'élément tragique est loin
d'être absent.
La tragédie de G. Lukàcs est bien connue en Occident : c'est celle de la
fidélité du militant, incompatible avec le rôle du penseur dont la fidélité
n'est due qu'à son message. La parution, dès 1923, de son opus magnum
classe irréversiblement Lukàcs parmi les hérétiques du système ; tout
son itinéraire de penseur est, depuis, un long et humiliant Canossa. On a
inventé vers 1950 une « théorie de camouflage » (Verhù'llungstheorie)
commode pour expliquer cette disgrâce ou plutôt pour en cacher les véri
tables raisons. Lukàcs aurait été réticent à reconnaître la primauté de
la littérature soviétique par rapport aux grands classiques du réalisme
bourgeois. Depuis l'éclatement de la façade idéologique du stalinisme,
1. Karl Korsch : Marxisme et philosophie. Paris, Éditions de Minuit, 1964, tra
duction de Claude Orsoni, présentation de Kostas Axelos.
668 KORSCH ET LUKAGS
les véritables raisons sociologiques de la disgrâce de Lukàcs commencent
à percer à jour. Histoire et Conscience de Classe est sans doute l'un des
ouvrages les plus conséquemment dialectiques de toute la littérature
marxiste ; avec Idéologie et Utopie de K. Mannheim, c'est aussi l'un des
deux classiques du problème de l'idéologie et de la fausse conscience.
Dans les cadres d'un marxisme orthodoxe qui s'éloignera de plus en plus
de la dialectique pour devenu* précisément une idéologie, c'est-à-dire,
dans l'acception marxiste du terme, un système d'idées « en contra
diction ... avec le mouvement historique réel » % un tel ouvrage était
voué à l'index. Quant à son auteur, il a dû acheter sa tranquillité — une
tranquillité toute relative — au prix du reniement, exempt de grandeur,
du meilleur de son œuvre. De plus, il a dû publier plusieurs ouvrages
apologétiques (dans le sens anglais du terme : to apologize = demander
pardon !), dans lesquels l'auteur d'Histoire et Conscience de Classe se prête
à une véritable manœuvre de mystification idéologique en présentant,
sous l'étiquette marxiste, un scientisme étranger à toute dialectique.
Avec un itinéraire fort différent, la destinée de Karl Mannheim finira
par ressembler curieusement à celle de Lukàcs. Contrairement à Lukàcs,
Mannheim a opté pour le camp occidental, et plus particulièrement pour
le monde anglo-saxon pour lequel il ressentait l'admiration traditionnelle
des milieux libéraux de la Hongrie d'autrefois. Il a su diagnostiquer de
façon précoce la vulnérabilité idéologique du monde anglo-saxon, vulnér
abilité due à sa « résistance au changement » : traditionnalisme britan
nique 2, conformisme américain, tendance à Г « esprit de clocher ». Dans ses
écrits de langue anglaise, il semble s'être attelé à une tâche d'envergure :
mettre l'acquis du marxisme en général, et celui de la dialectique en part
iculier, au service de la démocratie menacée, et ceci sans trop choquer
son nouveau public par l'emploi d'une terminologie d'origine marxiste.
Qualifié de « marxiste bourgeois » au cours de sa période weimarienne,
Mannheim deviendra ainsi, dans ses ouvrages d'expression anglaise,
véritablement un marxiste in partibus. Ces ouvrages 3 constituent en
1. Marxisme et Philosophie, édition française, p. 60. Dans son remarquable article :
« The marxism of Karl Korsch » (Survey, oct. 1964, pp. 86-97), Paul Mattick est encore
plus explicite : « The Marxian doctrine prevails as a set of ideas unconnected with
real social practice, or as the « false consciousness » of state prescribed ideologies in
support of an un-Marxian practice » (Art. cit., p. 86, passages soulignés par nous).
2. C'est l'un des leitmotivs de la récente enquête d'Arthur Koestler : Suicide
ďune nation (Paris, Calmann-Lévy, 1964, collection « Liberté de l'Esprit »). Cf. notam
ment, pp. 71-101 « Les agréments de Г « immobilisme », de M. Shanks.
3. Nous pensons surtout à l'édition anglaise très élargie de Mensch und Gesell-
schaft im Zeitalter des Umbaus (Man and Society in an Age of Reconstruction, Londres,
1940), ainsi qu'au Diagnostic of our time, New York, Oxford University Press, 1944 et
Freedom Power & Democratic Planning, Ibid., 1950, (Ouvrage posthume.)
669 ANNALES
effet une véritable leçon de choses dialectique à l'usage du public anglo-
saxon, mais c'est une leçon dont le mot « dialectique » demeure rigoureu
sement banni. Son avant-dernier livre offre ainsi, sous l'étiquette inof
fensive de « social awareness » г toute une théorie dialectique de la fausse
conscience, rendue acceptable à la bonne société, grâce à l'élimination
délibérée de tout vocabulaire de consonance suspecte. Quant à son
ouvrage posthume, il constitue un plaidoyer ardent pour la planification
économique mise au service de la démocratie. Nous avons vu plus haut
Lukàcs obligé de couvrir de son autorité de philosophe marxiste une
marchandise idéologique fondamentalement étrangère à cette philoso
phie. A l'opposé, Mannheim a dû renoncer à l'emploi de toute terminol
ogie marxiste afin de pouvoir introduire en contrebande quelques él
éments dialectiques dans l'armature idéologique de la démocratie anglo-
saxonne que son immobilisme rend cependant si vulnérable sur le plan
doctrinal 2. Chacun de ces deux théoriciens importants du problème de
l'aliénation s'est vu ainsi condamné à se rendre marginal, étranger au
sein d'un contexte politico-idéologique pourtant librement choisi. Quant
au troisième, Karl Korsch, le « drame de l'aliénation » 3 a revêtu chez lui
sa forme individuelle la plus déchirante : il est mort en 1961 atteint de
maladie mentale 4.
Le mérite d'un ouvrage dans le genre de Marxisme et Philosophie ne
saurait être apprécié autrement qu'en fonction de son contexte histo
rique. C'est d'ailleurs un postulat du simple bon sens (dialectique) que
nous appliquons sans réticence en présence d'ouvrages classiques. Si
1. Diagnostic of our time, New York, Oxford University Press, 1944, pp. 59-79.
2. Dans son article : « Wissen und Gesellschaft Neuer deutsche Litteratur zur
Wissenssoziologie » (Unter dem Banner des Marxismus, An. V, Fasc. I), le théoricien
marxiste Karl-August Wittfogel classe très justement Mannheim parmi les socio
logues bourgeois « qui pillent l'arsenal scientifique de l'adversaire de classe » (Art. cit.,
p. 83). Depuis, Wittfogel a fait exactement l

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