Dougga appartient à cette région montagneuse du Nord-ouest tunisien réputée,depuislAntiquité,pourlabondancedesesressourceshydrauliques1 et pour ses grandespotentialités agricoles2. Enserrée par les chaînons de la Dorsale au Sud et par les montsde la Khroumérie au Nord, cette région, à laquelle les géographes modernes donnent lenomdeTunisietellienne,estentailléedanstoutesalongueurparlecoursmoyendelaMedjerda qui constitue la zone de convergence du réseau hydrographique le plus étenduet le plus important de la Tunisie3etquiscindelaTunisietellienneendeuxgrandsensembles physiques bien individualisés :-leTellduNord-ouestauNord,oùprennentnaissancelouedBouHeurtmaet loued Kasseb.-leHaut-TellauSud,doùproviennentlouedMellègue,louedTessaet loued Siliana4.CestdanslespremierscontrefortsdelafrangeseptentrionaleduHaut-TellquesesitueplusexactementDougga,à110kmenvironàlouestdeTunisenempruntantla route GP 5 vers la ville du Kef et à 7 km au sud-sud-ouest de Téboursouk, sur le bordorientaldunsynclinalperchédontlecurestremplipardesdépôtsmarneux,gréseuxetconglomératiques dâge éocène à pliocène5.Lossaturedecettestructureestconstituéedecalcairenummulitiquedeléocèneinférieur6. Elle est hachée de plusieurs failles dont les1. Dougga reçoit en moyenne 700 mm deau par an et totalise 50 jours de pluie pendant toute lannée (principalement entre les moisde septembre et de mars), le rapport des pluies torrentielles y est de 21 pour cent. Voir HENIA (L.),Clmt et bln e le enTnse,Tunis 1993, graphiques p. 21, 80, 160, 192-205, 238 et conclusions p. 327-33;id.,"La Tunisie du Nord : une régionclimatique bien individualisée", inL Tnse Nr : espce e reltns(Actes du 2e colloque du département de Géographiede la Faculté des Lettres de Manouba, 14-16 décembre 1995), Tunis, 1999, p. 43-60.2.Etce,dansunpaysoùlonvitpartoutaurythmedunepluviométrieinconstanteetdesaisonsagricolesinstables.VoirSETHOM(H.) et KASSAB (A.),Les régns gégrphqes e l Tnse, Tunis 1981, p. 24-25 et 83-104.3. ib., p. 25.4. ib., 13-42 et 83-104 ; MONCHICOURT (Ch.)L régn Ht Tell en Tnse, Paris, 1913, p. 22-33.5. Voir la carte géologique de la Tunisie au 1/50.000e, feuille n° 33, Téboursouk (levés effectués par V. Perthuisot, de 1970 à 1974)(désormais citée carte géologique Téboursouk)6. Décrivant le paysage naturel et les formations structurales du pays de Téboursouk, Charles Monchicourt écrit ce qui suit :139
afrcXXii-2008,Llmenttneneedgg(Thgg):Srces, qecs et réservrs pblcs Hbb BakLouTiplus importantes présentent des directions NO SE et NE SO7. Ajoutées à la structureà caractère karstique de la région à laquelle appartient Dougga, ces failles ont conditionnélapparitiondungrandnombredesources8dontdeux,Aïnel-MizebetAïned-Doura,situées à Dougga même, ont été certainement parmi les facteurs naturels qui avaientdéterminélechoixdusitesurlequelnaquitetsedéveloppalancienneagglomérationdeThgg9.DanslecadredenostravauxderecherchesurleaudanslAntiquitétunisienne,nous nous proposons dans la présente étude daborder la question de lalimentation eneaudunecitédontlhistoireancienneest,sansconteste,parmilesmieuxdocumentéesdeTunisie. En effet, en matière de documentation archéologique et, surtout, épigraphique,nous ne pouvons être mieux servi. Des publications récentes en font part10.
«Pareilles à des mosaïques disloquées, les surfaces nummulitiques présentent çà et là des fissures très profondes danscertaines desquelles circule parfois un ruisseau Léocène inférieur possède tout ce quil faut pour favoriser létablissementdes humains Lessfts se débitent aisément en pierres à bâtir et les créateurs de dolmens en ont tiré un large profit. Leaune manque pas, car sous les principales tables fonctionne un jeu savant de cavernes et de sources». À léocène moyen,ajoute-t-il, appartiennent «des marnes argileuses, bleuâtres en profondeur, jaunes ou brunes en surface. On les rencontre dansles ondulations des calcaires nummulitiques qui les enchâssent par fragments, les entourent comme une auréole ou les bordentcomme une haie Comme le tell noir infra nummulitique, ce tell jaune est éminemment propre aux céréales et aux herbages,et il constitue avec son émule, le sol de la plupart dessrte. Il compose à lui seul des pays agricoles renommés pour leurfertilité et qui sont par suite nettement individualisés. Aussi léocène moyen groupe-t-il autour de lui une population assezdense ». MONCHICOURT, cit., p. 61-63.7.QuenotrecollègueMohsenLayeb,géologuedeformation,veuillebientrouvericilexpressiondenosremerciementspournousavoir aidé à mieux connaître et comprendre la formation géologique de la région de Téboursouk-Dougga.8. Partant des données fournies par la carte topographique au 1/50.000e, feuille n° XXXIII (Téboursouk), dans un rayon dunedizainedekilomètresautourdeDougga,oncompteaumoinsunetrentainedesourcesetpointsdeaupotable.EnallantdeTunisvers Dougga, on remarque que presque tous les toponymes des localités situées entre Testour et Téboursouk commencent parledénominatifAïn,dénominatifquiexprime,commeonlesait,lexistencedunesource(Aïn)quipourvoitauxbesoinsdelagglomérationindiquéeparletoponymeeneaupotable.OnrencontresuccessivementAïnTonga(lantiqueThgnc), AïnLahmaar, Aïn Jammala, Aïn Esserdouk, Aïn ed Dflaia, Aïn el Kroucha, Aïn el Goléa, Aïn Meska, etc. À Téboursoukmême (lantiqueThbrscm Bre), on ne compte pas moins de trois sources deau potable qui sont encore aujourdhui enactivitéAïnelKarmaquelonrencontreencontrebasdelagglomérationurbaine,àdroitedelarouteenvenantdeTestour,AïnEnnochrasituéeàlentréedelavilleenvenantdeThibar,AïnLamloumaquisetrouveàlasortiedelaville,àdroite,ense dirigeant vers le site de Dougga. Jean-André Peyssonnel (ReltnnvygesrlescôteseBrbreftprrreren 1724 et 1725, publié par Dureau de la Malle,Peyssnneletdesfntnes:VygesnslesrégenceseTnsetalger, t.1, Paris 1838, p. 133), qui, en 1724, visita de passage cette ville, ne manqua pas de signaler, au milieu de celle-ci, lexistencedunefontainemonumentalequuneinscriptionlatinedédiaitàNeptune.VictorGuérin(Vyge rchélgqe ns l Régencee Tns, t. 2, Paris 1862, p. 114-15), qui visita cette ville en 1860, considère comme un avantage pour celle-ci de «posséder enson sein une source fort abondante dont les eaux sont recueillies dans un vaste bassin antique divisé en deux compartiments : lepremier, de forme carrée, est à ciel ouvert et entouré de trois côtés de hautes murailles construites en pierres de taille. On y descendpar plusieurs degrés. Il communique au moyen dune porte avec le second compartiment, qui est oblong et couvert».9.Àcefacteursajoutentdenombreusesautresdonnéesnaturellesdontprincipalement:-labonneterrecéréalièredesplainesalluvialesdelouedKhalledquesurplombemajestueusementauNordleplateausurlequelsélevaitThgg, plateau protégé à lEst et au Nord-est par une falaise abrupte et, au Sud, par des pentes rapides ; - la bonne pierre à bâtir taillée principalement dans le calcaire nummulitique et extraite, à portée de main, dans des carrières quelon avait aménagées au sein du plateau de Dougga, au nord et à louest de lagglomération antique. - des conditions climatiques attrayantes, caractérisées par des températures modérées et des précipitations relativementsuffisantes. Voir POINSSOT (Cl.),Les rnes e dgg, Tunis 1958, p. 9, 18 et 69 (désormais cité POINSSOT,Les rnes) ; KHANOUSSI(M.),dgg, 2e éd., Tunis 1998, p. 5 (désormais cité KHANOUSSI,dgg).10.Nous citons notamment : KHANOUSSI (M.) et MAURIN (L.) éd.,dgg (Thgg), étes épgrphqes,Bordeaux 1997 ; ID.dir.,dgg,frgmentshstre. Choix dinscriptions latines éditées, traduites et commentées (Ier-IVe siècles), Bordeaux-Tunis2000 ; ID. dir.,Mrr à dgg. Recel es nscrptns fnérres, Bordeaux-Tunis 2002 ; DE VOS (M.) dir.,Rs frcm.Terr,q,lnellfrcsettentrnle.Scvercgnznenentrndgg(ltTelltnsn), Trento 2000 ;GOLVIN (J.-CL.) et KHANOUSSI (M.) dir.,dgg,étesrchtectrerelgese, Bordeaux-Tunis 2005.
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Source(AÏN ED-DOURA)
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C1 :Citernes dites de Aïn el-MizebC2 :Citernes dites de Aïn el-HammamC3 :Citernes dites de Aïn ed-DouraF1 :Fontaine rectangulaire au sud-est du théâtreF3 :Fontaine conique au nord du capitol (fontaine des ‘sept voies’ )F4 :Nymphée en demi-coupole26 :Numéro porté sur le plan du guide publié par M. Khanoussi(33) :Numéro porté sur le plan du guide publié par Cl. Poinsso tAdaptation de l’auteur à partir des publications de Cl. Poinssot et de M. Khanoussi ; intervention numérique de T. Sassi.Fig. 1. Le site archéologique de Dougga. Plan de situation des monuments deau
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afrcXXii-2008,Llmenttneneedgg(Thgg):Srces, qecs et réservrs pblcs Hbb BakLouTiLe présent travail nest quune modeste contribution pour une meilleure connaissancede lhistoire urbaine deThgg où abondaient, en loccurrence, citernes domestiques,réservoirspublics,châteauxdeau,thermes,bassins,fontainesetnymphées,canauxetconduites, etc. Dans les limites de la présente publication, nous ne ferons état que dessources,aqueducsetciternesdeAïnel-MizebetdeAïnel-Hammam.Néanmoins,nous ne manquerons pas de rendre compte au passage de létat de la source de Aïn ed-Doura qui a de tout temps, au même titre que Aïn el-Mizeb, contribué à lalimentationeneaudelagglomération.UnepublicationultérieureseraconsacréecependantàlétudedesciternesditesdeAïned-Douraqui,contrairementàcellesdeAïnel-MizebetdeAïnel-Hammam,ontfaitlobjetdunefouilleprogramméequenousavonsmenéesouslégidedelInstitutNationalduPatrimoine(INP)11etgrâceàlalogistiqueédifiantequilnous a généreusement apportée12.SOURCE,AQUEDUCETCITERNESDEAÏNEL-MIZEBa.SourceetaqueducdeAïnel-MizebSourdant dun rocher calcairesitué à la périphérie septentrionale delagglomération antique, la source de Aïnel-Mizeb(fig.1)13estaujourdhuireconnuesur le terrain par une petite constructionvoûtée en cul de four, aménagée au débutdu siècle dernier en guise de chambre decaptation (fig. 2.a)14. On y accède par unepetite porte donnant directement sur unescalier de treize marches, qui descend aufond dun ancien puit-regard, dun peu plusde 3 m de profondeur, réaménagé en petitFig. 2.a.Dougga. La source de Aïn el-Mizeb :bassin rectangulaire, de 1,50 m de long surconstruction moderne aménagée en guise de chambre de1 m de large (fig. 2.b). Sur ce petit bassincaptation. (Ph. de lauteur)11.Nous nous devons de remercier les Directeurs Généraux qui se sont succédés à la tête de cette prestigieuse institution et dontlautorisation nous a permis de mener à terme les travaux de terrain dont fait lobjet la présente étude.12.Nombreuxsontnoscollèguesetamisqui,auseindelINP,ontétédeprèsoudeloindunapportprécieuxàlaprogressiondenosrecherches de terrain. Quils trouvent ici lexpression de nos sentiments les meilleurs et quils nous permettent de rendre particu -lièrement grand hommage, avec sincérité et loyauté, à Mustapha Khanoussi qui, avec générosité et abnégation, nous a toujoursassurédesonappui,desesconseilsetdesonsavoir.Quilveuillebiensassurerdenotreprofondegratitude.13.DanslesrelationsdesvoyageursetdanslesécritsdespremiersexplorateursdesAntiquitéstunisiennes,lasourcedeAïnel-M-zeb est mentionnée pour la première fois par Thomas/Osman dArcos qui a visité Dougga en 1631 et que Louis Poinssot qualifiecommeétantleplusanciendesAntiquairesdeTunisie(POINSSOT(L.),LesruinesdeThgg et deThgnc au XVIIe siè-cle,MSaF, 7è série, t. 2, Paris, 1903, 145-84, p. 168). Elle a été ensuite signalée en 1724 par le Père Ximenez (THOUVENOT(R.),NotesdunespagnolsurunvoyagequilfitenTunisie(1724),Rev. tn., 1938, 313-22, p. 317), en 1833 par Sir GrenvilleTemple (Excrsns n the Meterrnen, algers n Tns, II, Londres 1835), en 1860 par V. Guérin (Vyge, 2, p. 135) et en1885parHenriSaladin(RapportadresséàM.leMinistredelInstructionpubliquesurlamissionaccomplieenTunisieenocto-bre-novembre1885,NaMS, t. 2, 1892, 448-529, p. 517. Désormais cité SALADIN,Rpprt, 2,). Sur les biographies et visites àDougga des voyageurs et explorateurs que nous venons de citer, voir le mémoire de SAINT-AMANS (S.),Hstreelexplr-tn ste e dgg (Thgg, afrqe prcnslre), TER (s/dir. L. Maurin), Université Michel de Montaigne Bordeaux III,Bordeaux, 1995 (inédit).14. Lorsquen 1885, H. Saladin visita le site de Dougga, la source de Aïn el-Mizeb, que larchitecte français dénomme la sourceduNordetquilsitueàunecentainedemètresenvirondesciternesprincipales(entendrelesciternesdeAïnel-Mizeb),était,selon ses dires, en plein air (SALADIN,Rpprt, 2, p. 517). Les rapports publiés par le Dr Carton ne font aucune mention decetaménagementmoderne.Aussidoit-ondéduirequecestravauxettouslesréaménagementsquisenétaientsuivisdatentdunepériodepostérieureauxdeuxauteurssusmentionnés,soit,auplustôt,dudébutoudumilieudusiècledernier.CestauxServicesdes Eaux quil faut attribuer ces travaux, nous confirme notre collègue M. Khanoussi.142