L'agriculture rituelle des Bozo - article ; n°2 ; vol.19, pg 209-222

G. Dieterlen, M. Griaule

Description

Journal de la Société des Africanistes - Année 1949 - Volume 19 - Numéro 2 - Pages 209-222
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: JOURNAL_DE_LA_SOCIETE_DES_AFRICANISTES
• Publié le: 01 janvier 1949
• Nombre de lectures: 18
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Marcel Griaule
Germaine Dieterlen
L'agriculture rituelle des Bozo
In: Journal de la Société des Africanistes. 1949, tome 19 fascicule 2. pp. 209-222.
Citer ce document / Cite this document :
Griaule Marcel, Dieterlen Germaine. L'agriculture rituelle des Bozo. In: Journal de la Société des Africanistes. 1949, tome 19
fascicule 2. pp. 209-222.
doi : 10.3406/jafr.1949.2601
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1949_num_19_2_2601L'AGRICULTURE RITUELLE DES BOZO
PAR
Marcel GRIAULE et Germaine DIETERLEN
La conversion plus apparente que réelle des Bozo à l'Islam n'est
pas un obstacle à des pratiques traditionnelles reposant sur un
système de croyances et de représentations commun à tout le Soudan.
Certaines de ces pratiques expriment les droits du premier occupant
des rives du Niger revendiqués par cette population de pêcheurs,
comme sa solidarité avec les peuples agriculteurs au milieu desquels
elle vit 1.
Ce sont ces droits et cette solidarité qu'affirment les rites exposés
ci-après, où pêche et culture sont intimement liées et où apparaît
la notion de l'infiniment petit dans le plan des poissons comme
dans celui des graines.
Les Bozo, comme les Bambara et les Dogon, admettent que la
création a pour point de départ un infiniment petit symbolisé con
crètement par la graine de Digitaria, nommée communément fonio
laquelle, par vibration interne et explosion, a créé tous les êtres et
choses 2. Après avoir tourné sept" fois dans le vide, disent les Bozo,
la graine laissa des exuvies dites fini folo « enveloppes du fonio »,
au nombre de six, qui déterminèrent le principe mâle 3 : « le fonio
1. Les Bozo, comme leurs voisins, déclarent être venus du Mandé. Cette région où siégèrent les
capitales successives du Mali, est le centre encore actuellement reconnu d'où ont essaimé quarante-
huit populations différentes qui se sont réparties dans le Soudan. Cf. D. Z ah an. Aperçu sur la
pensée théogonique des Dogon. « Cahiers Internationaux de Sociologie », 1949, vol. iv ; G. Dieter-
len, Essai sur la religion bambara, Presses Universitaires de France, Paris (à paraître).
Les termes et textes indigènes du présent article sont en langue bambara, les Bozo du fleuve
parlant couramment cette langue, comme leur idiome maternel.
2. Chez les Bambara et les Dogon, la Digitaria exilis, en tant qu'image de l'infiniment petit,
est représentée par un astre satellite de Sirius dit « étoile Digitaria » qu'ils déclarent être de très
petites dimensions et d'un poids considérable.
3. Six représente le principe mâle, trois, dans la gémelléité. Les Soudanais déclarent connaître
et cultiver six variétés de fonio. Sur les nombres 3 et 4, symboles de la personne et sur la gémell
éité, cf. G. Dieterlen, La personne chez les Bambara, « Journal de Psychologie normale et patho
logique », 40e année, janv.-mars 1947, pp. 45 à 53. ,
SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES 210
a créé le mâle en deux, la tête de l'homme a été la première des
choses » l. Après une station au ciel « dans l'attraction », le fonio,
descendu sur terre, éjecta de lui-même le principe femelle complé
mentaire : « la femme est le germe du fonio, son représentant est
le fonio dans la matrice des femmes 2 ». En effet, le fœtus est consi
déré par les Bozo comme « le grain de fonio au milieu de ses enve
loppes » lesquelles sont les organes féminins maternels. Ce qui
revient à dire que ce grain originel contenait en lui-même les
éléments complémentaires mâle et femelle nécessaires à toute
création. Lors de sa descente, qui affecta la forme d'un tourbillon,
il éclata, libérant les quatre éléments et les quatre directions de
l'espace car « les points cardinaux sont dans la grossesse du fonio ».
Dans ce déplacement, l'élément, privilégié fut l'eau, avec laquelle
il s'effectua, car « l'eau est sortie du trou du fonio. dans lequel
elle s'est fait connaître » 3. L'eau est « l'élément décomposé du fonio »
et le Niger en crue se gonfle « comme germe le grain dans l'eau ».
Or, dans le milieu aquatique, le correspondant du fonio est le
plus petit des poissons, le mirié. Pêcher le poisson c'est pêcher la
graine pour reconstruire, perpétuer la nature. En effet « le poisson
est fait de substances qui sont elles-mêmes fonio » : l'arête dorsale,
que l'on suspend aux portes après les sacrifices, est le germe central,
et les écailles les enveloppes de la graine. On dit aussi que « le fonio
est dans tous les poissons comme une nourriture 5 ». De plus, chaque
espèce possède et représente une graine dont elle a reçu l'essence
avant sa descente et qu'elle a réalisée dans Feau terrestre.
En effet, si le fonio symbolise le germe d'où est issu l'univers,
l'une de ses premières manifestations fut la terre, descendue du
ciel ; celle-ci était un champ sec de fonio, culture primordiale.
Après des péripéties au cours desquelles furent introduites dans
la création impureté et mort, le monde fut réorganisé par Faro,
maître du verbe et de l'eau. Ce dernier s'est manifesté notamment
sous l'aspect des huit ancêtres des hommes descendus du ciel avec
l'eau de pluie, sur la terre sèche et impure, pour l'expansion de l'uni
vers 6. Les huit ancêtres, qui ont révélé aux humains parole et tech-
1. fini ye tye da fia ye, tye ku kera kow gale ye.
2. muso ye fini kise ye, a ladege be fini la muso dèzo kono. On entend par là que la femme est
fonio et productrice de fonio.
3. dyi bwora fini dinge kono a ye, a yere dyira mina. On observe, entre l'eau et le fonio, la même
identité qu'entre le fonio et l'être humain.
4. Micralestes acutidens.
5. fini be dyeke be la ka dun.
6. Cf. M. Griaule, Dieu d'eau, Ed. du Chêne, ; S. de Ganay, Noie sur la théodicée bambara,
« Revue d'Histoire des Religions », t. CXXXV, 1949, p. 187-213. Il convient d'entendre par là que
Faro des Bozo et Bambara, comme Nommo des Dogon, s'est manifesté lui-même en huit hypos -
tases. l'agriculture Rituelle des bozo
niques sont représentés substantiellement par huit graines différentes,
ou huit poissons, qui sont symboliquement présents dans les clavi
cules des hommes : ces huit symboles figurent, de plus, dans les
deux cas, à la fois les quatre éléments et les quatre points cardinaux.
La disposition des graines ou des poissons, substance et subsistance
de l'homme, lui confère, de plus, son appartenance sociale. Les
familles et, d'une façon générale, les groupements humains, sont
caractérisés par le contenu claviculaire (graines ou poissons), étant
entendu qu'à l'intérieur de chaque groupe, les sexes et les fonctions
religieuses et sociales sont connotes par l'ordre relatif dans lequel
se présentent les éléments de ce contenu *. De plus l'intégrité de
l'homme dépend de l'existence comme de l'ordre relatif de ces
éléments, l'une et l'autre étant, en effet, affectées par toute rupture
d'interdit.
Le Moniteur Faro
ventre
Huit Aiitètrei. huit graines, huit poissons
Haroon
FlG. 1.
Le signe « Faro », représentant un harpon, le Moniteur,
les ancêtres, les graines et les poissons.
Chez les Bozo, les poissons des clavicules sont représentés sur
les flancs des pirogues par une peinture ou un ornement de fer blanc.
A Banankoro, cet ornement, nommé Faro, dont l'aspect général
est celui d'un harpon, résume la partie principale du mythe de créa
tion des mondes de l'eau et de la terre. Dans l'ensemble, cette suite
de losanges emboîtés et de triangles, où apparaît aussi un croissant,
représente Faro : la pointe est sa tête et le triangle de l'autre extré
mité ses pieds ; après le cou, inséré dans les deux barbes de la pointe,
1. L'aspect général de l'institution concernant le contenu substantiel des clavicules des êtres
humains et son rôle dans l'impureté (rupture d'interdit) et la purification, est développée dans
G. Dieterlen, Les correspondances cosmo-biologiques chez les Soudanais, « Journal de psychologie